Un paillasson : la parole par Edith Azam
Nous avons eu jadis, peut-être, la parole.
Nous sommes dupes de nous-mêmes, de ce foutu langage qui nous dévisse la bouche, y voyons une forme de supériorité animale qui se résume, au bout du compte, à calfeutrer nos phantasmes les plus, non, les mieux lubriques croyant nous éloigner de la bête mais… nous sommes des brutes, des barbares.
Nous nous mentons depuis la langue, depuis cette épine molle et gluante qui nous creuse en quotidien la bouche de toute la mort qu’on lui a fait.
Nous, en permanence, violons de la langue dans une bêtise abjecte qui nous sabote tout le squelette tant est si mal que, à défaut de marcher debout nous : nous rampons du gosier.
Nous nous traînons plus bas que taire, persuadés que le langage relèvera un peu les choses mais…. nous ignorons le massacre dont nous sommes les seuls responsables et qui fait le défaut de langue majeur : son mensonge.
Nous, à cause de cela, sommes devenus l’imbécile jouet du langage.
Nous ne comprenons rien, ne voyons pas le point où la pensée s’em-pute dressant la langue contre nous, et ne faisons rien du langage si ce n’est : le corrompre, le brûler, sans discontinuité altérer ce pour quoi il est fait.
Nous ne sommes pas capables - veulerie, sabotages, pleutres, bouffons, narcisses- de faire qu’une parole soit un acte.
Nous avons dévoyé la langue, nous l’avons salopée : Nous, massacreurs du langage, nous nous baisons tous d’abord par la bouche, d’abord par la bouche oui : de bouche à bouche, nous nous dévorons de la langue.
Nous avons dévoyé le seul geste qui sauve, qui pouvait nous sauver, nous avons dégommé le langage lorsqu’il était encore geste, lorsqu’écrire, lire, parler impliquer conscience du corps ainsi que le geste et non ce simple râle : des mots.
Nous sommes du mensonge permanent, de la cervelle renfermée.
Nous nous sommes guillotinés l’humain, le mieux humain de nous, nous l’avons broyé.
Nous nous faisons mettre de la langue, des coups de langue à tour de bras comme coup de butoir, et nous gargarisons de la chose.
Nous croyons le pouvoir.
Nous aimons l’hypnose anesthésiante dans laquelle ce travail nous plonge.
Nous voulons, c’est pure logique –toutefois aujourd’hui, à ce stade, logique mène à perte- nous voulons sauver le langage, réhabiliter ses éléments, refaire du langage en état de langage mais, aveuglés par cela, ne voyons pas le grand massacre.
Nous avons saboté la chair en la coupant de la parole -et inversement- ce qui a pour conséquence un fait historique inouï, écrire devient un acte d’une mollesse : historique.
Nous, soit disant intellectuels, nous battons de la langue à tout va pour conserver la petite étiquette, la jolie gloriole : mais que deviennent les intellectuels s’ils sont incapables de se rassembler pour penser ?
Nous avons fait du langage une machine à mort c’est dire : nous l’avons trahi, trop de fierté en bouche, nous restons violemment fascinés à l’inertie des belles formules, au désir du Mythe –lequel est moribond-.
Nous tétons de manière éhontée, acharnée et goulue, une mamelle d’orgueil qui nous tord tout le corps en un rictus difforme.
Nous, massacreurs de langue, aboyeurs et poltrons, d’avoir coupé le lien unissant la chair à la parole, nous sommes les premiers responsables de toute absence de résistance efficace et active, c'est dire, à la base, une solidarité effrontément butée à maintenir le corps : en résistance.
À faire, à suivre : qui prend la main ??????
Libellés : Edith Azam, Poésie