mercredi 29 septembre 2010

Lucien Suel & Arnaud Mirland en concert (9/10)

Neuvième morceau du concert de Cheval 23, le 6 avril 2010 à La Java : "Les champs de la nuit", un poème extrait de Canal mémoire, aux éditions du Marais du Livre.

Les champs de la nuit s'étendent sous
les nuages difformes. Par les trouées
noires se glissent les braises naines
d'étoiles, d'étoiles de saltimbanques

& Arthur Rimbaud essaie de s'endormir
dans l'herbe douce du bas-côté malgré
le bruit des mobylettes, les ouvriers
du poste de nuit à Biache-Saint-Vaast
.....................................
Le pourtour de la lune est barbouillé
de jaune ocreux. Les pinceaux pointus
des peupliers strient la voûte opaque
des cieux. Le transformateur ronronne

& Blaise Pascal dans le rond lumineux
du réverbère public frissonne au vent
du nord. Le fond de l'air effraie les
philosophes en visite à Wierre-Effroy
.....................................
Les interminables pluies de l'automne
pilonnent les jardins nus. Le silence
et la boue recouvrent les sentiers de
la nécropole. Les morts sont mouillés

& Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski se
passe la main sous la barbe en fixant
les cartes de son jeu. La buée couvre
les vitres de ce bistrot de Lozinghem
.....................................
L'églantine et le sorbier des oiseaux
et le sureau et l'aubépine et l'osier
et la ronce mélangés inextricablement
le long des rails luisants de la voie

& Jack Kerouac colle son front sur la
vitre du compartiment. Les rafales du
vent de la course giflent les fourrés
épais. Prochain arrêt, gare de Beuvry
.....................................
Accroupi dans la poussière le charbon
les cendres, le gamin remplit un seau
en plastique, verse de l'eau, touille
et coule les pâtés. La plage est loin

& Vincent Van Gogh s'est assis sur un
banc dans l'abribus. Il murmure entre
ses lèvres quelque verset du livre de
Job en attendant le bus de Courrières
.....................................
Lucien Suel

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jeudi 23 septembre 2010

Lucien Suel & Arnaud Mirland en concert (8/10)

Huitième morceau du concert de Cheval 23, le 6 avril 2010 à La Java :
"D 341", un poème publié dans "Au Nord de quoi ?".
D 341

d'ici je pars vers d'ici vers je oui descends
de mes collines vers dévale au loin d'ici
je vois vers les monts je d'ici saute au-dessus
des taupinières Cassel Mont des Cats Mont Noir
vers la frontière belge à Abeele j'achète
ma bière à la ferme chez Monsieur Cuvelier
sur le bord de la grand-route de Poperinge
un casier vert de Hommel Bier un casier noir
de Westmalle Tripel je reviens de je rentre
comme assis sur la banquette arrière du nord
je vois les Collines d'Artois comme autrefois
de l'Aronde pousse palet de la marelle
traverse la chaussée Brunehaut axe est-ouest
d'Arras à Boulogne-sur-Mer sur l'apophyse
vertébrale des collines traînée de sang
laissée par les muscles déchirés de la reine
effacée par les roues milliers d'automobiles
qui filent en vaporisant des gaz le vent
de la Manche de Stella-Plage du sud-ouest
balaie aussi tout ça les restes d'ypérite
les restes de grisou vers le nord dans la toile
trouée des moulins et dans les peupliers blancs
frissonnant le long de la route l'élagage
a produit des déformations celui que j'aime
s'est élancé vers le ciel mais sa chevelure
d'épinoches sème les poissons argentés
vers le nord derechef mais la racine au sud
vers la chaleur de la terre un degré de plus
tous les trente-trois mètres les mineurs tassés
dans les terrils-mausolées avec les os blancs
des jeunes hommes de Dixmude de Vimy
de Kemmel le savent les nuages défilent
vers le nord comme une limaille métallique
attirée vers le pôle des aimants un autre
jardin des amants de Virginie où Borée
fait tournoyer le tout dans les sept directions
de la cosmologie navajo nord sud est
ouest haut bas l'en-dedans le coeur l'ombre est toujours
du côté du nord quand je descends de Lisbourg
à Gand à Lisbourg c'est le petit gerbier des
roseaux de la Lys un trou noir d'eau noire qui
descend vers Gand vers Laatem Saint Martin vers la
pâture verte de l'agneau mystique des
frangins Van Eyck on croise un pêcheur à la ligne
un peu frère des pécheurs en robe de lin
blanc du tableau il de ses gros doigts agricoles
pétrit des petites boulettes rouges dans
la pâte mystic le sang de l'agneau pour les
brochets les percots et les tanches de la Lys
sur ma gauche arrive l'Escaut vibrant sous les
trains de péniches de Tournai roulant vers la
Zélande vers l'île de Johan et de Tien
s'allongeant sous l'immense pont de Zierikzee

le Nord existe depuis le commencement
des temps pas l'Occident créé par le drakkar
d'Erik le rouge révélateur du globe ou
les caravelles la colombe le soleil
s'écroule dans la mer coulées rouges de fonte
au couchant cauchemar futur climatisé
dans le givre à l'est la résurrection flamboie
même à l'extrême nord je relève la tête
pour voir un autre nord des étoiles je l'ai
tout ça d'ici de ma cave calcaire ici
sous les ruissellements de la pluie s'infiltrant
goutte à goutte pour jaillir puits artésien roc
frappant l'imagination du docteur Faustroll
l'enfer était ce jour-là en Artois crachant
cravachant la toile écrue avec la salive
du cobra à trois têtes Amsterdam Copenhague
Bruxelles alors que Christian Dotremont venu
de la plaine s'égare au nord dans les neigeux
logogrammes de Laponie express parmi
les visions fraises sauvages de Knut Hamsun
les cathédrales cristallines de Tarjei
Vesaas ô Mathis et ô Matisse la toile
dans la force que donne un dénuement inouï
inuit transformant une lamelle de lard
en patin de luge le sang de l'ours polaire
bouillonne sous une lourde fourrure blanche
le nord est dans le ciel d'acier les souffles sont
purifiés dans la neige saturée de plomb
poudreux comme le cercueil de l'ours transporté
dans le vent per ipsum cum ipso in ipso
la déchirure de la voûte coagule
les ectoplasmes mes morts m'attendent là-bas
Lucien Suel

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vendredi 17 septembre 2010

Lucien Suel & Arnaud Mirland en concert (7/10)

Septième morceau du concert de Cheval 23, le 6 avril 2010 à La Java : "Ossuaire", un poème extrait de Canal mémoire, aux éditions du Marais du Livre.

OSSUAIRE
ossuaire mes morts mes morts ossuaire
sortez de ma tête sur le papier blanc
& sur le disque dur de mon ordinateur
la mémoire des morts hors de moi mort
les os de Rachel Martel & puis encore
les os de Fleury Verbrugghe et encore
les os de Léonie Vandenbeulque encore
les os de Lucien (Géry) Suel & encore
les os de Reine Debacker voici encore
les os d'Arthur Woestelandt et encore
les os de Juliette Manien avec encore
les os de Gilles Denisselle et encore
les os d'Evelyne Chaumette oui encore
les os de Gaston Criel et puis encore
les os d' Arthur Rimbaud voici encore
les os d'Antonin Artaud & puis encore
les os d'Isidore Ducasse voilà encore
les os de Jack Kerouac et puis encore
les os de Neal Cassady et puis encore
les os de Blaise Cendrars puis encore
les os de Richard Brautigan et encore
les os de Paul Verlaine & puis encore
les os de John Lennon et voici encore
les os de Sun Ra Herman Blount encore
les os de Léo Ferré & encore & encore
les os de Blaise Pascal & puis encore
les os de Vincent Van Gogh oui encore
les os de Chet Baker et il y a encore
les os de Joseph Huguet & puis encore
les os de Jean Delval et voici encore
les os de Léon Bloy & encore & encore
les os de Germain Nouveau puis encore
les os d'Hugo Ball de Jean Arp encore
les os de Nestor Makhno & puis encore
les os de Mikhaïl Bakounine et encore
les os de Kurt Schwitters puis encore
les os d'Augustin Lesage voilà encore
les os de Rosa Luxembourg puis encore
les os de Georges Bernanos oui encore
les os d'Alexander Trocchi oui encore
les os de Marcel Duchamp voici encore
les os d'Allen Ginsberg & puis encore
les os de Thérèse Martin voici encore
les os de Vladimir Nabokov oui encore
les os de Max Jacob & encore & encore
les os de Tristan Tzara & puis encore
les os de Charles Baudelaire & encore
les os de William Burroughs et encore
les os d'Egon Schiele et voici encore
les os de Catherine Tekakwitha encore
les os de tous les morts classés dans
la cathédrale de mon esprit ensevelis
dans les matières grises de mon crâne
trouant ma bouche étouffant ma narine
noyant mon regard fermant mon oreille
déchirant ma peau & déchirant ma peau
Lucien Suel

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mardi 14 septembre 2010

Lucien Suel & Arnaud Mirland en concert (6/10)

Sixième morceau du concert de Cheval 23, le 6 avril 2010 à La Java : "Allô Virus 23", un poème extrait de Canal mémoire, aux éditions du Marais du Livre.

allô virus 23
allô il faut que ce soit comme la vie
drôle douloureux mystérieux la poésie
le poème ce livre étrange tout semble
s’éclairer la structure circulaire la
lecture commencera par n’importe quel
fragment n’importe quel mot n’importe
quelle ligne comme ce que Burroughs a
dit en parlant des cut-up ils peuvent
produire allô l’impression de déjà-vu
avoir un caractère prophétique il n’a
évidemment pas employé une seule fois
le cut-up dans le texte d’ici en mots
sur des lignes de 37 caractères c’est
le contenu du poème côté expérimental
pas le style à part le fait qu’il n’y
a pas de signes de ponctuation voiles
sur les artifices de fabrication pour
préciser qu’au début le poème s’écrit
composé en mélangeant un extrait d’un
roman de Mickey Spillane et la lettre
d’une religieuse carmélite à son père
le reste c’est l’avis de Céline pense
que le lecteur jouit du confort de la
croisière sans connaître le détail de
l’organisation un lecteur intrigué et
amusé par l’action par le jeu avec la
langue il réagit intellectuellement à
certaine tension et certaine ambiance

c'est le poète qui écrit ce qu'on lui
dit d'écrire une comtesse de Noailles
aurait pu par exemple s'extraire d’un
lit pour lui rendre visite on ne sait
pas ni où ni quand ni que ni qui pour
arriver à cette notoriété relative et
fragmentaire en nombre en pagaille se
présentent les itinéraires les prix à
payer il calcule en ajoutant les prix
littéraires au matériel utilisé et le
salaire comprend les heures passées à
scruter l'écran du moniteur souris au
bout du bras président Clinton Reagan
Nixon serait lui-même assurément très
content de recevoir par la poste deux
poèmes ou trois poèmes d'un tel poète
oui peut-être qu’il lui ou les lirait

ici celui qui n'a pas lu ce poème n'a
rien lu dans ces vers de 37 signes on
respire de l'air sain quand le propre
père se désincarne il est enfoui dans
le cimetière de famille assez loin de
la vallée des Rois mais à deux pas du
cabinet de travail mal-voyant il peut
murmurer voire même prononcer deux ou
trois poèmes devant la tombe litanies
de la glèbe une espèce d'hagiographie
de choses quotidiennes la sainteté de
la brosse la finesse du torchon ou la
virginité d'un pansement dans le fond
il entend les explosions dans son âme
endolorie il revoit les mandorles qui
se tordent se souvient du gouffre qui
avale les vivants il se souvient d’un
puits allô est-ce que c'est avant une
visite de Vincent Van Gogh chez Emile
Breton ou Jules Breton à cette époque
baiser cette bague diamant proéminent
au gros petit doigt d’un évêque était
un signe de respect le bonheur est un
nuage dans l'au-delà des nuages et un
amoncellement s'expliquait clairement
au tableau noir dans la classe de fin
d'études rurales le poète atteint par
la folie ordinaire n'existait pas ici
ou alors il se cachait sous une table
des matières de la table des matières

longtemps le poète s’employa dans les
campagnes à la garde des pourceaux la
longueur du jour il rimait remuait en
son cerveau des interrogations sur le
vocabulaire ainsi que signifie ce mot
coruscateur et que signifie obreptice

autrefois le prêtre tournait le dos à
l’assemblée des dévots et sa chasuble
s'ornait d'un mandala vert à examiner
dans le froid d’une longue messe mais
si un geste est fatigant l’économiser
dans la production est capital poèmes
vous devez être flexibles c'est ça le
zen le yoga le satori c'est une coupe
noire où resurgit tout le tas de mots
morts dans la froide communication la
duperie de la virtualité mots émotifs
aviformes de cénotaphes enveloppés de
drap noir mots gravés sur les pierres
la malédiction du pharaon anathèmes à
travers le temps à travers l’espace à
travers par le mot par le mot mot les
hiéroglyphes banalisés l'art est frit
planétaire mais les poètes cochons le
cochon de poète demeure un villageois

globalement il a appris à écrire avec
l’encre un porte-plume en bois et une
plume sergent-major en acier et après
dans les années soixante il avait son
stylo-bille 4 couleurs ensuite années
70 les crayons-feutres et la première
machine à écrire l’Underwood-Standard
d’origine achetée 30F chez un chineur
au début des années 80 il imprime son
premier livre Sombre Ducasse à trente
exemplaires en utilisant l’imprimante
à aiguilles et 5 rubans le traitement
de texte s’appelait Wordstar et le PC
286 il passe assez rapidement à Works
3.0 sur un 386 écrase son Wordstar un
vieux crayon usé ce poème est composé
actuellement directement en utilisant
Word 6 sur un 486 avec une imprimante
laser ce sont des mots bel été poèmes
sur le sable à marée basse avec bouts
de bois ramassés sur la plage du jour
au lendemain il rend public son poème
sur le réseau international libre mot
modem le jour où tout s’arrêtera tous
les disques durs ramolliront il saura
graver les mots sur le mur de la cave
avec un morceau de charbon graver sur
le sable des plages de la mer du Nord
avec les morceaux d’un CD-ROM inutile
Lucien Suel

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mercredi 8 septembre 2010

Lucien Suel & Arnaud Mirland en concert (5/10)

Cinquième morceau du concert de Cheval 23, le 6 avril 2010 à La Java :
"Seigneur" d'après "Mercedes Benz" (poème de Michael McClure) chanté par Janis Joplin sur l'album "Pearl".
Pour Janis Joplin & Michael McClure !

Seigneur ! Achète-moi une voiture électrique !
Seigneur ! Achète-moi une boîte de préservatifs !
Seigneur ! Achète-moi une centrale atomique!
Seigneur ! Achète-moi un politicien !
Seigneur ! Achète-moi un kilo de maïs transgénique !
Seigneur ! Achète-moi une mine anti-personnel !
Seigneur ! Achète-moi un peu de crack !
Seigneur ! Achète-moi un cd de Céline Dion !
Seigneur ! Achète-moi une biographie de Monica Lewinski !
Seigneur ! Achète-moi un portrait de Lady Di !
Seigneur ! Achète-moi un machin N 1 !
Seigneur ! Achète-moi une averse de pluie acide !
Seigneur ! Achète-moi une station off-shore !
Seigneur ! Achète-moi un roman de James Ellroy !
Seigneur ! Achète-moi un clone de mouton !
Seigneur ! Achète-moi un souvenir de l'an 2000 !
Seigneur ! Achète-moi une clef usb!
Seigneur ! Achète-moi une greffe du coeur, une greffe du visage !
Seigneur ! Achète-moi un trou d'ozone !
Seigneur ! Achète-moi un week-end à Bagdad, à Kaboul !
Seigneur ! Achète-moi un nuage de dioxine !
Seigneur ! Achète-moi une tranche de vache folle !
Seigneur ! Achète-moi un paquet de sicav !

Seigneur ! Seigneur ! Je compte sur toi ! Je compte sur toi !

Lucien Suel

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dimanche 5 septembre 2010

Lucien Suel & Arnaud Mirland en concert (4/10)

Quatrième morceau du concert de Cheval 23, le 6 avril 2010 à La Java :
"Litanies de Mouchette", un poème écrit d'après le personnage créé par Georges Bernanos. Ce poème figure dans le recueil "Un trou dans le monde", disponible aux Editions Pierre Mainard.
MOUCHETTE

Mais déjà l'eau grise ruisselle du
ciel lacrymogène

Mais déjà la terre se gorge, suave
cloaque bourbeux

Mais déjà les palpitations du sang
lancinent l'oeil


Et les doigts se courbent sous les
lourdes semelles

Et les doigts pèlent les plaquards
boueux et froids

Et les doigts se raidissent, ridés
orgueilleusement



Mais déjà les grappes trempées des
frênes rouissent

Mais déjà les pointes des barbelés
suent des larmes

Mais déjà l'édredon moisi de nuées
sales s'échancre



Et les narines impuissantes hument
la farine de lin

Et les narines humides acclimatent
l'amère moutarde

Et les narines prisent l'amidon du
tablier maternel



Mais déjà le torchis brun dépaillé
s'écoule en vase

Mais déjà de la bourlique éclatent
les bulles fades

Mais déjà l'eau du fossé délite le
papier de bonbon



Et la bouche se rafraîchit, suçant
la pièce de 20Fr

Et l'élastique incruste aux genoux
un cercle livide

Et l'écheveau emprisonne les mains
d'un fil funeste



Mais déjà Mouchette saigne dans le
flot du schiedam

Mais déjà Mouchette ébouillante le
linge ammoniacal

Mais déjà Mouchette se penche vers
l'eau baptismale

Mais déjà Mouchette se glisse dans
l'eau baptismale

Mais déjà Mouchette frissonne dans
l'eau baptismale

Mais déjà Mouchette se cambre dans
l'eau baptismale

Mais déjà................Mouchette
Lucien Suel

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jeudi 2 septembre 2010

Lucien Suel & Arnaud Mirland en concert (3/10)

Troisième morceau du concert de Cheval 23, le 6 avril 2010 à La Java :
"Fille du Nord", un poème écrit d'après la chanson de Bob Dylan,"Girl From North Country". Ce poème figure dans le recueil "Canal mémoire", disponible aux Editions du Marais du Livre.

Fille du Nord (d'après Bob Dylan)

si tu te déplaces là-bas vers le Nord
très loin où le vent est cassant dans
la bande de la frontière rappelle-moi
au bienveillant souvenir de celle qui
vit là elle était mon amour autrefois

Le vent du Nord respire en se tordant
sur le galbe de la planète, terrorise
en octobre le géranium, effarouche en
novembre le chrysanthème, ballotte en
décembre le blé d'hiver, extermine en
janvier le puceron. Aiguilles glacées
dans les lèvres noires de l'obscurité
boréale. Le voyageur claque des dents
sur l'asphalte sonore, rêche et gris.

si tu marches là-bas lorsque la neige
recouvre la ville floconneuse lorsque
la rivière s'engèle à la fin de l'été
vois je t'en prie si son manteau sera
assez chaud pour la protéger du vent.

Le canal s'allonge entre peupliers et
saules. Un cortège de péniches creuse
une entaille livide dans l'eau froide
picorée par les mouettes. Les percots
louvoient entre les hameçons de métal
garnis de lombrics convulsés. Cruelle
morsure dans les ténèbres aquatiques.
Le pêcheur se frotte le flanc tout en
se dandinant sur le chemin de halage.

je t'en prie vois si sa chevelure est
longue flamboyante dans les rayons du
soleil couchant regarde avec mes yeux
si sa chevelure serpente dans son dos
oui voilà mon plus précieux souvenir.

La mousse dépasse le bord du verre et
coule en longs filets glissant sur la
plaque trouée du zinc du comptoir. La
Blanche de Bruges tournoie au fond de
la gorge des filles blondes ou brunes
qui secouent leurs cheveux en arrière
vers la devanture de l'estaminet noyé
de buée tiède. Dans le néon jaune, le
satin cramoisi, l'harmonica hoquette.

je me demande perpétuellement si elle
se souvient de moi j'ai beaucoup prié
pour elle dans la nuit obscure de mon
âme dans l'éclatante clarté du soleil
je pince les cordes je souffle je vis

Le voyageur se hâte à la brune. Il se
dirige à gauche, l'ouest rose dans le
sable, dans les dunes, puis à droite,
l'est sombre dans la terre, parmi les
labours. Son front est incisé par une
ligne d'ombre. Il marche vers le feu,
vers le soleil, vers le Nord, vers le
haut, vers la nuit, vers le Nord. Une
brassée d'aubépine bourgeonne en lui.

si tu te déplaces là-bas vers le Nord
très loin où le vent est cassant dans
la bande de la frontière rappelle-moi
au bienveillant souvenir de celle qui
vit là elle était mon amour autrefois
Lucien Suel

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