lundi 6 novembre 2017

Liste des pochettes de disques 45t et 33t sur lesquelles apparaissent des lunettes - RDO 17

Récupération des données ordinaires
dans

« Scruter pochettes »

(liste établie par Mauricette Beaussart avant sa disparition en tant qu'hétéronyme de Lucien Suel)



Les amies et les amis de mon (mon)espace connaissent l’éclectitude de mes marottes discographiques. Mais je n’avais jamais guidé les visites dans l’accumulation temporelle de ma passion vinyliphile.

Isolant la caractéristique « lunettes », chaussant les miennes, merci de me suivre d’abord dans la pièce de collection réservée aux disques de petit diamètre en pile désordonnée 
PIL Public Image John Lydon petites lunettes de soleil rondes / Plastic Ono Band Cold Turkey radiographies vertes des deux crânes de John & Yoko avec lunettes / Snake Finger The Spot lunettes coques opaques en plastique doigt de naja serpent à lunettes / Vibrators Bye Bye Baby gros plan avec lunettes noires de rocker / X RAY SPEX comme le nom l’indique / T. Rex The Groover Marc Bolan à quatre pattes grandes lunettes carrées verres colorés / The Rolling Stones Satisfaction ep photo couleurs les cinq dans la rue seul Keith Richards avec lunettes noires / Country Joe Mac Donald F.U.C.K. à Woodstock bandeau lunettes de soleil noires / Spherical Objects Seventies Romance photo une belle star lèvres peintes et grandes lunettes noires / The Dickies Banana Split portraits dessinés des quatre Dickies dont deux avec lunettes dont une paire noire / Ray Charles What’d I Say superbes lunettes noires sur toutes les pochettes.

Ensuite lentement arpentons ensemble la pièce de collection des disques de grand diamètre majoritairement classés dans l’ordre de l’alphabet, rangés dans les compartiments de mon étagère blanche Hic & Ha 
Agitation Free Malesh lunettes de soleil pour un musicien assis sur un rocher brûlant / Laurie Anderson Big Science lunettes high tech robotiques / The Beatles Revolver au dos Paul Georges Ringo lunettes noires Lennon les siennes NB John Lennon sans lunettes sur les photos des premiers albums / William Burroughs The Nova Convention avec John Giorno Frank Zappa & Patti Smith pour les 70 ans de WSB continue de porter ses lunettes / Captain Beefheart & His Magic Band Safe As Milk un musicien avec lunettes noires Trout Mask Replica back cover tous les magiciens musiciens avec des lunettes Doc At The Radar Station Eric Drew Feldman et Bruce Lambourne Fowler lunettes ordinaires / The Clash Sandinista seul Topper Headon le plus petit chapeau & lunettes noires / John Cooper Clarke Disguise In Love 1er album masque lunettes et moustache en plastique et au dos avec les lunettes noires Snap Crackle [&] Bop 2ème album badge John Cooper Clarke lunettes noires NB John Cooper Clarke lui-même dans son rôle vu récemment dans Control un beau film j’ai pleuré buée sur mes lunettes / Ivor Cutler Jammy Smears portrait en pied torse nu avec ses lunettes / The Damned 1er album Neat Neat Neat deux damnés entartés avec lunettes noires en plastique / Deep Purple In Rock intérieur pochette Ian Paice lunettes noires / Devo Are We Not Men cover le leader style lunettes de plongée au dos trois autres avec lunettes de soleil en plastique coloré cachées sous collants ou bas / Bo Diddley Where It All Began lunettes bleues / Dillinger Funky Punk Rock To The Music lunettes noires carrées / The Doors L.A. Woman Ray Manzarek organiste à lunettes / Bob Dylan Bringing It All Back Home back cover Dylan en noir & blanc avec lunettes noires de correction et aussi Allen Ginsberg & Peter Yarrow de Peter Paul & Mary lunettes normales de correction / Etron-Fou-Leloublan Les trois fous perdégagnent (au pays des...) au dos Guigou Chenevier casquette foulard lunettes de soleil / Ferré Grignard Captain Disaster cover lunettes rondes back avec grandes lunettes noires très anciennement je participai discrètement à l’enregistrement de ce LP / Lucien Francoeur Le retour de Johnny Frisson toute la panoplie du rocker pantalon moulant en cuir tatouages et lunettes noires / The Fugs Virgin Fugs lunettes noires sur un dessin de William Blake / Half Japanese Half Japanese Half Gentlemen Not Beasts les frères Fair David & Jad posent au dos du coffret tous deux lunettes à reflets jaunes / Richard Hell and The Voidoids Blank Generation back cover seul le batteur ne porte pas de lunettes les trois autres lunettes de soleil / Jefferson Airplane Crown Of Creation Paul Kantner avec lunettes à la WSB Jack Casady lunettes noires rondes Spencer Dryden grandes lunettes noires / Krackhouse The Whole Truth lunettes de Mike Sappol / Longshoremen Grr Huh Yeah sur Subterranean Dave "Dog" Swan avec lunettes à la WSB / Melmoth La devanture des ivresses Melmoth a.k.a. Dashiell Hedayat alias Jack-Alain Léger inner sleeve pose de star avec lunettes noires / Mothers Of Invention Uncle Meat rear cover portraits de Zappa Sherwood Estrada Gardner et Tripp avec lunettes noires / The Move Something Else From The Move lunettes noires du chanteur Carl Wayne / Patti Smith Group Horses 1er album au dos Lenny Kaye grandes lunettes teintées Radio Ethiopia 2ème album au dos Patti Smith lunettes noires à côté d’elle Lenny Kaye mêmes lunettes teintées Easter 3ème album toujours au dos en couleurs mêmes lunettes pour Lenny Kaye / The Psychedelic Furs India 1er album seul sur six le bassiste Tim Butler avec lunettes noires / Pulp Little Girl (With Blue Eyes & Other Pieces) grandes lunettes transparentes de Jarvis Cocker / The Ramones Rocket To Russia (Missiles pour Moscou) le grand Ramone et le petit Ramone à gauche et à droite avec des lunettes noires encadrant les deux moyens Ramones sans lunettes / Soft Machine vol. 2 Pataphysical Introduction Hugh Hopper lunettes Third 3ème album page intérieure allongés sur un grand lit, Hugh Hopper mêmes lunettes et Mike Rattledge étroites lunettes fumées 4 4ème album couverture Mike Rattledge mêmes lunettes et au dos Hugh Hopper mêmes lunettes / Specials 1er album A Message To You Rudy sept hommes tous en costumes cinq Blancs deux Noirs lunettes noires pour un Blanc et pour un Noir quatre ou cinq cravates deux ou trois cols ouverts / The Stranglers The Raven tous debout à l’avant d’un drakkar seul Jean-Jacques Burnel ne porte pas de lunettes noires / Suicide 1er album Ghost Rider au dos Alan Vega Martin Rev grandes lunettes noires / Wire Pink Flag guitariste bassiste B. C. Gilbert blue eyes lunettes rondes / Yellowman Live At Kilimandjaro featuring Sqiddly Non Stop Music lunettes carrées à verres jaunes (vert jaune) / 

Cette blanche étagère s’apparente de plus en plus dans le temps qui passe à un cénotaphe pour le souvenir des disparus de rock musique. Où sont passées leurs lunettes ? Je ne sais qui, de David ou de Rico, les leur a posées une dernière fois sur le nez. C’est ma vie, pour l’instant je ne suis pas morte même si c’est maintenant la fin de ma (notre) visite à thème lunetier des rayons de ma discothèque dans la Mapad de X...


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posted by Lucien Suel at 07:31 3 comments

mercredi 26 septembre 2012

Dans le collimateur (2/2)

Journalisme de proximité
Dossier "Lunettes"

Un conseil de l’Agence Régionale d’Aide à l’Émergence des Talents dans les Musiques Amplifiées : « Quand votre groupe obtient enfin un succès mérité, il faut mettre en œuvre la pérennisation du succès. Vous ne devez pas craindre de vous présenter en tant que Rock Stars, et par exemple, vous ne devez pas hésiter à apparaître sur les plateaux de TV en arborant des lunettes de soleil. »

Météo
Dans cette partie de notre pays où le climat est moins clément, les mini jupes laisseront la place aux pantalons molletonnés, mais le look restera rock grâce aux tatouages et piercings et à l’emploi de lunettes de surf.

Jeu de construction
Monsieur P. Murphy est habillé en dandy du dix-neuvième siècle, avec une apparence gothico-romantique. Monsieur D. Jay qui n’est point disc-jockey mais bassiste, dissimule son air placide derrière des lunettes de soleil. On ne voit point Monsieur K. Haskins caché derrière sa batterie. Quant au guitariste Monsieur D. Ash, qu’il ne faut point confondre avec un auteur de romans policiers, il porte un joli veston en fourrure sans manche très glam rock et des lunettes de soleil dont les verres occupent une surface beaucoup plus importante que ceux de M. D. Jay. Il semble arriver en ligne courbe d’un monde extraterrestre, après un long voyage dans le noir interstellaire.

La séquence du spectateur
Un film des années 60-70, assez déjantédélire. Des femmes qui se mirent dans une vitrine, gros plan sur les fines jambes des femmes. Sur scène, un spectacle avec des comédiens en peignoir et portant des lunettes noires. Gros plan sur un mince chanteur de rock, son nom est Pierre Clémenti. Gros plan sur un autre chanteur à casquette avec lunettes noires et un costume assez kitsch brillant à paillettes. La musique est rock à fond. Dans la rue nocturne, une jeune femme marche devant une voiture. Retour sur scène avec un trio de chanteurs de rock en peignoir et lunettes de soleil. Gros plan sur un guitariste. Gros plan sur Madame Bulle Ogier qui chante, gros plan sur Monsieur Pierre Clémenti qui chante et saute, il est très excité, il risque de faire craquer les coutures de son pantalon en cuir moulant.

Vu récemment
Empaqueté dans sa chemise blanche et son gilet, bien boulemoulé dans son pantalon de skaï Warm Leatherette, lunettes noires à monture blanche vissées sur le crâne, avec sa touffecrinière de lion perclus peroxydé pogotant sur ses épaules, le célèbre Paul Narêve entonne « C’est Klaus Barbie qui dit non, non, non, non, non... »

Lucien Suel

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vendredi 21 septembre 2012

Dans le collimateur (1/2)

Journalisme de proximité
Dossier "Lunettes"

1. Les lunettes rondes du regretté J. Lennon ont été vendues aux enchères sur le site 991.com. Le vendeur est Monsieur Junishi Yore, producteur japonais qui les possédait depuis les années 60. Il était à cette époque le traducteur des Beatles. La rumeur raconte que les lunettes se sont vendues à un prix exorbitant, proportionnel à l’épaisseur des verres grossissants. Monsieur Junishi Yore avait reçu ces lunettes en cadeau de la part de Monsieur Lennon lors d'une tournée des Beatles dans son pays.

 2. 23 journalistes spécialisés dans le rock et la pop viennent de créer l’Amicale des Corbeaux Noctambules à Lunettes de soleil (AmCoNoLu).

3. L’ambiance générale du concert des Thun Glassies a été très contrastée, entre un début très rock star, vestes pailletées, pantalons de cuir noir, platform boots, lunettes de soleil et air arrogant, et la fin, plus dans le style soirée scoute avec feu de camp, pataugas, shorts beiges, chemisettes à carreaux et bérets basques.

4 Le papa de la chanteuse Maury Seven est une ancienne star du rock, perfecto râpé, santiagues grisonnantes, jean genou troué, cigarette aux lèvres et lunettes de soleil pour masquer ses pupilles étrécies, ses yeux bleus de djeun qui se défonça à l'héroïne principale.

5 Critique vie roulante
Quant un chanteur arbore des lunettes ineptes et incertaines, il n’est pas sûr qu'elles deviennent tendance smart cool ou bath. Voyez vous-même! La rock-star jaunie porte des lunettes de naze car pour ploucs, respectons la (ou le, si c’est un homme) d'être un rebelle, mais ne nous sentons pas obligés de partager sa forme de rébellion.

6 Le Président de la Commission de Recherche des Occurrences dans la Grille des Programmes pose la question : « Où sont passées des émissions telles que "Âge tendre et tête de bois", "Discorama", "Chorus", "Les Enfants du Rock", "Le manège enchanté ", "Lunettes noires pour nuits blanches" ?  »

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posted by Lucien Suel at 08:19 0 comments

lundi 27 août 2012

Je ne suis pas mort

Je ne sais pas en quelle année Kurt Schwitters est né mais je sais qu’il est mort en 1948. Je suis né en 1948 mais je ne pense pas être la réincarnation de Kurt Schwitters même si comme lui je ramasse des bouts de ficelle des clous et des morceaux de carton imprimé.
William Gibson, Dan Simmons, Henning Mankell et James Ellroy sont nés en 1948. J’ai dévoré presque tous leurs livres.
Jimmy Cliff est né en 1948. A une époque je connaissais par cœur les paroles de sa chanson reggae
Under The Sun, Moon And Stars.

Je ne sais pas en quelle année le Mahatma Gandhi est né mais je sais qu’il a été assassiné en 1948. Je suis né en 1948 mais je ne pense pas être la réincarnation du Mahatma Gandhi même si j’ai lu à 20 ans avec beaucoup d’émotion Le Pèlerinage aux sources de son disciple Lanza Del Vasto.
Robert Plant et John Bonham sont nés en 1948. J’ai écouté plusieurs dizaines de fois l’album Led Zeppelin II.
Ian Paice est né en 1948. J’ai assisté ébahi abasourdi au premier concert de Deep Purple en France.

Je ne sais pas en quelle année Sergueï Eisenstein est né mais je sais qu’il est mort en 1948. J’étais dans la poussette en 1948 mais je n’ai pas descendu les escaliers d’Odessa avec Sergueï Eisenstein.
Hubert-Félix Thiéfaine est né en 1948. J’ai eu la chair de poule en découvrant Alligators 427.
Cat Stevens est né en 1948. Je fredonne encore parfois
My Lady d’Arbanville.
Brian Eno est né en 1948. J’ai perdu mes cheveux en même temps que lui.

Je ne sais pas en quelle année Antonin Artaud est né mais je sais qu’il est mort en 1948. Je suis né en 1948 mais je ne pense pas être la réincarnation d’Antonin Artaud même s’il m’arrive de temps de temps de pousser des hurlements sur une scène de spectacle.
Nathalie Baye et Gérard Depardieu sont nés en 1948. Je n’ai pas vu tous les films dans lesquels ils ont joué ensemble, ni tous ceux dans lesquels ils ont joué séparément.

Je ne sais pas en quelle année Louis Lumière est né mais je sais qu’il a inventé le cinéma et qu’il est mort en 1948. Je suis né en 1948 mais bien que portant un prénom dérivé de « lumière », je ne pense pas être sa réincarnation.
Grace Jones, Jean-Pierre Raffarin, Noël Mamère et Bernard-Henri Lévy sont nés en 1948. Hé oui !
Rory Gallagher et Johnny Ramone sont nés en 1948. Ils ont déjà donné leur dernier concert.

Je ne sais plus en quelle année Georges Bernanos est né mais je sais qu’il est mort en 1948. Je suis né en 1948 mais je suis un homme de trop peu de foi pour être la réincarnation de Georges Bernanos même si comme lui je souhaite retrouver au jour de ma mort l’enfant que je fus.

Ce poème est la version lue en public d'un extrait de "Nous ne sommes pas morts", livre composé en collaboration avec la plasticienne Hélène Leflaive sur une commande des éditions du Dernier Télégramme.

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posted by Lucien Suel at 10:50 8 comments

vendredi 23 septembre 2011

Rock & Lèvres

Ô BAIBIE, BAIBIE !

« Mes lèvres ! Presse-les ! Presse-les ! »
Mauricette Beaussart « Mémoires »

Tu as des frissons en redescendant le chemin de la colline aux myrtilles. Le vent siffle sur tes lèvres. Tu l’entends dire : « Marylou, bonjour bonjour, je suis amoureux de toi. ». Tu rentres à la maison. Tu vois la télévision. Sur l’écran bleu qui bave dans le noir, tu regardes Madame Nina et ses lèvres rouges, bleues ou noires. Tu ne sais pas, c’est un vieux poste de télé en noir et blanc, le genre de poste qui a vu défiler le rock du bagne et une brochette de garçons dans le vent. Tu écarquilles les yeux. Tu entends quelqu’un prononcer une formule cabalistique du style : « Bibopaloula ! ». Madame Nina est enfilée dans un pantalon moulant à rayures blanches et noires, évidemment. La bande-son n’est pas synchrone. Pour tout dire, la télé n’a pas de son. Tu remplaces aisément la chose en diffusant des quarante-cinq tours à la minute sur un électrophone tourne-disques en plastique ivoire qui gratte et prend la poussière.

Tu écarquilles les yeux en voyant Madame Nina passer le doigt sur ses lèvres. C’est la fille en blue-jeans rouges (sic) de la chanson, c’est la femme aux grandes lèvres, c’est ta baibie, c’est ta baibie. Tu louques le logo d’incruste. Tu sais que c’est la télévision autrichienne, celle qu’Adolf aurait pu regarder dans la banlieue de Linz avant que Serge ne clame son nazi rock. Bon, alors elle est ta baibie aux lèvres enflammées et Serge a réuni la bande de copains : « Salut les amis ! Salut les potes ! Maquillez-vous les lèvres, les gars ! C’est le naze y roque y rock nazi rauque ! Verstanden ! » Tu ne l’écoutes pas, tu parles avec Nina, tu lui dis : « Tu me secoues les nerfs et tu me rends fou avec tes grandes lèvres de feu. Embrasse-moi pour me faire évaporer la salive, me sécher la langue et faire des papillotes avec ! Tu me conduis comme un fou, baibie ! Tu peux me conduire comme un fou dans ma voiture. » Cet air est sur toutes les lèvres. Tu continues : « Va, ma chatte ! Va, ma chatte aux pattes de velours bleu ! »

Les lèvres sont nues, les lèvres sont soulevées, les lèvres sont ourlées. « Secoue-toi ! Baibie ! Viens ! Baibie ! » Là-bas en Louisiane près de la Nouvelle-Orléans, c’est loin de l’Autriche, on peut rêver de lèvres à gogo, oui c’est très bon, tu le sais, tu te tords gentiment. C’est agréable de sucer le bâton de sucre à l’anis. Tu t’avances vers le miroir de la penderie, juché sur les escarpins de ta maman qui ne s’appelle pas Marylou. Tu entends le petit Richard, il avance les lèvres et fait son « ouope bope heulou bope heulope bam boum » et pendant ce temps–là, Nina continue sa démon-monstration. Elle se passe le doigt par l’arrière sur les grandes lèvres, oui par l’arrière, elle se tourne sur son siège de lézeurette chaude, très chaude. Elle présente à la caméra son derrière tout rond serré dans son pantalon fuseau de ski à rayures dazistcheunnes et comment dit-on lèvres en allemand ? klein und gross ? Et tu entends le petit Richard qui ne cesse de répéter « Tout y frottis, tout y frottis, ou toutou froufrou tutti etc... » et juste-là, à ce moment précis, Madame Nina explique comment il faut passer l’index et le majeur sur les lèvres de haut en bas doucement, ou alors de gauche à droite selon la position de la tête et l’emplacement de la caméra plongée ou contre-plongée. Évidemment on n’est pas obligé d’être aussi rapide que le petit Richard, sinon on a les lèvres sèches très rapidement et ensuite elles peuvent se gercer et ça devient difficile de chanter en articulant bien parce que ça tire dans les mâchoires et au lieu d’avoir un sourire glamoureux on a un rictus et alors là ça dégringole dans les chartes.

Mais tu te rassures, Madame Nina fait aussi bien que Marylou. Elle sait exactement ce qu’il faut faire. Toutes deux font la paire. Elles maîtrisent leurs sourires, leurs sourires et leurs fourrures. Tout y frottis sur le rouge impair et passe le doigt. Elle te rend presque fou. Oui c’est vrai, elle ne se rend pas compte, tu écrases tes lèvres sur l’écran. Tu as un goût de poussière et d’électricité dans la bouche. Le saphir de l’électrophone grince et craque, voire même chuinte. Il embrasse profondément le sillon, c’est tout noir à l’intérieur. Tu as toujours tes lèvres collées à l’écran, ça dure trois minutes vingt-trois secondes. Tu n’as pas peur de te faire radiographier la tronche, tu te prends l’aperçu en pleine poire et ça éclate dans tes oreilles, éclate, oui en vérité, tutti frotti avec des lèvres pulpes de fruits.

Hou ! Hou ! Voilà Péguy ! Péguyssou ! Ta jolie Péguyssou ! Elle a les lèvres toutes bleues elle aussi. « Hou ! Hou ! Péguyssou, je t’aime ! » Tu l’aimes ta Péguyssou. Tu es un homme qui aime une femme et quand un homme aime une femme, il répéte toujours la même chose : « Je te donne tout ce que j’ai, ô baibie, tu es ma toute touttiprettie. » Tu ne peux pas l’embrasser sur la bouche à cause de cette cigarette qui reste collée à tes lèvres. Tu demandes au garçon de t’apporter un cendrier et alors une ombre de bleu-pâle fleurit sur tes lèvres mais il y a maintenant une trace de sang sur le papier et ce n’est pas du rouge baiser. Tu es saoul, tu es saoul sous ta Péguyssou et sous ta Marylou, et pendant ce temps, Madame Nina achève sa démon-monstration en gémissant à genoux sur l’écran noir et blanc de tes rêves mouillés. Tu approches ton oreille de ses lèvres et tu sens sa langue raide et gonflée s’insinuer dans le conduit auditif et tu te recules et tu constates que ses lèvres sont toutes bleues et froides et que sa langue est très chargée et que son haleine est vaguement marécageuse.

Tu es de retour dans les bayous à La Nouvelle-Orléans avec tes boules et ta chaîne de télé noir & blanc. C’est ta ruine de pauvre garçon qui a voulu réaliser un rêve inaccessible. Tu recommences à compter dans ta tête, et un et deux, et je roque, et un et deux, on va tourner sa langue dans la bouche de Ninaguyssou et de Ninarylou. « Reviens ! Baibie ! Reviens ! Tout m’est égal. Ne vois-tu pas que je pleure tout autour de l’horloge, tout autour pendant toute la nuit ? » Il y a bien des heures que tu as quitté la colline aux myrtilles. Tu n’entends plus le vent souffler dans les branches des saules. Tu as le cœur au bord des lèvres et la tête sur le bord de la cuvette. Tout autour pendant toute la nuit, tu vas l’embrasser à perdre haleine. Tu ne sais plus si ton papa est riche ou pauvre.

Tu les regardes marcher, les trois grâces, elle s’avancent vers toi, elles te tendent leurs lèvres et voici qu’en plus, ô béatitude, les voici, elles s’ajoutent, une autre gracieuse triade, à gauche de ton écran, apparaissent la petite Eva avec Helen et Brenda. Tu n’en peux plus. Vous allez vous embrasser à perdre haleine, vous manger les lèvres et la langue. Oh ! C’est si bon ! Une langue pour la bouche, deux lèvres pour l’argent mais attention, on ne tire pas la langue, on ne va pas se marcher sur les pieds, n’importe où mais pas sur les souliers en daim. C’est si bon, ça sent si bon ! Au nez ! Au nez ! Baibie ! Baibie ! Tu te mouilles les lèvres de l’intérieur comme un lapin qui fait sa prière, une baibie-lapine de playmobil-boy qui remue aussi la queue en vendant des cigarettes tachées de sang et de rouge à lèvres. « Tords-toi et crie ! C’est très bien ! Ne te pince pas les lèvres ! Ouvre la bouche ! Dis ah ! Dis iaih ! Fais aaaah ! Fais bibope ! Pince, pince et souffle ! Pince tes lèvres sur les anches ! Voilà, ça c’est hippe ! C’est pas lippe ! Secoue-toi ! Baibie ! Secoue-toi ! Fais bll ! Blll ! Bllll ! »

Tu es en nage, tout ébouriffé. Tu vas leur chanter ta chanson : « Tortillons-nous, tortillons-nous comme nous l’avons fait l’été dernier ! ». Tout le monde a l’air si triste maintenant. Tu vois le sable en petits grains collés sur tes joues dans le fond de teint, dans le bleuche, et des petits grains collés sur tes lèvres dans le rouge. Est-ce que c’est un garçon ? Est-ce que c’est une fille ? Tu serres les dents et les lèvres autour d’un gros cigare.

Tout à coup tu entends crier une jeune fille mexicaine. Le cri est sur ses lèvres sombres, elle dit à Nina que Gonzalès va rentrer à la maison à toute vitesse et que c’est tout à fait inopportun d’expliquer comment jouer avec soi-même quand on est une jeune femme sur l’écran de la télévision autrichienne sans aucun sous-titrage. Toi tu respires tous les parfums intimes de Laredo à Domrémy. Tu n’as jamais embrassé les lèvres d’un homme en étant sobre. Tu penses organiser une surprise-partie. Tu n’as jamais non plus embrassé un ours sur les lèvres. Tu vas inviter les ours à ta surprise-partie. Rouge c’est rouge, qu’est-ce que tu peux faire ? Rouge c’est rouge ! Tu peux te passer les lèvres à l’orange ou alors comme un adolescent exempt de microbes te les passer au vert fluo le jour où le monde deviendra phosphorescent. Tes lèvres ne brillent pas dans le noir. Trou rouge, c’est rouge.

Tu penses à toutes les choses que tu as vécues avec elles, avec Nina Marylou Péguyssou Eva Helen et Brenda. Tu ne connais pas le nom de la Mexicaine, peut-être Tristessa ? Rouge c’est rouge, tu veux que ta baibie revienne, qu’elle passe à l’orange ses lèvres rouges. Personne ne peut dire que tu as joué du bout des lèvres. Hou ! Hou ! Hou ! Tu sembles être ce que tu n’es pas. Tu es ce que tu ne sembles pas être. Tu tires la langue à la lune bleue du quand tu qui. Tu sais maintenant qu’il y a loin du coup aux lèvres.

Quand un homme aime une femme, il danse très lentement avec elle et l’orgue à monts se glisse dans leurs oreilles et leurs lèvres glissent le long de leur cou et se cherchent dans le noir entre les coups de stroboscopes et leurs lèvres se trouvent et s’entrouvrent et leurs bouches se trouent et la lumière se rallume et l’orgue à monts s’éteint, se fade euh-ouais et le tonnerre électrique des strato-casse-têtes prend sa place.

Tu reprends ton pied à l’intérieur de ton rêve sucré et tu commences par tremper tes lèvres dans le haut mousseux de ton premier verre de lait-fraise pendant que le tourne disques du juke-box dégueule que c’est lundi et lundi c’est pas bien et que mardi c’est déjà mieux mais que vendredi ça sera parfait oui vendredi soir tu pourras tremper tes lèvres dans le lait crémeux de sa lingerie oui mais c’est un rêve et oui en vérité en réalité tu as le vendredi dans ta tête mais tes lèvres tu les as trempées dans une quinzaine de demis pressions en écoutant autant de fois l’ami Mique te dire que lui aussi n’éprouve aucune satisfaction et qu’autant de fois tu t’es retrouvé à faire la moue dans le miroir des toilettes et que finalement il n’y aura pas de lait aujourd’hui même sans sucre. Sucre sucre c’est si doux au nez au nez c’est si doux tes lèvres et ta langue cachée derrière tes lèvres petit animal rose qui sortira bientôt de la maison du soleil levant pour jouer dans la rosée du matin.

Tu arrondis tes lèvres pour sortir un beau rond de fumée qui monte lentement vers le plafond de la discothèque et se crache dans les rayons lumineux brouillés de la boule à facettes qui tourne au-dessus des couples en danses. Finalement tu trempes tes lèvres dans ton verre de whisky et tu n’écoutes plus les tops du box. C’est le capitaine au cœur de bœuf sanguinolent qui te donne tes tickets d’avion. Tu ne fais pas la fine bouche.

Tu reçois une lettre scellée par des lèvres rouges écartées. Ta baibie t’a écrit une lettre, elles s’est tartinée les lèvres, les a serrées collées remuées mâchonnées pour bien répartir la pâte rose sur toute la surface, entre tous les plis, et ensuite elle a consciencieusement appliqué l’arrondi de ses muscles en anneaux sur sa signature au crayon feutre rose tyrien angora. Tu trouves ça bizarre de recevoir ces lèvres par la poste. Tu es devenu le leader du pack de bière. Tu vois toute la bande de petites changrilas en blouson noir serré. Tu regardes leurs lèvres bouger. Tu essaies de lire sur les lèvres mais tu ne comprends rien elles bougent trop vite. En fin de compte la suprême changrila se détache du groupe. Elle sort un tube de sa poche de poitrine, se penche par-dessus ton épaule et elle écrit en gros rouge bien gras sur l’écran de ta vieille télé noir et blanca:

BONBON POUR MA CONFITURE
SUCRE POUR MON MIEL
BAISER PARFAIT
JE NE TE LAISSERAI JAMAIS PARTIR

Lucien Suel
Décembre 2006
Publié pour la première fois en dans la revue MINIMUM Rock'n'Roll

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mardi 14 septembre 2010

Lucien Suel & Arnaud Mirland en concert (6/10)

Sixième morceau du concert de Cheval 23, le 6 avril 2010 à La Java : "Allô Virus 23", un poème extrait de Canal mémoire, aux éditions du Marais du Livre.

allô virus 23
allô il faut que ce soit comme la vie
drôle douloureux mystérieux la poésie
le poème ce livre étrange tout semble
s’éclairer la structure circulaire la
lecture commencera par n’importe quel
fragment n’importe quel mot n’importe
quelle ligne comme ce que Burroughs a
dit en parlant des cut-up ils peuvent
produire allô l’impression de déjà-vu
avoir un caractère prophétique il n’a
évidemment pas employé une seule fois
le cut-up dans le texte d’ici en mots
sur des lignes de 37 caractères c’est
le contenu du poème côté expérimental
pas le style à part le fait qu’il n’y
a pas de signes de ponctuation voiles
sur les artifices de fabrication pour
préciser qu’au début le poème s’écrit
composé en mélangeant un extrait d’un
roman de Mickey Spillane et la lettre
d’une religieuse carmélite à son père
le reste c’est l’avis de Céline pense
que le lecteur jouit du confort de la
croisière sans connaître le détail de
l’organisation un lecteur intrigué et
amusé par l’action par le jeu avec la
langue il réagit intellectuellement à
certaine tension et certaine ambiance

c'est le poète qui écrit ce qu'on lui
dit d'écrire une comtesse de Noailles
aurait pu par exemple s'extraire d’un
lit pour lui rendre visite on ne sait
pas ni où ni quand ni que ni qui pour
arriver à cette notoriété relative et
fragmentaire en nombre en pagaille se
présentent les itinéraires les prix à
payer il calcule en ajoutant les prix
littéraires au matériel utilisé et le
salaire comprend les heures passées à
scruter l'écran du moniteur souris au
bout du bras président Clinton Reagan
Nixon serait lui-même assurément très
content de recevoir par la poste deux
poèmes ou trois poèmes d'un tel poète
oui peut-être qu’il lui ou les lirait

ici celui qui n'a pas lu ce poème n'a
rien lu dans ces vers de 37 signes on
respire de l'air sain quand le propre
père se désincarne il est enfoui dans
le cimetière de famille assez loin de
la vallée des Rois mais à deux pas du
cabinet de travail mal-voyant il peut
murmurer voire même prononcer deux ou
trois poèmes devant la tombe litanies
de la glèbe une espèce d'hagiographie
de choses quotidiennes la sainteté de
la brosse la finesse du torchon ou la
virginité d'un pansement dans le fond
il entend les explosions dans son âme
endolorie il revoit les mandorles qui
se tordent se souvient du gouffre qui
avale les vivants il se souvient d’un
puits allô est-ce que c'est avant une
visite de Vincent Van Gogh chez Emile
Breton ou Jules Breton à cette époque
baiser cette bague diamant proéminent
au gros petit doigt d’un évêque était
un signe de respect le bonheur est un
nuage dans l'au-delà des nuages et un
amoncellement s'expliquait clairement
au tableau noir dans la classe de fin
d'études rurales le poète atteint par
la folie ordinaire n'existait pas ici
ou alors il se cachait sous une table
des matières de la table des matières

longtemps le poète s’employa dans les
campagnes à la garde des pourceaux la
longueur du jour il rimait remuait en
son cerveau des interrogations sur le
vocabulaire ainsi que signifie ce mot
coruscateur et que signifie obreptice

autrefois le prêtre tournait le dos à
l’assemblée des dévots et sa chasuble
s'ornait d'un mandala vert à examiner
dans le froid d’une longue messe mais
si un geste est fatigant l’économiser
dans la production est capital poèmes
vous devez être flexibles c'est ça le
zen le yoga le satori c'est une coupe
noire où resurgit tout le tas de mots
morts dans la froide communication la
duperie de la virtualité mots émotifs
aviformes de cénotaphes enveloppés de
drap noir mots gravés sur les pierres
la malédiction du pharaon anathèmes à
travers le temps à travers l’espace à
travers par le mot par le mot mot les
hiéroglyphes banalisés l'art est frit
planétaire mais les poètes cochons le
cochon de poète demeure un villageois

globalement il a appris à écrire avec
l’encre un porte-plume en bois et une
plume sergent-major en acier et après
dans les années soixante il avait son
stylo-bille 4 couleurs ensuite années
70 les crayons-feutres et la première
machine à écrire l’Underwood-Standard
d’origine achetée 30F chez un chineur
au début des années 80 il imprime son
premier livre Sombre Ducasse à trente
exemplaires en utilisant l’imprimante
à aiguilles et 5 rubans le traitement
de texte s’appelait Wordstar et le PC
286 il passe assez rapidement à Works
3.0 sur un 386 écrase son Wordstar un
vieux crayon usé ce poème est composé
actuellement directement en utilisant
Word 6 sur un 486 avec une imprimante
laser ce sont des mots bel été poèmes
sur le sable à marée basse avec bouts
de bois ramassés sur la plage du jour
au lendemain il rend public son poème
sur le réseau international libre mot
modem le jour où tout s’arrêtera tous
les disques durs ramolliront il saura
graver les mots sur le mur de la cave
avec un morceau de charbon graver sur
le sable des plages de la mer du Nord
avec les morceaux d’un CD-ROM inutile
Lucien Suel

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mercredi 8 septembre 2010

Lucien Suel & Arnaud Mirland en concert (5/10)

Cinquième morceau du concert de Cheval 23, le 6 avril 2010 à La Java :
"Seigneur" d'après "Mercedes Benz" (poème de Michael McClure) chanté par Janis Joplin sur l'album "Pearl".
Pour Janis Joplin & Michael McClure !

Seigneur ! Achète-moi une voiture électrique !
Seigneur ! Achète-moi une boîte de préservatifs !
Seigneur ! Achète-moi une centrale atomique!
Seigneur ! Achète-moi un politicien !
Seigneur ! Achète-moi un kilo de maïs transgénique !
Seigneur ! Achète-moi une mine anti-personnel !
Seigneur ! Achète-moi un peu de crack !
Seigneur ! Achète-moi un cd de Céline Dion !
Seigneur ! Achète-moi une biographie de Monica Lewinski !
Seigneur ! Achète-moi un portrait de Lady Di !
Seigneur ! Achète-moi un machin N 1 !
Seigneur ! Achète-moi une averse de pluie acide !
Seigneur ! Achète-moi une station off-shore !
Seigneur ! Achète-moi un roman de James Ellroy !
Seigneur ! Achète-moi un clone de mouton !
Seigneur ! Achète-moi un souvenir de l'an 2000 !
Seigneur ! Achète-moi une clef usb!
Seigneur ! Achète-moi une greffe du coeur, une greffe du visage !
Seigneur ! Achète-moi un trou d'ozone !
Seigneur ! Achète-moi un week-end à Bagdad, à Kaboul !
Seigneur ! Achète-moi un nuage de dioxine !
Seigneur ! Achète-moi une tranche de vache folle !
Seigneur ! Achète-moi un paquet de sicav !

Seigneur ! Seigneur ! Je compte sur toi ! Je compte sur toi !

Lucien Suel

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dimanche 5 septembre 2010

Lucien Suel & Arnaud Mirland en concert (4/10)

Quatrième morceau du concert de Cheval 23, le 6 avril 2010 à La Java :
"Litanies de Mouchette", un poème écrit d'après le personnage créé par Georges Bernanos. Ce poème figure dans le recueil "Un trou dans le monde", disponible aux Editions Pierre Mainard.
MOUCHETTE

Mais déjà l'eau grise ruisselle du
ciel lacrymogène

Mais déjà la terre se gorge, suave
cloaque bourbeux

Mais déjà les palpitations du sang
lancinent l'oeil


Et les doigts se courbent sous les
lourdes semelles

Et les doigts pèlent les plaquards
boueux et froids

Et les doigts se raidissent, ridés
orgueilleusement



Mais déjà les grappes trempées des
frênes rouissent

Mais déjà les pointes des barbelés
suent des larmes

Mais déjà l'édredon moisi de nuées
sales s'échancre



Et les narines impuissantes hument
la farine de lin

Et les narines humides acclimatent
l'amère moutarde

Et les narines prisent l'amidon du
tablier maternel



Mais déjà le torchis brun dépaillé
s'écoule en vase

Mais déjà de la bourlique éclatent
les bulles fades

Mais déjà l'eau du fossé délite le
papier de bonbon



Et la bouche se rafraîchit, suçant
la pièce de 20Fr

Et l'élastique incruste aux genoux
un cercle livide

Et l'écheveau emprisonne les mains
d'un fil funeste



Mais déjà Mouchette saigne dans le
flot du schiedam

Mais déjà Mouchette ébouillante le
linge ammoniacal

Mais déjà Mouchette se penche vers
l'eau baptismale

Mais déjà Mouchette se glisse dans
l'eau baptismale

Mais déjà Mouchette frissonne dans
l'eau baptismale

Mais déjà Mouchette se cambre dans
l'eau baptismale

Mais déjà................Mouchette
Lucien Suel

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jeudi 2 septembre 2010

Lucien Suel & Arnaud Mirland en concert (3/10)

Troisième morceau du concert de Cheval 23, le 6 avril 2010 à La Java :
"Fille du Nord", un poème écrit d'après la chanson de Bob Dylan,"Girl From North Country". Ce poème figure dans le recueil "Canal mémoire", disponible aux Editions du Marais du Livre.

Fille du Nord (d'après Bob Dylan)

si tu te déplaces là-bas vers le Nord
très loin où le vent est cassant dans
la bande de la frontière rappelle-moi
au bienveillant souvenir de celle qui
vit là elle était mon amour autrefois

Le vent du Nord respire en se tordant
sur le galbe de la planète, terrorise
en octobre le géranium, effarouche en
novembre le chrysanthème, ballotte en
décembre le blé d'hiver, extermine en
janvier le puceron. Aiguilles glacées
dans les lèvres noires de l'obscurité
boréale. Le voyageur claque des dents
sur l'asphalte sonore, rêche et gris.

si tu marches là-bas lorsque la neige
recouvre la ville floconneuse lorsque
la rivière s'engèle à la fin de l'été
vois je t'en prie si son manteau sera
assez chaud pour la protéger du vent.

Le canal s'allonge entre peupliers et
saules. Un cortège de péniches creuse
une entaille livide dans l'eau froide
picorée par les mouettes. Les percots
louvoient entre les hameçons de métal
garnis de lombrics convulsés. Cruelle
morsure dans les ténèbres aquatiques.
Le pêcheur se frotte le flanc tout en
se dandinant sur le chemin de halage.

je t'en prie vois si sa chevelure est
longue flamboyante dans les rayons du
soleil couchant regarde avec mes yeux
si sa chevelure serpente dans son dos
oui voilà mon plus précieux souvenir.

La mousse dépasse le bord du verre et
coule en longs filets glissant sur la
plaque trouée du zinc du comptoir. La
Blanche de Bruges tournoie au fond de
la gorge des filles blondes ou brunes
qui secouent leurs cheveux en arrière
vers la devanture de l'estaminet noyé
de buée tiède. Dans le néon jaune, le
satin cramoisi, l'harmonica hoquette.

je me demande perpétuellement si elle
se souvient de moi j'ai beaucoup prié
pour elle dans la nuit obscure de mon
âme dans l'éclatante clarté du soleil
je pince les cordes je souffle je vis

Le voyageur se hâte à la brune. Il se
dirige à gauche, l'ouest rose dans le
sable, dans les dunes, puis à droite,
l'est sombre dans la terre, parmi les
labours. Son front est incisé par une
ligne d'ombre. Il marche vers le feu,
vers le soleil, vers le Nord, vers le
haut, vers la nuit, vers le Nord. Une
brassée d'aubépine bourgeonne en lui.

si tu te déplaces là-bas vers le Nord
très loin où le vent est cassant dans
la bande de la frontière rappelle-moi
au bienveillant souvenir de celle qui
vit là elle était mon amour autrefois
Lucien Suel

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samedi 28 août 2010

Lucien Suel & Arnaud Mirland en concert (2/10)

Deuxième morceau du concert de Cheval 23, le 6 avril 2010 à La Java :
"Ni bruit ni fureur", un poème écrit d'après "Les Ambassadeurs", une série de photographies de Martial Verdier. Ce poème figure dans le recueil "Canal mémoire", aux Editions du Marais du Livre.

ni bruit ni fureur dans
la cathédrale de mes os

soleil aveugle du futur
je ferme l'oeil à l'est

symétrie de chair torse
dans la moiteur optique

le futur j'ai confiance
je le dompte je le crée

ventre à ventre l'amour
protecteur noir et noir

oui j'attends je verrai
zoom mon coeur s'envole

regarde-moi dans l'aube
le jardin n'attend plus

je suis le terreau brun
je respire sous la lune

le roseau trempé griffe
le papier l'encre trace

le bouddha décroise les
jambes le lotus s'ouvre

ne te retourne pas vois
vois le sable qui coule

il neige sur ton visage
trace d'un crime oublié

mon corps s'est affirmé
parmi la brume chimique

les siècles des siècles
la fatigue s'y accumule

entre mes jambes renaît
le feu braise et soleil

mon image brûle dans le
noir une flamme d'ombre

sacrifice de cendres et
balayures dans l'espace

dans ma poitrine les os
tètent le rayonnement x

je devine dans la fumée
ton existence asphyxiée

la vibration du cristal
l'écho assourdi du bang

d'un coup le mascara du
serpent ou le contraire

un sourire discret dans
le nimbe des feuillages

l'attente est légère et
douce au milieu du jour

derrière la vitre salie
tu m'attends longuement

ton visage tranche dans
le fleuve de particules

tu sors de l'ombre sors
du lointain empire sors

comme les âmes voletant
à l'aplomb de la sphère

l'être du voyant essaie
de percer de me joindre

la clarté troue la pâte
la feuille se constelle

le temps disparaît sous
l'os du front se replie

nous sommes là ensemble
il y a une seule sphère

je voyage dans la gorge
de l'ombre sans crainte

mon repos est ton repos
je n'ai pas peur de toi

dans la chaleur solaire
je sens l'odeur du pain

ma puissance est de toi
tu es fort je suis fort

mains jointes yeux clos
adolescent flou je vois

mains jointes oeil noir
je traverse les rideaux

le temps devient espace
tu me reçois tu me vois
Lucien Suel

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jeudi 26 août 2010

Cheval23 en concert (1/10)

Le 6 avril 2010, à l'invitation de Jean-Michel Espitallier, "Cheval 23" a donné un concert à La Java (Paris 10e). Ce concert a été filmé par Pierre Lamassoure.
Silo vous présentera dans les jours qui viennent l'intégralité du concert, les 10 morceaux joués ce soir-là en incluant à chaque fois le texte du poème.
La première vidéo présente "Souffler dans le ciel, taper dans la terre", un poème figurant dans l'anthologie "Poèmes accordés" paru aux Editions du Marais du Livre.

SOUFFLER DANS LE CIEL
TAPER DANS LA TERRE


Je préférerais être une flûte en bois plutôt qu'un "écrivain américain".
J. Kerouac, Dharma


Yahweh modela l'homme
dans la glaise du sol
souffla dans ses narines
il insuffla en lui
une haleine de vie
l'homme devint un être
vivant vivant vivant

cet homme au corps troué
galope dans le vent
attire les danseuses
leur ventre brillant sue
dans le soleil hirsute

chirimia petit homme
bonhomme en terre cuite
mon souffle donne vie
mon souffle fait chanter
je souffle dans ta tête
je caresse tes pieds
je caresse tes jambes
des points de compression
sur tout ton corps de terre

je modifie module
ta voix tes cris ton chant
lance tes jambes en l'air
je crache dans ton corps
soupir contentement
soupir satisfaction
tu essaies tu essaies
soupir dans l'impatience
ultime soupir d'aise
& last beat of my heart

la molécule d'air
c'est vingt-deux litres quatre
respirez inspirez
c'est toujours la musique
j'appelle ça musique
air vibrant dans le tube
soupir sacré soupir
visible ou invisible
le souffle de l'esprit
le grand vent sous la porte

la kena flûte en os
les morts sont musiciens
take off your skin and dance
dance round & round your bones
Pan Pan Pan Jajouka
sur la flûte de Pan
les os de Dyonisos
& les os d'Osiris
Ezra take off your skin
souffle pour réunir
tous les os dispersés
dans les sept directions

momie os à musique
Milou souffle sa soupe
pachacamac pacha
viracocha vira
vibra la vibration
qui fit naître le monde

l'os le bois le roseau
souffle aussi dans la terre
la flûte lakota
tremble sur Wounded-Knee
tremble sur Manhattan
souffle souffleur de verre
les hommes s'évaporent

le vent joue dans les arbres
les couloirs des montagnes
les bouteilles échouées
tous les souffles mêlés
le total est le vent
les souffles exhalés
les vivants et les morts
jusqu'au tout dernier souffle

chansons des vents stellaires
le vent pousse le ciel
la pluie tape sur toi
taptape sur les toits
djembé ou derbouka

Allah donne à la Terre
le souffle qui nourrit
c'est son haleine ha ha
qui donne vie ha ha
à toutes choses ha ha
s'il retenait son souffle
tout s'anéantirait

trois-cent-quarante mètres
de seconde en seconde
la musique voyage
blues en douze mesures
le souffle de la terre
souffle Charlie Parker
souffle Marshall Allen
souffle Sonny Rollins
souffle Don Cherry souffle
& soufflent Albert Ayler
John Coltrane John Gilmore
Steve Lacy Lol Coxhill
& Dizzy Gillespie
ce souffle nous inspire

passereau de Schwitters
cui-cui petit poumon
mélodie arythmique
rythme au cœur des neurones
soupir soulagement

souffle vibrant dedans
vibrant dedans ton souffle
vibrant dans ta voix ha
c'est le souffle de Dieu
tu respires ce souffle
si tu retiens ton souffle
la musique s'arrête
Lucien Suel (juin 2001)

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vendredi 18 décembre 2009

Récital Lucien Suel - Arnaud Mirland

Avec Arnaud Mirland, récital du vendredi 11 décembre au Point de Bascule à Marseille dans le cadre du Festival Nuit d'Hiver organisé par le GRIM - Montevideo.
DIAPORAMA
(Photos de Pierre Gondard)

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vendredi 26 juin 2009

Ô BAIBIE, BAIBIE !

Ô BAIBIE, BAIBIE !

par Lucien Suel
« Mes lèvres ! Presse-les ! Presse-les ! »
Mauricette Beaussart « Mémoires »
Tu as des frissons en redescendant le chemin de la colline aux myrtilles. Le vent siffle sur tes lèvres. Tu l’entends dire : « Marylou, bonjour bonjour, je suis amoureux de toi. ». Tu rentres à la maison. Tu vois la télévision. Sur l’écran bleu qui bave dans le noir, tu regardes Madame Nina et ses lèvres rouges, bleues ou noires. Tu ne sais pas, c’est un vieux poste de télé en noir et blanc, le genre de poste qui a vu défiler le rock du bagne et une brochette de garçons dans le vent. Tu écarquilles les yeux. Tu entends quelqu’un prononcer une formule cabalistique du style : « Bibopaloula ! ». Madame Nina est enfilée dans un pantalon moulant à rayures blanches et noires, évidemment. La bande-son n’est pas synchrone. Pour tout dire, la télé n’a pas de son. Tu remplaces aisément la chose en diffusant des quarante-cinq tours à la minute sur un électrophone tourne-disques en plastique ivoire qui gratte et prend la poussière.
Tu écarquilles les yeux en voyant Madame Nina passer le doigt sur ses lèvres. C’est la fille en blue-jeans rouges (sic) de la chanson, c’est la femme aux grandes lèvres, c’est ta baibie, c’est ta baibie. Tu louques le logo d’incruste. Tu sais que c’est la télévision autrichienne, celle qu’Adolf aurait pu regarder dans la banlieue de Linz avant que Serge ne clame son nazi rock. Bon, alors elle est ta baibie aux lèvres enflammées et Serge a réuni la bande de copains : « Salut les amis ! Salut les potes ! Maquillez-vous les lèvres, les gars ! C’est le naze y roque y rock nazi rauque ! Verstanden ! » Tu ne l’écoutes pas, tu parles avec Nina, tu lui dis : « Tu me secoues les nerfs et tu me rends fou avec tes grandes lèvres de feu. Embrasse-moi pour me faire évaporer la salive, me sécher la langue et faire des papillotes avec ! Tu me conduis comme un fou, baibie ! Tu peux me conduire comme un fou dans ma voiture. » Cet air est sur toutes les lèvres. Tu continues : « Va, ma chatte ! Va, ma chatte aux pattes de velours bleu ! »
Les lèvres sont nues, les lèvres sont soulevées, les lèvres sont ourlées. «aSecoue-toi ! Baibie ! Viens ! Baibie ! » Là-bas en Louisiane près de la Nouvelle-Orléans, c’est loin de l’Autriche, on peut rêver de lèvres à gogo, oui c’est très bon, tu le sais, tu te tords gentiment. C’est agréable de sucer le bâton de sucre à l’anis. Tu t’avances vers le miroir de la penderie, juché sur les escarpins de ta maman qui ne s’appelle pas Marylou. Tu entends le petit Richard, il avance les lèvres et fait son « ouope bope heulou bope heulope bam boum » et pendant ce temps–là, Nina continue sa démon-monstration. Elle se passe le doigt par l’arrière sur les grandes lèvres, oui par l’arrière, elle se tourne sur son siège de lézeurette chaude, très chaude. Elle présente à la caméra son derrière tout rond serré dans son pantalon fuseau de ski à rayures dazistcheunnes et comment dit-on lèvres en allemand ? klein und gross ? Et tu entends le petit Richard qui ne cesse de répéter « Tout y frottis, tout y frottis, ou toutou froufrou tutti etc... » et juste-là, à ce moment précis, Madame Nina explique comment il faut passer l’index et le majeur sur les lèvres de haut en bas doucement, ou alors de gauche à droite selon la position de la tête et l’emplacement de la caméra plongée ou contre-plongée. Evidemment on n’est pas obligé d’être aussi rapide que le petit Richard, sinon on a les lèvres sèches très rapidement et ensuite elles peuvent se gercer et ça devient difficile de chanter en articulant bien parce que ça tire dans les mâchoires et au lieu d’avoir un sourire glamoureux on a un rictus et alors là ça dégringole dans les chartes.
Mais tu te rassures, Madame Nina fait aussi bien que Marylou. Elle sait exactement ce qu’il faut faire. Toutes deux font la paire. Elles maîtrisent leurs sourires, leurs sourires et leurs fourrures. Tout y frottis sur le rouge impair et passe le doigt. Elle te rend presque fou. Oui c’est vrai, elle ne se rend pas compte, tu écrases tes lèvres sur l’écran. Tu as un goût de poussière et d’électricité dans la bouche. Le saphir de l’électrophone grince et craque, voire même chuinte. Il embrasse profondément le sillon, c’est tout noir à l’intérieur. Tu as toujours tes lèvres collées à l’écran, ça dure trois minutes vingt-trois secondes. Tu n’as pas peur de te faire radiographier la tronche, tu te prends l’aperçu en pleine poire et ça éclate dans tes oreilles, éclate, oui en vérité, tutti frotti avec des lèvres pulpes de fruits.
Hou ! Hou ! Voilà Péguy ! Péguyssou ! Ta jolie Péguyssou ! Elle a les lèvres toutes bleues elle aussi. « Hou ! Hou ! Péguyssou, je t’aime ! » Tu l’aimes ta Péguyssou. Tu es un homme qui aime une femme et quand un homme aime une femme, il répéte toujours la même chose : « Je te donne tout ce que j’ai, ô baibie, tu es ma toute touttiprettie. » Tu ne peux pas l’embrasser sur la bouche à cause de cette cigarette qui reste collée à tes lèvres. Tu demandes au garçon de t’apporter un cendrier et alors une ombre de bleu-pâle fleurit sur tes lèvres mais il y a maintenant une trace de sang sur le papier et ce n’est pas du rouge baiser. Tu es saoul, tu es saoul sous ta Péguyssou et sous ta Marylou, et pendant ce temps, Madame Nina achève sa démon-monstration en gémissant à genoux sur l’écran noir et blanc de tes rêves mouillés. Tu approches ton oreille de ses lèvres et tu sens sa langue raide et gonflée s’insinuer dans le conduit auditif et tu te recules et tu constates que ses lèvres sont toutes bleues et froides et que sa langue est très chargée et que son haleine est vaguement marécageuse.
Tu es de retour dans les bayous à La Nouvelle-Orléans avec tes boules et ta chaîne de télé noir & blanc. C’est ta ruine de pauvre garçon qui a voulu réaliser un rêve inaccessible. Tu recommences à compter dans ta tête, et un et deux, et je roque, et un et deux, on va tourner sa langue dans la bouche de Ninaguyssou et de Ninarylou. « Reviens ! Baibie ! Reviens ! Tout m’est égal. Ne vois-tu pas que je pleure tout autour de l’horloge, tout autour pendant toute la nuit ? » Il y a bien des heures que tu as quitté la colline aux myrtilles. Tu n’entends plus le vent souffler dans les branches des saules. Tu as le cœur au bord des lèvres et la tête sur le bord de la cuvette. Tout autour pendant toute la nuit, tu vas l’embrasser à perdre haleine. Tu ne sais plus si ton papa est riche ou pauvre.
Tu les regardes marcher, les trois grâces, elle s’avancent vers toi, elles te tendent leurs lèvres et voici qu’en plus, ô béatitude, les voici, elles s’ajoutent, une autre gracieuse triade, à gauche de ton écran, apparaissent la petite Eva avec Helen et Brenda. Tu n’en peux plus. Vous allez vous embrasser à perdre haleine, vous manger les lèvres et la langue. Oh ! C’est si bon ! Une langue pour la bouche, deux lèvres pour l’argent mais attention, on ne tire pas la langue, on ne va pas se marcher sur les pieds, n’importe où mais pas sur les souliers en daim. C’est si bon, ça sent si bon ! Au nez ! Au nez ! Baibie ! Baibie ! Tu te mouilles les lèvres de l’intérieur comme un lapin qui fait sa prière, une baibie-lapine de playmobil-boy qui remue aussi la queue en vendant des cigarettes tachées de sang et de rouge à lèvres. « Tords-toi et crie ! C’est très bien ! Ne te pince pas les lèvres ! Ouvre la bouche ! Dis ah ! Dis iaih ! Fais aaaah ! Fais bibope ! Pince, pince et souffle ! Pince tes lèvres sur les anches ! Voilà, ça c’est hippe ! C’est pas lippe ! Secoue-toi ! Baibie ! Secoue-toi ! Fais bll ! Blll ! Bllll ! »
Tu es en nage, tout ébouriffé. Tu vas leur chanter ta chanson : « Tortillons-nous, tortillons-nous comme nous l’avons fait l’été dernier ! ». Tout le monde a l’air si triste maintenant. Tu vois le sable en petits grains collés sur tes joues dans le fond de teint, dans le bleuche, et des petits grains collés sur tes lèvres dans le rouge. Est-ce que c’est un garçon ? Est-ce que c’est une fille ? Tu serres les dents et les lèvres autour d’un gros cigare.
Tout à coup tu entends crier une jeune fille mexicaine. Le cri est sur ses lèvres sombres, elle dit à Nina que Gonzalès va rentrer à la maison à toute vitesse et que c’est tout à fait inopportun d’expliquer comment jouer avec soi-même quand on est une jeune femme sur l’écran de la télévision autrichienne sans aucun sous-titrage. Toi tu respires tous les parfums intimes de Laredo à Domrémy. Tu n’as jamais embrassé les lèvres d’un homme en étant sobre. Tu penses organiser une surprise-partie. Tu n’as jamais non plus embrassé un ours sur les lèvres. Tu vas inviter les ours à ta surprise-partie. Rouge c’est rouge, qu’est-ce que tu peux faire ? Rouge c’est rouge ! Tu peux te passer les lèvres à l’orange ou alors comme un adolescent exempt de microbes te les passer au vert fluo le jour où le monde deviendra phosphorescent. Tes lèvres ne brillent pas dans le noir. Trou rouge, c’est rouge.
Tu penses à toutes les choses que tu as vécues avec elles, avec Nina Marylou Péguyssou Eva Helen et Brenda. Tu ne connais pas le nom de la Mexicaine, peut-être Tristessa ? Rouge c’est rouge, tu veux que ta baibie revienne, qu’elle passe à l’orange ses lèvres rouges. Personne ne peut dire que tu as joué du bout des lèvres. Hou ! Hou ! Hou ! Tu sembles être ce que tu n’es pas. Tu es ce que tu ne sembles pas être. Tu tires la langue à la lune bleue du quand tu qui. Tu sais maintenant qu’il y a loin du coup aux lèvres.
Quand un homme aime une femme, il danse très lentement avec elle et l’orgue à monts se glisse dans leurs oreilles et leurs lèvres glissent le long de leur cou et se cherchent dans le noir entre les coups de stroboscopes et leurs lèvres se trouvent et s’entrouvrent et leurs bouches se trouent et la lumière se rallume et l’orgue à monts s’éteint, se fade euh-ouais et le tonnerre électrique des strato-casse-têtes prend sa place.
Tu reprends ton pied à l’intérieur de ton rêve sucré et tu commences par tremper tes lèvres dans le haut mousseux de ton premier verre de lait-fraise pendant que le tourne disques du juke-box dégueule que c’est lundi et lundi c’est pas bien et que mardi c’est déjà mieux mais que vendredi ça sera parfait oui vendredi soir tu pourras tremper tes lèvres dans le lait crémeux de sa lingerie oui mais c’est un rêve et oui en vérité en réalité tu as le vendredi dans ta tête mais tes lèvres tu les as trempées dans une quinzaine de demis pressions en écoutant autant de fois l’ami Mique te dire que lui aussi n’éprouve aucune satisfaction et qu’autant de fois tu t’es retrouvé à faire la moue dans le miroir des toilettes et que finalement il n’y aura pas de lait aujourd’hui même sans sucre. Sucre sucre c’est si doux au nez au nez c’est si doux tes lèvres et ta langue cachée derrière tes lèvres petit animal rose qui sortira bientôt de la maison du soleil levant pour jouer dans la rosée du matin.
Tu arrondis tes lèvres pour sortir un beau rond de fumée qui monte lentement vers le plafond de la discothèque et se crache dans les rayons lumineux brouillés de la boule à facettes qui tourne au-dessus des couples en danses. Finalement tu trempes tes lèvres dans ton verre de whisky et tu n’écoutes plus les tops du box. C’est le capitaine au cœur de bœuf sanguinolent qui te donne tes tickets d’avion. Tu ne fais pas la fine bouche.
Tu reçois une lettre scellée par des lèvres rouges écartées. Ta baibie t’a écrit une lettre, elles s’est tartinée les lèvres, les a serrées collées remuées mâchonnées pour bien répartir la pâte rose sur toute la surface, entre tous les plis, et ensuite elle a consciencieusement appliqué l’arrondi de ses muscles en anneaux sur sa signature au crayon feutre rose tyrien angora. Tu trouves ça bizarre de recevoir ces lèvres par la poste. Tu es devenu le leader du pack de bière. Tu vois toute la bande de petites changrilas en blouson noir serré. Tu regardes leurs lèvres bouger. Tu essaies de lire sur les lèvres mais tu ne comprends rien elles bougent trop vite. En fin de compte la suprême changrila se détache du groupe. Elle sort un tube de sa poche de poitrine, se penche par-dessus ton épaule et elle écrit en gros rouge bien gras sur l’écran de ta vieille télé noir et blanc :
BONBON POUR MA CONFITURE
SUCRE POUR MON MIEL
BAISER PARFAIT
JE NE TE LAISSERAI JAMAIS PARTIR
Décembre 2006
Ce texte a été publié dans le
n° 4 de la revue Minimum Rock'n Roll (spécial Rock & Lèvres) en mai 2007

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dimanche 19 octobre 2008

Rock et Lunettes

Le numéro annuel de Minimum Rock 'n' Roll est paru, consacré cette fois aux lunettes, une co-édition Disco-Babel et Le castor Astral, disponible en librairie au prix de 15 euros.
Voir le sommaire ici.
Voici un extrait d'un de mes textes figurant dans ce numéro.

Dans le collimateur
(journalisme de proximité)
...
La séquence du spectateur
Un film des années 60-70, assez déjantédélire. Des femmes qui se mirent dans une vitrine, gros plan sur les fines jambes des femmes. Sur scène, un spectacle avec des comédiens en peignoir et portant des lunettes noires. Gros plan sur un mince chanteur de rock, son nom est Pierre Clémenti. Gros plan sur un autre chanteur à casquette avec lunettes noires et un costume assez kitsch brillant à paillettes. La musique est rock à fond. Dans la rue nocturne, une jeune femme marche devant une voiture. Retour sur scène avec un trio de chanteurs de rock en peignoir et lunettes de soleil. Gros plan sur un guitariste. Gros plan sur Madame Bulle Ogier qui chante, gros plan sur Monsieur Pierre Clémenti qui chante et saute, il est très excité, il risque de faire craquer les coutures de son pantalon en cuir moulant.

Vu récemment
Empaqueté dans sa chemise blanche et son gilet, bien boulemoulé dans son pantalon de skaï Warm Leatherette, lunettes noires à monture blanche vissées sur le crâne, avec sa touffecrinière de lion perclus peroxydé pogotant sur ses épaules, le célèbre Paul Narêve entonne « C’est Klaus Barbie qui dit non, non, non, non, non... »

Annonce privilégiée
Lunettes de soleil Original Ray Ban Wayfarer, édition limitée : Hard Rock Café San Francisco ! Je vends à un prix avantageux pour moi mes très vieilles Ray Ban Wayfarer en écaille de tortue. Sur un des côtés, le côté gauche quand on me regarde ou quand je me regarde dans le miroir, il y a le beau beau logo Hard Rock Café et de l'autre côté, le côté droit quand on me regarde, il y a inscrit San Francisco, comme le nom de la ville sur les panneaux d’autoroute. Mes lunettes ont vraiment bien servi mais elles sont encore en relativement bon état. Quelques légères et nombreuses rayures sur les verres ne gênent en rien la visibilité même par temps de brouillard dans la baie. Les branches redressées sont maintenant dans un état correct, mais toutefois on peut y noter quelques traces de morsures sur leurs extrémités dues à une position régulière et habituelle dans le coin de la bouche. L'étui est l'original quasiment intact, il est estampé : Ray Ban et Hard Rock Café. Il est légèrement déchiré sur quelques centimètres mais cela est dû à son vieil âge d’origine.
Lucien Suel

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jeudi 24 avril 2008

Les champs de la nuit

On peut écouter ce nouveau morceau de Cheval23.
Lors de la répétition du samedi 22 mars, Arnaud Mirland a créé la musique de ce morceau et on l'a enregistré dans la foulée.
Le texte est extrait de "Canal mémoire" paru en 2004 aux éditions du Marais du Livre.
Pour écouter, c'est .
Pour lire c'est ici.
Les champs de la nuit s'étendent sous
les nuages difformes. Par les trouées
noires se glissent les braises naines
d'étoiles, d'étoiles de saltimbanques

& Arthur Rimbaud essaie de s'endormir
dans l'herbe douce du bas-côté malgré
le bruit des mobylettes, les ouvriers
du poste de nuit à Biache-Saint-Vaast
.....................................
Le pourtour de la lune est barbouillé
de jaune ocreux. Les pinceaux pointus
des peupliers strient la voûte opaque
des cieux. Le transformateur ronronne

& Blaise Pascal dans le rond lumineux
du réverbère public frissonne au vent
du nord. Le fond de l'air effraie les
philosophes en visite à Wierre-Effroy
.....................................
Les interminables pluies de l'automne
pilonnent les jardins nus. Le silence
et la boue recouvrent les sentiers de
la nécropole. Les morts sont mouillés

& Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski se
passe la main sous la barbe en fixant
les cartes de son jeu. La buée couvre
les vitres de ce bistrot de Lozinghem
.....................................
L'églantine et le sorbier des oiseaux
et le sureau et l'aubépine et l'osier
et la ronce mélangés inextricablement
le long des rails luisants de la voie

& Jack Kerouac colle son front sur la
vitre du compartiment. Les rafales du
vent de la course giflent les fourrés
épais. Prochain arrêt, gare de Beuvry
.....................................
Accroupi dans la poussière le charbon
les cendres, le gamin remplit un seau
en plastique, verse de l'eau, touille
et coule les pâtés. La plage est loin

& Vincent Van Gogh s'est assis sur un
banc dans l'abribus. Il murmure entre
ses lèvres quelque verset du livre de
Job en attendant le bus de Courrières
.....................................

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posted by Lucien Suel at 13:40 0 comments

lundi 25 février 2008

Skate

A l'occasion de l'exposition SKATE NOMADE du peintre Jean-Pierre Thomas à l'Espace Landowski, Médiathèque de Boulogne-Billancourt, j'ai écrit SK8, un long poème de 423 vers justifiés, de 23 signes typographiques chacun.
Concernant le vers justifié, j'aimerais vous renvoyer à la très intéressante note rédigée par Patrice Houseau sur son Blog littéraire. (A noter que depuis cette publication, Patrice s'est lancé avec joie et frénésie dans l'écriture "arithmogrammatique".)
Dans le cadre du Prime-time des Poètes (en hiver), je ferai une lecture publique le 8 mars 2008 à 16 h au Foyer-bar, niveau –2 de la Médiathèque, Espace Landowski, rue André Morizet, métro Marcel Sembat, entrée gratuite.
Dans l'immédiat, je vous propose le début, les 64 premiers vers de SK8 (lire "sk eight").

SK8

skate skate skate skate
SKATE SKATE SKATE SKATE
huit fois pour lire SK8
huit fois pour dire SK8

Helter Skelter planches
qui roulent rolling and
rolling
skate Hell Hell
Helter Skater
suivre le
rail hop comme Ken Park
glissade & retournement
coup de talon earphones
tu entends la musique &
le ronronnement naturel
des roues sur le tarmac
le son monte et descend
comme tes genoux le son
entre dans ton crâne tu
vois en même temps tous
les obstacles scannes &
envisages les bonds les
mouvements & impulsions

fuck the rain cette eau
coule sur ton cou colle
tes cheveux à ton crâne
boyz rolling on the top
of the world free skate
free style rock ‘n roll


Larry Clark regarde les
adolescents glissant le
long des trottoirs avec
Ken Park dans le viseur
oeilleton vidéo flèches
vertes rouges et bleues
leds traversant l’écran

vitesse modulée mélodie
des roues au milieu des
modules skate nomade au
fond du bowl Hawaï surf

souvenir scolaire point
d’appui pour ton levier
qu’il soulève l’univers
comme Archimède tape la
queue du skate pour lui
faire dresser le nez un
nose qui colle au tibia

tu prends le skateboard
et tu parcours la ville
monté sur les trucks et
les roulements à billes

tu t’envoies en l’air à
fond ollie et l’on voit
les dessous de la board
les stickers les pin up
pop rock Ian Mc Culloch
d’Echo and The Bunnymen
Suicidal Tendencies les
légendes punk de la rue
Les brigades des os Les
seigneurs de Villechien
Bones Brigades virus 23
contrôle à Dogtown dans
Paranoïd Park avec Dead
Kennedys hardcore party
skate core
au skatepark
... /...
La suite à voir et écouter ici
ajout du 10 novembre 2009 : Lire la suite ici
Jean-Pierre Thomas, Planches de skate gravées et peintes

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lundi 8 octobre 2007

WANTED

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mardi 4 septembre 2007

Potchük en concert




Potchük presque au complet (il manquait Benoît Queste, le saxophoniste) lors du concert donné à Gouy en Ternois le 10 août 2007 pendant le festival organisé par la Poule Ping-Pong.
Lucien Suel (voix, guitare basse, tapette à mouches), Thomas Suel (batterie), Guillaume Marien (lead guitar).
Voir aussi le blog de Célionne, Intérieur cuir
.



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posted by Lucien Suel at 11:56 0 comments

lundi 14 mai 2007

Minimum Rock 'n Roll

Je serai présent ce mercredi 16 mai à la Galerie Monte en L'air pour la soirée de lancement du n° 4 de la revue "Minimum Rock 'n Roll", numéro spécial Rock et Lèvres (Lipstick, patins mouillés et gorges profondes).

Ci dessous, le titre, l'exergue et le premier paragraphe de mon texte...


Ô BAIBIE, BAIBIE !
« Mes lèvres ! Presse-les ! Presse-les ! »
Mauricette Beaussart « Mémoires »
Tu as des frissons en redescendant le chemin de la colline aux myrtilles. Le vent siffle sur tes lèvres. Tu l’entends dire : «aMarylou, bonjour bonjour, je suis amoureux de toi. » Tu rentres à la maison. Tu vois la télévision. Sur l’écran bleu qui bave dans le noir, tu regardes Madame Nina et ses lèvres rouges, bleues ou noires. Tu ne sais pas, c’est un vieux poste de télé en noir et blanc, le genre de poste qui a vu défiler le rock du bagne et une brochette de garçons dans le vent. Tu écarquilles les yeux. Tu entends quelqu’un prononcer une formule cabalistique du style : «aBibopaloula ! ». Madame Nina est enfilée dans un pantalon moulant à rayures blanches et noires, évidemment. La bande-son n’est pas synchrone. Pour tout dire, la télé n’a pas de son. Tu remplaces aisément la chose en diffusant des quarante-cinq tours à la minute sur un électrophone tourne-disques en plastique ivoire qui gratte et prend la poussière. ...
La suite dans le numéro 4 de Minimum Rock 'n Roll, disponible en librairie.
Co-édition Disco-Babel / Le Castor Astral
Format 17 x 24 / 176 pages
Prix 15 euros.
NB : C'est Marie-Laure Dagoit en personne qui vous embrasse sur ce flyer !

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posted by Lucien Suel at 11:52 1 comments

jeudi 3 mai 2007

Archives de la Station Underground (5)

Quelques antiquités qui tournaient à la vitesse de 45 rpm.








La première play-list de ma première émission en 1982. (cliquer sur l'image pour agrandir)






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posted by Lucien Suel at 09:38 4 comments