samedi 25 avril 2020

Mes souvenirs de Christophe Tarkos


Pour bâtir un article sur Christophe Tarkos dans Le Nouveau Magazine Littéraire, Arnaud Viviant m'a posé cette série de questions dont je publie les réponses au Silo.

1°) Je ne sais presque rien de la biographie de Tarkos. Que savez-vous exactement de lui, de sa vie ?

J’ai pour la première fois entendu parler de Christophe Tarkos en 1994 par mon ami et éditeur Didier Moulinier1, à l’occasion d’une discussion autour de ce qu’il appelait « les textes abrutis », ce qui n’était assurément pas péjoratif dans nos bouches. Christophe habitait Paris à cette époque et apparemment travaillait comme gardien de nuit dans une usine. À l’automne 1994, je lui envoyai une grosse enveloppe pleine de différents travaux (collages, ready-made textuels, poèmes express caviardés, fragments écrits en vers justifiés, poèmes trouvés, poèmes-listes, exemplaires de Moue de veau, ma revue dada punk.) Il répondit avec beaucoup d’enthousiasme en joignant à son courrier plusieurs de ses poèmes et quelques exemplaires de sa revue RR. C’est ainsi que commença une correspondance amicale qui dura de 1994 à 1999 et au cours de laquelle il m’envoya près de 70 lettres ou cartes postales.
Tout au long de ces années, j’ai pu apprécier la radicale nouveauté de la poésie pour laquelle il vivait. Comme moi, il avait une famille et devait la nourrir. Autant que je sache, il était muni d’un Capes de lettres ou de documentation mais manifestement, il n’était pas fait pour servir dans l’éducation nationale et il a exercé d’autres métiers. Je sais qu’il a travaillé un moment dans une cabine de péage d’autoroute, qu’il a aussi été gardien d’une salle à la Bibliothèque Mitterrand. Il s’y occupait parfois à faire lire ses textes à voix haute par une machine-robot installée à destination des malvoyants. Il m’a envoyé quelques cassettes de ces lectures, et curieusement, la voix ressemblait à la sienne, avec un léger accent marseillais.
Né à Marseille, il faisait souvent l’aller-retour entre sa ville et Paris. Pendant un moment, après la naissance de son fils Micha, il avait entrepris de rénover un appartement dans le quartier de la Joliette à Marseille. Son activité dans le domaine de la poésie et de la performance a commencé à lui valoir une certaine notoriété. Il était invité dans de nombreux festivals de poésie, à Paris et en province, et aussi à Bruxelles et Rotterdam. Des liens s’étaient noués avec des poètes expérimentaux de longue date, des connaissances communes comme Julien Blaine, Joël Hubaut, Bernard Heidsieck ou Christian Prigent. Ses travaux étaient édités par Laurent Cauwet des éditions Al Dante, par Pierre Tilman (L’Evidence), par Thierry Weyd (Cactus) ou Vincent Tholomé (TTC). Il me sollicita aussi pour l’édition de son poème « Le Train2 » que je publiai en 1996 et il a aussi participé à la collection « Moue de veau » avec Le Sac et La Révolution. J’attirai l’attention d’Ivar Ch’Vavar sur l’écriture particulière de Christophe et à partir de 1996, il devint un des piliers de sa revue « Le Jardin Ouvrier3 ».
Il est venu deux fois à la maison, une fois seul et la seconde fois en famille avec sa femme Valérie Bendavid et son fils Micha, et en compagnie de Kati Molnar avec qui il réalisa la revue Poézi Prolétèr. De chez moi, ils se dirigèrent ensuite vers Amiens pour rendre visite à Ivar Ch’Vavar. Je sais qu’il est aussi allé à Bernay, en Normandie, invité par José Lesueur qui avait créé là un festival de poésie d’avant-garde. J’ai eu deux fois l’occasion d’être sur scène en sa compagnie, d’abord à Lyon, Villa Gillet, en octobre 1995, puis à Arras, en mars 1997, à l’Université d’Artois face aux étudiants, en compagnie de Jean-Pierre Bobillot et Sylvie Nève, et aussi de Christian Prigent et Bernard Heidsieck. Chaque fois, il me surprenait par sa capacité à improviser, notamment quand il « jouait » sa pièce Le petit bidon, avec une diction lente, appliquée, comme s’il mastiquait les mots, le visage sérieux, à la Buster Keaton, insensible aux rires du public. J’avais remarqué son attitude devant l’appareil-photo, comme il se figeait instantanément, fixant l’objectif sans le moindre sourire, avec quasiment un air farouche. J’avais l’impression qu’il voulait maîtriser au maximum son image.
Plus tard, nous avions abandonné le courrier papier et correspondions via internet. Je me souviens quand on lui a découvert cette tumeur au cerveau, au moment où il atteignait une certaine célébrité et que les éditions p.o.l. rééditaient ses premiers recueils. Il était de plus en plus sollicité et en même temps plus malade et fatigué mais essayant de conserver son calme et sa forme d’humour particulière.
Le 20 mars 2000, invité par Jean-Pierre Bobillot à l’Université Stendhal de Grenoble, j’avais lu en compagnie de Patrick Beurard-Valdoye et Bernard Heidsieck. Le lendemain à l’hôtel, je demande des nouvelles de la santé de Tarkos. Bernard Heidsieck nous parle du « Dîner d’adieu » organisé à Paris par Christophe pour ses amis. Je suis bouleversé.
Il devait nous quitter définitivement en novembre 2004, dix ans exactement après notre premier échange de lettres.

2°) Pouvez-vous raconter votre première et votre dernière rencontre avec lui ?

Nous avons eu de très nombreux échanges par courrier mais nous ne nous sommes vus qu’en quatre occasions. Avant la vulgarisation d’internet et des réseaux sociaux, une telle disproportion était fréquente, surtout pour moi qui habitais et continue d’habiter à l’écart des villes.
C’est donc à Lyon, à la Villa Gillet où Sylvie Ferré organise le festival « Poésie sonore/Poésie action », que, le samedi 28 octobre 1995, pour la première fois, je serre la main de Christophe Tarkos.
Sur le quai de Lyon-Part-Dieu, je suis accueilli par Jean-Pierre Bobillot, Julien Blaine, Charles Dreyfus, Sylvie Ferré, Joël Hubaut et Michel Giroud. Deux voitures nous emmènent Villa Gillet où, dans le parc, nous rejoignons Christophe Tarkos et Jacques Donguy. Pendant que nous bavardons, Christophe sort de son sac, un des sandwiches préparés par sa femme et le propose à Julien. Une première performance a lieu dans le parc avec Michel Giroud dont je me souviens qu’il faisait le coyote, son animal fétiche, en poussant des cris et en donnant des coups de marteau sur une canalisation en fonte. Les performances débutent ensuite dans la salle de spectacle. Pour ma part, je montre ma pièce « POESIE CONCRETE » dans laquelle j’enroule un de mes livres dans un grillage, le plonge dans un récipient transparent (étiquette POESIE) ; après quoi dans une auge je mélange sable gravier ciment et eau pour faire du béton avec lequel je recouvre le livre (étiquette CONCRETE). Je me souviens que Joël Hubaut termine sa performance prisonnier dans un pneu de voiture et que Julien Blaine enfile ses pieds dans deux carcasses de poulet en guise de pantoufles. La performance de Christophe Tarkos consiste en plusieurs déclamations-improvisations de ses textes mais je me souviens tout particulièrement de la fin où il enlève son pantalon. Debout en caleçon court à rayures, il transforme ensuite le pantalon en une sorte de sculpture arrondie munie d’un grand trou matérialisé par la ceinture dans les passants du pantalon. Il me semble qu’ensuite, il s’adresse au grand trou, mais que lui dit-il ? j’ai oublié. Je sais juste que je suis stupéfait par sa « prise de risque » et en même temps, je ris à gorge déployée.
Après les performances, pendant le pot chez Sylvie Ferré, Christophe et moi avons enfin la possibilité d’une longue conversation en tête à tête. On parle de la paternité, de Marseille, du jardinage, de Claude Pélieu avec qui je corresponds depuis une vingtaine d’années. On se retrouve ensuite en ville au restaurant Le Comptoir du Bœuf mais les poètes doivent payer leur repas. Christophe n’a pas beaucoup d’argent et il choisit de rester dehors. Je suis toujours embarrassé quand je repense à cette soirée… Je me souviens que plus tard, nous étions quatre à marcher la nuit dans Lyon pour rejoindre notre hôtel, Julien Blaine, Joël Hubaut, Christophe Tarkos et moi. Le dimanche matin, on se retrouve au petit déjeuner pour une autre conversation, Julien, Christophe, Katy Molnar et moi évoquant la Mittel Europa et les restes du communisme. Après quoi, nous continuons à bavarder en marchant le long du Quai des Célestins. Nous nous rassemblons l’après-midi chez Sylvie Ferré et de là, Jean-Pierre Bobillot nous emmène à La Part-Dieu. On se quitte rapidement car mon train est le premier à partir et que le temps est compté. Je reverrai Christophe deux ans plus tard après d’autres dizaines d’échanges de lettres, de poèmes, de cassettes et de livres.
Pour ce qui concerne notre dernière rencontre, voir ma réponse à la question suivante.

3°) Quel meilleur souvenir gardez-vous de lui ? 

Mon meilleur souvenir de Christophe, c’est quand il est venu me rendre visite dans les collines d’Artois en avril 1997. En fait, je ne le savais pas alors, mais c’était aussi notre dernière rencontre en chair et en os. J’en parle dans mon roman « Mort d’un jardinier4 » : Un soir de printemps Christophe fumait assis dans le jardin, tête levée vers le gros cerisier en fleurs, il t’a dit que toutes ces grosses boules blanches qui se détachaient sur le fond de la nuit étaient des feuilles de papier roulées en boules, les poèmes ratés que tu avais jetés dans la corbeille à papier, tu ne savais pas que ta corbeille à papier était le ciel d’ici…

4°) Selon vous, qu’a-t-il apporté à la poésie ?

Au vu du nombre de gens qui ont plus ou moins essayé de l’imiter dans son écriture, effectivement, il a bien dû apporter quelque chose à la poésie.
D’abord lui-même. Je considère qu’il était en soi le poème, sur scène ou dans la vie quotidienne. Et bien sûr, il y a la profusion des textes imprimés ou proférés ; la banalité des sujets choisis : le pot, les caisses, le train, le compotier, le damier, le lait, le carton ; le caractère brut de l’écrit, et parfois, le passage de l’écrit au dessin et inversement ; l’utilisation irraisonnée des listes, du ready-made ; le côté hypnotique de la répétition d’où l’expression de « texte abruti » dont je parlais au début de ce questionnaire.
Cette simplicité voulue est bouleversante et courageuse car elle entraîne le risque du ridicule, alors que le poète-poème se débat avec la matérialité du langage, ce qu’il appelle la pâte-mot (qu’il écrit « patmo ») et qui m’est apparue de suite comme une évidence lumineuse. En effet, quand on parle, quand ça parle, ça sort de la bouche tout collé toutcolléensemble il n’y a plus l’article, le nom, le verbe, etc… Tout est de la patmo. Et quand on entend le flot de patmo qui coule sans discontinuer dans les radios, les cinémas, les assemblées, les tribunaux, les réseaux dits sociaux, on ne peut que se taire et avoir envie de se terrer pour peut-être germer à nouveau dans le silence
Lucien Suel (pour Arnaud Viviant)
La Tiremande, janvier 2020
 
1 Il éditera en 1995 un volume consacré à Tarkos dans sa collection Les Contemporains Favoris
2 Station Underground d’Emerveillement Littéraire, ISBN 2-909834-27-1
3 Voir Ivar Ch’Vavar & camarades Le Jardin ouvrier 1995-2003, Flammarion, 2008
4 Folio Gallimard n° 5105

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jeudi 23 avril 2020

Pense-bêtes idiots par Daniel Cabanis (n° 260)

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mercredi 8 avril 2020

Christophe Tarkos, récit d'Arnaud Viviant


Christophe Tarkos
Le voyant allumé
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Mort en 2004 à 41 ans, l’auteur du Petit Bidon et du Bonhomme de merde a dynamité l’écriture d’avant-garde, entre trivialité et lyrisme : ses textes font l’objet d’une anthologie.
Récit polyphonique d’une explosion encore mystérieuse.

Par Arnaud Viviant


Nous sommes en 1998, à la galerie Lara Vincy, à Paris. Un jeune homme d’une trentaine d’années, aux yeux bleu délavé, très enfoncés dans leurs orbites, tristes et lointains, se met à parler : « Alors voilà… j’ai rencontré… une personne… qui est un homme de merde… il est tout à fait de merde… il me regarde avec ses yeux de merde… des yeux un peu marron… parce que l’eau de ses yeux de merde… c’est de l’eau marron… de merde… » On rit un peu dans l’assistance, mais de façon incertaine. Vêtu d’un caban bleu, d’une chemise grise comme un type qui passerait dans le coin, l’homme continue de sa voix à l’accent marseillais chantant mais quelque peu tenu en laisse : « Et quand il parle, il ouvre sa bouche… et je vois sa langue qui est une longue langue de merde… » Les mâchoires de l’homme de passage, avec son regard tourné vers l’intérieur, vers la face sombre du langage, sa face merdique peut-être, se tendent parfois pour mieux projeter un mot. « Il avait, j’en suis sûr, une cervelle de merde… mais une merde serrée avec des sillons et des rigoles dessus… » Comme à un signal un peu secret, quelques personnes rigolent. Poète, performeur, Christophe Tarkos est décédé trop jeune, à 41 ans, d’une tumeur au cerveau en 2004. On a calculé que la poésie lui avait rapporté à peu près 254 euros par mois. Ou par an.
« C’est marrant, à sa mort j’ai pensé qu’il deviendrait brutalement célèbre », m’écrit Nathalie Quintane. L’écrivaine vient de préfacer Le Petit Bidon et autres textes, une première anthologie en poche des écrits les plus exemplaires de la fabrique Tarkos, lui qui se disait « fabricant de poèmes ». Célèbre, il ne l’est sans doute pas encore. Mais mythique, oui, déjà. Son passage éclair dans la poésie de la fin du siècle dernier, ce qu’on a pu appeler « la génération 1990 » ou encore « la post-poésie », n’est en effet pas sans évoquer, mutatis mutandis, celui d’Arthur Rimbaud à la fin du siècle précédent. Mais un Rimbaud de la poésie orale (au risque d’évacuer la forme écrite de ses poèmes), de ce que les Américains appellent le talk et qu’il nommait, lui, la « pâte-mot », qu’il écrivait plus directement « patmo ». Un Rimbaud dont on pourrait aujourd’hui regarder les performances sur YouTube et qui aurait pris le visage d’un Fernand Raynaud aux semelles de vent, comme le raconte son ami Lucien Suel : « Chaque fois, il me surprenait par sa capacité à improviser, notamment quand il “jouait” sa pièce Le Petit Bidon, avec une diction lente, appliquée, comme s’il mastiquait les mots, le visage sérieux, à la Buster Keaton, insensible aux rires du public. J’avais remarqué son attitude devant l’appareil-photo, comme s’il se figeait instantanément, fixant l’objectif sans le moindre sourire, avec quasiment un air farouche. J’avais l’impression qu’il voulait maîtriser au maximum son image. »

Bien qu’il eût été tout le contraire d’un poète pour poètes, ses pairs n’y vont pas avec le dos de la cuiller quand on leur demande ce que Tarkos a apporté à la poésie française. « Un coup de fusil, répond Jean-Michel Espitallier. Il a fait dérailler les écritures dites d’avant-garde qui à l’époque piétinaient un peu dans le legs du XXe siècle (futurisme, dada, concrétisme, etc.). Il les a poussées ailleurs, du côté de Gertrude Stein peut-être, et des écritures brutes, en travaillant une espèce de naïveté, un jeu sur les tautologies, en s’enracinant dans la langue française, sans le désir, le fantasme d’une belle langue française. » Charles Pennequin abonde dans ce sens : « Tarkos a resimplifié la poésie dans une période à cheval entre les modernes et les postmodernes, la poésie avant-gardiste et la poésie blanche. Pour moi c’est un descendant de Nijinski comme de Charles Péguy, quelqu’un qui a su lire Beckett avec Robert Filliou. » Philippe Castellin, qui a lui aussi connu Christophe Tarkos, surenchérit : « Il a inscrit la poésie dans le territoire de la parole. Pas du “bien parler”, mais de la parole telle qu’elle se parle, dans un bar, telle qu’elle se met en boucle dans la bouche d’un ivrogne ou d’un malade mental. De la parole qui se cherche. Pas de la parole recherchée. » Et Nathalie Quintane conclut : « Il a sonné la fin de la récré – fini la restauration lyrique des années 1980, la poésie printanière, la poésie d’office scolarisable. Il a donc été abondamment trahi depuis sa mort, et même avant, car c’est un poète français, et qu’il est important pour la France que ses poètes soient scolarisables, printaniers, confessionnels et lyriques. »
Ce qui redouble cet effet Rimbaud, c’est l’absence presque totale – et volontaire – de biographie du personnage qui, pour commencer, ne s’appelait pas Tarkos. « Nathalie me disait que sur sa boîte aux lettres il y avait plein de pseudonymes indiqués, dont celui de Christophe Tarkos », raconte Charles Pennequin. Tout le monde s’accorde quand même sur le fait qu’il soit né à Marseille (quoique certains disent Martigues) le 15 septembre 1963. Jean-Michel Espitallier ajoute une précision importante : il serait d’origine maltaise. Parmi les poètes, Nathalie Quintane semble être la première à l’avoir rencontré, en 1987, à Dunkerque, sous un autre nom. D’après Lucien Suel, il était muni d’un Capes de lettres ou de documentation mais n’était pas fait pour servir dans l’Éducation nationale. « Je sais qu’il a travaillé un moment dans une cabine de péage d’autoroute, qu’il a été aussi gardien d’une salle à la bibliothèque Mitterrand. Il s’y occupait parfois à faire lire ses textes à voix haute par une machine-robot installée à destination des malvoyants. Il m’a envoyé quelques cassettes de ces lectures, et, curieusement, la voix ressemblait à la sienne avec un léger accent marseillais. »
En 1990, Tarkos s’installe à Paris. Il est gardien de nuit dans une usine. C’est aussi à cette époque qu’il se convertit au judaïsme avant d’épouser Valérie Bendavid, avec laquelle il aura un fils, Micha. Le poète Bernard Heidsieck est le témoin de Christophe à son mariage et rassure les beaux-parents : « Ne vous inquiétez pas, votre gendre est un génie. » Durant ces années 1990, les revues de poésie pullulent. Tarkos en fondera deux : en 1992, RR avec Nathalie Quintane et Stéphane Bérard. Puis Poèzie Prolétèr avec la poétesse Katalin Molnár, qui l’entraîne vers l’oralité. Pennequin : « Ses positions dans Poézie Prolétèr étaient importantes. Il fallait réaliser la poésie à ras du sol, la poésie qui va avec son caddie à Lidl. Ce qu’il a fait, c’est rendre la poésie prolétaire dans l’actuel des vies. Pas une poésie qui ne touche pas terre, pas une poésie fausse avec un langage qui ne concerne que les poètes, même s’il y a chez lui des élans mystiques indéniables. Quand on a fait la revue Facial, il me disait : ce qui est bien avec Facial, c’est qu’on peut lire “facile”. »

Les dernières années sont douloureuses. Charles Pennequin : « Je l’ai vu plusieurs fois après son opération, notamment à Sainte-Anne, où il me soutient mordicus qu’il a deux frères clowns qu’il faut prévenir instamment car ils risquent de partir avec leur cirque, je lui promets de le faire. J’ai écrit un texte sur cette rencontre. » Jean-Michel Espitallier : « La dernière fois que je l’ai vu, c’était à La Pitié, où il avait été hospitalisé. C’était très triste, très violent, très chaotique, il avait perdu la vue à cause de sa tumeur qui coinçait son nerf optique. Son jeune fils était tombé dans la chambre, il pleurait, Christophe lui parlait en regardant dans le vide, bref, c’était vraiment dur. Je l’ai revu lors de sa dernière lecture publique (je crois), au Centre Pompidou, en 2000 ou 2001. Il était assis devant son micro, aveugle, c’était aussi très dur à vivre, mais d’une beauté, d’une puissance assez particulière. » Une scène que nous raconte aussi Philippe Castellin : « Christophe avait été opéré auparavant et il était désormais incapable de “lire”. Il me semble qu’il était secondé par Valérie Tarkos et pour finir il s’est borné à compter jusqu’à dix, d’une voix lente ; je ne sais pas si les spectateurs, qui n’étaient pas nécessairement au courant de son état, ont compris ce que cela signifiait, je sais par contre que j’ai été bouleversé. » Tarkos décède le 30 novembre 2004. Le 3 décembre, il est enterré au cimetière du Montparnasse. Allez le saluer si vous passez.

Mars 2020 • N° 27 • Le Nouveau Magazine Littéraire
"Le Train" par Christophe Tarkos

Le Petit Bidon et autres textes,
Christophe Tarkos,
éd. P.O.L, « #formatpoche », 224 p., 9,50 €.

 

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