lundi 31 octobre 2005

Mes troènes


Mes troènes

Il revenait de loin. Tous les Boches crevaient ;
Le pâle Otto aussi trempait dans la bataille ;
Il allait sous le ciel, il criait aïe ! aïe ! aïe !
Oh ! là là ! que j'ai mal ! Mon bidon est troué !

Sa tunique-culotte avait des gros boutons.
- Foutu Fritz effrayé, avec la mort aux trousses,
Débâcle. Son moral au zéro, à bout de course.
- La toile à matelas maculée de marron

Il se la reniflait, assis au bord du lit,
Ces longs soirs de novembre où sentant l'eau de vie,
Il s'écroulait dans son châlit, les pieds puants ;

Ou hurlant au milieu des arbustes sa haine
Comme délire, il tirait dessus mes troènes
Avec sa mitrailleuse, des balles, métal ardent !

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samedi 29 octobre 2005

Visions d'un jardin ordinaire


Elles sèchent, bottes d’oignons, deux à deux suspendues aux branches, bouquets d’oignons, paires de bottes accrochées dans un prunier.
Les chevelures vertes et jaunes, les têtes se touchent.
Peaux dorées, elles sèchent dans l’ombre, les courants d’air parfumé du jardin.
Sous le prunier, l’ombre danse. Les feuilles quadrillent l’herbe.
Les oignons dodus ont le cou serré par un noeud coulant de sisal ébouriffé. Les tiges saignent vert.
Les têtes se frottent, se cognent, se collent. Des grosses gouttes, larmes végétales secrètes.
Tout autour, jardin éventré, scarifié. Le chirurgien jivaro travaille silencieusement.
Les oignons retiennent leur souffle.
Leur jeunesse est dans leur coeur, sous les écailles, sous les peaux.
Oignons graviers noirs, oignons, les graines de beauté.
Oignons, ils acquiescent, ils retiennent toutes leurs larmes.
Taciturnes, ils attendent dans le prunier, un pilori allégorique.

L. Suel

Ce poème et cette image auraient pu être publiés dans l'ouvrage "Visions d'un jardin ordinaire" de L. & J. Suel.

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Silo (9) Peter F. Hamilton

Il vit la station devant lui, une structure de polype trapue au bord de la falaise, pareille à un silo à moitié enfoui dans le sable. p 192

Nous vous attendrons avec Lodi au silo numéro quatre.p 303

Large de cent vingt mètres et profond de trente, il était conçu pour acheminer les ironbergs vers les silos de désassemblage constituant les oeuvres vives de la fonderie. Le canal principal était pourvu de vingt branches, des chenaux longs d'un kilomètre dont chacun aboutissait à un silo.
Après l'achèvement des sept premiers silos de désassemblage, un audit effectué par le Trésor de Tonala révéla que le pôle sidérurgique déjà en place était démesuré par rapport aux besoins réels de la nation. La construction de silos suivants fut suspendue dans l'attente d'une expansion économique justifiant son financement.p 394


Les sept silos construits étaient de massives structures cubiques, de deux cents mètres d'arête, aux formes des plus primitives.
Un second réseau de chenaux plus petits reliait les silos de désassemblage aux bâtiments de la fonderie proprement dite, ce qui permettait d'acheminer directement aux fourneaux les segments d'acier spongieux. Le paysage désolé qui s'étendait entre les silos, les bâtiments et le chenaux était recouvert par un dédale de routes, la piste en terre battue avoisinant avec la large chaussée conçue pour le transport de lourdes charges, désaffectée après la période d'optimisme initial.
Ce qui n'était pas grave, car les titanesques silos étaient visibles à des dizaines de kilomètres à la ronde, se dressant au-dessus de la plaine alluviale désespérément plate tels des cubes abandonnés par quelque dieu local lors de la création de Nyvan. Les silos de désassemblage fournissaient des repères parfaits.p 395

A en croire la carte qu'elle avait chargée dans la cellule mémorielle de ses naneuroniques, les silos de désassemblage se trouvaient dans le quart nord du site.
- Les silos seront forcément visibles.
- Ce qui signifie que les silos sont par là, dit Voi avec assurance.p 396

Le déluge de lumière provoqué par la deuxième explosion d'antimatière révéla les silos de désassemblage à toutes les voitures fonçant dans la fonderie.
- Voilà le silo numéro six, dit Voi en jetant un coup d'oeil par côté.p 399

La voiture de Mzu avait quitté l'étroite route tracée entre les ponts pour s'engager sur une voie plus large menant au silo de désassemblage numéro quatre.
Le toit et les murs du silo numéro quatre, qui au cours des deux siècles écoulés avaient souffert des attaques de l'eau de mer, d'un entretien insuffisant, du guano, des algues et même d'un mémorable crash d'avion, étaient dans un triste état.p 401


Ils entraient déjà dans l'ombre du silo numéro quatre.
Un puissant jet de feu blanc jaillit du silo.
Comme il y avait un sergent de chaque côté de la voiture, elle n'eut aucune peine à trianguler la source de l'attaque énergétique : une rangée de fenêtres crasseuses à une hauteur de trente mètres sur le mur du silo.p 402

La charpente du silo s'étendait sur une certaine distance à partir du mur qu'elle soutenait, inextricable fouillis de poutres et d'entretoises se fondant dans des arrangements asymétriques.
Comme la climatisation du silo était désactivée, il y régnait une averse permanente.p 404

Il y avait douze agents pour l'appuyer dans le silo de désassemblage et un avion arrivait pour les évacuer.p 410

Depuis qu'il était entré dans ce silo, il était tourmenté par des démangeaisons.p 412

Une quatrième voiture survivante poursuivait le bolide du XXIème siècle le long du mur du silo, toutes sirènes et tous gyrophares dehors.
Toutes les armes en leur possession se braquèrent sur le silo de désassemblage numéro quatre.
Toute une portion du mur avait disparu ; l'éclat maléfique de la bataille orbitale s'insinuait jusque dans le silo.p 414

Tous traversaient le silo en courant comme s'il leur avait montré le chemin du salut.
Contrairement au groupe de Baranovitch qui avait organisé le rendez-vous, aux agents secrets qui avaient disposé d'un accès illimité aux fichiers mémoire de l'ambassade et aux policiers de Tonala qui connaissaient bien leur juridiction, Joshua n'avait qu'une piètre idée de la configuration des silos de désassemblage.p416


- Accédez à l'ordinateur de gestion de ce silo.
- La moitié des processeurs du silo sont inopérants, déclara Dick Keaton
Le silo a été désactivé.p 418

Ione se coula autour de la colonne métallique pour jeter un nouveau coup d'oeil vers la baie du silo.
Elle s'était tenue en retrait depuis qu'elle avait traversé le silo en précédant les agents secrets.p 420

Elle filait déjà vers l'autre bout du silo.
En dessous, elle distinguait les portes du sas qui retenait l'eau dans le silo pendant les réparations du chenal.
Un rugissement de cataracte résonna sur la baie du silo, et il fut emporté le long de la paroi du bassin.p 421

Deux vagues rebondirent sur la paroi pour converger au-dessus de lui alors qu'il passait sous la porte du silo.p 422

J'aperçois déjà les silos.p 423

Sur les vingt-trois personnes, sans compter les sergents, qui avaient pénétré dans le silo de désassemblage numéro quatre, il n'en restait plus que quinze.p 425


Le rayon érafla le coin du silo de désassemblage numéro quatre.
Le silo numéro quatre ne connut pas une belle mort, le laser le découpant en morceaux comme un banal gâteau.p 426

Baranovitch et ses sbires se réfugièrent dans le silo de désassemblage, supposant qu'ils seraient à l'abri dans un bâtiment aussi massif.
Deux infortunés ouvriers, qui se dirigeaient vers le silo désactivé pour voir d'où venaient ces explosions de lumière, furent réduits en cendres.p 427

L'onde de choc rasa les silos de désassemblage encore debout, projetant dans les airs plusieurs centaines de milliers de panneaux en matériau composite.p 429

Peter F. Hamilton, L'Alchimiste du neutronium, 2. Conflit, Ailleurs & demain, Robert Laffont, septembre 2001.

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vendredi 28 octobre 2005

Vision de Rotterdam (Gregory Corso)

Un poème de Gregory Corso

VISION DE ROTTERDAM

Septembre 1957 commandé par mon agent-vision
via un télégramme ventriloque
délivré par les muettes bouches de pierre en haut de Notre-Dame
ayant reçu le précieux billet et un plan du 17ème siècle
J'ai quitté la ville des gargouilles
Et
Avec deux valises bourrées de désespoir
suis arrivé à Rotterdam

Rotterdam toujours mourante
vapeurs et tankers
déchargent des visions d'épouvante
Mai 1940 des dockers poussent en avant une section de leucémiques
Des bateaux de plaisance débarquent des rats aux voix métalliques couinant une propagande de ruine
Un cargo de hurlement assourdit la cloche d'étain de la Guerre débile
Bombardiers en vue

De jeunes enfants blonds en chemisettes blanches
rampent dans les rues en grignotant leurs maisons
Les vieux les malades et les fous abandonnent leurs fauteuils roulants et leurs cellules
ils s'agenouillent pour adorer la douce torpille miraculeuse
Bombardiers insensibles aux appels du coeur
dynamisant les rêves du dimanche après-midi
Bombes comme des bijoux surprises
Explosion explosion explosion
Avalanche sur les pilotis médiévaux écroulés 1940
La pitié se penche vers son bombardement préféré
pour pardonner à la bombe

Seul
Les yeux sur mon plan vénérable
J'erre dans les ruines apercevant
parmi la folie des bicyclettes toussotantes
le dessin d'une nouvelle Rotterdam bourdonnant dans le vide

Poème extrait de "Gasoline" (1958)
Trad. L. Suel

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jeudi 27 octobre 2005

Silo (8) Peter F. Hamilton

Des silos et des ateliers circulaires, plus petits que les tours, étaient placés entre celles-ci, tous pourvus d'une porte en demi-cercle.

Peter F. Hamilton, Rupture dans le réel, 2. Expansion, Ailleurs & demain, Robert Laffont, février 2000, p 448.

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mercredi 26 octobre 2005

Alfonsina Vandenbeulque

Alfonsina Vandenbeulque figure dans l'anthologie CADAVRE GRAND M'A RACONTE au même titre que Dédée ou Mauricette Beaussart. Nous présentons ci-dessous sa notice biographique telle qu'elle figure dans la dite anthologie et nous la faisons suivre par l'un de ses sept poèmes publiés.


Alfonsina Duporge naît à Dunkerque en 1932. Son père est grutier sur le port, sa mère travaille dans une saurisserie industrielle. Durant le Front Populaire, Abel Duporge, qui a le physique et le charisme de Mermoz mais des idées radicalement opposées (il est anarcho-syndicaliste) se voit chasser de son emploi à la suite d'une cabale montée par la SFIO avec la complicité du PCF. Il décide de faire la contrebande du tabac et la famille s'installe à Bailleul.
La jeune Alfonsina accompagne son père dans ses expéditions dès sa douzième année. Mais ce « temps héroïque »* prend fin quand, en 1948, elle doit épouser Michel Vandenbeulque, dont elle est enceinte. Michel est le fils d'un gros commerçant d'Armentières. C'est dans cette ville qu'elle vivra désormais, tenant la caisse de la quincaillerie Vandenbeulque.
Son bébé est mort-né. L'accouchement a été extrêmement difficile, Alfonsina ayant à peine seize ans. On lui annonce qu'elle ne pourra pas avoir d'autre enfant.
Elle aime son mari, mais bientôt la vie qu'elle mène lui paraît trop étroite. Elle est bien obligée de s'y faire, pourtant. Elle se réfugie dans le rêve et commence à écrire des poèmes.
Elle n'en conservera aucun.
En 1971, Michel Vandenbeulque décède à la suite d'un accident peu banal, survenu au cours d'une fête foraine : la voiture du « Circuit des Neiges » où il se trouvait avec sa femme se détache et vient s'écraser sur la cabine de billetterie. Il expire deux heures plus tard. Alfonsina a la jambe gauche broyée et doit être amputée.
Ce malheur affecte gravement sa santé mentale et elle est internée à l'hôpital psychiatrique de Saint-Venant. Elle y restera un peu plus de deux ans.
En 1974, elle découvre l'œuvre d'Arthur Rimbaud, où elle retrouve, dira-t-elle, l'atmosphère même de ses courses transfrontalières et l'esprit d'insoumission que son père lui inculquait. Elle décide de « mettre [ses] pas dans ceux de l'Homme aux semelles de vent »** et d'écrire désormais ses poèmes en « prenant élan » sur les siens.


Lucien Suel et Ivar. Ch'Vavar.


*. L'expression se trouve dans une lettre à Lucien Suel en date du 8 octobre 1999. Dans cette même lettre, Alfonsina raconte comment, en 1946, elle a pissé sur les mains d'un douanier qui fouillait « avec un peu trop d'insistance » sous ses jupes !
**. Id.

L'ÉTERNIT...

Elle est ondulée.
Quoi ? - La tôle.
C'est l'amiante
Mêlée au ciment.

Fibre nocive
Provoquant la toux
En un poème si nul
Et les joues en feu.

Des poumons humains,
Des bronches bouchées
Là tu t'engages
Et creuse ton trou.

Puisque de toi seul,
Fibre asphyxieuse,
Le Cancer s'exhale
Et l'on dit : enfin.

Là, pas d'espérance,
Nul charabia.
Science sans conscience
Le supplice est mûr.

Elle est ondulée.
Quoi ? - La plaque.
C'est l'Éternit
Sur la toiture.

Alfonsina Vandenbeulque

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mardi 25 octobre 2005

Konrad Schmitt

L'auteur du dessin de couverture de l'Anthologie de la poésie des fous et des crétins dans le Nord de la France, Konrad Schmitt alias Sureau alias Flip-Donald Tietdegvau est visible et audible ici. J'espère.
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Silo (7) Hugues Pagan

Certains toits luisaient comme des plaques d'étain poli, d'autres comme de la tuile vernissée ou des tessons de bouteille, mais ils étaient presque tous barbelés d'antennes, et il distingua les projecteurs de la gare, les tourelles du Palais de Justice, et la grande flèche noire de Notre-Dame, une silhouette en dents de scie dans le quartier des usines et la silhouette noire de l'usine à gaz, ainsi que les silos et les grues des quais.

Hugues Pagan, La mort dans une voiture solitaire, Rivages / Noir, 1992, p 195

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lundi 24 octobre 2005


CADAVRE GRAND M'A RACONTE
la poésie des fous et des crétins dans le Nord de la France
Abbé Henri Lepécuchel, Ivar Ch'Vavar, Alix Tassememouille,
avec la collaboration de Lucien Suel

La première édition de Cadavre grand m'a raconté parut il y a dix-huit ans - édition « underground », tirée à 350 exemplaires - vendus en quelques mois. L'ouvrage est introuvable depuis, mais n'a jamais été oublié, et bien des voix, année après année, se sont élevées pour demander sa réédition.
Cadavre grand se présente comme une anthologie des poètes fous, crétins, naïfs du Nord de la France, réunie par l'abbé Lepécuchel et ses « disciples » Ivar Ch'Vavar et Alix Tassememouille... L'abbé Lepécuchel n'a jamais existé, Alix Tassememouille non plus, la plupart des auteurs présentés dans l'anthologie pas davantage. - Dans la première édition, ces auteurs étaient vingt-deux. Ils sont maintenant quatre-vingts, on change donc de dimension.
Ce livre est un tout, constitue bien une œuvre, une œuvre complexe, foisonnante, pleine d'échos, et partout marquée de signes de reconnaissance, œuvre labyrinthique, égarante au possible, mais une, et d'une grande force et invention.
Et cette œuvre forme un univers. L'univers fantasmé du Nord, mais fantasmé jusqu'à sa plus grande réalité, jusqu'au moment où sa réalité profonde se dévoile et apparaît dans une évidence crue et bouleversante.
Ce livre monstrueux, totalement inclassable, ne ressemblant à rien de connu, c'est encore - même obliquement - un livre sur la poésie, ses trucs, ses charmes, ses prestiges. Sur la force de l'imaginaire, aussi, qui, pour Ivar Ch'Vavar est ce qui peut nous rapprocher le plus du réel... Et ce qui frappe le plus, en définitive, à la lecture de Cadavre grand, c'est, paradoxalement, l'extraordinaire impression de réalité, de véracité, que nous ressentons.

IVAR CH'VAVAR
Ivar Ch'Vavar est né en 1951 à Berck, dans le Pas-de-Calais. Il vit aujourd'hui à Amiens et écrit aussi bien en français qu'en picard. Également traducteur, il est l'auteur de nombreux ouvrages. Il a dirigé les revues L'Invention de la Picardie (1985-1995), Le Jardin ouvrier (1995-2003), et vient de lancer L'Enfance. Un numéro de Plein Chant lui a été consacré récemment.
ISBN : 2-914033-19-2
Prix : 30 €
Editeur : Le Corridor Bleu

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samedi 22 octobre 2005

Silo (6) James Lee Burke

Au travers des portes ouvertes du wagon, je voyais tournoyer la balle de canne sous le vent, et les bâtiments gris de la cimenterie dans le lointain ressemblaient sous la pluie à des silos à grain.

James Lee Burke, Prisonniers du ciel, Rivages / Noir, 1992, p 349.

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vendredi 21 octobre 2005

Un écureuil gros comme un être humain

UN ECUREUIL GROS COMME UN ÊTRE HUMAIN
par Al Ackerman.

J'ai vainement rêvé d'en rencontrer un pour
en faire ma fiancée, et
ce vaste gouffre de désillusion au coeur de
ma vie m'a rendu
alcoolique.
J'ai combattu l'alcoolisme en m'adonnant à la drogue.
J'ai combattu la drogue en m'entourant les reins et les hanches d'un grand chiffon à
lustrer, et
en rampant en rond sur le plancher avec une
marionnette à gaine qui s'appelait Bing.
A ce moment-là ma famille s'est inquiétée et on m'a envoyé voir le Dr Sanders,
un psy qui avait son cabinet dans la ville basse, au troisième étage de l'ancien
Transit Building.

Le Dr S était assis derrière son bureau. Il écoutait mon histoire tout en griffonnant
sur le dos de sa main avec son beau stylo.

Il a aussi tiré sur son col, s'est passé les mains dans les cheveux, a remonté
ses lunettes, tapoté du pied, sucé ses dents, roulé des épaules
dans sa veste trop serrée, comme s'il avait des vers,
tout ceci en affichant sur son visage diverses expressions peu attirantes. Cet homme était
un véritable catalogue des tics nerveux.

Son attitude m'intimidait tellement que je perdis le fil de mon discours -
quelque chose à propos de grandes queues touffues - et que je cessai de parler. Ensuite, je suis resté
assis
là, mécontent, silencieux, le regard baissé vers Bing et mon chiffon à lustrer.

Le Dr S n'est raclé la gorge.

"Ce qu'il vous faut, dit-il avec fermeté, ce sont quelques bons compagnons inadéquats."
J'ai tiqué, perplexe. "Des compagnons inadéquats?"
"Exactement, trouvez-vous quelques vrais zonards pour en faire vos potes. Marrez-vous ensemble.
Agressez quelques clochards dans le jardin public. Cela vous fera énormément de bien.
Tchou-tchou," ajouta-t-il soudain en se levant. Il se dirigea vers la porte en imitant le train.
"Bien, ce fut un plaisir de vous parler," dit il. Sa main
couverte de gribouillis était sur le bouton de la porte ; "merci pour votre aide," dit-il encore, puis
il sortit dans le couloir et se dirigea vers l'escalier en poussant des "tchou-tchou, tchou-tchou",
me laissant seul dans son bureau,
plus indécis que jamais quant à ce que je
devais faire.

La soirée s'avançait.
Le bureau s'enfonçait dans l'ombre.
Là-bas il y avait l'école de cosmétologie où mes parents
parlaient de m'envoyer, une
vague
annonce en dernière page du journal,
un nom de lac, un régime spartiate et
viril que je haïrais sûrement
dès le premier jour, un bâtiment en briques rouges, sous les pins,
bousculades dans le noir,
coups de sifflet et rayons des lampes-torches découpant la nuit, interdiction de fumer, de
rire, de mouiller son lit, pas de main au cul, pas de sourcils, pas de traits
pour mettre un nom sur mon propre visage, et rien à mâcher,
rien à chiquer, alors que mes mâchoires languiraient après la
saveur sucrée du Piper Heidsieck.

Mais je ne pensais ni à la chique, ni à
l'école,
ni à rien de ce que ma famille
pourrait me faire.

Je pensais que je ne pourrais jamais me marier, car qui peut rencontrer
un écureuil gros comme un être humain?

Traduit de l'anglais d'Amérique par Lucien Suel et Philippe Billé.
Publié dans la Lettre documentaire n°101 en novembre 1994.

Le texte original "A SQUIRREL AS LARGE AS A HUMAN BEING" a paru pp 26-27 du recueil Let me eat massive pièces of clay : poems, etc, by Blaster Al Ackerman, ed Shattered Wig (523 E, 38th st, Baltimore, MD 21218) 1992.Des pastiches en français d'Al Ackerman sur le blog de Klimperei.

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jeudi 20 octobre 2005

Un poème de James Purdy

L'air ridé, coloré, l'air se rue au dehors,
la baleine, masse noire, au loin sur l'océan,
autres lieux, les Tropiques, où l'air est trop brûlant,
l'Arctique a des ours blancs, et du lard de baleine.

Alors peu importe qui, peu importe pourquoi
on peut couper la tarte, lancer la pomme en l'air,
jamais le silence ne sera plus profond
le plein ciel, tas d'étoiles, compte ! un milliard, deux fois.

Endors-toi dans les nues, endors-toi dans l'écume :
les flots verts se soulèvent, peu importe ton écume :
les flots verts se soulèvent, se soulèvent dans l'écume.

Traduit de l'anglais par Lucien Suel

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mercredi 19 octobre 2005

Silo (5) James Lee Burke

Soit dans une cave-silo en sous-sol dans les Cascades ou alors, vous vous retrouvez à foutre en l'air la vie des gens dans les pays du Tiers-Monde.

James Lee Burke, Le brasier de l'ange, Rivages / Thriller, mai 1998, p 153.

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Alexander Trocchi : Lettre à Samuel Beckett

Cette lettre d'Alexander Trocchi a été publiée par Philippe Billé en 1995 (Lettre documentaire n° 140)

30 août 1954

Cher M. Beckett,

Je ne vois pas très bien quelle sorte de réponse vous attendez ou espérez de moi. Le ton glacial de votre dernier courrier ne me rend pas la tâche facile pour dire quoi que ce soit.
En ce qui concerne votre texte dans le dernier numéro de Merlin, la décision de l'utiliser ici et pas dans le n° suivant fut prise à brûle-pourpoint, et Seaver m'avait assuré que le texte manuscrit était passé par vous. Je dois d'abord vous dire que je suis parfaitement convaincu que Seaver m'a dit la vérité sur ce point. Il a beaucoup trop de respect pour vous pour tenter de déroger à vos souhaits. De même pour les épreuves, les circonstances de l'impression de Merlin cette fois-ci ont fait qu'il a été impossible de vous les envoyer, et nos propres vérifications sur le manuscrit ont été si minutieuses que nous étions persuadés que vous seriez pleinement satisfait. Je suis sincèrement désolé que ce ne soit pas le cas. Je n'ai pas grand chose à ajouter à cela.
Quant à la question de nos dettes envers vous, je l'ai déjà expliquée. Toute la complication vient du fait que vous étiez en Irlande et que vous n'aviez pas laissé d'instructions précises. Comme vous le savez, c'est Girodias d'Olympia Press qui a conclu la vente et calculé les comptes pour Watt. Quand j'ai reçu votre dernière lettre, il traversait une période de vaches maigres et il lui était plutôt difficile de fixer une date précise pour le règlement. Heureusement, maintenant, sa situation s'est améliorée et je peux vous assurer que 85 000 francs seront versés sur votre compte parisien avant la fin de cette semaine.
Le fait que vous ayez pu, à propos d'une seule petite page, fournir autant de récriminations directes ou allusives, est à porter au crédit de votre talent littéraire, mais montre le peu de cas que vous faites de ce que je croyais être notre amitié. Je suis vraiment triste, à un point que je ne saurais dire, que vous vous soyez cru obligé d'adopter ce ton dans votre lettre.
Si vous vous trouviez à Paris, j'espère que vous changeriez d'idée à propos de votre manuscrit. En vérité, je ne pense pas que vous ayez beaucoup de raisons de vous plaindre de notre attitude à votre égard. Toute l'équipe a travaillé dur pendant longtemps et avec beaucoup de loyauté en vue de votre propre intérêt, et chaque fois qu'il aurait pu y avoir un éventuel désaccord, nous avons toujours fait passer vos désirs avant toute autre considération.
(traduit de l'anglais par Lucien Suel)

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mardi 18 octobre 2005

Silo (4) Jim Nisbet

Son regard quitta le pan grisâtre et poussiéreux du silo à grains de l'autre côté de la Highway 174 pour venir se fixer sur le visage rougeaud et tremblotant d'un Jake Macbee aux yeux plissés, secoué par les spasmes d'un rire qui touchait à sa fin. (p 53)

A l'impact de la décharge, un tourbillon de poussière s'en alla voler à l'extérieur et se déposa en cours de trajectoire sur les capot et pare-brise de la Chevrolet garée là, avant de soulever de drôles de petits geysers en tombant devant le silo à grains de l'autre côté de la route. (p 67)

Elle se retourna et se plongea dans la contemplation du silo à grains, propriété de la Coopérative agricole des céréaliers - comté de Lincoln. (p 75)

Il se vrilla en spirale ascensionnelle en traversant la grand-route et vint se disperser contre le monolithe gris indéracinable du silo à grains. Passa une voiture en direction du nord, décélérant en traversant le centre ville - le silo proprement dit - avant de ré-accélérer lorsque le conducteur remarqua le panneau de contreplaqué qui portait inscrits les résultats du championnat de basket féminin, vieux de cinq ans, en lettres jaunâtres sur fond de peinture noire écaillée, laissant transparaître le grain du bois en bordure du panneau qui délimitait la ville proprement dite, à moins de deux cents mètres du silo à grains. (p 87)

D'autres encore sont des cylindres aux formes irrégulières, coiffés d'un dôme en chapeau, pareils à de petits silos à grains. (p 105)

Puis l'énorme silo à grains de couleur grise qui surplombait la ville de sa masse menaçante et dont le vent infatigable agressait, millimètre par millimètre, la surface brute et irrégulière, peut-être à moitié vide, peut-être même pas, avec son seul et unique camion à blé garé sans chargement juste dessous. (pp 289 & 290)

Jim Nisbet, Le démon dans ma tête, Rivages / Noir, juillet 1992.

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lundi 17 octobre 2005

Silo (3) Peter F. Hamilton

Sur un côté, il y avait plusieurs silos à grains cylindriques.

Peter F. Hamilton, Rupture dans le réel, 1. Émergence, Ailleurs & demain, Robert Laffont, septembre 1999. p 303

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dimanche 16 octobre 2005

Silo (2) Henri Michaux

Couché au fond d'un silo instantanément creusé à des kilomètres de profondeur dans l'écorce terrestre, il gît seul dans son tombeau profond.

Henri Michaux, "L'Éther" in La nuit remue, nrf, Poésie / Gallimard, avril 1990, p 66

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samedi 15 octobre 2005

(Introduction) à Léon Bloy

« Je chemine en avant de mes pensées en exil,
dans une grande colonne de silence »
Léon Bloy



L'âme de Léon Bloy se consume dans un
Vert carafon de larmes. Mon statut de défunt
M'a permis de la voir. Connaissant le parfum

Des humains, j'ai rejoint dans l'éther l'écrivain.
Je suis mort et je pue. « Cher Léon, c'est Lucien,
J'arrive de très loin, je veux un peu de vin. »

Le jardin potager du mini-purgatoire
Recueille nos échanges, compatit aux déboires
Des souffrants. Nous tenons à la main le ciboire

Empli de beaujolais qui reflète un soleil
Brûlant. Léon marche dans le simple appareil
D'un vieux poète qui a perdu le sommeil.

Il a quitté sa grosse veste de velours.
Son oeil bleu globuleux s'harmonise au séjour
Céleste. Sa moustache tremble sous le ciel lourd.

« Dans les ténèbres j'avais prophétisé votre
Venue. Ce beaujolais est amer, mais quoi d'autre ?
Le monde où vous viviez, je n'avais pas de mots tr/

Op durs pour le frapper ! Anne-Marie Roulé
S'était trompée. En vérité, l'Esprit coulait
Au fond de ma gorge rougie. Voyez-vous, les

Bourgeois ont putréfié les mots, l'air et la terre ;
L'argent qui est le sang volé du pauvre altère
La très-pure harmonie, perçant dans l'univers

Un trou foireux par où glissent les saintes âmes
Des morts qui nous ont précédés. L'immonde came-
Lote du Bazar de la Charité proclame

Le règne de l'infâme. » La voix de Léon tonne
Sur les perforateurs de la couche d'ozone.
J'opine du menton. De lui, rien ne m'étonne !

Le Comte de Lautréamont, je l'ai connu
Grâce à lui ; le Pauvre Lélian, je l'ai relu
Avant mon infarctus. Je suis mort et je pue

Dans ces limbes horticoles où je flâne avec
Léon Bloy, prince-évêque en ma bibliothèque.
Nous discutons le bout de gras, le prix du steak,

L'anéantissement de la littérature,
Les putes de la pub qui font rimer l'azur
Avec la pourriture. « Léon, je vous assure

Que je suis un exemple étonnant de la ré-
Versibilité. Je fus frappé d'un arrêt
Cardiaque alors que je m'étais égaré

Au-dessus du Drac, à l'aplomb de La Salette.
Celle qui pleure est ma femme tenant ma tête
Inerte et froide entre ses mains. Je vous embête ? »

« Du tout, dit Léon, votre douleur m'intéresse.
Vous savez combien j'ai souffert lorsque la presse
Décrétait un mortel silence à mon adresse !

Aujourd'hui vient la paix ! J'attendais les Cosaques
Et le Saint-Esprit : maintenant, pour la barbaque,
Les Cosaques font la queue et, dans ce cloaque

Qu'est devenu le monde, jamais le Saint-Esprit
Ne viendra. La télé est un béribéri
Qui, avec l'auto, démolit la vie. J'ai dit. »

Dans le fond du jardin, entre deux noisetiers,
Sous un abri de tôle ondulée, le clavier
D'un terminal. « L'informatique me fait chier,

Pourtant, c'est très pratique. J'ai là un disque dur
Pour m'aider dans l'exégèse des Ecritures
Avec cette console, (quel mot !) je m'aventure

Dans le vaste fichier du Jugement Final. »
« Vous permettez, Léon? » L'ordinateur avale
Ma question et répond : « Huysmans vit dans la val-

Lée de Josaphat pour l'éternité. Thank you. »
Comme j'ai l'air étonné, Léon Bloy m'avoue :
« C'est ainsi ; lui au Paradis, moi à genoux

Dans ce Purgatoire champêtre ! Il faut bien dire
Qu'il était plus charitable que moi ! Pour rire,
J'ajoute qu'étant la victime de mon ire,

Il en fut récompensé, car il est écrit :
Les derniers seront les premiers ! » Un ange crie :
« Les visites sont terminées ! » Le vieux proscrit

Me salue et je remonte sur ma civière.
Je suis mort et je pue. J'ai fini ma prière.
L'écran du moniteur a éteint sa lumière.

Lucien Suel, juillet 1991

Ce poème figure dans le recueil "Je suis debout", parution le 6 mars 2014 aux éditions de La Table Ronde.

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Une lettre d'Alexander Trocchi

Cette lettre d' Alexander Trocchi à ses amis Jack & à Marjorie Robertson date d'octobre 1950.
Elle a été publiée pour la première fois en français par Philippe Billé dans sa "Lettre documentaire" n° 119 en avril 1995.

Chers Jack et Marjorie,

Nous avons pris la ligne Newhaven-Dieppe parce que c'était meilleur marché. La mer était calme, le soleil brillait et le pont était envahi par une joyeuse bande de pèlerins en route pour Rome à l'occasion de l'Année Sainte. - sans doute une société celtique, chacun d'eux avec un énorme ruban vert et jaune à la boutonnière et ils chantaient en gaélique.
Sur le vapeur nous avons goûté pour la première fois du pain français - un peu comme les miches viennoises, mais plus long, avec plus de goût et une croûte plus épaisse. Le menu était en grande partie à base de pain et de plats de viande très relevés.
Dieppe montre encore ses cicatrices. Décombres, immeubles éventrés, murs écroulés. La voie ferrée n'a pas de barrière. Les trains sortent de Dieppe au niveau de la rue, voisinant avec les camions, les bicyclettes surchargées et les voitures des marchands de quatre saisons.
Lorsque j'ai récupéré les bagages enregistrés à la douane de la gare St Lazare, il était passé 8h du soir, presque douze heures depuis que nous avions quitté Londres. Naturellement Betty et la petite Jacqueline étaient très fatiguées. Nous avons mangé un sandwich au jambon et bu du Cinzano. Puis Jacqueline a disparu. Nous l'avons retrouvée quelques minutes plus tard en train de jouer avec un magnifique chat blanc muni d'une laisse de cuir rouge verni, tenue par une dame au regard désapprobateur ! Excuses dans notre français hésitant, courbettes et retraite vers notre table. A la recherche d'un hôtel...
Nous avions très peu d'argent liquide et rechignions à nous faire prendre en charge par un chauffeur de taxi français. Je laissai Betty et J. au buffet de la gare et descendis dans la rue. L'air nocturne brillait, embrasé de néons multicolores. A chaque coin de rue, il y avait un café, avec des tables sur le trottoir. Des vendeurs de châtaignes grillées, de cacahuètes, de crevettes, crabes, moules, huîtres. Un surréalisme affirmé dans toutes les affiches. Un trafic frénétique, incontrôlé. A Paris, personne ne s'arrête aux carrefours. On se glisse dans la circulation en se servant des freins et du klaxon.
Il était dix heures quand je suis revenu à St Lazare. J'avais trouvé un petit hôtel dans le 10ème arrondissement, près de la Place de la République. Une semaine après, dans le même secteur, nous avons loué un garni où nous pouvions faire la cuisine, une petite pièce au quatrième étage d'un hôtel délabré. Pour cette pièce - dans un état épouvantable - nous payons plus de dix livres par mois. C'est là une des bizarreries du Paris d'aujourd'hui. Le Parisien, en règle générale, paie un loyer ridiculement bas. L'étranger paie en moyenne dix fois plus. Les repas au restaurant sont très chers. Il vaut mieux se faire "sa propre cuisine". Les magasins regorgent de toutes sortes de marchandises intéressantes mais les prix sont bien plus élevés qu'à la maison.
Un violoniste habite la pièce d'à côté. Je commençais à désespérer de mon français car j'étais incapable de comprendre un mot de ce qu'il disait. J'essayais laborieusement de le suivre. Poliment, il s'essayait à parler plus lentement, insistant sur les verbes à l'infinitif en faisant de grands gestes. C'est seulement au bout d'une semaine que je me suis rendu compte que c'était un Brésilien et qu'il ne parlait pas le français. Il ne connaissait qu'une dizaine de mots et les utilisait à tout bout de champ avec une espèce de vicieuse facilité latino-américaine qui vous donnait l'impression d'un spécialiste de la langue.
"L'élite intellectuelle" - si l'on en croit la direction du café "Les Deux Magots" - se trouve à St Germain des Prés. C'est là que les boîtes de nuit présentent "Les soirées existentialistes". On y trouve tous ces cheveux longs, le bavardage, les grossiers pièges à touristes, ce qui m'amène à penser (mais je peux me tromper) que le noyau créatif est en train de se déplacer ailleurs.
Pour l'instant, je préfère Montmartre. C'est aussi le gros piège à touristes, mais du moins ce sont des professionnels, tandis que la scène sur le Boulevard St Michel et à St Germain donne une forte impression d'amateurisme, un super syndicat d'étudiants dans lequel les étudiants ne sont pas nécessairement supérieurs. N'importe comment, à Montmartre, ils se font un tas de fric. Je suis persuadé qu'il doit y avoir une sorte de vertu à se faire du fric. Je crois bien que je n'y suis jamais arrivé.
Nous étions dans ce meublé depuis moins d'une semaine lorsqu'on s'est rendu compte que nous n'étions pas seuls. Nous étions envahis par les "bébêtes", une race de punaises rouges assoiffées de sang. J'avais déjà lu des choses à ce sujet - chez Miller, Céline, Elliot Paul. Mais sans mettre en cause leur existence, je voyais ça (qua dramatis personae dans les autobiographies) comme une sorte de licence poétique, un appendice à la mansarde dans les romans post-dostoïevskiens. Un soir, j'étais allé me promener à Montmartre et j'étais rentré assez tard. Je m'étais très vite endormi. Puis j'ai vu que la lumière était allumée et Betty, qui se serrait dans sa chemise de nuit, me disait de me réveiller - des punaises ! Des créatures extraordinairement grasses, gorgées de notre sang, d'autres écumant de faim sortant des murs à la minute. Nous avons passé une heure à chercher dans chaque fissure, dans les draps, les couvertures, le matelas. Nous avons trouvé une allumette brûlée sous le matelas. Sans doute un piège à punaises laissé par un précédent locataire. Le brésilien d'à côté me dit qu'il combattait l'avance de la "peste" depuis trois mois. Un petit homme vraiment fringant, frénétique mais sans ressources. Et pour le moment, nous aussi sommes sans ressources. Mais nous déménagerons aussitôt que possible.
Bien à vous, Alex.

(traduit de l'anglais par Lucien Suel)

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posted by Lucien Suel at 18:05 0 comments

Silo (1) Jack Kerouac

Mais après Mexico, cette bourgade de San Antone m'a paru plus lugubre que même les Etats-Unis - Le visage cramoisi des pétroliers texans assis, en flanelle blanche, à la réception d'hôtels à l'air conditionné, tandis que leur épouse impavide et morose ajuste une boucle d'oreille pointue dans un silo bleu symphonique - lisant les journaux - Oui, Mexico m'a ravi.

Jack Kerouac, Visions of Cody, Christian Bourgois Editeur, 10/18 n° 2804, janvier 1997, p 534.

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