samedi 30 avril 2011

Silo (58) Josef Winkler

Josef Winkler, Langue maternelle
Traduction Bernard Banoun, Verdier, 2008.

La première fois qu'il me l'a raconté, j'ai regardé sa main gauche en imaginant que je suçotais tendrement sa main qui sentait la terre et le fumier, le foin et le silo. (p.55-56)

communiqué par Alain Marc

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jeudi 28 avril 2011

Le lapin mystique (17)



Le lapin mystique


par Lucien Suel

17





Au centre d'une icône de lumière cernée
par le plâtre gris du plafond, mes yeux
me regardaient. J'étais allongé, aplati
sur la table d'opération. Mon biceps se
gonflait sous la pression d'un bracelet
de caoutchouc rose. La douce haleine et
les blancheurs arrondies d'une nurse se
penchèrent vers moi, me masquant la vue
du scialytique cyclopéen. L'odeur de ma
Laure filtra jusqu'à mon cerveau. Je me
rappelai la main de la Soeur, le couple
salvateur de l'ambulance. Je ne pouvais
que clore les yeux, inquiet des arômes,
des effleurements et des bruits. Quelle
douceur dans la voix ! Mon poignet pris
entre pouce et index se leva mollement.

L'aiguille se glissa dans mon sang. Mon
oeil cligna lentement, pivotant vers le
visage de la forme blanche qui ondulait
devant moi. J'avais une grande soif. Je
perdis connaissance lorsque s'ouvrit sa
bouche large, chaude et caressante. Oh,
quelle discrétion dans l'ouïe ! L'écume
des vagues se roule dans le sable froid
et collant. Je galope le long de la mer
en poussant des clameurs enthousiastes.

Mes membres encerclés par le caoutchouc
s'engourdissent assez vite et je capote
sur un espars de bois noir et gluant de
goudron. Ma main glisse dans le mazout.

Gigotant sur le dos comme un coléoptère
débonnaire, je m'emploie à faire rouler
les élastiques qui enserrent mes jambes
et mes bras. Je suis balafré de cercles
rouges et de virgules noirâtres. A plat
ventre maintenant, le menton fiché dans
le sable, la ligne de mon regard heurte
une conque à moitié immergée dans l'eau
verte. J'allonge le bras. Avec un bruit
de succion, le coquillage ventriloque a
quitté son abri sablonneux. Je le colle
à mon oreille. Une voix emperlée d'iode
dit que c'est avec des paroles de feu à
volonté qu'elle défend le privilège des
conceptions ennemies. Je lâche la valve
et me redresse en secouant la tête. Sur
l'océan, l'ouest s'enveloppe de vapeurs
pourpres. Quelle douceur dans la voix !

Quelle discrétion dans l'ouïe ! C'était
aussi la modération dans la démarche du
corps animé, attentif à l'équilibre des
osselets internes, ineffablement réunis
dans le pavillon rose et poilu du lapin
immaculé. Des points noirs virevoltent,
laissant des traînées fugaces dans l'or
de mes yeux fatigués. Au bout d'un long
moment d'absence, je distingue un autre
point noir qui s'approche. J'enfonce la
conque prophétique dans l'épaisseur des
sables. Le point noir enfle dans la mer
houleuse. C'est une nageuse qui sort de
l'eau dans de grands éclaboussements de
blancheur rosée. Sa chair si velouteuse
tremblote dans un bikini noir, mouillé,
qui lui colle à la peau. Je m'approche.

Un avion noir survole soudain la plage.

Le croassement horrible des réacteurs a
brisé l'équilibre de mon jeu d'osselets
internes. La nageuse me saisit le bras.

Nous courons poussés par le vent et par
la peur. Le sang bat dans nos oreilles.

J'ai réellement vu les soupirs, les tas
de corps attendant au bord des chemins,
le passage des chenilles. Celle qui fut
naïade, Vénus en maillot foncé, s'était
agenouillée et baisait la terre, râpant
la croûte siliceuse de sa langue tendue
et vibrante. Ses ongles écarlates limés
par la surface inexorable se courbaient
un à un, puis finissaient par casser et
à l'endroit de la fissure, un liseré de
blancheur apparaissait, déchiqueté fort
inégalement, parfois jusqu'à la racine.

Une main vigoureuse guidait mon chariot
dans les couloirs de la clinique. Étalé
sur la civière, je suivais des yeux les
tuyaux blancs qui longeaient l'angle du
mur et du plafond. De temps à autre, un
néon livide se jetait sur mon visage et
sur mon drap. Je renversai la tête pour
identifier mon brancardier. Au sein des
odeurs gériatriques, le parfum de Laure
frayait sa route à travers mes narines,
jusqu'à mon cerveau qui émergeait de la
somnolence éthérée. Le patron de Laure,
chirurgien du dimanche, m'avait réséqué
la côte. Mon sarrau de coton piqueté de
pétales de sang fut soulevé par un fort
courant d'air lorsqu'après une violente
accélération, Laure arrêta fermement le
chariot. Chambre n° 23. J'étais arrivé.

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mercredi 27 avril 2011

Chicon d'ichi

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mardi 26 avril 2011

SOMBRE DUCASSE 16

CHAPITRE X

CENTRE INTERNATIONAL DES AGONIES.

C.I.A.---Contamination Infection Ablation.
C.I.A. C'est la guerre.
Centre International des Agonies, c'est la guerre.
Karma Génétique de la Bureaucratie---K.G.B.
Kyste Gangrène Bubon, c'est la guerre.

Personne ne songe à le contester. Utilité des travaux menés par la commission docte de surveillance. La commission de surveillance rend des sentences sûres et éclairées au sujet du savon en paillettes et du fil de fer galvanisé. Nous payons pour savoir. Nous atteindrons un jour la stratosphère, ménagères pratiques de sens à un sou près. Ce qui se mange coûte de jour en jour plus cher. C'est la guerre.

Il ne faut pas espérer profiter des douceurs et de l'abondance du temps de paix. Des sanctions sont à prendre. C'est la guerre qui entrave la production et déchaîne la consommation. C'est la guerre.

Accordez aux producteurs quelques facilités et secours de main d'œuvre. Attention, attention : la vie trop chère favorise la plus détestable propagande. Attention, attention : nous avons les jours sans viande sans alcool sans pâtisserie. Modestes et humbles consommateurs de France connaîtraient les jours sans argent & sans rien rien rien rien.

Centre International des Agonies : Mauricette, célibataire, 21 ans, étudiante, propriétaire logement, 1m50, 55kg, caractère aimable, aime basket chiens cuisiner lire coudre commerce fleurs chats enfants.

Vous désirez être contaminée et rencontrer le germe qui saura vous comprendre ou vous abattre dans les moments faciles ou partager vos éruptions et vos saignements. Nous pouvons faire pour vous ce qu'il serait difficile de faire seul. Vous pourrez réaliser votre projet. Le Centre International des Agonies est une organisation sérieuse & efficace, d'une très haute tenue morale, recommandé par des prêtres des pasteurs des assistantes sociales des directrices d'œuvres.

Que les forces sinistres soient chassées. Il faut que le Pays reste vivant actif productif. La guerre n'a pas seulement besoin de canons et de bombes. Besoin aussi de toutes les ressources et les travaux de la vie civile. Besoin des cultivateurs des commerçants des exportateurs. L'autorité militaire seule peut juger. L'égalité ne demande pas que l'on impose à des hommes de conditions inégales une égale inutilité. Il faut que la France vive pour faire la guerre et pour la gagner.

C'est pour lutter contre l'isolement physique et moral des hommes & des femmes du XXème siècle qu'a été créé le Centre International des Agonies. L'ingénieur est seul dès qu'il quitte son bureau d'études, et pourtant son plus cher désir est : "avoir un compagnon pour finir des jours heureux." L'infirmière et l'employé des chemins de fer côtoient des milliers des centaines de milliers de personnes.

Voulez-vous connaître vous aussi le bonheur d'une fièvre contagieuse, la douceur d'une présence physique réconfortante virus ?

Nous entrons dans la civilisation agonique. J'avoue avoir fait preuve d'un manque d'optimisme quand à la méthode Agonik Photo-Test. Aujourd'hui, comme vous le montre ce bulletin d'entrée au C.H.U. de Lille, tout a subitement changé et je vous dois une reconnaissance qui se mesure difficilement."

De très violentes explosions provenant des fortifications de la ligne orthosympathique ganglions ont été entendues ici la nuit dernière. Vives résistances dans les étages supérieurs. Notre tâche est une des plus belles qui soient : celle d'inoculer à des êtres solitaires, leur faire connaître la grâce de l'infection, leur apportant la maladie dans une clinique harmonieuse.

C.I.A. Centre International des Agonies. Des services rapides, constants & réguliers. C'est la guerre. "Une de mes amies m'a parlé de votre agence, m'en disant beaucoup de bien. Consciente de la modicité de la somme, je ferai un geste supplémentaire en faveur du savon galvanisé et du fil de fer en paillettes. Gardez- nous sur l'arrière."

Nous n'avons pas tenu compte de l'avertissement. Surtout, ne découragez pas la partie saine de la classe ouvrière. Essayez de réagir contre les agitateurs professionnels. Elle n'a pas toujours été suffisamment comprise et soutenue.

Perturbations électriques exceptionnelles à partir de 23 h 32.
Téléphone longue distance appareils télégraphiques télétypes émetteurs de télévision ont cessé de fonctionner. Un million de télégrammes de vœux n'ont pu être transmis. Tornade électrique.
La méthode à contention souple a livré les hernieux à la torture dans les lieux d'aisance. L'athlétisme de guerre a ce privilège de travailler dans les meilleures atmosphères morales et c'est ici qu'intervient l'un des progrès sans doute le plus fantastique de ce temps.

C'est la guerre. Rien ne nous empêche d'abaisser des barrières qui ne se justifient plus, de faire appel aux sciences humaines qui ont fait leurs preuves en d'autres domaines.

C'est la guerre. C'est la guerre. C'est la guerre.

N.B.C.
NATIONAL BROADCASTING CORPORATION
N.B.C.
NUCLÉAIRE BACTÉRIOLOGIQUE CHIMIQUE
K.G.B.
KARMA GÉNÉTIQUE de la BUREAUCRATIE
K.G.B.
KYSTE GANGRÈNE BUBON
C.I.A.
CENTRE INTERNATIONAL des AGONIES
C.I.A.
CONTAMINATION INFECTION ABLATION

"Centre international des agonies" publié en octobre 1983 dans le N° 2 de la revue VOLUPTIARE COGITATIONES (Michel Deux, éditeur) . Ce texte fut écrit à la demande de Joël Hubaut pour servir à L'Épidémie.



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jeudi 21 avril 2011

Le lapin mystique (16)



Le lapin mystique


par Lucien Suel

16





Déséquilibré par la masse et le gabarit
de sa guitare, le grave corvidé bascula
par-dessus le garde-fou au milieu de la
foule frénétique agitée d'un pogotement
furieux. Je n'avais pas laissé sa jambe
et je me jetai sur lui pour arracher le
masque de carton bouilli, du moins pour
tenter d'arracher le masque. Les appels
des spectateurs ajoutaient au charivari
ambiant. Mon nez se frottait aux cordes
en acier. Puis le mi grave se grava sur
la peau de mon front. Le conflit devint
général. Les corps s'aggloméraient vers
nous. Je reçus un virulent coup de pied
dans la hanche. Mes lèvres écrasées sur
le torse du bassiste ne pouvaient jeter
aucun cri. J'encaissai une multitude de
chocs de
docs dans les côtes mais je ne
sentais rien. Les parfums, les couleurs
et les sons, se répondant aux alentours
m'anesthésiaient à la lettre. L'ange en
noir parvint à s'arracher de la bagarre
et je restai allongé sur le béton froid
et gris, incapable de gigoter. Mes yeux
grands ouverts contemplaient le plafond
tourbillonnant du Mystic Rabbit où l'on
avait dessiné une multitude de fresques
retraçant la vie du monde animal. Celle
qui me surplombait matérialisait en une
mandorle dorée, éclairée par le halo du
projecteur, la tête coupée d'un corbeau
dont l'oeil noir me fixait. J'entendais
une voix qui susurrait dans mon oreille
droite : "La grâce est répandue sur vos
lèvres". Le bassiste rageur raclait mon
visage avec les cordes détendues de son
instrument. Une congrégation passionnée
tapait furieusement des pieds autour de
notre duo. Du coin de l'oeil, je voyais
Soeur Marianne qui s'était approchée du
micro et murmurait et gémissait dans la
chambre d'échos. C'était complet. Il ne
me manquait que de m'évanouir. Quelques
punkettes s'abattirent sur moi, l'ongle
levé, et commencèrent à déchiqueter mes
vêtements pour me punir d'avoir agressé
le corbeau. Le lapin déchira l'air d'un
riff sanglant. Le bec de carton recula.

La nonnette s'était encore approchée du
bord de la scène. Couché sur le sol, je
jouissais d'un point de vue inégalable.

La révélation était trop proche de moi.

Le spectacle devait continuer. Le sbire
du service de discipline s'approcha. Le
peloton de furies recula nonchalamment.

Le gorille m'aida à me lever et jeta un
plaid sur mes épaules. Il m'entraîna du
côté de la sortie. Dehors, la sirène de
l'ambulance plongea dans mes pavillons.

Je remarquai enfin l'état de mes habits
de cérémonie. Les boutons de mon veston
pendaient en déséquilibre à l'extrémité
des fils tels des yeux désorbités, liés
à des restes de fibres optiques. Lacéré
de déchirures, mon pantalon flottait de
tous côtés, ainsi qu'un habit de scène,
pour danseuse de tamouré. Le désir d'un
soudain départ loin de la vie terrestre
envahit mon esprit. J'avais des bleus à
la cuisse. L'une de mes côtes saillait,
comme un long arc violacé.
On me jetait
sur la civière. La porte arrière claque
sur ma douleur et mes questions. Qui se
cache sous la bure de la nonnette ? Que
signifie l'épandage de la grâce ? Quels
sont les liens de parenté parmi le trio
de musiciens ? Je me souviens de l'iris
du lapin dans la rondelle de caoutchouc
qui clôt la bouteille. L'ai-je bien vue
tomber de la poche du batteur lorsqu'il
pirouettait au-dessus des fûts de cette
installation ? L'impression de déjà-vu,
de réminiscence devient obsédante. Dans
la caverne de mon crâne, c'est le monde
qui se tapit. Imprégné du naturel divin
de ma personne, je reste placide tandis
que l'auto circule à travers un pays de
saules étêtés bordant des champs d'orge
et de betteraves. Le jour s'est levé et
il bruine. La caresse de l'essuie-glace
me pacifie doucement. Dans l'ambulance,
j'ai reçu une autre couverture. Je sens
que je vais dormir longtemps. Je trouve
Laure et Marianne de chaque côté de mon
brancard. Je m'enfonce en serrant d'une
main, le scapulaire en soie de Ma Soeur
Marianne et de l'autre l'une des pattes
de lapin de Laure. La sirène s'est tue.


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mercredi 20 avril 2011

Dans le jardin

Dans le jardin, le poète regarde les vers.

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mardi 19 avril 2011

La limace à tête de chat (13)

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lundi 18 avril 2011

SOMBRE DUCASSE 15

Intermède sixième

O PATH OF SWEET PERMANENCY

Sur la touche pause du magnétophone,
le bouton d'arrêt du téléviseur,
sur le timbre de l'enveloppe, j'appuie
le bout du pouce pour faire perler la gouttelette de sang.
J'ai des images grillées et d'ongles devant les yeux.
Je jongle avec le porte-jarretelles de la mort.
J'ai eu une conversation téléphonique avec Claude Pélieu
et ne me souviens plus de ce qu'on s'est dit,
me rappelle seulement le son de sa voix.
Pas d'abandonné au numéro demandé, parasites sur les lignes.
Je ne m'attendris plus sur la médiocrité des relations humaines congelées sur la banquise.
Mes larmes ne feront pas de trous dans la neige :
"Don't eat that yellow snow !"
Le capitaine s'accoude au bastingage et gueule une dernière fois "Bollocks !" avant de cracher une giclée de salive noire dans les vagues grises de l'Antarctique.
Sous l'ampoule morne du scialytique, le chirurgien Suel murmure d'une voix éteinte : "ciseaux... colle... micro... on... off... cutter... underwood...
oiseaux... folle... sirop... clic... clac... gutter... underpant.."
Et l'infirmière en lamé lui passe la main entre les cuisses,
"Rien à déclarer ?".
Je n'ai pas besoin de lire les traités d'astronomie pour me souvenir du big bang.
Je le sens dans les mèches de mes cheveux, dans les fibres de mes muscles, dans la courbure de mes ongles, dans la dureté de mes dents...
Ce script n'a pas été rédigé pour moi.
Ceci ne s'est pas passé cette année.
Le ministère de l'amour n'a pas diffusé cette note de service.

"O path of sweet permanency" publié sans titre en août 1985 dans DEVIL-PARADIS, spécial interview (Collection Lui Écrasa Le Crâne, T. Tillier éd.)

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jeudi 14 avril 2011

Le lapin mystique (15)



Le lapin mystique


par Lucien Suel

15





Au centre d'une icône de lumière cernée
par l'essaim tendu de la foule amassée,
Sister Marianne se déhanchait au rythme
du concassage assourdissant produit par
un ensemble de "mugissiens" masqués. Le
bas de son corps se tordait par à coups
et les soubresauts saccadés de son chef
faisaient tourbillonner le tissu de son
voile empêchant les spectateurs de bien
démêler l'ordonnance de sa physionomie.

Une centaine de surexcités, bras tendus
et bouche écumante, s'essoraient contre
les barrières de métal qui protégeaient
la scène de leurs débordements. Je sens
vibrer mon ventre, tandis que palpitent
les cordes de la basse, tordues par les
longs doigts velus d'un escogriffe vêtu
de noir et visage couvert par un masque
de corbeau dont le bec de carton lustré
clapote spasmodiquement chaque fois que
l'instrumentiste secoue le manche de sa
guitare. Le batteur fagoté en kangourou
percute à coups de poings et à coups de
pieds les divers tambours entassés près
de lui. Par intervalles, il cogne de la
tête sur les cymbales et saute en l'air
vers un câble tendu à travers le podium
et auquel on a suspendu, à la verticale
de son kit, une prolifération de divers
objets sonores de bois et de métal : un
pied de biche, des sachets de plastique
contenant des clous de toutes longueurs
et de toutes grosseurs, petits bouts de
bois, plantoir de jardinier, marteau de
menuisier, aimants aux branches garnies
de menues ferrailles agglomérées. Quand
il bondit, on aperçoit, dépassant de sa
poche abdominale, une bouteille dont la
mousse, en raison de l'agitation qui la
traverse, remplit le goulot et affleure
à l'ouverture. Je suis fasciné. Je sais
que la bouteille tombera de la poche du
kangourou. Dans son déhanchement, Soeur
Marianne, tournant le dos au public, se
planta en face du percussionniste. Elle
avait levé les bras, et, pieds écartés,
roulait modestement des hanches. Alors,
le public montant le volume, ajouta des
décibels. A droite, le guitar leader se
mit à cravacher son instrument avec des
grands moulinets du bras tandis que son
pied gauche écrasait la pédale d'effet.

L'accélération était à son plafond mais
le batteur boxait maintenant une rangée
de clés à pipes suspendues par des fils
élastiques à un portique de métal noir.
Les outils entrechoqués vibraient entre
les enceintes. C'était un aller simple,
le voyage était sans retour (jamais une
paire de baffles ne ravivera la couleur
sonore de ce que captaient mes tympans,
de ce qu'ingurgitaient mes neurones). A
travers le plateau, une clé de vingt et
un rebondit vers le visage empourpré du
guitariste dont un rictus découvrit les
dents de lapin. Seuls, ses yeux étaient
masqués par un loup de velours blanc et
il avait enfoncé deux oreilles de lapin
dans le serre-tête en éponge orange qui
fixait ses cheveux autour de son crâne.

Corbeau, kangourou et lapin étaient une
fois de plus réunis alors qu'étaient si
nombreux les témoins de ce concert. Une
vision transfigurée parmi la cacophonie
électrique qui pilonnait les murs de ce
bunker autoroutier, voilà ce que Sister
bénissait d'un acquiescement postérieur
et sensuel. Quelqu'un me passa un godet
en matière plastique empli d'un liquide
brun. C'était du café. Je le bus. On me
tendit à nouveau un gobelet et j'avalai
six tasses de café à la suite. (J'étais
devenu un clochard du monde spirituel.)

L'image de Laure qui dort traverse l'un
de mes hémisphères cérébraux. Le tapage
et la caféine conjugués m'excitaient de
façon absurde. Je pris conscience aussi
de la fragrance sudoripare et tabagique
qui bouffissait l'atmosphère. La viande
empêchait ainsi toute transformation de
l'espace en temps et réciproquement. Ce
café était vraiment fort. Au bord de la
rampe, le bassiste à tête de corbeau se
pencha. J'agrippai violemment sa jambe.

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mardi 12 avril 2011

La limace à tête de chat (12)

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lundi 11 avril 2011

SOMBRE DUCASSE 14

CHAPITRE IX

LA BERCEUSE DE JOHNNY ROTTEN.

"Là où vous êtes maintenant", à brancher les boules colorées. Couleurs éclatées des filles-garçons fleurs. Ne pas mentionner les investigations de sherlock krishnamurti. Votez oui, inquiets de savoir si les gouvernements-zéros ne cliquettent les frontières de cette scie-planète.
Les émeutes sont individuelles.
Faisant glisser l'extrémité ensalivée du majeur de la main droite sur le dessous de peau de muqueuse ah h h h h h h h h h h
Soufflant albert ayler la liste des suicidés de la roquemusique & le spectaculaire acide qen qesey avec des bandes magnétophoniques à décalage variable dans la troisième oreille h h h h h h h h h
Redessinant le voyage aller grâce au ticket qui m'explose : purple pill h h hé héhé hé
Brandir le numéro zéro anathème. Diaporama à Treblinka. Kaddish parfumé à la violette. Tristesse colloque mou des phraseurs cerises.
Je capture mes livres à l'aide d'un lasso de nylon après m'être échappé de la maison-couvent. L'abbé Catalogue me montre le désert brun par la fenêtre et me fait allonger. Deux vieillards édentés me caressent longuement. Wet Dream Festival. Puis je saute par la fenêtre & dans le désert brun. Je marche parmi la foule. Plus loin, dans le désert brun, je rencontre ce chien aux ailes multicolores. Il serre un épi de blé gigantesque dans sa gueule.
Réveillez-vous, nous sommes arrivés. J'ai mis les choses noires sur blanc. J'ai retiré mes épingles du jeu. Je ne peux pas m'empêcher de montrer. L'image de l'image. J'en suis toujours au travail famille patrie le tréteau populaire et la revendication.

"La berceuse de Johnny Rotten" publié en octobre 1981 dans ANTHOLOGIE 80 (Le Castor Astral & L'Atelier de l'Agneau, éd.)

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vendredi 8 avril 2011

Lavage

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jeudi 7 avril 2011

Le lapin mystique (14)



Le lapin mystique


par Lucien Suel

14





Nous avons décidé de laisser les chairs
du lapin se reposer jusqu'au lendemain.
Le topinambour cuit dans l'eau bouillie
fut notre unique nourriture ce soir-là.

Je savais pourtant que ce tubercule est
douloureux à mes intestins fatigués. Je
les martyrisais. Au long de la nuit, le
vacarme héroïque des torturés rugissant
dans leur retraite s'ajoutait à la rude
déclamation des mendiants mystérieux de
l'enfer alcoolique qui me pétrissait le
ventre. Je ne veux pas briser les rêves
de Laure qui gémit à mes côtés. Ma tête
se gonfle de questions. Je sue sous les
draps. Je me frictionne le nombril d'un
doigt rageur. Le mystère du foie perdu,
la furie nécrophage des corbeaux, cette
nonne mécanicienne venue de nulle part,
autant d'extravagances qui bouleversent
mon esprit ravagé. Je n'y tiens plus et
je quitte ma couche. Je moissonne toute
la panoplie de mes vêtements et je sors
de la chapelle clandestinement. La lune
gonfle entre les nuages. Un éther frais
et vaporeux caresse mes oreilles. Assis
sur les marches, j'enfile mon pantalon.

En sanglant la ceinture, je me rappelle
la bouche de la Soeur. Je descends vers
le fossé. L'eau a retrouvé son calme et
le ciel se reflète dans les eaux noires
et grasses. De tremblotantes émanations
frôlent la surface de l'eau. Je me mets
en marche d'un pas énergique. La rumeur
lointaine de l'autoroute est un signal.

Je sais où je vais. Le frémissement des
herbes dans le courant traversé par les
nuages se mêle au bruit de mes pas dans
la nuit fraîche et humide. Je me dirige
vers le vacarme du trafic. Au loin, les
phares des poids lourds mitraillent les
haies. Je sais où je vais mais je pense
aussi à Laure qui dort là-bas, au lapin
froid dans son linceul blanc et violet.

Je me souviens de ma première rencontre
avec Laure dans une clinique retirée au
milieu des champs de betteraves. Toutes
les sueurs de la désintoxication et des
fièvres remontent dans mon esprit quand
elle me tendait le bassin. Je la revois
constamment quitter la chambre avec son
doux balancement des hanches dans cette
blouse blanche serrée à la taille, et à
la porte, se retourner avec un sourire,
lèvres offertes. C'est une autre crampe
qui assaille mes entrailles. Avaler cet
indigeste légume aura été une erreur de
ma part. Je n'en peux plus. Je m'arrête
au bord du fossé. Je me soulage dans la
clarté sélénite. C'est dans le ruisseau
que les matières s'écoulaient... La vie
va son cours. Les éclaboussures séchées
par une poignée de feuilles, je marchai
de nouveau dans la direction des lueurs
de l'autoroute. Mes pas faisaient vivre
les visions alternées du lapin tailladé
et de Laure en coiffe d'infirmière. Mon
oeil intime zigzaguait sous l'os de mon
front. Je parvins enfin au grillage qui
ceinturait l'autoroute. Les véhicules y
vrombissaient, déplaçant des claques de
vent poussiéreux, parfumé de mazout. Je
poussais des hurlements de joie dans le
tumulte de la nuit chaque fois que l'un
d'eux me croisait. Le grillage de métal
s'arrêta, fut remplacé par des arbustes
rabougris étagés en lignes sur la pente
du talus que j'escaladai en me tenant à
l'extrémité des branches. Le sol moussu
glissait. De l'autre côté, en bas de la
pente, le parking illuminé était rempli
de bus, d'automobiles, de motocyclettes
rutilantes sous la lune. Je demeurai un
instant immobile au sommet du talus. Au
milieu du parking se dressait un énorme
parallélépipède de ciment gris surmonté
d'un panonceau clignotant. Le néon vert
écrivait "MYSTIC", alors, le néon rouge
écrivait "RABBIT". "MYSTIC RABBIT". Mon
parcours se terminait ici. Bien que les
portes eussent été fermées, le bâtiment
exsudait une lourde rythmique de rock'n
roll qui recouvrait parfois le bruit de
la circulation. Mais ce sont mes jambes
qui dirigent et je dévale le monticule.

En traversant le parking, je reconnais,
devant les portes de la discothèque, la
longue auto noire de Ma Soeur Marianne.

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mercredi 6 avril 2011

Mais lis mes lots (2)

Sur le site de Parade, revue d'art et de littérature, un entretien réalisé par des étudiants de l'Ersep de Tourcoing en janvier 2003 pour le n° 1 de la revue.

Ce n’est pas dans le journal que j’ai appris la mort de Pierre Courtaud par une matinée d’oiseaux blancs dans le ciel. Un bel hommage de Sylvain Courtoux au poète éditeur de La Main courante.

Frank Doyen poèmexpresse sur le blog Tapages.

Souvenir du Café-Poésie à la Bibliothèque municipale de Liévin.

Opération Sauvegarde du sourire sur le blog de Jérôme Leroy. Voir l'ensemble des participations. Voir une participation particulière.

Contribution à une histoire de la poésie concrète, un article de Didier Moulinier.

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mardi 5 avril 2011

Agent Orange

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lundi 4 avril 2011

SOMBRE DUCASSE 13

CHAPITRE VIII

HEARTLESSNESS / HURTLESSNESS / HEURTLOCHNESS.

1
... C.G. trop affaibli ne résista pas au sommeil. Il s'endormit. Un bruit sourd fit craquer son rêve dans le ventre du navire. Une torpille venait de pénétrer la coque par l'arrière.

C.G. fut éjecté de son lit par les gueulements des passagers. Il se lança dans le couloir. Les passagers affolés n'observaient aucune consigne et se ruaient à l'assaut des coursives comblées.

C.G. fut renversé piétiné compressé par des femmes déchaînées, des hommes hagards. Malgré le calme et la dignité des officiers d'équipage, le navire était en proie à la panique.

C.G., brisé de désespoir et d'épuisement était seul à présent, au fond du couloir sombre. Il lui semblait entendre comme un sifflement de gaz. Le Commandant passa près de lui sans y prendre garde.

C.G. le suivit en rampant jusqu'à la salle des machines. Un beau mécanicien le prit dans ses bras et, encadré par les servants de la machinerie, le couple s'élança sur les traces du Commandant. Il s'élevait des cales un vacarme de catastrophe. En débouchant sur le pont, la petite troupe eut dans la vue un spectacle effroyable effrayant. On embarquait en vitesse. C'était le sauve qui peut sans ménagements, égoïste. Le peuple se poussait, se battait, revendiquait, suant d'angoisse, saisi par une atroce panique.

C.G. savait qu'il y avait trop de passagers et qu'il n'y aurait pas assez d'embarcations de sauvetage. Au milieu de cette débandade, plusieurs marins, étonnamment calmes, dégageaient les femmes, écartaient les poltrons, cognaient à poings fermés sur des mufles hébétés. L'océan se recouvrait de baleinières radeaux bouées têtes de nageurs. Horrible vision.

C.G. pétrifié appuyé contre le bastingage. Une masse hurlante s'écrase sur lui. Il est précipité dans les flots sombres. La mer lui donne une claque formidable et se referme sur lui dans un embrassement glacial.

C.G. rue griffe déchire la mer. Malgré lui, un sanglot obstrue sa gorge. Sur l'eau salée, deux mille destins différents, en présence de la mort, projetés hors d'eux mêmes, lâches braves grotesques sublimes normaux. Les radeaux sont surchargés et on repousse ceux qui voudraient s'y hisser.

C.G. sent qu'il n'a rien à attendre de personne.
à suivre...


2
Alors que la nuit commence à tomber, quelqu'un dans une chaloupe rugit comme un fauve : "UN TORPILLEUR !...
NOUS SOMMES SAUVÉS !
NOUS SOMMES SAUVÉS !"

"Heartlessness / Hurtlessness / Heurtlochness" publié en avril 1981 dans le N° 5 de la revue JUNGLE - L'indifférence, (S. Safran & J.-Y. Reuzeau, éd.)

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vendredi 1 avril 2011

Langue morte

posted by Lucien Suel at 09:11 2 comments