CYCLE DU BASILIC (V) par Laurent Margantin
V
ROTHÉNEUF
Et là-bas, sur la côte, vous verrez des visages
Coup de tonnerre géologique, avait dit le poète
en parlant de Piana, roches chaotiques
mues vers le ciel par des forces
qu'il faut bien qualifier d'obscures, l'orange et le rose
mêlés le soir, puis tournant au rouge,
la mémoire encore travaillée par ces couleurs et ces formes
minérales sauvages, félines —
c'était d'ailleurs le mois du lion,
la mer, je l'ai presque oubliée,
aussi cette mer de Bretagne, là où m'avait guidé le hasard,
comme une chute là aussi,
l'homme à peine éveillé,
l'homme aux oreilles rompues,
comment pouvait-il prêcher à ses ouailles,
lui qui n'entendait ni ne parlait,
lui qui ignora longtemps les êtres qui l'habitaient,
des pirates en cette âme de curé !
Univers infernal :
la côte sculptée à l'image de son chaos...
À un endroit j'ai reconnu Gauguin qui,
pas loin, avait planté ses toiles, dans la recherche tâtonnante
lui aussi, sentant obscurément les forces qui parcourent les formes,
mais aurait-il pu imaginer qu'en allant sur ces terres en païen
son visage resurgirait dans le granit
à travers les mains extravagantes d'un prêtre ?
Le peintre de profil,
éternisé dans la roche, inconnu.
« Bonjour, monsieur Gauguin », aurait dit
le prêtre à la barrière.
Et l'on descend encore,
vers la mer dont les formes
créées par les courants ont peut-être rêvé
un jour le Léviathan, et des faces naïves plongent
avec le monstre, s'évanouissent, reviennent,
selon le rythme des vagues de lumière.
Rouge, orange, rose, et aussi le blanc calcaire du matin.
Laurent
Margantin vit à la Réunion,
il écrit & traduit quotidiennement
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