vendredi 26 février 2021

CYCLE DU BASILIC (V) par Laurent Margantin

 V


ROTHÉNEUF


Et là-bas, sur la côte, vous verrez des visages


Coup de tonnerre géologique, avait dit le poète

en parlant de Piana, roches chaotiques

mues vers le ciel par des forces

qu'il faut bien qualifier d'obscures, l'orange et le rose

mêlés le soir, puis tournant au rouge,

la mémoire encore travaillée par ces couleurs et ces formes

minérales sauvages, félines —


c'était d'ailleurs le mois du lion,


la mer, je l'ai presque oubliée,

aussi cette mer de Bretagne, là où m'avait guidé le hasard,

comme une chute là aussi,


l'homme à peine éveillé,

l'homme aux oreilles rompues,

comment pouvait-il prêcher à ses ouailles,

lui qui n'entendait ni ne parlait,

lui qui ignora longtemps les êtres qui l'habitaient,

des pirates en cette âme de curé !


Univers infernal :

la côte sculptée à l'image de son chaos...


À un endroit j'ai reconnu Gauguin qui,

pas loin, avait planté ses toiles, dans la recherche tâtonnante

lui aussi, sentant obscurément les forces qui parcourent les formes,

mais aurait-il pu imaginer qu'en allant sur ces terres en païen

son visage resurgirait dans le granit

à travers les mains extravagantes d'un prêtre ?


Le peintre de profil,

éternisé dans la roche, inconnu.

« Bonjour, monsieur Gauguin », aurait dit

le prêtre à la barrière.


Et l'on descend encore,

vers la mer dont les formes

créées par les courants ont peut-être rêvé

un jour le Léviathan, et des faces naïves plongent

avec le monstre, s'évanouissent, reviennent,

selon le rythme des vagues de lumière.


Rouge, orange, rose, et aussi le blanc calcaire du matin.

 

Laurent Margantin vit à la Réunion,
il écrit & traduit quotidiennement sur les blogs suivants :
www.laurentmargantin.com
www.oeuvresouvertes.net
et
www.journalkafka.com 

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posted by Lucien Suel at 07:26