Lucien Suel interviewé par Nicolas Tardy , avril 2003 (6/7)
Tu as travaillé en collaboration avec le peintre et graveur William Brown, avec ta femme Josiane (photographe). Quelle incidence cela a eu sur ton écriture ? En fait, c'est le produit fini, c'est plutôt l'objet final qui est la collaboration parce qu'on travaille quand même chacun de son côté. Soit William dessine d'après mes poèmes ou l'inverse et la plupart du temps d'ailleurs c'est comme cela que ça se passe, c'est moi qui écris d'après ses gravures ou ses peintures. La collaboration c'est le résultat final, parce qu'en fait on n'a pas le même vocabulaire. Mais c'est intéressant, il y a quand même une influence quand j'écris d'après ses dessins. Il me fournit un sujet, il m'oblige à produire des choses auxquelles je n'aurais pas pensé, ce que je disais, j'aime bien qu'on me sollicite, et William a souvent des idées bizarres qui me provoquent, il a un côté très fantaisiste, alors il me propose toujours des surprises. Pour
Newport Guarbecque Revelation, un jour, il me téléphone en me disant avec son accent anglais-canadien-français «J'ai eu la vision de la petite église de Guarbecque [village natal de Lucien Suel] qui descendait du ciel au-dessus du pont transbordeur de Newport comme la Nouvelle Jérusalem ! ». Voilà, ça surprend. Finalement je m'y mets, j'écris et ça marche. On a aussi présenté tout ce qu'on avait fait ensemble dans un théâtre à Lille, une vraie collaboration pour le coup. On était tous les deux sur scène, la salle était pleine et c'était vraiment intéressant parce que j'ai lu des textes et en même temps William a lu certaines traductions des textes, non pas en anglais, ça aurait été un peu facile, mais il les a lues en gallois. Pour la performance avec le poème
Guarbecque Newport Revelation, pendant que je lis bras tendus, le texte se déroule et me passe au-dessus de la tête comme un pont, en même temps William dessine ce qui a inspiré le poème. Nous avons aussi montré des diapositives de ses peintures. Mais le plus impressionnant c'est quand on a lu les poèmes extraits de notre
Bestiaire. J'ai lu une comptine que j'avais écrite pour lui, la
Comptine du loup-garou. William est très intéressé par les histoires de loup-garou. Pendant que je lisais le texte en français, William se préparait derrière moi et d'un seul coup il y a une douche rouge qui l'éclaire. Il avait mis sa veste à l'envers, avait enfilé des mitaines avec des poils, un énorme masque de loup-garou et s'avançait vers le public en récitant le poème du loup-garou en gallois, une langue complètement improbable à Lille ! Moi j'étais dans le noir et je voyais les gens qui étaient pliés en deux dans la salle. Ça les a super-impressionnés.
Avec William on s'amuse beaucoup. Cette collaboration me permet aussi d'avoir un côté international. J'ai lu à Londres, j'ai lu au Pays de Galles... Je me suis même mis à la lecture en anglais, l'an dernier dans un pub à Cardiff. J'ai pas mal de textes traduits en anglais et je vais en faire un montage.
Traduits par William ? Pas toujours par William. Les textes en anglais, je les traduis souvent moi-même. Je me méfie un peu de William parce qu'il introduit des éléments perturbateurs dans ses traductions.
Une réécriture ? Oui, oui, oui. Je me souviens que j'avais une phrase, c'était : "les chaussettes retournées du Saint-Esprit" et lui il avait traduit ça par
"les chaussettes pas lavées du Saint-Esprit". Il transforme un peu mes textes, je suis obligé de surveiller de très prés.
Pour ce qui est de la collaboration avec
Josiane, pour l'instant ça s'est limité à la publication du livre
Visions d'un jardin ordinaire, des poèmes que j'ai écrits d'après ses photographies. Au départ c'est pas une vraie collaboration dans la mesure où j'écrivais ces poèmes pour la revue
Le jardin ouvrier et les poèmes étaient publiés sans images - puisque de toute façon dans
Le jardin ouvrier il n'y avait jamais d'images - et c'est seulement après, quand il s'est agi de faire le livre que c'est devenu une collaboration. Parce que moi j'avais choisi des photos un peu au hasard et certaines ne lui plaisaient pas. Elle les a donc enlevées et il y a eu certains textes que j'ai réécrits parce qu'elle m'a suggéré d'autres photos. Ce livre est vraiment une collaboration. Quand on le présente, si on expose les photos de Josiane, je fais une lecture des textes. La collaboration, ça vient aussi naturellement quand on fait du Mail Art, parce que dans le Mail Art il y a beaucoup de
projets en collaboration, des petits livres ou des feuilles qui circulent sur lesquelles on peut ajouter chacun ses trucs.
Une histoire de générosité aussi ? Oui, il y a ça, il y a le côté gratuit, le don qui me plaît bien aussi.
Donner des choses face à l'ambiance générale.
You collaborated with the painter and engraver William Brown, and with your wife Josiane (photographer). What repercussions did that have on your writing? Actually,the final product is the real matter of our collaboration because everyone works on their own. Sometimes William paints or draws after my poems, sometimes it's the contrary and mostly that’s the way it happens. I write after his engravings or paintings. The collaboration is in the result, because we don't share the same vocabulary. But it's interesting because he gives me a subject, I'm forced to produce things I wouldn't have thought of. As I said before, I like to be sollicited, and very often, William gets funny ideas that provoke me. He's a very fanciful guy, and he always surprises me. For example, about Newport Guarbecque Revelation, one day he called and began to explain to me in his Canadian French English accent: "I had a vision, the little church of Guarbecque (my native town) was coming down the sky over Newport transborder bridge, just like the New Jerusalem!" This is very surprising. But finally, I tried to write, to transcribe and it worked. Once, we had the opportunity to present our collaborative work in a little theater in Lille. We were together on stage, the theater was crowded. it was very interesting because I read the poems and William read some translations, but not in English, too easy, he read in Welsh. During the Newport Guarbecque Revelation performance, while I was reading the poem, my arms out and the text unrolling over my head like a bridge and falling on the floor, William was drawing the vision that inspired the poem. We also showed slides of his work. The most impressive moment was when we presented some poems from our common bestiary. I read a rhyme I wrote especially for him. It's the Werewolf Rhyme. William is very interested in werewolf stories. While I was reading the poem in French, William was preparing himself behind me in the shadows. Suddenly a shower of red light illumined him. He'd pull on his jacket back to front, some hairy gloves and an awful werewolf mask and he was heading towards the audience reciting the poem in Welsh which is a very strange language here in Lille. I stayed in the dark and could see people laughing crazily. They were quite impressed. We really enjoy being together William and I. And it's an international collaboration. I gave readings in London, in Wales. I'd even tried reading in English, in a pub in Cardiff. Some of my poems have been translated into English and I'm going to put them together for a reading.
Did William translate them? Not always. I very often translate my poems by myself. I'm a little bit suspicous about William because he can introduce disturbing elements in his translations.
Rewriting? Yes, absolutely. I remember this verse: The inside out socks of the Holy Ghost, it became The unwashed socks of the Holy Ghost. He sometimes modifies my texts. I have to be very careful about that.
Now, to have a word about my collaboration with Josiane, at the present time, the only project was the book Visions of an Ordinary Garden, some poems I wrote after her photographs. In the beginning, it wasn't really a collaboration because I was writing these poems for a poetry mag (Le Jardin Ouvrier) and they were published without the pictures - anyway there were no pictures at all in this mag - and later, when I collected the poems for the book, it became a collaborative work. Because I'd chosen the photographs a little bit by chance and Josiane didn't agree with my choice. So she removed some of the pictures, and I wrote other poems after other photographs she'd proposed to me. So the final result was a real collaboration. When we present the book, we can have at the same time an exhibition of Josiane's photographs and I give a public reading of some excerpts.
You know, when you've been used to Mail Art, collaborative work happens naturally. In the Mail Art Network, you're often invited to collaborate in collective projects, on-going projects, to add to & pass on collaborations...
A matter of generosity too? Yes, really and the fact that it's free, it's a gift. Giving your art for free when you think of the general environment...
Suite et fin : Interview 7