Les bonheurs de Mauricette
Vous connaissez le refrain. On le trouve ici, aussi, en exergue du roman : « Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec...». C'est la seule déception du livre. On voudrait tant pouvoir la croiser, dans la vie, cette Mauricette. La suivre sur les routes de Flandres, entre Dunkerque et Hazebrouck, Wittebecque (?) et Aire sur la Lys. Marcher dans son potager au printemps, fouiller dans ses disques. La regarder lire, préparer
une tarte, ses semis, des pommes au four...
On aime ce qu'elle aime (les romans noirs, plutôt des auteurs récents et étrangers, les listes à la Jules Verne, la poésie qui chante, sa façon si particulière d'élaguer sa bibliothèque...) et forcément, des gens vont l'aimer.
Blanche d'abord, rencontrée dans une librairie. Une romanesque coïncidence (Dieu, au boulot, incognito?), puis la famille de Blanche, surtout ses deux fils, Augustin et Benoît. Ils vont l'aimer, comme on l'aime. Le lui faire sentir, de plus en plus.
L'auteur s'y entend comme personne pour le behaviorisme à la française. Il fait du roman, terrain littéraire de liberté absolue, une chambre d'écho poétique. Sans en avoir l'air, par touches. Pointillisme en mots, sensations, doubles croches.
Car il est aussi beaucoup question de musique dans ce nouveau livre. Blanche donne des cours de chant et initie Mauricette à cette communion harmonique entre les vivants et les morts.
Les silences deviennent précieux. Ceux qui suivent une phrase de Lucien Suel sont encore du Lucien Suel.
Mais ne vous y trompez pas, Mauricette n'a rien d'une grand-mère guimauve, aux cheveux violets, dégoulinante de trop bons sentiments. Plutôt un côté Marple dans ses détestations. En moins de sept lignes, elle expose l'évidence de la nécessaire décroissance, n'aime pas la chasse, encore moins les avions de. Quant aux quads, aux régimes minceur et aux journaux gratuits, on vous laisse imaginer...
Elle sait cependant aimer et faire aimer. La ligne claire en BD, le trop ignoré roman de Carol Ann Lee, les auteurs américains avaleurs de grands espaces...
Si «les livres sont le mobilier de l'intelligence », l'écrivain, ici, se fait maître ébéniste et marquette l'ensemble en multipliant les reflets.
Il sait ne pas rendre le verbe obligatoire dans une phrase, s'amuse des rythmes, des sons.
Et transforme ce 'parce que c'était elle, parce que c'était moi', en histoire universelle que l'on a envie de faire circuler. Pour la sagesse du monde, pour un bonheur simple. Là, à portée de cœur.
Un article de Frédéric Launay dans Eulalie n°9, février 2012.
« Blanche étincelle » de Lucien Suel. 232 pages. Éditions de la Table Ronde
Libellés : Blanche étincelle, Lucien Suel, Mauricette B.