jeudi 30 septembre 2021
lundi 27 septembre 2021
vendredi 24 septembre 2021
Venir au vent (VII) par Laurent Margantin
Au port de santa teresa
C'était il y a tout juste dix ans
I
Arrivé au port de Santa Teresa
à la pointe nord de la Sardaigne
une curieuse et immense fatigue
m'enveloppa
fatigue de bout du monde
que je connaissais bien
pour l'avoir éprouvée en d'autres lieux
après plusieurs nuits de veille
et de mauvais sommeil
mais ce quai, ce rivage
m'étaient étrangement familiers
ce n'était plus l'isolement glacé de l'île de Vaeroy
au large des Lofoten en Norvège
où j'avais débarqué un de ces jours
de grande lumière nordique
ce n'était pas non plus la blancheur de la Camargue
qu'un jour d'hiver j'étais allé traverser
non, cette fatigue était différente
Rome bourdonnait encore dans mon esprit,
voix fortes dans la cour de la pension
près de la gare après minuit,
et aussi le silence vivant de ses jardins, une autre vie
en cette vie, dit le poète d'outre-Atlantique,
vie montant des choses les plus simples,
les plus invisibles
puis à Civita-Vecchia
pensant à Stendhal
qui y avait vécu quelques années
et dont j'avais lu alors
bien sûr la Chartreuse de Parme
(un des souvenirs de lecture de mon père
qui me l'avait conseillé quand j'étais adolescent
- il avait gardé le livre parmi quelques-uns à la cave)
mais aussi les si prenantes Chroniques italiennes
qui m'avaient fait sentir ce qu'était
une écriture allègre et forte
à Civita-Vecchia j'avais eu toute une journée
pour flâner sur le port et errer sur la côte,
mauvais rochers où l'on ne peut rester assis
et que l'on quitte sans regret
et la nuit était venue
versant totalement opposé
de ce jour ensoleillé et brûlant
(comme tous ceux que j'avais passés à Rome)
une nuit froide et profonde en mer,
embarqué sur ce navire
en partance pour la Sardaigne
au milieu d'une foule bigarrée et nerveuse
d'avoir attendu jusque tard dans la nuit
pour pouvoir monter à bord
toutes les foules qui embarquent
sont mues par un sentiment de panique
qui rappelle les jours de mobilisation
ces images de film où l'on voit
des couples se séparer,
des enfants tirés par leur mère,
des marées humaines se créer en quelques instants
dont le mouvement est très aléatoire
mais des Italiens, des Italiens
montant à bord d'un navire bientôt bondé !
J'avais pu me réfugier à l'avant
à l'abri tout de même parce qu'il faisait froid
et j'espérais pouvoir dormir un peu
afin d'oublier la foule
Laurent Margantin est un auteur et traducteur vivant à la Réunion. Il a publié plusieurs récits (Aux îles Kerguelen, Le Chenil, Roman national) aux éditions Œuvres ouvertes et des poèmes dans plusieurs revues. Il travaille depuis plusieurs années à une édition critique du Journal de Kafka accessible en ligne (www.journalkafka.com). Dernière publication : Les Carnets du nouveau jour /3 (éditions Œuvres ouvertes)
Libellés : Invité du Silo, Laurent Margantin, Poésie, Venir au vent
jeudi 23 septembre 2021
lundi 20 septembre 2021
vendredi 17 septembre 2021
Venir au vent (VI) par Laurent Margantin
AU CONFLUENT
IV
C'est un territoire
immense,
certains jours il me semblait que j'étais endormi
à la
barre, mais mon fils à mes côtés me secondait
nous croisions
des embarcations aux
noms étranges dont je n'ai
plus le souvenir et qu'hélas je n'ai pas notés
un jour, j'étais à Arles,
au bord du Rhône, au loin
le ciel blanc de la Camargue éclairait l'horizon,
curieusement j'avais la sensation que fleuve et terre
étaient mêlés,
qu'on ne pouvait plus distinguer l'eau des berges,
et non plus séparer la terre du ciel,
le fleuve m'avait conduit là,
en ce point du monde où
les mots et les pensées se confondent
avec l'énergie qui parcourt toute chose,
être ou pierre, fluide ou matière organisée,
hommes ou animaux, nous sommes animés
par ce souffle,
et je marchais, marchais, emporté
une nouvelle fois dans le grand flux général,
oubliant jusqu'à mon nom,
oui, je me souviens
à la hauteur de Valence après des journées d'un
temps couvert et pluvieux le
ciel s'éclaircissait
et il
nous semblait que nous étions projetés dans
un autre espace espace intérieur et espace
géographique tout à la fois
... nous allions vers la mer...
murmures de la marée,
flots frottant la coque,
maisons orange et blanches sur la rive,
un oiseau se lève et hésite,
gestes plus souples,
appareillage, appareillage...
Laurent Margantin est un auteur et traducteur vivant à la Réunion. Il a publié plusieurs récits (Aux îles Kerguelen, Le Chenil, Roman national) aux éditions Œuvres ouvertes et des poèmes dans plusieurs revues. Il travaille depuis plusieurs années à une édition critique du Journal de Kafka accessible en ligne (www.journalkafka.com). Dernière publication : Les Carnets du nouveau jour /3 (éditions Œuvres ouvertes)
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jeudi 16 septembre 2021
vendredi 10 septembre 2021
Venir au vent (V) par Laurent Margantin
AU CONFLUENT
III
Jean-la-péniche,
tu as la casquette bleu foncé du batelier
et la vareuse de même couleur,
la face rouge au soleil de la glace du bar
dont tu as connu toutes les bouteilles un jour,
tu as la mauvaise humeur
enfoncée dans la chair,
maugréant à la moindre averse,
à la moindre remarque,
Jean, as-tu jamais quitté les rives de la Seine ?
elles sont belles en été, ces rives surtout à Evry où vit la sœur de ma femme institutrice là-bas le dimanche nous lui rendons quelquefois visite et allons marcher du côté de l'écluse
chutes d'eau, au-dessus
on avance sur un pont
qui mène aux champs de blé,
cela doit être beau de passer là,
en route sur le fleuve,
porté simplement par le courant,
je suis allé en Allemagne aussi,
je te lirai des passages de mon carnet de bord car moi qui ne suis pas écrivain j'ai eu besoin de dire le bonheur de naviguer et la joie de sentir devant soi s'ouvrir l'océan sans jamais pouvoir l'atteindre oh, sans doute trouveras-tu ces pages bien naïves,
longues marches à longer le fleuve
sur sa rive occidentale, là-bas
le Main se mêle aux eaux folles
dans la plus belle indifférence des quelques passants,
et je pense aux mots qui expriment le passage
et la souplesse, ce qu'on appelle en allemand
Geschmeidigkeit,
je pense aux mots qui parlent
du vol de la mouette et du flux du fleuve,
vaste fleuve parti vers les terres du nord,
vol qui ne cessera jamais d'être essor,
eaux libres de l'esprit,
gestes presque aériens,
certains jours à aller ainsi sur l'eau attentif aux courants et au vent on se sent soi-même devenir fleuve quelque chose de plus grand de plus fluide de plus ouvert et de plus vivant
car ce fleuve est éveil,
depuis la source jusqu'à l'estuaire,
sourde poussée de l'amont, qui,
jour après jour, conduit
à un espace plus clair,
et je rêve encore de ce mot,
essor,
dont j'ai retrouvé la sève dans de vieux
dictionnaires,
autrefois,
dans une langue qui ne servait encore aucun État,
avant toutes les académies,
on disait
une fenêtre dont il venoit un peu d'essor,
c'est-à-dire un peu d'air,
on disait aussi,
estre a l'essor pour
« être soulagé », « se sentir libre »,
et dans certains textes de Chrétien de Troyes
on trouve essor pour exprimer l'origine,
comme si prendre son essor,
s'exposer à l'air et à la lumière
était l'acte originel
antérieur à toutes les fondations étouffantes,
curieuse errance
dans les flots de la langue
que je réalisais en suivant le fleuve
et en contemplant les vigoureux mouvements
de l'oiseau,
curieuse errance
des chemins de halage de la Seine
aux berges rhénanes,
parcourant un sentier
au-delà des géographies séculaires
de la France et de l'Allemagne,
mais saurais-je t'en parler à toi qui me regardes
et me parles assis au fond de ce café de Conflans?
ou bien à toi que je croise au bord du Rhin?
Laurent Margantin est un
auteur et traducteur vivant à la Réunion. Il a publié plusieurs récits (Aux
îles Kerguelen, Le Chenil, Roman national) aux éditions
Œuvres ouvertes et des poèmes dans plusieurs revues. Il travaille depuis
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