ÉBRANLEMENT
PNEUMATIQUE
Je
rentrais du Cap Gris-Nez,
le
soleil déclinait dans mon
dos.
Mes yeux dévoraient les
verdures
du paysage mouvant.
L'étrave
dure de la voiture,
insatiablement,
déchirait la
vibration
aérienne. J'étais.
Nue,
immense et voluptueuse,
couchée
sous le ciel laineux
et
chaud, une femme ondulait
doucement
sur des kilomètres
de
collines. Sa chair nimbée
de
soleil luisait suavement,
épousant
la molle rondeur du
relief
boulonnais : mamelons
blancs,
éminences grises des
monticules
du Pas-de-Calais.
Sur
l'herbe verte et vivante
des
prairies, cette créature
se
lovait, s'allongeait, les
reins
creusés, puis le torse
offert
au vent. Elle vivait.
Les
ballottements du fessier
laboureur
tatouaient le trou
noir
de ma pupille d'un clip
subliminal.
Brutalement, mon
bras
droit jaillit à travers
le
pare-brise pour se nicher
dans
l'ombre rase entre deux
rotondités
géologiques. Dans
la
joie rotatoire, les roues
de
la Talbot rouge mâchaient
le
macadam rutilant. Le sang
séchait
lentement le long de
mon
bras. Ma bouche ouverte,
telle
un vide-pomme ambulant
et
horizontal découpait dans
l'espace
un long cylindre de
transparence.
Au fond de mon
pharynx,
venait s'écraser le
vol
des criquets, moustiques
et
autres insectes surpris à
contretemps
par la vélocité.
De
la main gauche, laissée à
l'intérieur,
je chatouillais
le
volant de plastique brun.
L'autre
main vagabondait sur
les
fanfreluches naturelles,
soyeuses
et parfois humides,
qui
couvraient le sol lascif
en
cette région. Des reflets
du
soleil couchant lançaient
des
oeillades dans le miroir
du
rétroviseur. J'avalais la
bouillie
chitineuse. Sur mon
visage
épanoui, ruisselaient
des
larmes de joie que l'air
en
mouvement rapide chassait
latéralement.
Mes poumons de
cellophane
psalmodiaient les
louanges
de l'oxygénation. A
Lumbres,je
décidai d'enfiler
l'autoroute
A26, sortie près
de
Lillers. Les yeux fermés,
j'écoutais
battre le tambour
cardiaque.
J'étais à l'aise.
Plus
personne n'existait ici
avec
moi, seul sur la route,
raide,
sur le siège de skaï.
La
vaste sylphide était sous
le
châssis de la voiture, la
peau
collée aux tubulures et
moi,
je jaillissais à 13O km
à
l'heure dans son ventre nu
et
brûlant. J'étais vivant !
Colonnes dénudées (1994) fut mon premier recueil de poèmes en vers justifiés (ou arithmogrammmatiques)