Ceci est une pipe.
(Description de mon utilisation du ready-made en poésie élémentaire)Les mots n'appartiennent à personne. Je considère la masse de mots et d'images existants comme un matériau, un gisement, une mine. Je l'exploite, je la creuse, je coupe, je plie, je compte, je décompte, je détourne, je contrains, je trouve, j'empaquette, je caviarde, je troue, je déchire, je brûle, je dissimule, je tache, je colle, je mixe, je saisis, je détruis, je tamponne, je dessine, je griffonne, je biffe, je substitue... C'est le recyclage des déchets chus.
A force de pomper la réalité, je parviens parfois à l'illumination, au satori complet.
Ainsi donc, sérieusement, la poésie élémentaire peut (doit) être faite par tous, à partir d'éléments existants (ready-made intégral ou R.M.I., ready-made illustré ou R.M.I., cut-up, fold-in, détournement, poème trouvé,...) ou à partir de contraintes formelles (justification ou comptage des signes typographiques, comptage des syllabes ou des mots, dactylogramme, calligramme, acrostiche, palindrome, procédés oulipiens). Elle apparaît aussi sous forme de poésie sonore, poésie visuelle, poésie-action (incluant la performance, le happening). La diffusion de cette poésie élémentaire se fait dans le mail art, les revues, les expositions, les lectures publiques, les radios et télés libres, le fax, par l'utilisation de la photocopie, du scanner, et l'internet...
Voici trois poèmes ready-made. Mon premier est le ready-made des ready-made, mon second est le ready-made des matériaux, mon troisième est le ready-made des procédés de fabrication des ready-made. Mon tout est une pipe.
1.
ready-made des ready-made
liste des ouvrages du même auteur, de la même collection,
composition des produits, aliments, médicaments,...
recettes de cuisine, courrier des lecteurs,
catalogue, liste de titres, alexandrins trouvés,
haïkus trouvés, faits divers, emballages et sachets,
témoignages d'utilisateurs de produits divers,
publicités anciennes ou récentes,
textes en langue étrangère, étiquettes de produits,
catalogues de graines, de fleurs, listes diverses,
tickets de magasins, tickets de caisse...
2.
ready-made des matériaux
les manuels scolaires, surtout pour les exercices à trous,
les dictionnaires illustrés, les mots croisés,
les mots fléchés, les mots mêlés, les codes-barres,
les pages d'annuaire, les planches-contacts, les petites annonces,
les vieux journaux, les photomatons, les autocollants,
les cartes à jouer, les images de chocolat,
les cartes routières, les reproductions d'oeuvres d'art,
les prospectus, les notices, les romans-photos,
les avis de décès, les questionnaires, les formulaires...
3.
ready-made des procédés de fabrication des ready-made
je froisse et je plie des images, des textes,
je donne des titres à des textes, à des dessins, à des photos,
j'invente des noms de personnes que je représente par le dessin ou le collage,
je nomme des gens ou des animaux, d'après leur image,
je fabrique des enveloppes et des faux timbres-poste,
je légende des dessins idiots,
je colle un texte sur une photo ou inversement,
je fends avec le cutter pour faire glisser des textes ou des parties d'images,
je troue une image ou un texte,
je mélange par collage ou découpage des textes très différents,
je détourne des catalogues, des prospectus, des tracts, des flyers,
je modifie des images, des bulles, des légendes de bandes dessinées,
je change ou je supprime des mots dans une page imprimée,
je perce une page imprimée au-dessus d'une autre,
je fabrique des poèmes express par caviardage,
je complète une photo par un dessin ou une autre photo,
je produis des textes paradoxaux, contradictoires ou à effet immédiat
(Ne lisez pas ceci ! Tournez la page !),
je change les références ou les noms dans les schémas scientifiques ou techniques,
j'accumule les images, les tampons, les mots identiques,
j'imite : ceci n'est pas une pipe,
je colle des objets plats, plumes, pions, graines,
je fais des sculptures en papier de bonbon, en fil de fer de bouchons,
je modifie des enveloppes postales,
je fais des fausses signatures,
je sors des mots d'un chapeau,
je fais parler des animaux, discours politiques ou publicitaires,
j'écris ce que j'entends, pas ce que je mémorise, ni ce que j'imagine,
je me moque de la poésie...
Vient un moment où mes (nos) propres poèmes, mes (nos) propres textes deviennent des poèmes trouvés, des ready-made. Voilà, c'est fait.
Lucien Suel
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