Ce roman publié aux éditions de La Table Ronde est sorti en librairie le 6 novembre 2008. Je l'ai écrit en septembre 2006 lors d'une résidence à la Villa Yourcenar, au Mont Noir sur la frontière belge. Le manuscrit a été envoyé en décembre 2006 aux éditions POL. Monsieur Otchakovsky-Laurens l'a apprécié, mais il souhaitait le relire avant de prendre sa décision. Pendant toute l'année 2007, je suis resté dans l'expectative et finalement, j'ai reçu en décembre 2007, une lettre de refus. J'ai envoyé mon manuscrit par la poste aux éditions de La Table Ronde en janvier 2008. Et le vendredi 13 juin 2008, Françoise de Maulde, directrice littéraire à La Table Ronde, m'appelait pour m'annoncer la bonne nouvelle...
Le livre a, de suite, reçu d'excellentes critiques et a été un succès de librairie.
Les deux éditions confondues, il s'est, en dix ans, vendu à 10 000 exemplaires.
Traduit en nynorsk par Grete Kleppen, il a été publié en Norvége par Solum
Voici l'article de Robert Solé paru dans Le Monde des Livres le 27 novembre 2008 :
"Mort
d'un jardinier", de Lucien Suel : le vertige du jardinier
LE
MONDE DES LIVRES | 27.11.08 | 11h53
'est
un premier roman, qui avait été posté par son auteur, à tout
hasard... Un roman ? Plutôt un poème de 170 pages, dans lequel un
jardinier s'adresse à lui-même. "Tu t'échines tu
t'esquintes tu frappes et coupes et creuses et arraches et scies et
brûles et déchiquettes pendant des jours et des jours, t'écroulant
sur le dos dans la terre mise au jour, la sueur ruisselle traçant
des lignes noires dans la poussière qui recouvre ta poitrine, ton
coeur cogne ton coeur cogne..."
L'auteur,
Lucien Suel, 60 ans, vit tout près de son lieu de naissance, à
Guarbecque, un village du Pas-de-Calais, où il a construit sa maison
de ses propres mains. Bricoleur, jardinier, mais aussi pratiquant de
l'art postal, il se déclare "poète ordinaire".
C'est une façon de parler. Rien n'est moins ordinaire que ses
poèmes, qu'il "chante, hurle ou murmure" en
compagnie de trois musiciens. Très influencé par Jack Kerouac et
d'autres auteurs de la Beat Generation, comme William Burroughs, il a
expérimenté toutes sortes de formes poétiques, composant entre
autres un hommage à l'abbé Lemire, fondateur des jardins ouvriers,
en quarante-deux épisodes de vers justifiés (même nombre de signes
par ligne).
Le
jardinier interrompt brièvement son travail : "Tu te
redresses pour écouter le colloque chicanier d'une bande de corbeaux
dans la petite forêt, un geai intervient dans la conversation, la
violente secousse d'un bang mur du son fait taire tout le monde et te
rappelle que tu vis dans un monde imparfait, tu t'agenouilles dans la
terre pour désherber, la main droite est ton outil de sarclage
préféré, tu favorises tes protégés, tu extirpes la concurrence
déloyale..."
Pas
de points. Simplement des virgules et, de temps en temps, des points
virgules. Le texte coule comme un torrent, avec une incroyable
précision. Mais, soudain, notre jardinier est saisi d'un vertige, il
plie les genoux et tombe sur le dos au milieu des bûches fendues. Il
sent qu'il va mourir. Dès lors, toute sa vie et tous ses rêves vont
défiler : des souvenirs d'enfance, des souvenirs de voyage, des
souvenirs de musiques. Il revoit sa femme à la maternité, la
naissance de sa fille : "Tu tournes en rond dans la
salle d'attente, ton amour est dans la salle d'opération, le jour va
se lever et tu n'as plus de cigarettes, son visage est
noyé dans le grand oreiller blanc..." Il revit chacun
des petits gestes de la vie quotidienne : "Le couvercle
de la lessiveuse galvanisée se soulève rythmiquement comme si le
linge respirait à pleins poumons dans l'eau savonneuse..."
Le
lecteur est emporté dans ce tourbillon. Il a les mains pleines de
terre ou de cambouis, entend le ronronnement de la cafetière et le
piaillement des oiseaux, il traverse la Turquie en 2 CV, regarde les
frites frissonner dans l'huile, une mouche se noyer dans une flaque
de bière, il respire le parfum des fleurs ou du fumier... Lucien
Suel parle admirablement des choses de la vie - de sa propre vie.
C'est un autoportrait, par petites touches. Tout est vrai dans ce
texte, hormis bien sûr la mort du "héros".
Maniant
la pelle et la plume, Lucien Suel a toujours refusé de hiérarchiser
ses différentes activités. Ecrire n'est pas mieux que jardiner.
Mais, chez lui, tout se rejoint : "Tu aimes cette idée
de Wittgenstein, que la solution au problème de la vie est de vivre
de façon à supprimer le problème, tu crois avoir trouvé la bonne
méthode en cultivant ton jardin, en mêlant le vulgaire et le
sacré." Il grave dans la glaise, rédige les versets
de la terre : "Tu préfères maintenant écrire
des poèmes sur tes légumes, tu aimes manger les mots, les faire
rouler dans ta bouche comme une fraise une cerise ou un noyau
d'abricot, tu aimes aussi les découper, les charcuter et les coller
ensemble."
Mais
le jardinier va mourir. Des milliers de visages se pressent autour de
lui, des mains le touchent, des nez le hument, il est submergé de
souvenirs et de sensations. Est-ce la trompette de Louis Armstrong
qui résonne, claire et haute, sous les ormes du jardin ? Ou celle de
Miles Davis qui gémit, plus loin, derrière les lilas ? Le jardinier
se fond dans la terre, et elle se fond en lui. "Tu es
comme un bébé, abandonné au milieu des légumes entre les choux et
les poireaux, tu te demandes qui t'a déposé là, tu espères encore
que quelqu'un, ton amour, arrivera, te soulèvera la tête, te
prendra dans ses bras..." C'est le bout du poème,
l'ultime récolte, la dernière station.
MORT
D'UN JARDINIER de Lucien Suel. La Table ronde, 170 p., 17 €.
Robert
Solé
Article
paru dans l'édition du 28.11.08