VII
Lundi vingt-trois mars,
entre dix-neuf et vingt heures
On
fait un petit tour du pâté de maison
Les
enfants sont en trottinette et en roller
Et
je marche derrière en portant les blousons
Ils
partent loin devant, plus que je ne voudrais
Un
bruit de caoutchouc les suit puis disparaît
Il
fait nuit, la rue est vide, les lampadaires
Divisent
en silence l’ombre et la lumière
On
pourrait se laisser porter assez longtemps
Dehors,
un tour encore, mais alors j’entends
D’une
fenêtre dieu sait où dans les hauteurs
Un
ado qui s’amuse avec un porte-voix
« Vous,
là, rentrez chez vous ! » rugit-il, plusieurs fois
On
n’a jamais si bien imité Big Brother
Il
ne lui manque plus, au fond, qu’un projecteur
De
mirador à la sentinelle amateur
Pour
qu’un passant lambda devienne un hors-la-loi
Mais
je fais comme si ça n’était pas pour moi
Je
continue le long des grilles du jardin
Dans
un polar, on entendrait des escarpins
Tricoter
dans le noir, un trottoir qui résonne
Un
feu qui passe au vert mais ne passe personne
Un
plan serré sur une main dans un imper
Le
cliquetis d’un barillet de revolver
Les
enfants m’attendent au passage piéton
Ils
tiennent à la main leurs casques Décathlon
Ils
ont l’air mal à l’aise, inquiets, intimidés
Je
comprends qu’un adulte vient de les gronder
Parce
qu’ils sont dehors à huit heures moins dix
Je
cherche du regard le vaillant citoyen
Pour
le féliciter d’assister la police
Mais
je ne vois qu’une ombre s’échapper au coin
D’un
immeuble moderne, on aperçoit la diode
Qui
clignote sur le clavier du digicode
On
rentre à la maison par un chemin plus court
On
essaiera demain de faire un tour ailleurs
Soudain,
à hauteur de l’école Aimé Césaire
On
entend quelqu’un, quelque part, applaudir
Et
ce bruit dans la nuit fait un écho bizarre
Puis
un autre s’y met et puis un autre encore
Et
puis l’on voit des gens ici et là sortir
La
tête par les fenêtres autour du square
Et
taper dans leurs mains ou sur les garde-corps
Avec
des couverts et la rumeur vient remplir
L’air
comme les pales d’un hélicoptère
Comme
un chahut sur les tables du réfectoire
Il
y a un enfant qui tape sur un tambour
D’autres
sur des poêles avec des cuillères
En
bois, les miens se réjouissent du tintamarre
On
est comme au feu d’artifice, tête en l’air
En
remontant la rue tous les trois jusqu’au cours
Gambetta,
et là, au-dessus du carrefour
Qui
fait l’angle avec la rue de l’abbé Boisard
Il
y en a un sur son balcon qui joue du cor
Son
lamento dénote au milieu du concert
J’ai
l’impression qu’il joue la sonnerie aux morts
***
La Covidie est le journal tenu par Hervé Gasser du 15 mars au 9 mai 2020.
Ce journal divisé en 16 chants est écrit en alexandrins rimés.