lundi 15 juin 2020

La Covidie par Hervé Gasser 1/16

La Covidie est le journal tenu par Hervé Gasser du 15 mars au 9 mai 2020.
Ce journal divisé en 16 chants est écrit en alexandrins rimés.

I

Dimanche quinze mars, c’est un anniversaire
Voilà juste douze ans que j’ai perdu mon frère
Toi qui me lis, saches qu’en écrivant cela
Je marche et marche encore sur ce trottoir-là
Le ciel était aussi clair et bleu qu’aujourd’hui
Et le soleil était suspendu comme un fruit
Neuf, un citron givré, une boule de glace
Les souvenirs s’enfuient, et d’autres les remplacent
Mais quelques uns se parlent à travers le temps
La date de sa mort me sert de mot de passe
Et je la reconnais dans les jours du printemps
Les jours ambivalents d’espoir et de menace

J’ai vu l’intervention d’Edouard Philippe hier
Puis lu jusqu’à minuit LeMonde.fr
Et ce matin j’ouvre un nouveau document Word
À compter d’aujourd’hui et jusqu’à nouvel ordre
Les restaurants, les bars, les cafés sont fermés
Les expos, les spectacles sont déprogrammés
On ferme les commerces non-indispensables
Les bibliothèques, les domaines skiables
Les gymnases, les tribunaux, les casinos
Les centres de loisirs, les centres commerciaux
Soit la plupart des lieux accueillant du public
En dessous je note en gras et en italique
Le décompte macabre des contaminés
Cent-vingt-sept morts et cinq mille cas confirmés
A ce jour en France – Combien sur la planète ?
Je remets à plus tard la recherche Internet

Au marché, l’affluence est comme d’habitude
Mais j’entends les conversations, les inquiétudes
Un vendeur d’olives dit que les hôpitaux
N’ont que six mille trois-cent-vingt respirateurs
Il répète : on est tous dans le même bateau 
Une dame, devant un étal de primeurs
Assène à mi-voix : Respectez les distances
Les gens, vraiment, les gens sont tous irresponsables
Un autre s’interroge sur la résistance
Et les fragilités du réseau d’eau potable
Et le boulanger bio réfléchit et déduit
Qu’il faudra bien nourrir tous les jours le pays

En rentrant mon épouse range le salon
Afin d’organiser l’école à la maison
Les fenêtres sont grand’ ouvertes sur la ville
Nos deux enfants jouent dans leur chambre aux Playmobils
Ma mère à la cuisine presse un pamplemousse
Elle sort d’un accident cardiaque et d’un rhume
Tu survivras peut-être au coronavirus ?
Dis-je en vidant mon sac dans le bac à légumes

***

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posted by Lucien Suel at 11:18