Claude Pélieu (1934-2002)
Pour
terminer l’année 2014 au Silo, cet hommage à Claude Pélieu écrit en décembre
2006.
24 décembre
2002. Benoît Delaune m'annonce la mort de Claude Pélieu. Tristesse profonde.
Depuis 1977, nous avons échangé tellement de lettres, de poèmes, de collages, d'amitié. Une longue période de ma vie se détache, se transforme en histoire. Décembre 2002, un mois sinistre qui vit aussi disparaître le philosophe Ivan Illich et le chanteur Joe Strummer.
Claude Pélieu est né à Pontoise le 20 décembre 1934 et mort la nuit de Noël 2002 aux États-Unis d'Amérique où il vivait depuis 1963. J'ai découvert la poésie de Claude Pélieu au début des années 70. Jukeboxes, recueil de poèmes électrifiés paru dans la collection 10/18, des poèmes qui nous parlaient de notre monde, de notre époque dans une collection de poche ! C'est grâce à lui, poète français exilé volontaire en Amérique, grâce à Mary Beach, son épouse, que j'ai pu découvrir ici les poètes de la Beat Generation (Snyder, Ferlinghetti, Ginsberg, Leroy Bibbs, Kerouac, Burroughs, McClure, Kaufman...) à travers les éditions réalisées par Christian Bourgois ou Dominique de Roux.
Claude Pélieu fut le seul poète français beat à vivre aux États-Unis dans l'intimité de ces auteurs-là, notamment Burroughs et Ginsberg qui étaient ses amis. En 1967, Dominique de Roux lui confie la réalisation d'un Cahier de l'Herne. Ce sera le volume 9, Etats-Unis : William Burroughs, Claude Pélieu, Bob Kaufman, un imposant monument que j'ai déchiffré, compulsé, dévoré pendant des heures. Dominique de Roux y a écrit l'article intitulé : De l'âme païenne de Claude Pélieu dont voici la conclusion : "Avec Léon Bloy, William Burroughs et Claude Pélieu, nous n'attendons plus à Paris que les Tartares ou le Saint-Esprit. Mais quelque chose me dit que ni les uns, ni l'autre ne se dérangeront plus. C'en est fait." (Dominique de Roux, Paris, le 21 novembre 1967).
Je suis entré en relation avec Claude en 1977 et nous avons correspondu au-dessus de l'Atlantique quasiment jusqu'à sa mort. Je me souviens encore de ma joie à recevoir sa première lettre datée de Mill Valley en Californie. Il a abattu avec Mary Beach un travail considérable de traduction tout en construisant avec un grand courage son œuvre personnelle à base de journaux, de poèmes, de collages, de cut-up, dépeçant impitoyablement la pseudo-réalité médiatique, tout en produisant un chant d'amour pour la Terre maltraitée.
"... Mots d'ordre soumis à l'arrière-plan de l'orgueil de l'hystérie & de la mort
l'Amérique aux mains des robots et des hyènes du Big Business
l'Europe livide bouffie de nourriture navigue entre fourberie anémie & ébriété
les poètes ignorent les rêves de l'enfance courbent l'échine & se transforment en fonctionnaires & en conférenciers
seuls les nouveaux ménestrels chantent & disent..."
Claude Pélieu, Infra-Noir, Le Soleil Noir éd. 1972.
Quelques exemples de sa générosité : Tous les textes importants qu'il m'a donnés entre 1979 et 1982 pour ma revue The Starscrewer, dédiée principalement aux auteurs de la Beat Generation et apparentés : Burroughs, Corso, Orlovsky, Bukowski, et bien sûr, Pélieu..., les dizaines de collages originaux envoyés par la poste, et par exemple, en 1979, le cadeau d'un exemplaire de l'édition originale (Zero edition, Cleveland, 1968) de Suburban Monastery Death Poem du poète d. a. levy que j'ai pu ensuite traduire et publier. Claude a aussi été le lien entre différents réseaux liés aux arts plastiques, à la poésie, au rock, au mail art, n'hésitant jamais à créer des liens, à faire circuler l'information. Parmi tous les amis que la personne et l'œuvre de Claude Pélieu lui avaient suscités, je pense à Bernard Froidefond, Joël Hubaut, Julien Blaine, Gaston Criel, Daniel Biga, Bruno Sourdin, Alban Michel, Alain Jégou, Françoise Favretto, Guy Ferdinande, Daniel Giraud, Michel Collet et Valentine Verhaeghe, Serge Féray, Marie-Laure Dagoit, F. J. Ossang, Hervé Binet.
Claude était un épistolier acharné. Il m'encourageait à donner son adresse personnelle à ceux qui la demandaient, c'est ainsi que Benoît Delaune qui travaillait à une thèse sur Burroughs est devenu à son tour l'éditeur de Claude en France et qu'il a communiqué avec lui régulièrement, le soutenant par téléphone jusqu'à ses dernières semaines de vie.
Après la Californie et un bref passage en Floride, Claude et Mary s'étaient fixés dans l'état de New York, mais vivant toujours dans de petites villes, Cherry Valley ou Cooperstown. Au milieu des années 90, les problèmes de santé de Claude s'étaient aggravés. Il m'avait annoncé son hospitalisation. Mais chaque fois que j'avais l'occasion d'échanger quelques mots au téléphone avec lui, il était toujours en verve, souvent caustique vis à vis de la France, des professeurs, des journalistes, du monde de l'édition, mais aussi attentif, demandant des nouvelles des enfants...
Depuis 1977, nous avons échangé tellement de lettres, de poèmes, de collages, d'amitié. Une longue période de ma vie se détache, se transforme en histoire. Décembre 2002, un mois sinistre qui vit aussi disparaître le philosophe Ivan Illich et le chanteur Joe Strummer.
Claude Pélieu est né à Pontoise le 20 décembre 1934 et mort la nuit de Noël 2002 aux États-Unis d'Amérique où il vivait depuis 1963. J'ai découvert la poésie de Claude Pélieu au début des années 70. Jukeboxes, recueil de poèmes électrifiés paru dans la collection 10/18, des poèmes qui nous parlaient de notre monde, de notre époque dans une collection de poche ! C'est grâce à lui, poète français exilé volontaire en Amérique, grâce à Mary Beach, son épouse, que j'ai pu découvrir ici les poètes de la Beat Generation (Snyder, Ferlinghetti, Ginsberg, Leroy Bibbs, Kerouac, Burroughs, McClure, Kaufman...) à travers les éditions réalisées par Christian Bourgois ou Dominique de Roux.
Claude Pélieu fut le seul poète français beat à vivre aux États-Unis dans l'intimité de ces auteurs-là, notamment Burroughs et Ginsberg qui étaient ses amis. En 1967, Dominique de Roux lui confie la réalisation d'un Cahier de l'Herne. Ce sera le volume 9, Etats-Unis : William Burroughs, Claude Pélieu, Bob Kaufman, un imposant monument que j'ai déchiffré, compulsé, dévoré pendant des heures. Dominique de Roux y a écrit l'article intitulé : De l'âme païenne de Claude Pélieu dont voici la conclusion : "Avec Léon Bloy, William Burroughs et Claude Pélieu, nous n'attendons plus à Paris que les Tartares ou le Saint-Esprit. Mais quelque chose me dit que ni les uns, ni l'autre ne se dérangeront plus. C'en est fait." (Dominique de Roux, Paris, le 21 novembre 1967).
Je suis entré en relation avec Claude en 1977 et nous avons correspondu au-dessus de l'Atlantique quasiment jusqu'à sa mort. Je me souviens encore de ma joie à recevoir sa première lettre datée de Mill Valley en Californie. Il a abattu avec Mary Beach un travail considérable de traduction tout en construisant avec un grand courage son œuvre personnelle à base de journaux, de poèmes, de collages, de cut-up, dépeçant impitoyablement la pseudo-réalité médiatique, tout en produisant un chant d'amour pour la Terre maltraitée.
"... Mots d'ordre soumis à l'arrière-plan de l'orgueil de l'hystérie & de la mort
l'Amérique aux mains des robots et des hyènes du Big Business
l'Europe livide bouffie de nourriture navigue entre fourberie anémie & ébriété
les poètes ignorent les rêves de l'enfance courbent l'échine & se transforment en fonctionnaires & en conférenciers
seuls les nouveaux ménestrels chantent & disent..."
Claude Pélieu, Infra-Noir, Le Soleil Noir éd. 1972.
Quelques exemples de sa générosité : Tous les textes importants qu'il m'a donnés entre 1979 et 1982 pour ma revue The Starscrewer, dédiée principalement aux auteurs de la Beat Generation et apparentés : Burroughs, Corso, Orlovsky, Bukowski, et bien sûr, Pélieu..., les dizaines de collages originaux envoyés par la poste, et par exemple, en 1979, le cadeau d'un exemplaire de l'édition originale (Zero edition, Cleveland, 1968) de Suburban Monastery Death Poem du poète d. a. levy que j'ai pu ensuite traduire et publier. Claude a aussi été le lien entre différents réseaux liés aux arts plastiques, à la poésie, au rock, au mail art, n'hésitant jamais à créer des liens, à faire circuler l'information. Parmi tous les amis que la personne et l'œuvre de Claude Pélieu lui avaient suscités, je pense à Bernard Froidefond, Joël Hubaut, Julien Blaine, Gaston Criel, Daniel Biga, Bruno Sourdin, Alban Michel, Alain Jégou, Françoise Favretto, Guy Ferdinande, Daniel Giraud, Michel Collet et Valentine Verhaeghe, Serge Féray, Marie-Laure Dagoit, F. J. Ossang, Hervé Binet.
Claude était un épistolier acharné. Il m'encourageait à donner son adresse personnelle à ceux qui la demandaient, c'est ainsi que Benoît Delaune qui travaillait à une thèse sur Burroughs est devenu à son tour l'éditeur de Claude en France et qu'il a communiqué avec lui régulièrement, le soutenant par téléphone jusqu'à ses dernières semaines de vie.
Après la Californie et un bref passage en Floride, Claude et Mary s'étaient fixés dans l'état de New York, mais vivant toujours dans de petites villes, Cherry Valley ou Cooperstown. Au milieu des années 90, les problèmes de santé de Claude s'étaient aggravés. Il m'avait annoncé son hospitalisation. Mais chaque fois que j'avais l'occasion d'échanger quelques mots au téléphone avec lui, il était toujours en verve, souvent caustique vis à vis de la France, des professeurs, des journalistes, du monde de l'édition, mais aussi attentif, demandant des nouvelles des enfants...
Claude Pélieu / Cut /
De côte à côte / l'Amérique /
Néon grésillant /
De côte à côte / l'Amérique /
Néon grésillant /
Décembre
2005. Voici tout juste un an que tu es mort. Je pense souvent à toi et à Mary,
restée seule aux Etats-Unis. Et ma tristesse augmente encore en ce mois de
décembre avec la disparition de mon ami Christophe Tarkos. Vous étiez très
différents dans la vie et dans l'écriture mais vous étiez réunis dans la
Station Underground d'Emerveillement Littéraire et Christophe m'avait dit en
1995 l'importance qu'il attachait au fait de garder vivante toute cette
histoire de la Beat Generation.
Claude Pélieu / Cut /
Débris de ciel dans la pluie /
Embruns du hasard /
Débris de ciel dans la pluie /
Embruns du hasard /
Décembre
2006. Mary Beach nous a quittés aussi. J'entends au loin la rumeur de
l'autoroute A26 et plus près de moi la mobylette du facteur qui s'arrête et
repart, s'arrête et repart ; il n'y a plus depuis longtemps d'enveloppe liserée
de bleu et de rouge. J'ai mis sous verre les collages dédicacés de Claude Pélieu.
Pour traverser la nuit je lis ses poèmes ; je sors le Cahier de l'Herne de
1967, je regarde les photos, lis quelques lignes ici ou là, " Prisonniers
de la terre sortez,
Écoutez mes derniers mots n'importe où,
Écoutez mes derniers mots n'importe quel monde... "
Écoutez mes derniers mots n'importe où,
Écoutez mes derniers mots n'importe quel monde... "
Lucien Suel
Publié une première fois dans La Nouvelle Revue
Moderne n° 19, au printemps 2007
Libellés : Beat, Lucien Suel, Pélieu, Starscrewer