Ah ! la santé de Mauricette !
Du « Pavillon des Folles », le 11 septembre 1989,
Mauricette Beaussart écrit à son ami et poète Lucien Suel : « Les
docteurs et les cuisinières me soignent. Mais c'est Lautréamont qui
me parle dans ma tête. J'ai reçu la vie comme une
blessure. Je crois que mes pantoufles sont trop petites. Mes
pieds ont dû gonfler. Je n'ose pas les regarder. Je marche avec les
yeux au plafond » (1). Mauricette, dépressive, est internée.
Ses « Lettres de l'asile » envoyées à Lucien Suel
seront plusieurs fois publiées : la dernière édition étant pour
l'anthologie : Cadavre Grand m'a raconté - la poésie des
fous et des crétins dans le Nord de la France (2).
Après une dernière
lettre à Lucien, Mauricette s'enfuit de l'hôpital. On reste sans
nouvelles. On resta longtemps sans nouvelles.
Lucien Suel aime les
personnages singuliers - touchés par des esprits frappeurs - voix
dans la tête – entre folie et normalité : le mystique (saint)
Benoît Joseph Labre (puisqu'il fut canonisé) ; les peintres d'art
brut et médiums, Augustin Lesage et Fleury-Joseph Crépin. Tous
trois sont originaires du Nord comme lui. Il leur a rendu hommage
dans différents poèmes (3).
Et puis elle est revenue.
Vingt ans après. Mauricette
Beaussart, soixante-quinze ans, est revenue de la maison des remords
et de la douleur. Elle a fait le tri sélectif dans sa tête, enterré
ses mauvais souvenirs dans le sable de Merlimont-Plage, (re)trouvé
une famille (« Rien
qu'une famille humaine. Nommant vivants et morts »),
rallumé son ordinateur où elle complète à nouveau son
anthoveaulogie sur etoilepointetoile.blogspot.fr.
Plus
exactement, c'est Lucien Suel qui la fait revenir. Dans deux romans :
La
patience de Mauricette
(4), puis Blanche
étincelle
(5). Ainsi, Mauricette Beaussart n'avait pas disparu et n'était pas
une authentique vieille dame, mais un double, une création
d'écrivain.
Lucien Suel est poète, et Mauricette n'est pas qu'un personnage
inventé : elle est elle-même un poème. Une vie, une langue lui
ont été données.
Masque tombé, Mauricette est Lucien qui est aussi poète et jardinier
dadaïste et joueur qui traduit Kerouac mange des scaroles et de la
carbonnade fait des collages des dessins idiots des performances qui
pisse sur le compost qui boit de la bière plante des radis édita
des revues qui manie la grelinette la guitare et l'underwood qui pose
avec béret et baguette pour des photos prises par J. et orchestre
une renaissance : Mauricette est Lucien est Mauricette.
C'est à l'hôpital psychiatrique que tout a commencé et que tout
commence dans le roman. Lucien Suel s'immerge pendant plusieurs mois
dans la vie d'un hôpital psychiatrique, parmi les malades et le
personnel soignant. Écrivain en résidence, il devra en retour
écrire une œuvre inspirée du lieu et de son histoire. Ainsi naît
le roman, La patience de Mauricette, et
le personnage inventé par Lucien Suel reprend du service.
« Dès
le début de leur rencontre,
[on sentait] la
présence d'une énigme, une fissure cachée derrière le sourire ».
Mauricette Beaussart a disparu de l’hôpital où elle
était soignée pour « une psychose maniaco-dépressive,
troubles du comportement, accompagnés d'hallucinations auditives et
distorsions du langage » (pour ce HS sur la santé mentale,
un peu de vocabulaire psychiatrique apportera du crédit à cette
chronique). Ce n'était pas le première fois qu'elle était
internée. Il y a des trous dans la vie de cette femme, des
traumatismes non refermés. Mais elle peut compter sur ses ami-e-s,
Christophe et Alfonsina qui, chacun à leur manière – ils ne
reçoivent pas les mêmes confidences – l'aident. Il y a aussi les
médicaments, les soignants. Il y a aussi Blanche, qui donne son
titre au roman suivant, rencontre lumineuse qui délivrera la vieille
dame : Mauricette aura trouvé une place, apaisée. Enfin.
Comme une enquête, nous
suivons ce personnage. Dans La
patience de Mauricette, le
récit alterne monologue intérieure de Mauricette – d'une écriture
poétique saisissante, faite de mots désordonnés, syntaxe tordue –
et narration. Le passé et le présent se mêlent pour nous révéler
le remords et la douleur.
Lucien
Suel a écrit le portrait d'une femme attachante, pleine d'esprit et
d'humour, une femme fracassée, mais qui aura trouvé dans la poésie
et les livres, tout autant que dans l'amitié, la force de vivre.
Blanche
étincelle
qui prend la forme d'un journal que tient Mauricette, se conclut
ainsi : « Vivre
va me prendre tout mon temps ».
Olivier Bouly, groupe Béthune de la F.A.
Visiter "La boutique aux miracles"
Visiter "La boutique aux miracles"
Cette chronique a été publiée dans Le Monde Libertaire de juillet-août 2014, n° 56 Hors-Série intitulé "Un été de folie".
- Lettres de l'asile (Station Underground d'Émerveillement Littéraire, 1995)
- Cadavre Grand m’a raconté, La poésie des fous et des crétins dans le Nord de la France (Le Corridor Bleu, 2005)
- Petite Ourse de la Pauvreté (Dernier Télégramme, 2012)
- La patience de Mauricette (La Table Ronde, 2009 Folio Gallimard 2011)
- Blanche étincelle (La Table Ronde, 2012
Libellés : Blanche étincelle, La patience de Mauricette, Lucien Suel, Mauricette B., Petite Ourse de la pauvreté
5 Comments:
On l'aime Mauricette, et ici aussi, vers Belleville... Bonnes fêtes, Lucien
PdB
Merci, ami Pierrot !
on aime mauricette oui et franchement on est heureux de ce lucien
belles fêtes
Merci Anna, Mauricette se joint à moi pour vous souhaiter une bonne année. J'ai aussi corrigé le lien vers "Mots sous l'aube"
Les maladies mentales sont un excellent sujet pour les poèmes - je les aime. Merci de consacrer un post à ce sujet intéressant.
Enregistrer un commentaire
<< Home