sites & horizons
L'intérieur des terres
(Vosges)
La route monte dans la lumière,
la
lumière se perd dans la brume
plus haut, sur un autre versant,
la roche griffe les épaisses sapinières
sur le bord de la route la pierre noire
ruisselle,
ouvre une arche béant sur le ciel et le peu de clarté :
un nom,
un nom cassant
pour ce
sommet sauvage et gris
Hohnek
nom un instant suspendu
au-dessus de tous les noms,
(Cucuruzzu, en Corse)
terre sombre, terre noire,
formant des escaliers naturels
les racines nous guident dans un dédale de branches,
ça et là
des rocs humides,
(tout à l'heure, montant vers les pointes de Bavella,
nous avons dû rebrousser chemin,
la route et le sommet
restant perdus dans le brouillard,
et l'averse tombant sur nous
brusquement depuis les hauteurs)
blocs ovales couchés au milieu de la forêt,
figures
d'un monde au silence concentré et ferme,
et plus loin, cette clairière, forteresse rocheuse
au-dessus
des vallées vertes profondes,
un site à la fois chaotique et organisé,
humain et
chtonien, centre inconnu du pays,
(Vosges)
champs labourés et noirs
au cœur de l'hiver, une troupe de corbeaux
se
rassemble le soir venu sur la colline en face
emplissant le ciel déchiré le crépuscule rouge
plus bas, je me perds dans ce bois silencieux,
la lumière étouffée par les branches des sapins
marche lente et hésitante
dans
cette galerie sombre,
les aiguilles sur le sol
noires, brunes, un peu mauves,
composant un alphabet indéchiffrable.
Inselberg
(Tùbingen)
Écrire
Inselberg, sombre mont
peuplé d'ombres, comme ces tailleurs de pierre
nuages dérivant vers l'est, averse
cachés au milieu de la forêt
gargouilles sortant de terre,
et la route vers le cimetière, et
la beauté froide des arbres dépouillés (balafres)
(chercher inconsciemment les liens
entre les données brutes des lieux) (signes),
telles ces pierres tombales
autres stèles, des troncs coupés
entassées là au milieu des herbes, et
non loin de là les rebuts de pierre, de bois
(on cherche à lire noms et dates sur le marbre noir),
plus haut un sentier partant dans la forêt,
des pins
effondrés, rompus par la tempête
(l'un cassé, l'autre penché
et soutenu
par des branches),
amas de
pierres noires cassées
(jetées?
déjà travaillées?),
curieuse
harmonie de vie et de mort,
- plus loin, plus bas, dans une cour (balafres),
un homme taille dans le bois
des géants aux têtes carrées et grotesques
un peu
levées vers le ciel, qu'il peint ensuite,
derrière
lui les troncs entassés, échoués,
- toutefois, reprendre la route en sens inverse,
racines, des formes se lient,
ce qui est gravé ou taillé parle ensemble
invisiblement (incises, déchets),
retrouve aussi la croissance des fibres,
détritus végétaux partout dans la forêt de février,
puissantes couleurs, lenteur inhérente aux gestes,
échanges
de forces, fruits et graines séchées,
gravats, glace couvrant la route,
au-dessus le vol d'une buse et son cri,
ignorant le travail chtonien,
ici quelqu'un trace toujours, incise, casse,
grave
(nombreuses balafres sur les troncs).
Laurent Margantin est un
auteur et traducteur vivant à la Réunion. Il a publié plusieurs récits (Aux
îles Kerguelen, Le Chenil, Roman national) aux éditions
Œuvres ouvertes et des poèmes dans plusieurs revues. Il travaille depuis
plusieurs années à une édition critique du Journal de Kafka accessible en ligne
(www.journalkafka.com). Dernière publication : Les
Carnets du nouveau jour /3 (éditions Œuvres ouvertes)
Libellés : Invité du Silo, Laurent Margantin, Poésie, Venir au vent