Benoît-Joseph Labre (1748-1783)
CANDÉLABRE POUR BENOÎT
Les ossements de Benoît
brunissent délicatement
dans la cave romaine de
Sainte-Marie-des-Monts.
Seule à avoir réintégré
le village natal, celée
sous le maître-autel de
l'église d'Amettes, une
rotule témoigne. Sur la
route poussiéreuse bave
l'articulation épuisée.
Les sorciers démocrates
avaient exalté le virus
du travail, le laudanum
culturel, le paillasson
de l'ordre et la bougie
nauséeuse de la raison.
Voici Benoît Labre. Lui
sanctifie l'oisiveté en
ce siècle où la torture
machiniste commence ses
ravages dans les villes
anglaises pour déferler
à la fin sur la planète
dégradée. Lui sanctifie
la pauvreté en ce temps
où l'infâme bourgeoisie
se glorifie de la ponte
ininterrompue d'abjects
objets de consommation.
Lui sanctifie l'errance
à cette époque où enfle
l'arrogance gélatineuse
du moindre propriétaire
immobilier. Lui, le Job
artésien, qui sanctifie
la crasse, la saleté et
la pouillerie quand les
pommades hygiéniques et
les savons aromatiques,
les lotions et les sels
de bain ne parviendront
jamais à dissimuler les
fétidités scatologiques
émanant de l'âme de ces
philistins imperméables
à la grâce et à la vive
lumière du pur amour de
Jésus. Voici Benoît, le
vagabond absolu, le fou
de Dieu, l'ermite sorti
de l'Artois qui soulève
la poussière des routes
de l'Europe, qui saigne
des genoux sur la dalle
froide des sanctuaires.
Né dans une mercerie de
village et mort dans la
boucherie de Zaccarelli
à Rome, entre temps, il
aura, pédestrement, été
le voyageur déguenillé,
le roi de la gyrovagie,
le cul-terreux volatil,
le paresseux persécuté,
le poignant diététicien
des captifs de Calabre,
le trappiste itinérant,
le rouquin lentigineux,
ou le contemplatif zen.
Son corps se délabrera,
carcasse minée par trop
de kilométrage. La peau
de Benoît-Joseph tannée
par la neige, la pluie,
le soleil et l'angoisse
a perdu l'éclairage pur
qui était le sien quand
enfantin, il trottinait
dans la pâture en pente
qui séparait la demeure
familiale de l'église à
Amettes sur la colline.
Quand il suivait le fil
de la Nave, en rentrant
de Nédon, le soir, avec
la tête levée vers Dieu
Le Père scintillant sur
les cumulus de janvier,
il remuait les lèvres à
haute voix, se récitant
le rosaire, et le vent,
souffle glacial et vif,
lui jetait à l'oreille,
le meuglement butyrique
des vaches emprisonnées
pendant l'hiver boréal.
Plus tard, sur la route
de Rome, à travers Jura
et Alpes, il retrouvera
le cri familier mêlé au
tintement des clarines.
Il pensera encore à son
travail de vacher quand
la peste faisait gicler
la mort dans le village
d'Erin où il étudiait à
se démolir la cervelle,
les sermons oratoriens.
.......................
Benoît-Joseph Labre n'a
jamais mûri de projets.
Il n'a pas connu le gaz
homicide, ni le bestial
endoctrinement télévisé
par satellite, la folie
meurtrière programmée à
travers l'espace, le dé
pipé du vote universel.
Benoît-Joseph Labre n'a
vécu qu'au jour le jour
avec foi, sans lois. Il
laisse sa porte ouverte
au dada mystique. Amen.
Lucien Suel
Benoît-Joseph Labre né en 1748 à Amettes (Pas-de-Calais), mort à Rome en 1783, a été canonisé en 1881.
J'ai composé ce poème en 1987 à la demande d'Ivar Ch'Vavar qui l'a publié dans le n° 3 de sa revue "L'Invention de la Picardie". Cette colonne en vers justifiés de 23 signes typographiques figure dans mon recueil "Petite Ourse de la Pauvreté" disponible sur le site des éditions du Dernier Télégramme.
Libellés : Benoît Labre, Ivar Ch'Vavar, Lucien Suel, Poème, Vers justifiés