samedi 31 août 2024

Benoît-Joseph Labre (1748-1783)

 CANDÉLABRE POUR BENOÎT


Les ossements de Benoît

brunissent délicatement

dans la cave romaine de

Sainte-Marie-des-Monts.


Seule à avoir réintégré

le village natal, celée

sous le maître-autel de

l'église d'Amettes, une

rotule témoigne. Sur la

route poussiéreuse bave

l'articulation épuisée.


Les sorciers démocrates

avaient exalté le virus

du travail, le laudanum

culturel, le paillasson

de l'ordre et la bougie

nauséeuse de la raison.


Voici Benoît Labre. Lui

sanctifie l'oisiveté en

ce siècle où la torture

machiniste commence ses

ravages dans les villes

anglaises pour déferler

à la fin sur la planète

dégradée. Lui sanctifie

la pauvreté en ce temps

où l'infâme bourgeoisie

se glorifie de la ponte

ininterrompue d'abjects

objets de consommation.


Lui sanctifie l'errance

à cette époque où enfle

l'arrogance gélatineuse

du moindre propriétaire

immobilier. Lui, le Job

artésien, qui sanctifie

la crasse, la saleté et

la pouillerie quand les

pommades hygiéniques et

les savons aromatiques,

les lotions et les sels

de bain ne parviendront

jamais à dissimuler les

fétidités scatologiques

émanant de l'âme de ces

philistins imperméables

à la grâce et à la vive

lumière du pur amour de

Jésus. Voici Benoît, le

vagabond absolu, le fou

de Dieu, l'ermite sorti

de l'Artois qui soulève

la poussière des routes

de l'Europe, qui saigne

des genoux sur la dalle

froide des sanctuaires.


Né dans une mercerie de

village et mort dans la

boucherie de Zaccarelli

à Rome, entre temps, il

aura, pédestrement, été

le voyageur déguenillé,

le roi de la gyrovagie,

le cul-terreux volatil,

le paresseux persécuté,

le poignant diététicien

des captifs de Calabre,

le trappiste itinérant,

le rouquin lentigineux,

ou le contemplatif zen.


Son corps se délabrera,

carcasse minée par trop

de kilométrage. La peau

de Benoît-Joseph tannée

par la neige, la pluie,

le soleil et l'angoisse

a perdu l'éclairage pur

qui était le sien quand

enfantin, il trottinait

dans la pâture en pente

qui séparait la demeure

familiale de l'église à

Amettes sur la colline.


Quand il suivait le fil

de la Nave, en rentrant

de Nédon, le soir, avec

la tête levée vers Dieu

Le Père scintillant sur

les cumulus de janvier,

il remuait les lèvres à

haute voix, se récitant

le rosaire, et le vent,

souffle glacial et vif,

lui jetait à l'oreille,

le meuglement butyrique

des vaches emprisonnées

pendant l'hiver boréal.


Plus tard, sur la route

de Rome, à travers Jura

et Alpes, il retrouvera

le cri familier mêlé au

tintement des clarines.

Il pensera encore à son

travail de vacher quand

la peste faisait gicler

la mort dans le village

d'Erin où il étudiait à

se démolir la cervelle,

les sermons oratoriens.


.......................


Benoît-Joseph Labre n'a

jamais mûri de projets.

Il n'a pas connu le gaz

homicide, ni le bestial

endoctrinement télévisé

par satellite, la folie

meurtrière programmée à

travers l'espace, le dé

pipé du vote universel.


Benoît-Joseph Labre n'a

vécu qu'au jour le jour

avec foi, sans lois. Il

laisse sa porte ouverte

au dada mystique. Amen.

Lucien Suel

Benoît-Joseph Labre né en 1748 à Amettes (Pas-de-Calais), mort à Rome en 1783, a été canonisé en 1881. 

J'ai composé ce poème en 1987 à la demande d'Ivar Ch'Vavar qui l'a publié dans le n° 3 de sa revue "L'Invention de la Picardie". Cette colonne en vers justifiés de 23 signes typographiques figure dans mon recueil "Petite Ourse de la Pauvreté" disponible sur le site des éditions du Dernier Télégramme.


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samedi 3 août 2024

Alexandre Zinoviev - La zinoviega 6/6

 Chapitre extrait de « Les confessions d’un homme en trop » par Alexandre Zinoviev, éditions Olivier Orban, 1990, traduit du russe par Galia Ackerman et Pierre Lorrain. Réédité chez Gallimard dans la collection folio/actuel en octobre 1991.

 La zinoviega

 Je suivais tous ces principes dans ma vie quotidienne. Pris séparément, aucun d'entre eux ne me distinguait aux yeux des autres. Mais un comportement systématique, se manifestant à travers tous mes actes, ne pouvait échapper à l'attention de mon entourage. Certains de mes principes trouvèrent son entière approbation. Je n'entrais en concurrence avec personne pour obtenir un logement, une prime ou monter en grade. Je n'acceptais pas d'honoraires pour mes ouvrages scientifiques écrits en dehors du plan de recherche. J'étais en bons termes avec tout le monde. Je participais aux soirées entre amis. Je ne jouais de mauvais tour à personne, je n'étais pas un lèche-bottes, n’écrivais pas de délations. Je faisais volontiers des sacrifices en faveur d'autrui. J'aidais mes proches et tous ceux qui demandaient mon aide. Je ne buvais plus, mais je participais volontiers aux beuveries, allant même jusqu'à verser mon écot. Je prenais la défense de ceux que l'on outrageait à tort. J'étais un interlocuteur consommé et savais écouter les autres. Un tel comportement me valait bonne réputation et provoquait le respect de mon entourage. J'avais suffisamment de biens matériels et n'aspirais pas à en avoir davantage. J'avais un cercle de connaissances étendu. J'avais des disciples et des élèves. J'avais un accès illimité aux richesses de la culture. J'étais en bonne santé, gai, entouré d'attentions. Il semblait que mon idéal de l'homme-Etat était proche de sa réalisation.

Mais la dialectique de la vie réelle vint dire son mot fatal : plus mon idéal s'approchait de son accomplissement, et plus il devenait vulnérable aux attaques de l'extérieur.

fin du chapitre

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vendredi 2 août 2024

Alexandre Zinoviev - La zinoviega 5/6

 Chapitre extrait de « Les confessions d’un homme en trop » par Alexandre Zinoviev, éditions Olivier Orban, 1990, traduit du russe par Galia Ackerman et Pierre Lorrain. Réédité chez Gallimard dans la collection folio/actuel en octobre 1991.

 La zinoviega

L'homme est seul. C'est son état le plus pénible. La vie est ainsi faite que les contacts avec autrui ne sont qu'extérieurs et fortuits, sans pénétration mutuelle des âmes. On peut supporter toutes les souffrances, sauf la solitude. Il n'y a pas de remède contre elle, pas d'exercices qui aident à la surmonter. Une de ses formes est particulièrement grave : c'est l'état d'un homme entouré de gens, libre dans le choix de ses connaissances, mais qui ne trouve personne qui lui soit proche. La solitude de l'homme au milieu de la foule est horrible. L'homme vit en permanence dans l'attente de sa fin. Pas d'espoir, pas de lumière à l’horizon. Mon système apprend à l'homme à éviter une telle expérience. C'est une prophylaxie de la solitude ou, plus exactement, une préparation à la solitude en tant que bilan inévitable d'une vie. Il apprend à l'affronter armé de pied en cap et à l'accueillir comme état qui possède ses propres mérites : indépendance, insouciance, loisir de contemplation, mépris des pertes, aptitude à mourir.

Il faut être toujours prêt à mourir. Il faut vivre chaque jour comme s'il était le dernier. Essaie d'achever ta vie de sorte qu'il ne reste rien après ta mort. Un petit héritage provoque moqueries et mépris. Un gros engendre méchanceté et animosité des héritiers. Tu es venu au monde sans y être appelé et tu partiras sans que l'on te pleure. N'envie pas ceux qui restent : ils partageront le même sort, nous partirons tous, tôt ou tard, et personne, jamais, ne saura ce que nous étions. Mieux vaut mourir encore en bonne santé que plus tard malade. Les faibles s'accrochent à la vie. Les forts sont plus facilement prêts à s'en séparer. Mieux vaut mourir sans en être averti, soudainement, que regardant la mort en face et lentement. Heureux ceux qui sont tués dans le dos !

à suivre

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jeudi 1 août 2024

Alexandre Zinoviev - La zinoviega 4/6

 Chapitre extrait de « Les confessions d’un homme en trop » par Alexandre Zinoviev, éditions Olivier Orban, 1990, traduit du russe par Galia Ackerman et Pierre Lorrain. Réédité chez Gallimard dans la collection folio/actuel en octobre 1991.

 La zinoviega

Aie de la retenue à l'égard des femmes. Si tu peux éviter une liaison, évite-la. Ne cède pas à la licence sexuelle généralisée. Garde une attitude romantique envers l'amour malgré la trivialité de la réalité. Evite la vulgarité, la frivolité, le cynisme, le langage ordurier. La pudeur et la pureté donnent incomparablement plus de jouissances que les vilenies et les vices.

Méprise tes ennemis. Fais semblant de ne pas remarquer leur existence : ils ne sont pas dignes de ta lutte contre eux. Mais ne les aime en aucun cas. Ils ne sont pas dignes de ton amour, non plus. Evite d'être leur victime. Evite aussi qu'ils soient les tiennes. Ne les personnifie pas. Considères-tu comme tes ennemis les mouches ou les moustiques qui te piquent ? Vois en tes ennemis des mouches et des moustiques, des bactéries et des vers de terre.

Sois un travailleur consciencieux et professionnel. Sois à la hauteur de la culture de ton temps. Cela te protège dans une certaine mesure et te donnera le sentiment intérieur d'avoir raison. Quant aux unions de toutes sortes et aux actions collectives, évite-les. N'adhère pas aux partis ou aux sectes.

Sois membre de la collectivité sans t'impliquer en elle. Ne participe pas aux intrigues ni à la diffusion de rumeurs et de calomnies. Essaie d'occuper une place indépendante, sans enfreindre tes principes. Ne fais pas carrière. Si elle se fait malgré toi, arrête-la, car elle détruira ton âme.

Dans la création, ce n'est pas le succès, mais le résultat qui importe. Si tu sens que tu n'es pas capable de créer quelque chose de nouveau, d'important, cherche une autre application de tes forces. Ne cède pas aux opinions de masse ni aux goûts et modes de masse. Forge tes propres goûts et opinions.

Ne fais rien d'illégal. Ne participe pas aux jeux et spectacles du pouvoir. Ignore le côté officiel des choses. N'entre pas en conflit avec les autorités mais ne leur cède pas non plus. Ne déifie le pouvoir en aucun cas. Les autorités ne sont pas dignes de confiance, même quand elles s'efforcent de dire la vérité et de faire le bien. Leur nature sociale les pousse fatalement à mentir et à faire le mal. Ignore l'idéologie officielle. Toute attention pour elle la renforce.

Ne sois pas malade. Guéris-toi toi-même. Evite médecins et médicaments. Fais régulièrement de la gymnastique, mais avec modération. L'excès y est aussi nuisible que le manque. Le mieux, c'est d'élaborer un système d'exercices que tu puisses faire à tout moment et dans n'importe quelles conditions. Fais ces exercices-là chaque jour. Si tu veux garder ton corps jeune, soucie-toi de la jeunesse d'esprit. On peut retarder le vieillissement physique jusqu'aux ultimes années de sa vie. Et on peut garder la jeunesse de l'esprit jusqu'à la dernière seconde. On peut construire sa vie de telle façon que le vieillissement physique arrive comme un phénomène naturel, sans provoquer l'effroi de la vieillesse et de la mort. Ce qui importe n'est pas le nombre d'années vécues mais la sensation de vivre une longue vie. Seule la vie intérieure riche donne la sensation d'une longue vie biologique.

à suivre

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mercredi 31 juillet 2024

Alexandre Zinoviev - La zinoviega 3/6

 Chapitre extrait de « Les confessions d’un homme en trop » par Alexandre Zinoviev, éditions Olivier Orban, 1990, traduit du russe par Galia Ackerman et Pierre Lorrain. Réédité chez Gallimard dans la collection folio/actuel en octobre 1991.

  La zinoviega

N'agis pas au nom des autres. Pense aux conséquences de tes actes pour les autres : tu en es responsable. Les bonnes intentions ne justifient pas les mauvaises conséquences de tes actes, de même les bonnes conséquences ne justifient pas les intentions mauvaises.

Le corps est  rongé  par des  microbes invisibles. L'âme est rongée par de menus soucis et émotions. Ne permets pas aux vétilles de la vie de s'emparer de ton âme.

Ne compte jamais sur l'appréciation objective de tes actes : elle n'existe pas. Les gens jugent ton comportement selon leurs intérêts et leur vision du monde. Les gens sont différents. Le même acte peut être bon pour les uns et mauvais pour les autres. Lorsqu'ils jugent les actes d'autrui, les gens ne sont jamais au courant de toutes les circonstances. N'oublie pas qu'il existe aussi des mensonges et des calomnies prémédités et que les gens ont tendance à idéaliser leurs idoles. Sache donc que tu vis et mourras incompris des autres. C'est la loi générale. Et toutes les « injustices » qu'on t'aura faites seront corrigées par la mort et l'oubli.

L'homme qui n'a aucun contrôle intérieur et extérieur de son comportement est capable de bassesse envers son prochain. Il n'est limité que par les autres. Par des efforts communs, les gens inventent des systèmes de limites sous forme de coutumes, du droit, de la religion et de la morale. Mais ces limites ne sont jamais absolues.

Au cœur du meilleur des hommes, il y a toujours un salaud qui peut remonter à la surface si le contrôle intérieur ou extérieur s'affaiblit. On ne peut donc se confier à personne. On peut toujours te tromper ou te jouer un mauvais tour. Cela concerne surtout tes proches : ils peuvent t'assener des coups particulièrement durs car tu ne t'y attends pas. Les ennemis de l'homme, disait Jésus, sont ses proches.

On ne peut se contenter de faire confiance aux gens. Il faut les placer dans des conditions telles qu'ils feront ce dont tu as besoin, non pour toi mais pour eux-mêmes. Evite les situations où tu risques d'être trompé. Attache-toi avec modération aux autres pour que la désillusion ne soit pas catastrophique.

à suivre

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mardi 30 juillet 2024

Alexandre Zinoviev - La zinoviega 2/6

Chapitre extrait de « Les confessions d’un homme en trop » par Alexandre Zinoviev, éditions Olivier Orban, 1990, traduit du russe par Galia Ackerman et Pierre Lorrain. Réédité chez Gallimard dans la collection folio/actuel en octobre 1991.

 La zinoviega

 L'aspiration aux plaisirs est une maladie typique de notre temps. Résiste à ce fléau et tu comprendras que la vraie jouissance se trouve dans le simple fait de vivre. Pour cela, il faut de la simplicité, de la clarté, de la modération et de la santé morale, qualités les plus simples qui deviennent rarissimes à notre époque. Pour la plupart des Soviétiques, la vie quotidienne indigente et la pénurie de tout ce qui fait plaisir est une réalité incontournable. Il faut penser à s'accommoder à cette vie et à trouver des compensations. Le seul moyen pour cela (si l'objectif de l'existence n'est pas la lutte pour le bien-être matériel) est de développer la spiritualité et les échanges spirituels. C'est vrai que l'homme aspire au bonheur. Mais le bonheur sans bornes et hors de tout contrôle de soi n'existe pas. Le bonheur ne peut être que la récompense de la modération et le résultat du contrôle de soi. Si tu te limites dans la vie quotidienne, ton ego se tournera vers un autre horizon. Ce n’est que là que le bonheur est possible. Autrement, ce n’est qu’une brève et éphémère illusion. La satisfaction naît de la victoire sur les circonstances. Mais le bonheur est le résultat de la victoire sur soi-même.

Je reconnais dans chaque être un Etat souverain, comme moi-même, indépendamment de sa situation sociale, de son âge, de son sexe ou de son niveau d'éducation. Mon attitude à l'égard des gens ne dépend ni de leur rang, ni de leur richesse, ni de leur notoriété, ni de leur utilité pour moi. Ce qui m'importe, c'est le degré de développement de leur âme et de leur personnalité.

J'adopte donc les principes suivants : Préserve ta dignité. Tiens-toi à distance des autres. Garde un comportement indépendant. Sois respectueux envers les autres et tolérant pour leurs faiblesses. Ne t'abaisse pas, ne fais pas de la lèche, quoi qu'il puisse t'en coûter. Ne traite personne de haut, même les nullités qui ne mériteraient que mépris. Appelle le génie, génie et le héros, héros. Ne magnifie pas les hommes de rien. Ne te rapproche pas des carriéristes, des intrigants, des calomniateurs et autres gens de peu. Discute, mais ne dispute pas. Parle, mais ne pérore pas. Explique, mais ne fais pas la propagande. Ne réponds pas si l'on ne te l'a pas demandé. Si on le fait, ne réponds que sur la question posée. N'attire pas l'attention. Si tu peux te passer de l'aide d'autrui, fais-le. N'impose pas ton aide. N'aie pas de relations trop proches avec les gens. Ne tente pas de pénétrer dans l'âme d'autrui et ne laisse personne pénétrer dans la tienne. Promets si tu es sûr de pouvoir tenir ta promesse. Si tu as promis, tiens ta promesse à tout prix. N'échafaude ni intrigues ni ruses. Ne sermonne pas. Ne te réjouis pas des malheurs d'autrui. Dans la lutte, donne l'avantage à l'adversaire. Ne crée d'obstacles à personne. Ne fais ni compétition ni concurrence. Choisis le chemin qui est libre ou que les autres n'empruntent pas. Avance le plus loin possible sur ce chemin. Et si d'autres empruntent la même voie, abandonne-la : pour toi, c'est une fausse direction. La vérité n'est exprimée que par les solitaires. Si de nombreuses personnes partagent tes convictions, cela signifie qu'il y a dedans un mensonge idéologique qui les arrange. Si tu as à choisir entre « être » et « paraître », donne la préférence au premier. Ne cède pas à l'ivresse de la gloire ou de la notoriété. Il vaut mieux être sous-estimé que surestimé. Rappelle-toi qui te juge et qui t'apprécie. Mieux vaut avoir un seul admirateur sincère et à ta hauteur que des milliers de faux adulateurs.

Ne force pas les autres. Contraindre les autres n'est pas une marque de volonté. Seule la contrainte de soi-même l'est. Mais ne permets pas aux autres de te contraindre. Résiste à la force supérieure par tous les moyens.

Accuse-toi de tout. Si tes enfants ont grandi cruels, c'est toi qui les as élevés ainsi. Si ton ami t'a trahi, c'est toi qui es coupable de t'être confié à lui. Si ta femme t’a trompé, c'est toi qui as rendu possible son infidélité.

Si le pouvoir t'opprime, tu es coupable d'avoir contribué à sa puissance.

à suivre

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lundi 29 juillet 2024

Alexandre Zinoviev - La zinoviega 1/6

 Chapitre extrait de « Les confessions d’un homme en trop » par Alexandre Zinoviev, éditions Olivier Orban, 1990, traduit du russe par Galia Ackerman et Pierre Lorrain. Réédité chez Gallimard dans la collection folio/actuel en octobre 1991.

 La zinoviega

 Ce qui précède concernait l'aspect intellectuel de mon Etat. Pour l'aspect extérieur, je me suis bâti un système de règles du comportement. Mes élèves, en plaisantant, ont appelé ce système la « zinoviega ».

J'ai créé la zinoviega pour mon usage personnel. Il m’arrivait parfois d'en parler à mes amis. Généralement, cela provoquait des rires, mais quelques-uns de mes interlocuteurs l'ont prise au sérieux et se sont même mis à la pratiquer. J'ai exposé certains de ses .éléments dans plusieurs de mes livres. Dans Va au Golgotha, je l'ai appelé le « laptisme » ou l'« ivanisme » du nom de mon héros, Ivan Laptev. Naturellement, mon enseignement y est exposé sous une forme littéraire et avec de nombreuses additions qui ne faisaient pas partie de ma doctrine personnelle.

Ma zinoviega ressemble aux formes connues de certaines religions, christianisme et bouddhisme surtout, sauf qu'elle a été conçue pour un homme cultivé de la seconde moitié du xx° siècle qui a grandi dans une société athée. En outre, elle n'était pas destinée à justifier le repli sur soi-même. Elle est à l'usage d'un homme qui vit normalement dans la société soviétique et se trouve obligé de travailler au sein d'un collectif, de remplir les obligations de son service et ses devoirs sociaux, d'avoir des confrontations avec ses supérieurs, d'utiliser les transports en commun, de faire des queues et d'avoir des relations de famille et des amis. Mon héros littéraire Ivan Laptev définit ainsi la zinoviega : comment être saint sans se priver de la vie pécheresse, comment vivre dans le marécage de notre société de telle sorte qu'elle recule à l'arrière-plan de votre conscience et qu'au premier plan apparaisse notre monde intérieur avec ses propres critères et valeurs qui trouveraient leur concrétisation dans nos actes.

Voici quelques principes de ma zinoviega :

Je rejette l'aspiration au bien-être matériel mais je n’en fais pas un refus catégorique. La société contemporaine abonde de séductions. Mais elle crée simultanément la possibilité de se contenter de peu et d'avoir tout sans posséder rien.

Mieux vaut ne rien avoir que de perdre tout. Il faut instruire sa vie de telle façon que l'on puisse avoir sans posséder. Apprends à perdre. Apprends à justifier ta perte et à trouver une compensation. N'achète pas ce dont tu peux te passer.

à suivre

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jeudi 4 juillet 2024

Rivière - réédition 2024

 En librairie le 4 juin 2024

Réédition en poche

aux éditions de La Contre Allée, collection La Sente :

                                                        "Rivière", roman

Format 11,5 cm x 17,5 cm, 168 pages, 9,50 €

Chronique récente : 
par Evlyne-Leraut sur le blog "L'élégance des livres"
« Rivière », vibrant et émouvant, dans cette ampleur littéraire essentialiste. Le grondement de la vie-même, un torrent qui dévale des vallées éphémérides.
L’horizon sans fin, les méandres frappent les pierres gorgées d’eau. Ce texte de Lucien Suel, puissamment fluvial, rassemble l’étymologie de ce mot : rivière [...]


Lire les chroniques de la première édition (2022)

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D'azur et d'acier - réédition 2024

 En librairie le 4 juin 2024

Réédition en poche aux éditions de La Contre Allée, collection La Sente :

"D'Azur & d'acier", poésie


Format 11,5 cm x 17,5 cm, 121 pages, 8 €.

Lire les chroniques de la première édition (2010) 

Chronique récente :

1. Sur le site Sitaudis, par François Huglo 

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jeudi 25 avril 2024

L' Appel du Large


 

 Invité dans le cadre de l'exposition "L'Appel du Large", rétrospective consacrée à l’œuvre de Gérard Duchêne au LAAC (Lieu d'Art et Action Contemporaine) de Dunkerque,  j'y donnerai une performance intitulée "POÉSIE EXPRESS SONORE & VI.SUEL.LE" le dimanche 5 mai 2024, à 16 h.

Pour accompagner les traces de pas laissées par l'artiste sur les plages du Nord, je lirai des poèmes choisis et montrerai au public sept de mes poèmes express agrandis et reproduits sur des bâches.

L'entrée est gratuite et il sera possible de visiter l'exposition une heure avant ma prestation.

Programme de la lecture :

1 Lame la lame lame la mer + Poème express n° 769

2 Tango Romeo Oscar Uniform (T.R.O.U.) + Poème express n°359

3 Les Champs de la Nuit + Poème express n°513

4 D 341 Chaussée Brunehaut + Poème express n°536

5 Ossuaire + Poème express n°597

6 Mer du Nord + Poème express n°776

7 Des Bruits dans les Bois (poème de Jack Kerouac, traduction L. Suel) + Poème express n°631

 Mes textes sont extraits de quatre recueils "Je suis debout" et "Ni bruit ni fureur" (Éditions de La Table Ronde), "Nous ne sommes pas morts" et "Arithmomania" (Éditions du Dernier Télégramme).
Le texte de Jack Kerouac est extrait du "Livre des esquisses" (La Table Ronde).

"Le Livre des poèmes express", album de 500 pages, vient de paraître au Dernier Télégramme.


 

 


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vendredi 5 avril 2024

Plage de Berck


  "Plage de Berck" est un poème inédit écrit en 2022 d'après un tableau de Ludovic-Napoléon Lepic peint en 1877. Une première lecture de ce poème a été présentée le 25 novembre 2022 au Palais des Beaux-Arts de Lille, face au tableau. 

 J'ai donné une deuxième lecture publique de "Plage de Berck" le 22 mars 2024 dans la salle Georges-Conchon à Clermont-Ferrand  à l'invitation de la 37ème Semaine de la Poésie. Ci-dessous, la vidéo de ma lecture (17 mn). 




La Plage de Berck

 

vaste étendue de sable mêlé de coquillages -  sur le rivage

un homme assis sur un pliant dessine le ciel qui

commence à s’assombrir

 

silence profond - quelques ronds concentriques troublent la surface des eaux -

les gouttes de pluie deviennent vite un déluge - l’artiste court -

trempé jusqu’aux os

 

des nuées d’orage roulent - masse sombre au-dessus du flot furieux -

le vent commence à siffler sous un ciel de plomb -

strié de noir

 

l’eau bouillonne entre les bancs de sable peuplés de phoques -

sur la plage - un reste de château-fort devient plus petit -

à chaque bourrasque

 

énormité des vagues - plumets d’écume blanche jaillissant de la jetée -

la pluie diminue - le temps s’éclaire - le vent reste violent -

tout est bouleversé

 

en surface - les vagues agitent les débris - galettes de goudron -

plaques de polystyrène - planches rabotées - sachets plastique - bidons - bouteilles vides -

foire aux détritus

 

ces épaves échoueront sur la plage ou rejoindront au cœur

de l’océan - le nouveau continent fondé sur un socle d'ordures

émergeant de l’eau

 

les créatures marines opéreront le tri sélectif dans les éléments

nutritifs - nouveaux maillons de la chaîne alimentaire - un recyclage écologique -

un développement durable

 

accompagnées par les cris des oiseaux marins - les âmes nomades

des noyés - venus du sud ou de l’orient - cheminent au-dessus

des vagues septentrionales

 

tout comme au commencement - l’esprit plane sur les eaux polluées -

le paradis occidental fantasmé demeure inabordable - qr code et cadenas-

au jardin d’Éden

 

***

 


 

Sylvia Plath prend des photos mouvantes - un jeu du soleil

avec les ombres - elle absorbe les images - enregistre le flux

splendide ou nostalgique

 

de ses visions - elle se sent paisible hors du cadre -

derrière son appareil photo - c’est elle qui définit le monde -

elle se déplace

 

pour capturer le rempart des bouchots plantés sur la grève -

sous le ciel de la côte d’opale - étonnantes formes enchevêtrées -

noires et moussues

 

seul mouvement - le sillage d’un bateau de pêche au loin -

sur la mer grise et calme - l’étrave la fend comme

une étoffe soyeuse

 

l’eau monte et baisse comme le soleil et les bateaux -

dans l'estuaire fangeux de l’Authie - odeur de fucus en putréfaction -

fourche à fumier

 

suivi par les goélands - un cheval traîne un tombereau d’algues -

un petit homme en cuissardes vertes avance dans une bâche -

flic flac floc

 

les vacances - foules de touristes agglutinés - en paquets - en grappes -

tous en même temps - dans les mêmes endroits - automobiles partout -

monde en folie

 

à l’automne - on en voit - pataugeant en bottes de caoutchouc -

dans la mer étale ou les champs boueux - glaneurs ramassant

crevettes ou patates -

 

***

 


 

Sylvia Plath aimerait se baigner - mais attention au courant d’arrachement -

danger - l’an passé - elle a bien failli se noyer - danger -

à marée descendante-

 

les avertissements étaient pour les autres - elle imaginait un bateau

la sauvant - mais elle sait que son corps n’aurait jamais

flotté jusqu’à Boston -

 

quelqu’un est mort - mort à voix basse - à marée basse -

quelques minutes de silence - dans ses poches détrempées - deux photos -

papa et maman -

 

sur le rivage - une silhouette féminine se découpe à contre-jour -

le peintre remballe son matériel - trois chiens trottinent en silence

sur le brise-lame

 

***

 


 

le capitaine d’aujourd’hui n’utilise ni sextant ni boule de cristal -

connexion au gps - au site de la météo marine - constellations

mises en ligne

 

l’avant du bateau poussé par les diesels monte et redescend -

traçant son sillon dans les creux entre les vagues déferlantes -

soc de charrue.

 

la flottille des bateaux de pêche progresse dans la brume -

silhouettes spectrales réduites à des éclats lumineux - intermittentes virgules vertes -

sur l’écran radar -

 

la longue caravane chaotique des icebergs détachés de la banquise

dérive vers la mer du nord - la manche - l’océan atlantique -

cubes de glace -

 

dans le bleu adorable - glacial et immaculé - la bise souffle -

une rafale soulève sable et débris de coquillages - elle crache -

crache au visage

 

la plage abandonnée s'allonge à l’infini - s’étire sous la nuée -

des phylactères de sable jaune filent parallèlement aux rouleaux d’écume -

paroles du vent -

 

sur la laisse de mer - chaque morceau de bois flotté -  

branche - palette ou planchette - chevron ou bastaing - caisse ou cageot -

raconte une histoire -

 

l’ourse polaire étale sa couverture blanche sous la voie lactée -

un voilier longe la côte le skipper contemple les étoiles -

le baudrier d’Orion -

 

les nuages se transforment en fumerolles rosées dans l’eau stagnante

des bâches - taches virtuelles glissant les unes sur les autres -

Berck bathing beauties -

 

sur d’autres plages - on attend sans mot dire - les mains

nouées dans le dos - les canots pneumatiques arrivant le soir -

dans le noir -

 

***

 

Sylvia Plath ouvre grand la fenêtre pour sentir le vent

se glisser dans ses cheveux dénoués - caresse de l’air marin -

parfum de l’océan

 

long chemin vers la plage - la crique de sable blanc -

la mer - le sable sous ses pieds - son regard perdu -

dans l’éternité grise -

 

prendre le large - marcher entre les dunes - loin des regards -

dans sa robe blanche et bleue - immensité de la plage -

camaïeu de beige -

 

un troupeau de cumulus piaffe dans les flaques d’eau -

ralenti de cinéma - ombres et lumières passant sur les oyats -

bout du monde -

 

***

 

sur la digue - avec une craie du crétacé - les filles

ont soigneusement tracé une marelle blanche - terre ciel bois goudron -

les quatre éléments -

 

le palet - poussé du pied - traverse les cases - le vent

d’ouest fait claquer le linge sur la corde - les robes

à volants virevoltent -

 

les enfants s’égosillent - penchée en avant - et son déséquilibre compensé

en levant une jambe - petite Sylvia vise la septième case -

saute et saute -

 

bravo - la voie est libre - la porte dans les nuages

va s’ouvrir pour accueillir la fillette - just behind the rainbow -

paradis des mouettes -

 

demoiselle - au prochain palet - au prochain lancer - au prochain pas

chassé - saute - tu iras au ciel - passe passe petite passe

la dernière restera -

 

marelle effacée - numéros délayés dans la pluie - dans le temps -

Sylvia a grandi - épousé un poète à Londres - est revenue -

puis a disparu

 

le plaisant écho des souliers vernis résonant sur le macadam

de l’esplanade - a évolué en ondes minuscules - inaudibles - s’aplanissant - s’éloignant -

dans le temps -

 

***

 

ligne de bécasseaux parallèle à la côte - avançant et reculant -

un chien aboie dans leur direction - le bruit des vagues

est plus fort -

 

un cerf-volant jaune doré se reflète dans les yeux noirs

d’un garçon - cerf-volant planant entre moutons d’écume et merveilleux nuages -

blanc et blanc

 

marée basse - vers les rouleaux lointains - torse et pieds nus -

en short noir - le garçon court sur le sable compact -

crevassé de ripple-marks -

 

ses pieds claquent sur le sol dur - la brise effleure

ses épaules - il cisaille les flaques - soulevant des gerbes d’étincelles

luisantes et colorées -

 

le soleil couchant et un sourire angélique éclairent son visage -

il accélère en approchant la mer - y pénètre en levant

haut les genoux -

 

cœur cognant - le garçon tombe sur le ventre - mains levées -

il brasse l’eau - puis se retourne - la mer le berce -

la mer l’apaise -

 

***

 

promenade - de Berck à Merlimont et retour par la plage -

l’artiste a loué une chambre à l’hôtel Bellevue sur l’esplanade -

phoques à l’horizon -

 

Sylvia Plath caressait l’idée de s'embarquer pour la pêche - mais

sans autorisation du préfet maritime - aucun capitaine n’a voulu d’elle -

femme - poète – déprimée -

 

crabe mort dans une coque - noyés ensemble - appel de détresse -

s.o.s - fosse commune - fosse sous-marine - oceano nox - le soleil disparaît -

lui aussi – englouti -

 

tout comme Vénus - la pluie naît de la mer - tombe

sur la terre - s’infiltre en elle - pour rejaillir en source -

et tout recommence -

Lucien Suel

La Tiremande, octobre 2022


 

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posted by Lucien Suel at 08:34 2 comments