mercredi 31 juillet 2024

Alexandre Zinoviev - La zinoviega 3/6

 Chapitre extrait de « Les confessions d’un homme en trop » par Alexandre Zinoviev, éditions Olivier Orban, 1990, traduit du russe par Galia Ackerman et Pierre Lorrain. Réédité chez Gallimard dans la collection folio/actuel en octobre 1991.

  La zinoviega

N'agis pas au nom des autres. Pense aux conséquences de tes actes pour les autres : tu en es responsable. Les bonnes intentions ne justifient pas les mauvaises conséquences de tes actes, de même les bonnes conséquences ne justifient pas les intentions mauvaises.

Le corps est  rongé  par des  microbes invisibles. L'âme est rongée par de menus soucis et émotions. Ne permets pas aux vétilles de la vie de s'emparer de ton âme.

Ne compte jamais sur l'appréciation objective de tes actes : elle n'existe pas. Les gens jugent ton comportement selon leurs intérêts et leur vision du monde. Les gens sont différents. Le même acte peut être bon pour les uns et mauvais pour les autres. Lorsqu'ils jugent les actes d'autrui, les gens ne sont jamais au courant de toutes les circonstances. N'oublie pas qu'il existe aussi des mensonges et des calomnies prémédités et que les gens ont tendance à idéaliser leurs idoles. Sache donc que tu vis et mourras incompris des autres. C'est la loi générale. Et toutes les « injustices » qu'on t'aura faites seront corrigées par la mort et l'oubli.

L'homme qui n'a aucun contrôle intérieur et extérieur de son comportement est capable de bassesse envers son prochain. Il n'est limité que par les autres. Par des efforts communs, les gens inventent des systèmes de limites sous forme de coutumes, du droit, de la religion et de la morale. Mais ces limites ne sont jamais absolues.

Au cœur du meilleur des hommes, il y a toujours un salaud qui peut remonter à la surface si le contrôle intérieur ou extérieur s'affaiblit. On ne peut donc se confier à personne. On peut toujours te tromper ou te jouer un mauvais tour. Cela concerne surtout tes proches : ils peuvent t'assener des coups particulièrement durs car tu ne t'y attends pas. Les ennemis de l'homme, disait Jésus, sont ses proches.

On ne peut se contenter de faire confiance aux gens. Il faut les placer dans des conditions telles qu'ils feront ce dont tu as besoin, non pour toi mais pour eux-mêmes. Evite les situations où tu risques d'être trompé. Attache-toi avec modération aux autres pour que la désillusion ne soit pas catastrophique.

à suivre

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mardi 30 juillet 2024

Alexandre Zinoviev - La zinoviega 2/6

Chapitre extrait de « Les confessions d’un homme en trop » par Alexandre Zinoviev, éditions Olivier Orban, 1990, traduit du russe par Galia Ackerman et Pierre Lorrain. Réédité chez Gallimard dans la collection folio/actuel en octobre 1991.

 La zinoviega

 L'aspiration aux plaisirs est une maladie typique de notre temps. Résiste à ce fléau et tu comprendras que la vraie jouissance se trouve dans le simple fait de vivre. Pour cela, il faut de la simplicité, de la clarté, de la modération et de la santé morale, qualités les plus simples qui deviennent rarissimes à notre époque. Pour la plupart des Soviétiques, la vie quotidienne indigente et la pénurie de tout ce qui fait plaisir est une réalité incontournable. Il faut penser à s'accommoder à cette vie et à trouver des compensations. Le seul moyen pour cela (si l'objectif de l'existence n'est pas la lutte pour le bien-être matériel) est de développer la spiritualité et les échanges spirituels. C'est vrai que l'homme aspire au bonheur. Mais le bonheur sans bornes et hors de tout contrôle de soi n'existe pas. Le bonheur ne peut être que la récompense de la modération et le résultat du contrôle de soi. Si tu te limites dans la vie quotidienne, ton ego se tournera vers un autre horizon. Ce n’est que là que le bonheur est possible. Autrement, ce n’est qu’une brève et éphémère illusion. La satisfaction naît de la victoire sur les circonstances. Mais le bonheur est le résultat de la victoire sur soi-même.

Je reconnais dans chaque être un Etat souverain, comme moi-même, indépendamment de sa situation sociale, de son âge, de son sexe ou de son niveau d'éducation. Mon attitude à l'égard des gens ne dépend ni de leur rang, ni de leur richesse, ni de leur notoriété, ni de leur utilité pour moi. Ce qui m'importe, c'est le degré de développement de leur âme et de leur personnalité.

J'adopte donc les principes suivants : Préserve ta dignité. Tiens-toi à distance des autres. Garde un comportement indépendant. Sois respectueux envers les autres et tolérant pour leurs faiblesses. Ne t'abaisse pas, ne fais pas de la lèche, quoi qu'il puisse t'en coûter. Ne traite personne de haut, même les nullités qui ne mériteraient que mépris. Appelle le génie, génie et le héros, héros. Ne magnifie pas les hommes de rien. Ne te rapproche pas des carriéristes, des intrigants, des calomniateurs et autres gens de peu. Discute, mais ne dispute pas. Parle, mais ne pérore pas. Explique, mais ne fais pas la propagande. Ne réponds pas si l'on ne te l'a pas demandé. Si on le fait, ne réponds que sur la question posée. N'attire pas l'attention. Si tu peux te passer de l'aide d'autrui, fais-le. N'impose pas ton aide. N'aie pas de relations trop proches avec les gens. Ne tente pas de pénétrer dans l'âme d'autrui et ne laisse personne pénétrer dans la tienne. Promets si tu es sûr de pouvoir tenir ta promesse. Si tu as promis, tiens ta promesse à tout prix. N'échafaude ni intrigues ni ruses. Ne sermonne pas. Ne te réjouis pas des malheurs d'autrui. Dans la lutte, donne l'avantage à l'adversaire. Ne crée d'obstacles à personne. Ne fais ni compétition ni concurrence. Choisis le chemin qui est libre ou que les autres n'empruntent pas. Avance le plus loin possible sur ce chemin. Et si d'autres empruntent la même voie, abandonne-la : pour toi, c'est une fausse direction. La vérité n'est exprimée que par les solitaires. Si de nombreuses personnes partagent tes convictions, cela signifie qu'il y a dedans un mensonge idéologique qui les arrange. Si tu as à choisir entre « être » et « paraître », donne la préférence au premier. Ne cède pas à l'ivresse de la gloire ou de la notoriété. Il vaut mieux être sous-estimé que surestimé. Rappelle-toi qui te juge et qui t'apprécie. Mieux vaut avoir un seul admirateur sincère et à ta hauteur que des milliers de faux adulateurs.

Ne force pas les autres. Contraindre les autres n'est pas une marque de volonté. Seule la contrainte de soi-même l'est. Mais ne permets pas aux autres de te contraindre. Résiste à la force supérieure par tous les moyens.

Accuse-toi de tout. Si tes enfants ont grandi cruels, c'est toi qui les as élevés ainsi. Si ton ami t'a trahi, c'est toi qui es coupable de t'être confié à lui. Si ta femme t’a trompé, c'est toi qui as rendu possible son infidélité.

Si le pouvoir t'opprime, tu es coupable d'avoir contribué à sa puissance.

à suivre

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lundi 29 juillet 2024

Alexandre Zinoviev - La zinoviega 1/6

 Chapitre extrait de « Les confessions d’un homme en trop » par Alexandre Zinoviev, éditions Olivier Orban, 1990, traduit du russe par Galia Ackerman et Pierre Lorrain. Réédité chez Gallimard dans la collection folio/actuel en octobre 1991.

 La zinoviega

 Ce qui précède concernait l'aspect intellectuel de mon Etat. Pour l'aspect extérieur, je me suis bâti un système de règles du comportement. Mes élèves, en plaisantant, ont appelé ce système la « zinoviega ».

J'ai créé la zinoviega pour mon usage personnel. Il m’arrivait parfois d'en parler à mes amis. Généralement, cela provoquait des rires, mais quelques-uns de mes interlocuteurs l'ont prise au sérieux et se sont même mis à la pratiquer. J'ai exposé certains de ses .éléments dans plusieurs de mes livres. Dans Va au Golgotha, je l'ai appelé le « laptisme » ou l'« ivanisme » du nom de mon héros, Ivan Laptev. Naturellement, mon enseignement y est exposé sous une forme littéraire et avec de nombreuses additions qui ne faisaient pas partie de ma doctrine personnelle.

Ma zinoviega ressemble aux formes connues de certaines religions, christianisme et bouddhisme surtout, sauf qu'elle a été conçue pour un homme cultivé de la seconde moitié du xx° siècle qui a grandi dans une société athée. En outre, elle n'était pas destinée à justifier le repli sur soi-même. Elle est à l'usage d'un homme qui vit normalement dans la société soviétique et se trouve obligé de travailler au sein d'un collectif, de remplir les obligations de son service et ses devoirs sociaux, d'avoir des confrontations avec ses supérieurs, d'utiliser les transports en commun, de faire des queues et d'avoir des relations de famille et des amis. Mon héros littéraire Ivan Laptev définit ainsi la zinoviega : comment être saint sans se priver de la vie pécheresse, comment vivre dans le marécage de notre société de telle sorte qu'elle recule à l'arrière-plan de votre conscience et qu'au premier plan apparaisse notre monde intérieur avec ses propres critères et valeurs qui trouveraient leur concrétisation dans nos actes.

Voici quelques principes de ma zinoviega :

Je rejette l'aspiration au bien-être matériel mais je n’en fais pas un refus catégorique. La société contemporaine abonde de séductions. Mais elle crée simultanément la possibilité de se contenter de peu et d'avoir tout sans posséder rien.

Mieux vaut ne rien avoir que de perdre tout. Il faut instruire sa vie de telle façon que l'on puisse avoir sans posséder. Apprends à perdre. Apprends à justifier ta perte et à trouver une compensation. N'achète pas ce dont tu peux te passer.

à suivre

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jeudi 4 juillet 2024

Rivière - réédition 2024

 En librairie le 4 juin 2024

Réédition en poche

aux éditions de La Contre Allée, collection La Sente :

                                                        "Rivière", roman

Format 11,5 cm x 17,5 cm, 168 pages, 9,50 €

Chronique récente : 
par Evlyne-Leraut sur le blog "L'élégance des livres"
« Rivière », vibrant et émouvant, dans cette ampleur littéraire essentialiste. Le grondement de la vie-même, un torrent qui dévale des vallées éphémérides.
L’horizon sans fin, les méandres frappent les pierres gorgées d’eau. Ce texte de Lucien Suel, puissamment fluvial, rassemble l’étymologie de ce mot : rivière [...]


Lire les chroniques de la première édition (2022)

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D'azur et d'acier - réédition 2024

 En librairie le 4 juin 2024

Réédition en poche aux éditions de La Contre Allée, collection La Sente :

"D'Azur & d'acier", poésie


Format 11,5 cm x 17,5 cm, 121 pages, 8 €.

Lire les chroniques de la première édition (2010) 

Chronique récente :

1. Sur le site Sitaudis, par François Huglo 

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