J'extrais
des archives de la Station Underground d'Emerveillement Littéraire
les huit chroniques intitulées « Vapeurs » que
Mauricette Beaussart écrivit pour le poézine « Le Dépli
amoureux » en 1987 et 1988.
En
octobre, c'était
la rentrée des classes et, invariablement, la maîtresse d'école
donnait, comme sujet de première rédaction, aux grandes du
certificat d'études : "C'est l'automne. Décrivez la nature à
cette époque de l'année." Quand j'atteignis le Cours de Fin
d’Études, comme les filles des années précédentes, je rédigeai
les clichés habituels sur les jours qui raccourcissent, le
brouillard matinal, les labours fumants ou la récolte des fruits. Je
n'écrivais rien sur l'ouverture de la chasse car déjà, je pensais
que les chasseurs avaient l'esprit aussi boueux que leurs bottes. Par
contre, je m'attardais longuement sur la cueillette des noisettes, le
ramassage des noix, les promenades à la recherche des rosés dans
les prairies (on n'osait pas écrire "dans les pâtures").
Maintenant, je cueille les fruits littéraires en toutes saisons.
Suis-je aussi mûre que les fruits de mon enfance ? C'est ce que
semblent penser Dan et Guy Ferdinande qui ont pris le risque de me
confier cet espace dans Le
Dépli.
En
cet automne de 1987, la récolte
des poires né sera pas ce qu'elle aurait dû être. Elle va me
manquer cette POIRE
D'ANGOISSE
dont je me tartinais les neurones depuis bientôt quatre ans. Elle
disparaît à son 132éme
numéro, sur une dernière image, ô combien symbolique ! "Autant
en emporte le vent !", semble nous dire le gracieux postérieur
féminin de la quatrième de couverture. En vérité, le vent a déjà
emporté beaucoup de ces revues que nous aimons ; mais l'esprit
souffle toujours, même pendant les accalmies. Je veux ici saluer le
travail de http://contemporains-favoris.blogspot.fr/.
A travers les 132 numéros de sa revue, il m'a fait découvrir tout
un monde, la laideur et la beauté, la douleur et le plaisir, la
poésie et l'humour, la mort et le rire. Lorsque j'appris qu'il
cessait de publier sa revue, et la tristesse première évacuée, un
sentiment de satisfaction me remplit en pensant au soulagement qui
devait être le sien. Ce n'est pas impunément que l'on publie, à
cette cadence, et dans l'esprit de liberté qui la caractérisait,
une telle revue dans un environnement général de plus en plus
avachissant.
Didier Moulinier a choisi de publier LA
POIRE D'ANGOISSE.
Il a choisi d'en faire cesser la parution. Tout est bien.
Je
ne chroniquerai donc jamais LA
POIRE D'ANGOISSE,
mais bien d'autres revues ont trouvé
ou trouvent l'entrée de ma boîte aux lettres. J'en parlerai donc,
ici ou ailleurs, maintenant ou demain. A l'heure ou le tube fécal
cathodique nous propose des émissions dites littéraires, dans
lesquelles des politiciens parasites, des viandes sportives ou des
vampires publicitaires viennent faire étalage de leur fatuité, de
leur bêtise ou de leur cynisme, il est réconfortant de voir que le
monde des revues reste actif, vigilant et risque-tout.
J'en
veux pour preuve l'existence d'une revue comme L'INVENTION
DE LA PICARDIE.
Je n'en finirais pas d'aligner les adjectifs qualificatifs à
son propos. Je me contente d'écrire que L'INVENTION
DE LA PICARDIE
est une revue admirable et essentielle. En voici le deuxième numéro
dans lequel nous retrouvons le tripode primordial : Ivar Ch'Vavar,
Flip-Donald Tyètdégvau et Martial Lengellé, accompagnés d'invités
de choix comme Pierre Garnier et la poésie spatialiste, Gilles
Laprévotte élargissant l'espace, Michel Debray qui manipule le
condensateur à lames variables, - nostalgiquement, Gaston Criel en
bricoleur de mots qui sait de quoi il écrit, Guy Ferdinande qui
dresse le constat à l'amer puis redresse la bête de son stylo,
Christophe Petchanatz aux paupières serrées saisissant des visions
braisées.
L'INVENTION
DE LA PICARDIE
arpente le versant provincial historique et linguistique avec une
étude
sur Jean-Baptiste-Louis Gresset (17O9-1777), l'injolemint
de Coula é Miquèle publié
anonymement en 1634, l'origine de Gayant, le géant douaisien... Mais
ce qui motive encore davantage mon admiration, ce sont les textes
signés Ivar Ch'Vavar, Martial Lengellé, Flip-Donald Tyètdégvau et
aussi Ghislain Biblocque et Konrad Schmitt. Ceci est de la poésie,
celle qui vous fait vibrer, qui vous exalte, qui vous hallucine, qui
vous fait éclater de rire ou sangloter, qui vous met mal à l'aise
ou qui vous fait fourmiller la cervelle. Je ne voudrais pas trop
dithyramber, mais les "Colonnes" de Martial Lengellé, en
même temps qu'elles renouvellent la forme du vers, fournissent
naturellement un aliment combustible pour ma carburation névrotique.
Ça
sent l'être humain, ça n'est pas de la purée de vocables ! La
suite de textes de Konrad Schmitt intitulée "La Libidoche"
est à couper le souffle. Dans sa série "A la communale",
Ch'Vavar réussit le prodige d'une écriture nostalgique à la fois
grinçante et émouvante. Je retiens encore le "Premier Fragment
Berckois" de Flip-Donald Tyètdôgvau, un texte hallucinant de
malaise et de mystique argileuse qui vaut son pesant d'antibiotiques
! A quoi répond l'hilarant voyage psychédélique de Ghislain
Biblocque sur la même plage de Berck. La polémique n'est pas
absente avec une lettre de Roland Wulverdinghe qui s'en prend aux
poètes chiants, et j'en connais aussi. Et Riquier Carrette qui règle
leur compte aux cuistres universitaires, charognards perchés sur la
tombe du grand Verlaine. "Que votre parole soit oui, oui, non,
non ; ce que l'on y ajoute vient du malin." (Matth. 5-37).
Pourtant, une chose encore, lisez et relisez L'INVENTION
DE LA PICARDIE.
"Oui,
oui", j'ai lu bien d'autres choses. "Non, non", je
n'ai pas toujours cet enthousiasme. Peut-être
serait-ce épuisant ! Pourtant, avant de conclure cette première
chronique, j'aimerais vous entretenir de deux parutions récentes
d'un intérêt certain. "Le Michel Champendal Illustré"
sous-titré "Ingrédients" est un bel ouvrage, épais, bien
imprimé (à 6O exemplaires) sur un très beau papier vert (très à
la mode, cette année ! Michel
Champendal
qui a cessé ses activités de libraire, publie ici un échantillon
de ce qu'il aima et rend ainsi hommage à la chose imprimée
intelligente ; cela va de Jarry aux Freak Brothers, en passant par
Clovis Trouille, Glen Baxter, Gaston Chaissac et bien d'autres. C'est
un encouragement à la curiosité, à l'effort en fait, mais fouiner
dans les revues de presse, dans les cartons de livres poussiéreux
des marchés aux puces, dans les catalogues de livres d'occasion,
est-ce vraiment douloureux ?
Par
exemple, feuilleter dans la collection ELECTRE
le dernier ouvrage de Sylvie
Nève
et de Mireille Désidéri est un plaisir d'ordre supérieur. Ce livre
intitulé "Erotismées" est un enchevêtrement
luxu(r)-riant, une forêt vierge (!) dans laquelle les dessins
(desseins) de Mireille Désidéri et les mots (l'émoi) de Sylvie
Nève se fondent dans l'imaginaire du lecteur qui se surprend à
remuer les lèvres en même temps que ... les yeux. Oserais-Je les
appeler consœurs ?
Le
Dépli amoureux n° 41, octobre 1987.
Mauricette
Beaussart
À
suivre...