ACADEMIE 23 - Lucien Suel ISSN : 2262-8177 dix-huitième année
jeudi 25 avril 2024
L' Appel du Large
Invité dans le cadre de l'exposition "L'Appel du Large", rétrospective consacrée à l’œuvre de Gérard Duchêne au LAAC (Lieu d'Art et Action Contemporaine) de Dunkerque, j'y donnerai une performance intitulée "POÉSIE EXPRESS SONORE & VI.SUEL.LE" le dimanche 5 mai 2024, à 16 h.
Pour accompagner les traces de pas laissées par l'artiste sur les plages du Nord, je lirai des poèmes choisis et montrerai au public sept de mes poèmes express agrandis et reproduits sur des bâches.
L'entrée est gratuite et il sera possible de visiter l'exposition une heure avant ma prestation.
Programme de la lecture :
1 Lame la lame lame la mer + Poème express n° 769
2 Tango Romeo Oscar Uniform (T.R.O.U.) + Poème express n°359
3 Les Champs de la Nuit + Poème express n°513
4 D 341 Chaussée Brunehaut + Poème express n°536
5 Ossuaire + Poème express n°597
6 Mer du Nord + Poème express n°776
7 Des Bruits dans les Bois (poème de Jack Kerouac, traduction L. Suel) + Poème express n°631
Mes textes sont extraits de quatre recueils "Je suis debout" et "Ni bruit ni fureur" (Éditions de La Table Ronde), "Nous ne sommes pas morts" et "Arithmomania" (Éditions du Dernier Télégramme). Le texte de Jack Kerouac est extrait du "Livre des esquisses" (La Table Ronde).
"Plage de Berck" est un poème inédit écrit en 2022 d'après un tableau de Ludovic-Napoléon Lepic peint en 1877. Une première lecture de ce poème a été présentée le 25 novembre 2022 au Palais des Beaux-Arts de Lille, face au tableau.
J'ai donné une deuxième lecture publique de "Plage de Berck" le 22 mars 2024 dans la salle Georges-Conchon à Clermont-Ferrand à l'invitation de la 37ème Semaine de la Poésie. Ci-dessous, la vidéo de ma lecture (17 mn).
La
Plage de Berck
vaste étendue de sable mêlé de coquillages
- sur le rivage
un homme assis sur un pliant
dessine le ciel qui
commence à s’assombrir
silence profond - quelques ronds
concentriques troublent la surface des eaux -
les gouttes de pluie deviennent vite
un déluge - l’artiste court -
trempé jusqu’aux os
des nuées d’orage roulent - masse
sombre au-dessus du flot furieux -
le vent commence à siffler sous
un ciel de plomb -
strié de noir
l’eau bouillonne entre les bancs
de sable peuplés de phoques -
sur la plage - un reste de
château-fort devient plus petit -
à chaque bourrasque
énormité des vagues - plumets
d’écume blanche jaillissant de la jetée -
la pluie diminue - le temps
s’éclaire - le vent reste violent -
tout est bouleversé
en surface - les vagues agitent
les débris - galettes de goudron -
plaques de polystyrène - planches
rabotées - sachets plastique - bidons - bouteilles vides -
foire aux détritus
ces épaves échoueront sur la
plage ou rejoindront au cœur
de l’océan - le nouveau
continent fondé sur un socle d'ordures
émergeant de l’eau
les créatures marines opéreront
le tri sélectif dans les éléments
nutritifs - nouveaux maillons de
la chaîne alimentaire - un recyclage écologique -
un développement durable
accompagnées par les cris des
oiseaux marins - les âmes nomades
des noyés - venus du sud ou de
l’orient - cheminent au-dessus
des vagues septentrionales
tout comme au commencement - l’esprit
plane sur les eaux polluées -
le paradis occidental fantasmé
demeure inabordable - qr code et cadenas-
au jardin d’Éden
***
Sylvia Plath prend des photos mouvantes
- un jeu du soleil
avec les ombres - elle absorbe les
images - enregistre le flux
splendide ou nostalgique
de ses visions - elle se sent paisible
hors du cadre -
derrière son appareil photo - c’est
elle qui définit le monde -
elle se déplace
pour capturer le rempart des
bouchots plantés sur la grève -
sous le ciel de la côte d’opale -
étonnantes formes enchevêtrées -
noires et moussues
seul mouvement - le sillage d’un
bateau de pêche au loin -
sur la mer grise et calme - l’étrave
la fend comme
une étoffe soyeuse
l’eau monte et baisse comme le
soleil et les bateaux -
dans l'estuaire fangeux de l’Authie
- odeur de fucus en putréfaction -
fourche à fumier
suivi par les goélands - un
cheval traîne un tombereau d’algues -
un petit homme en cuissardes
vertes avance dans une bâche -
flic flac floc
les vacances - foules de touristes
agglutinés - en paquets - en grappes -
tous en même temps - dans les
mêmes endroits - automobiles partout -
monde en folie
à l’automne - on en voit - pataugeant
en bottes de caoutchouc -
dans la mer étale ou les champs
boueux - glaneurs ramassant
crevettes ou patates -
***
Sylvia Plath aimerait se baigner
- mais attention au courant d’arrachement -
danger - l’an passé - elle a bien
failli se noyer - danger -
à marée descendante-
les avertissements étaient pour
les autres - elle imaginait un bateau
la sauvant - mais elle sait que
son corps n’aurait jamais
flotté jusqu’à Boston -
quelqu’un est mort - mort à voix
basse - à marée basse -
quelques minutes de silence - dans
ses poches détrempées - deux photos -
papa et maman -
sur le rivage - une silhouette
féminine se découpe à contre-jour -
le peintre remballe son matériel
- trois chiens trottinent en silence
sur le brise-lame
***
le
capitaine d’aujourd’hui n’utilise ni sextant ni boule de cristal -
connexion
au gps - au site de la météo marine - constellations
mises
en ligne
l’avant du bateau poussé par les
diesels monte et redescend -
traçant son sillon dans les
creux entre les vagues déferlantes -
soc de charrue.
la flottille des bateaux de
pêche progresse dans la brume -
silhouettes spectrales réduites
à des éclats lumineux - intermittentes virgules vertes -
sur l’écran radar -
la longue caravane chaotique des
icebergs détachés de la banquise
dérive vers la mer du nord - la
manche - l’océan atlantique -
cubes de glace -
dans le bleu adorable - glacial
et immaculé - la bise souffle -
une rafale soulève sable et
débris de coquillages - elle crache -
crache au visage
la plage abandonnée s'allonge à l’infini
- s’étire sous la nuée -
des phylactères de sable jaune
filent parallèlement aux rouleaux d’écume -
paroles du vent -
sur la laisse de mer - chaque morceau
de bois flotté -
branche - palette ou planchette -
chevron ou bastaing - caisse ou cageot -
raconte une histoire -
l’ourse polaire étale sa
couverture blanche sous la voie lactée -
un voilier longe la côte le skipper
contemple les étoiles -
le baudrier d’Orion -
les nuages se transforment en
fumerolles rosées dans l’eau stagnante
des bâches - taches virtuelles
glissant les unes sur les autres -
Berck bathing beauties -
sur d’autres plages - on attend
sans mot dire - les mains
nouées dans le dos - les canots
pneumatiques arrivant le soir -
dans le noir -
***
Sylvia Plath ouvre grand la
fenêtre pour sentir le vent
se glisser dans ses cheveux
dénoués - caresse de l’air marin -
parfum de l’océan
long chemin vers la plage - la
crique de sable blanc -
la mer - le sable sous ses pieds
- son regard perdu -
dans l’éternité grise -
prendre le large - marcher entre
les dunes - loin des regards -
dans sa robe blanche et bleue - immensité
de la plage -
camaïeu de beige -
un troupeau de cumulus piaffe
dans les flaques d’eau -
ralenti de cinéma - ombres et
lumières passant sur les oyats -
bout du monde -
***
sur la digue - avec une craie du
crétacé - les filles
ont soigneusement tracé une
marelle blanche - terre ciel bois goudron -
les quatre éléments -
le palet - poussé du pied - traverse
les cases - le vent
d’ouest fait claquer le linge
sur la corde - les robes
à volants virevoltent -
les enfants s’égosillent - penchée
en avant - et son déséquilibre compensé
en levant une jambe - petite
Sylvia vise la septième case -
saute et saute -
bravo - la voie est libre - la
porte dans les nuages
va s’ouvrir pour accueillir la
fillette - just behind the rainbow -
paradis des mouettes -
demoiselle - au prochain palet -
au prochain lancer - au prochain pas
chassé - saute - tu iras au ciel
- passe passe petite passe
la
dernière restera -
marelle effacée - numéros
délayés dans la pluie - dans le temps -
Sylvia a grandi - épousé un
poète à Londres - est revenue -
puis a disparu
le plaisant écho des souliers
vernis résonant sur le macadam
de l’esplanade - a évolué en
ondes minuscules - inaudibles - s’aplanissant - s’éloignant -
dans le temps -
***
ligne de bécasseaux parallèle à
la côte - avançant et reculant -
un chien aboie dans leur
direction - le bruit des vagues
est plus fort -
un cerf-volant jaune doré se
reflète dans les yeux noirs
d’un garçon - cerf-volant planant
entre moutons d’écume et merveilleux nuages -
blanc et blanc
marée basse - vers les rouleaux
lointains - torse et pieds nus -
en short noir - le garçon court
sur le sable compact -
crevassé de ripple-marks -
ses pieds claquent sur le sol
dur - la brise effleure
ses épaules - il cisaille les
flaques - soulevant des gerbes d’étincelles
luisantes et colorées -
le soleil couchant et un sourire
angélique éclairent son visage -
il accélère en approchant la mer
- y pénètre en levant
haut les genoux -
cœur cognant - le garçon tombe
sur le ventre - mains levées -
il brasse l’eau - puis se retourne
- la mer le berce -
la mer l’apaise -
***
promenade - de Berck à Merlimont
et retour par la plage -
l’artiste a loué une chambre à
l’hôtel Bellevue sur l’esplanade -
phoques à l’horizon -
Sylvia Plath caressait l’idée de
s'embarquer pour la pêche - mais
sans autorisation du préfet
maritime - aucun capitaine n’a voulu d’elle -
femme - poète – déprimée -
crabe mort dans une coque - noyés
ensemble - appel de détresse -
s.o.s - fosse commune - fosse
sous-marine - oceano nox - le
soleil disparaît -
lui aussi – englouti -
tout comme Vénus - la pluie naît
de la mer - tombe
sur la terre - s’infiltre en elle
- pour rejaillir en source -