lundi 7 août 2023

Eszalo - Les saules - Los sauses - De knotwilgen

Mon poème Eszalo (Les Saules) a été publié par Ivar Ch'Vavar en mars 1998 dans "le jardin ouvrier" n° 16. C'est mon deuxième poème écrit en langue picarde, après Duki son chévio (Où ont les veaux ?)

Il existe à ce jour trois autres versions de ce poème : en français, en néerlandais et tout récemment une version en occitan, traduction de Bruno Peyras qui a également traduit Patismit dans sa langue occitane pour la revue "OC". Nous avons lu ces deux poèmes, en picard et en occitan, pour le public présent à Sète à l'occasion du festival Voix Vives 2023.

Voici donc les quatre versions du poème avec une photo de Josiane Suel

los sauses

son los arbres que m’agradan mai los ai totjorn agachats

plan tendrament e mai quand èri jove

èron de bon escalabrar e sovent

de passerats pichons i nisavan pels traucs

ara es pas parièr soi pas mai pro sople

per escalabrar los arbres e mai de sauses e quant als passerats

los daissi en patz dins son nis mas demòra quicòm

ambe’ls sauses soi totjorn plan content quand

ne vesi un aquò’s pas talament las fuèlhas es segur que

son polidetas semblan lo peis que se ditz espinagueta

e i a tanben aquela bona nolença quand se passa dejós

mas cresi que se los aimi tant es perqué tenon

pas una fòrma naturala es l’òme que los cepa

segur qu’es el es l’òme que lor dona un

cap una cabassa plena de bòças e mai ieu

ne cepèri de sauzes los plantèri aicí al cap de mon

òrt ja fa qualquas annadas veses te cal préner

una branqueta jove de sauze la cal enfonsar dins la tèrra

aquò farà totjorn de fuèlhas e de raices puèi ba copas

e torna far de brancas a la cima l’annada d’apuèi e ben

las tornas copar, fas atal cada an ba fas metam

pendent cinc sièis ans a fòrça lo cap se fòrma

puèi ba cal pas copar tan sovent ba daissas venir gròs

ambe’ls sauzes se degalha pas res se poiriá dire

que lo sauze es lo porcèl de l’òrt tot i es bon

ambe las fuèlhas se fa de fems, s’utiliza los ramèls

per paisselar los plants de peses cal préner las brancas mai longas

pels favòls a ramas quand son bravament gròssas

se’n pòt servir de lenha e quand lo sauze ven

vièlh qu’es a mitat poirit se càmbia en terranha

ne metes dins los geraniums mas çò que i a de pus bèl

ambe’ls sauzes es qu’an lo cap a la meteissa nautura

que tu e ieu quand soi a costat d’un alavetz

me pòdi pas empachar d’i passar tot doçament

la man pel cap li careçi son capàs.

Adaptacion a l’occitan Bruno Peiràs
(ajudat per Josiana Ubaud pel vocabulari bontanic)

 

 

eszalo

chészap ekjalpuker jesza toudi ravizé
aveukgramin dtindrech memkankjétojonn
izétott facilagrimpé é yavokor souvin
déjonnmuchlo kiféjott leuni dinchétro
asteur chépuparel jénsumipu acésuptil
poumontéaszap mem edszalo épichémonio
jlélechtrankil dinleuni méyacorkitkos
ackeszalo echsu toudi finbénach kanké
jninvouin chépontanchéfeul chéssurkal
sonbélott aszarsonn adé tiott zépinok
épiya chbonsintimin kankonpassindzeur
méchkrouksi keusza ker chetakos kizon
pon ennformnaturel chéchlomm kiléform
ché sur chéli chéchlomm kileudonn enn
tett enn gross tett plennedboch mimem
jennafé dzalo eszaplanté ichioboudmin
gardin yadja kikzané tévou ifo printt
enn jonnbrankdalo ifolintiké dinlterr
chafétoudidéfeul édérachenn épitélkop
éyarfé débrank totin o lanédapré ébin
tzarkop téfékomchatouszan telfé méton
pindinchenksizan aforch eltett asform
aprételkoppu sisouvin tel lechgrochir
ackeszalo tenn gaspilpon mirin tédiro
klalo chélpourcho dechgardin touyébon
chéfeul chédufi-in chétitt zéramur in
léprin pouchétiopo é chélonkbrank ché
pouszarikoaram kankinna dévrémingross
téléprin poutkofé épikankchlalo i vi-
in viu kiéamitanpouri chafédutéro tel
médinché jéraniom mécor chakia dpubio
ackeszalo chékizonleutett almem oteur
kti é mi kankechsuakoté denn alo jenn
peuponfer otremin kedpassé touduchmin
em-min sustett jli karess esgrosstett
Lucien Suel

Photo Josiane Suel

les saules

ce sont mes arbres préférés je les ai toujours regardés
avec beaucoup de tendresse même dans ma jeunesse
on pouvait y grimper aisément et souvent
de jeunes moineaux y faisaient leur nid dans les trous
maintenant les choses ont changé je ne suis plus assez souple
pour grimper dans les arbres même les saules quant aux moineaux
je les laisse en paix dans leur nid mais il reste quelque chose
avec les saules je suis toujours content quand
j’en aperçois un ça n’est point tant à cause des feuilles c’est sûr qu’elles
sont jolies on dirait des petites épinoches
et il y a aussi cette bonne odeur lorsqu’on passe en dessous
mais je crois que si j’aime tant les saules c’est parce qu’ils n’ont
pas une forme naturelle c’est l’homme qui les forme
c’est sûr c’est lui c’est l’homme qui leur donne une
tête une grosse tête pleine de bosses j’ai moi-même
formé des saules je les ai plantés ici au bout de mon
jardin voilà déjà quelques années vois-tu il te faut prendre
une jeune branche de saule il faut l’enfoncer dans la terre
ça fera toujours des feuilles et des racines ensuite tu coupes
et d’autres branches repoussent au sommet l’année suivante eh bien
tu les coupes encore tu procèdes ainsi tous les ans tu fais ça disons
pendant cinq ou six ans à la fin la tête se forme
ensuite il ne faut plus couper aussi souvent tu laisses grossir
avec les saules on ne gaspille rien on pourrait dire
que le saule c’est le cochon du jardin tout est bon chez lui
on composte les feuilles on utilise les rameaux
pour tuteurer les plants de petits pois on prend les plus longues branches
pour les haricots à rames quand elles sont vraiment grosses
on peut s’en servir pour le chauffage et quand le saule
vieillit qu’il est à moitié pourri il se transforme en terreau
tu en mets dans les géraniums mais ce qu’il y a de vraiment bien
avec les saules c’est qu’ils ont leur tête à la même hauteur
que toi et pour ma part quand je suis à côté d’un saule je ne
peux pas m’empêcher de passer tout doucement
ma main sur sa tête je lui caresse sa grosse tête
Lucien Suel
(traduit du picard par l’auteur)
 
De knotwilgen betrekken de wacht langs de westgrens van de tuin. Het mooie jaargetijde zal ze weer hun zilvergroene camouflage geven. Ze hebben geen natuurlijke vorm. De mens vormt ze, het is de mens die ze een kop geeft, een dikke kop vol bulten. Aanvankelijk waren ze in de grond niet meer dan een simpele spriet, een fijne twijg, een tak die jaarlijks wordt bijgeknipt. De wonden helen en de wilg groeit koppig weer aan. Hij krijgt karakter. Dan draagt de opzwellende kop met trots een kroonluchter van bladeren in de vroege zomerlucht. Niets is verkeerd aan hem. De wilg, het varken van de tuin. Bladeren voor op de composthoop. Stokken voor de bonen en rijshout voor de erwten. Teelaarde geworden oude wilg voedt geraniums. Maar fier staat manshoog de volwassen wilg. De tuinman aait heel zachtjes over z’n dikke kop. De wilg leeft. De wilg houdt stand. Zijn blaadjes lichten op als stekelbaarsjes tussen de sterren. 
Texte néerlandais par Johan Everaers

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mercredi 21 septembre 2022

William Burroughs Délégué à l’Assainissement

Cet essai de William Burroughs a été publié en 1978 dans le magazine américain CRAWDADDY où l’écrivain avait une rubrique mensuelle intitulée « Time of the Assassins ». Ce texte a paru en France en 1979 dans le n° 12 du magazine « STARSCREWER »

 

Après avoir donné des cours sur la Création Littéraire, il y a quelques années, mes propres facultés de création étaient descendues à un niveau très bas jamais atteint précédemment. Vraiment, j'étais dans la situation de l'écrivain bloqué et mon jeune assistant, un idéaliste, se plaignait de ce que je restais tout bonnement assis à mon bureau à ne rien faire de la journée et c'était la vérité. Ceci me donna à penser (comme disent les Français) : peut-on enseigner l'Art d'Ecrire ? Et les Muses ne me punissaient-elles pas à cause de mon impiété et des graves indiscrétions que j'aurais commises en révélant les Secrets à des auditeurs totalement incapables de les recevoir ? - comme si vous distribuiez des billets de 100 dollars et que personne n'en veuille. Je m'étais aussi aperçu que dans l'esprit de mes étudiants, l'image de « William Burroughs » avait très peu de rapports avec la réalité. Ils étaient déçus parce que je donnais mes cours avec une cravate et en complet-veston. Ils avaient espéré, je présume, me voir apparaître nu comme un ver, une lanière de cuir à la main. Tout compte fait, une expérience décevante.

Mais au juste, que diable enseignais-je ? « La Création Littéraire », mon dieu, qu'est-ce que ça veut dire ? J'aurais aimé leur faire passer à tous l'envie de faire une carrière d'écrivain. A la place, devenez plombier - (J'avais envie de hurler) - et remplissez votre foutu réfrigérateur géant avec des saucisses de Strasbourg, de la gnole glacée et de l'eau minérale Malvern, et regardez votre télé couleurs à télécommande et pelotez la 90-90 assise sur vos genoux en attendant l'ouverture de la chasse aux daims quand tous les citoyens respectables seront planqués dans leurs caves protégés par des piles de sacs de sable. Ou devenez médecin pour l'amour du ciel - une fois que vous aurez été reconnu comme le meilleur trou du cul de docteur qui puisse être, vous n'aurez pas à vous tracasser au cas où, l'année prochaine, il n'y aurait plus de trous du cul à opérer. Mais peut-être que l'année prochaine, il n'y aura plus un seul trou du cul pour acheter mes livres...

Soyons justes, peut-être que dans la classe, deux ou trois ne seront pas dissuadés. Eh bien, mon conseil est le suivant : trouvez-vous un bon agent littéraire et un bon conseiller fiscal si jamais vous arrivez à vous faire de l'argent et rappelez-vous : la renommée ne se mange pas. Et vous ne pouvez écrire que si vous voulez écrire et vous ne pouvez vouloir que si vous le ressentez vraiment. Admettons que vous soyez docteur avec une clientèle intéressante. Aujourd'hui vous ne vous sentez pas trop en forme - des ennuis de famille et autre chose sur quoi vous ne pouvez même pas mettre un nom - et vous êtes salement de mauvaise humeur, vous glissez cette tablette de chlorophylle dans votre bouche pour dissimuler ces trois verres bus en vitesse - (cette vieille pute en parlerait à tout Palm Beach, « Ma chère, il était ivre... ») Bon, vous pouvez quand même y aller et que diable, un quart de grain de morphine à chaque malade. Pas la peine de chercher à savoir ce qui ne va pas chez eux, ils se sentiront tout de suite mieux et me loueront comme le meilleur des « guérit-tout ». Et si la brigade des Stups me cherche des poux dans la tête, je n'aurai qu'à leur dire « Bon, je pars m'installer aux Isles Bahrein, alors prenez ma clientèle et foutez-vous la au cul ». Je veux dire que même si vous ne vous en ressentez pas trop pour la pratique médicale, vous pouvez quand même continuer. Même chose pour les hommes de loi ; si tel ou tel cas ne vous intéresse pas, tout ce que vous avez à faire, c'est de vous trouver un suppléant et vous pourrez aller passer un mois à Martha's Vineyard à fumer le cigare.

Dans ces autres professions, vous pouvez toujours faire semblant. Par contre, si vous écrivez sans y croire, vous ne produirez que de la merde. Le métier a beaucoup d'inconvénients ? Bien sûr, vous pouvez sortir d'une villa aux Bahamas en chevauchant un requin blanc ou vous pouvez passer vingt ans à écrire Le Grand Livre que personne ne pourra lire. James Joyce a écrit quelques-unes des meilleures pages de prose en littérature - Les Morts, Gens de Dublin - mais pouvait-il en rester là et se cantonner à des histoires délicieuses à propos des Catholiques Irlandais malheureux ? Si ç'avait été le cas, le monde l'aurait récompensé en lui accordant le prix Nobel. Maintenant personne n'a jamais dit à un docteur : « Écoute, toubib, tes opérations du cul sont vraiment extra, beaucoup de tantouzes te sont reconnaissantes de pouvoir continuer à se faire enculer mais faudrait qu'tu trouves quelque chose de nouveau » --. Naturellement, il n'a pas à trouver quelque chose. C'est toujours le même bon vieux cul. Mais un écrivain doit produire du neuf, ou il doit standardiser son produit - l'un ou l'autre. Ainsi je pourrais standardiser le produit Peter Pan-Pédé-Garçon Sauvage, et en sortir un tous les ans comme la série des Tarzan ; ou bien je pourrais écrire un Finnegans Wake. Aussi, j'ai cette idée au sujet d'un privé et des Cités de la nuit rouge. Quien sabe ?

Prenons le monde du spectacle ; aujourd'hui, vous pouvez être le premier du hit parade, la coqueluche du show business... comme Dwight Fisk qui faisait ces horribles sketches à double sens dans les années trente. « C'est l'homme qui m'a piquée à l'hôtel Astor, juste sous l'entresol et pendant plusieurs jours, on n'a plus vu ta mère, comme ça mon petit cœur, tu sais maintenant à quoi tu dois ton départ, ça vient d'une piqûre juste sous l'entresol ». A l'époque actuelle, ce genre de connerie, on n'en a plus rien à foutre.

Mais vous ne verrez jamais un médecin, un homme de loi, un ingénieur, un architecte à qui on demandera d'être le champion du monde dans sa branche ou bien il n'aurait plus qu'à vendre des cravates au coin de la rue ou à se faire sauter la cervelle.

Le physicien atomiste n'a pas de raison de s'inquiéter, les gens voudront toujours s'entre-tuer sur une grande échelle. Évidemment, son frigo est bourré de saucisses et d'eau minérale, comme chez un plombier. Rien ne peut lui arriver ; subventions, bourses d'étude, un arc-en-ciel sur sa sépulture et une pierre tombale qui brille dans le noir. Cependant, les artistes ont un certain pourcentage de liberté. Un écrivain a peu de pouvoir, mais c'est vrai qu'il a de la liberté, du moins en Occident, Mr Evtouchenko. Pensez bien à cela. Vous ne voulez qu'être le porte-parole du pouvoir ? Plus il y a de pouvoir, moins il y a de liberté. Un politicien n'a pratiquement pas de liberté. On me demande souvent « Que feriez-vous si vous étiez le dictateur de l'Amérique ? Que feriez-vous si vous aviez un milliard de dollars ? » Selon le mot de mon ami Ahmed Jacoubi « Ce question (sic) n'est pas d'opinion personnelle ». Il faut poser une question préalable : Comment feriez-vous pour être président, dictateur, milliardaire ? De la réponse à cette question dépend ce que vous feriez. Parce qu'on n'est pas téléporté magiquement dans ces situations. On y arrive pas à pas, d'une manière discontinue, et chaque pas a sa contrepartie en conditions et en prix.

Pour prendre un exemple microcosmique : mon humble désir d'être Délégué à l'Assainissement pour la ville de St Louis, et mes rêves puérils quand j'imaginais ce que je ferais après avoir décroché cette situation. Ces rêveries ont été esquissées dans un essai que j'ai écrit pour les Éditions Harper en réponse à la question « Quand arrêterez-vous de vouloir être le président?  ». J'avais imaginé une tranquille sinécure, des marchés véreux de canalisations d'égouts, ma maison remplie de jeunes gens langoureux et vicieux dont la presse dirait qu' « ils ne sont que des laquais au service de Sa Majesté, Le Sultan des Égouts ». Je supposais que ma position était assurée par ma connaissance de certaines saloperies concernant le gouverneur et que j'occuperais mes après-midis dans des orgies sauvages ou alors que je fumerais l'herbe du Chef de la Police en me livrant avec délices à la paresse dans la puanteur dégagée à des lieues à la ronde par les canalisations rompues du tout à l'égout.

Mais d'abord pourquoi m'aurait-on nommé Délégué à l'Assainissement ? La fonction n'en a que le nom. On ne vous demande pas d'avoir des compétences. On ne m'a pas nommé sur mes connaissances en matière d'égouts ou sur mes capacités à faire ce boulot - Alors, pourquoi ? Eh bien ! Peut-être que j'ai travaillé pour le Parti pendant un certain nombre d'années et qu'on me doit bien une récompense ? Cependant, il faudra que je donne quelque chose en échange. Peut-être que je peux exercer mon influence sur quelques votes. Quelle action attend-on de moi pour que je puisse justifier de cette rémunération ? Peut-être qu'ils espèrent me faire payer les pots cassés concernant le marché des canalisations. Si c'est ça, il faudra que je fasse attention à l'utilisation de ma signature. Peut-être qu'ils espèrent de moi des contributions aux fonds de la campagne électorale, je suis dans une position favorable, ayant mes entrées chez les gens à pognon. Une chose est sûre - ils attendent de moi quelque chose en retour. Et puis maintenant un marché de dessous de table sur des canalisations au rabais, cela suppose des adjudicataires, des experts-comptables, et tout un tas d'emmerdements, avec des emmerdeurs et des prête-noms qu'il faut payer en faveurs et en espèces. Donc ma maison n'est pas remplie de jeunes gens langoureux et vicieux, elle est pleine d'emmerdeurs et de politiciens au gros cul, imbibés de bourbon et fumant des cigares. Je sais quelque chose sur le gouverneur ? J'aurais intérêt à faire vachement gaffe qu'il ne sache pas quelque chose sur moi. Le Délégué, à l'instar de la femme de César doit être au-dessus de tout soupçon, et qui plus est, au-dessus de tout soupçon concernant des orgies sexuelles et l'usage de stupéfiants. Il faudrait que je sois cinglé pour me compromettre avec le Chef de la Police. Bien sûr, je peux toujours lui passer un coup de fil pour faire sauter une contravention de stationnement interdit, mais j'ai plutôt intérêt à ne pas toucher à la marijuana saisie par ses services à moins que d'autres dans des situations plus élevées ne soient impliqués dans l'affaire.

Et même si j'arrivais à dégotter quelques extras pour protéger les égouts contre le sabotage communiste, ça ne serait pas des jeunes gens élégants. Plus probablement, j'aurais sur le dos le beau-frère taré du shérif, celui qui n'est même pas capable d'être veilleur de nuit, et aussi deux ou trois débiles du même acabit. Donc si je ne peux pas faire ce que je veux en tant que simple Délégué à l'Assainissement, je pourrais encore moins faire ce que je voudrais en étant président des Etats-Unis. Je supprimerais l'Armée et la Marine et j'utiliserais tout le budget de la Défense pour faire construire des centres de thérapie sexuelle n'est-ce-pas ? Je légaliserais la marijuana ? Annulerais l'Oriental Exclusion Act ? Supprimerais l'impôt sur le revenu pour les artistes et taxerais lourdement les riches ? Je voudrais bien vivre longtemps. Je pense que Richard Nixon restera dans l'histoire comme un véritable héros populaire, celui qui a porté un coup fatal au concept morbide de l'idole vénérée et qui a rendu au peuple américain la vertu de l'irrévérence et du scepticisme.

William Burroughs

Traduction de Lucien Suel

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mercredi 31 août 2022

Une nouvelle de Charles Bukowski

                                                               L’Homme Gelé

 

un de mes meilleurs amis — tout du moins je le considère comme un ami — un des meilleurs poètes de notre Age en est affligé, en ce moment, à Londres, et déjà les Grecs connaissaient ça, et les Anciens et ça peut arriver à tout âge mais le meilleur âge pour ça c'est vers la fin de la quarantaine, en allant sur cinquante, et j'appelle ça Immobilité — une faiblesse du mouvement, un manque croissant d'intérêt et d'émerveillement, j'appelle ça Pose de l'Homme Gelé, bien que ça n'ait pas grand-chose à voir avec une POSE, mais ça vous fera peut-être considérer le cadavre avec UN PEU d'humour ; autrement la noirceur de la chose serait trop grande. tous les hommes sont affligés, à un moment ou à un autre, par la position de l'Homme Gelé et ça se manifeste le plus facilement par des phrases plates comme « j'y arrive plus » ou « et merde pour toute cette chierie » ou « faites mes amitiés à Broadway[1] ». mais généralement ils récupèrent vite et continuent à pointer au boulot et à battre leurs femmes, mais en ce qui concerne mon ami, pas question de jeter la pose de l'Homme Gelé sous le divan comme un jouet de gosse. si seulement ! il a essayé tous les docteurs de Suisse, France, Espagne, Allemagne, Grèce, Italie et Angleterre et ils n'ont rien pu faire. L'un l'a soigné pour les vers, un autre lui a enfoncé de minuscules épingles dans les mains, le cou et le dos, des milliers d'épingles minuscules. « ça pourrait bien être ça » qu'il m'écrivait « les épingles pourraient foutrement faire l'affaire ». dans la lettre suivante j'apprenais qu'il essayait une sorte de vaudou, dans la suivante, j'apprenais qu'il n'essayait plus rien. l'Homme Gelé Final. Un des meilleurs poètes de tous les temps, cloué là, sur son lit, dans une petite piaule sale à Londres ; à peine maintenu en vie par des faveurs, fixant son plafond, incapable d'écrire ou de prononcer un mot, et s'en foutant, finalement, d'une certaine manière. son nom est connu dans le monde entier.

je pouvais et je peux encore comprendre que ce grand poète tombe dans un tonneau de merde, parce que, bizarrement, d'aussi loin que je me souvienne, je suis né dans la position de l'Homme Gelé. un des exemples dont je me souviens, c'est une fois quand mon père, une sale brute lâche et méchante, me battait dans la salle de bain avec cette longue lanière de cuir à affûter les rasoirs, ou affûtoir, comme certains appellent ça. il me battait très régulièrement ; j'étais pas né légitime et je crois bien qu'il m'attribuait tous ses ennuis. des fois, il se baladait en chantant « Oh, quand j'étais célibataire / Ce que mes poches tintaient » mais il chantait pas souvent. il était trop occupé à me battre, pendant une période, disons avant que j'arrive à l'âge de sept ou huit ans, il m'avait presque inculqué ce sentiment de culpabilité. parce que je n'arrivais pas à comprendre pourquoi il me battait, je m'évertuais à trouver une raison. il fallait que je tonde sa pelouse une fois par semaine, une fois dans la longueur, une fois dans la largeur, ensuite je devais égaliser les bordures avec des sécateurs, et si je loupais UN SEUL brin d'herbe n'importe où sur la pelouse de devant ou de derrière il me foutait une branlée carabinée. après la rossée, fallait que j'aille arroser les pelouses. pendant ce temps, les autres mômes jouaient au baseball ou au foot et grandissaient comme des humains normaux. le grand moment, c'était toujours quand le vieux se mettait à plat ventre sur la pelouse et mettait son œil au niveau des brins d'herbe. il arrivait à toujours à en trouver un. « LA-BAS, J'EN VOIS UN ! T'EN AS OUBLIE UN ! T'EN AS LOUPE UN ! » ensuite il beuglait en direction de la fenêtre de la salle de bain où ma mère, une bonne Allemande, se tenait toujours à ce stade des opérations. « IL EN A LOUPE UN ! JE LE VOIS ! JE LE VOIS ! » et j'entendais la voix de ma mère : « ah, il en a OUBLIE un ? Oh ! honte, HONTE ! ». je suis persuadé qu'elle me collait tous ses malheurs sur le dos elle aussi. « DANS LA SALLE DE BAIN » qu'il beuglait « DANS LA SALLE DE BAIN ! » alors j'allais dans la salle de bain et la lumière faisait son apparition et la dérouillée commençait. mais la douleur avait beau être terrible, je me sentais tout à fait détaché de tout ça. je veux dire par là que, au fond, ça ne m'intéressait pas ; ça ne signifiait rien pour moi. je n'avais aucune affection envers mes parents et donc je ne ressentais aucune violation d'amour ou de confiance, ou de chaleur, le plus dur, c'était de pleurer, je voulais pas pleurer. c'était le sale travail, comme de tondre la pelouse. comme quand ils me donnaient le coussin pour m'asseoir après, après la dérouillée, après l'arrosage de la pelouse, je voulais pas du coussin non plus, alors comme je voulais pas pleurer, un jour j'ai décidé de ne pas pleurer. tout ce qu'on pouvait entendre, c'était les coups de lanière de cuir sur mon cul nu. ça produisait un curieux et horrible son de barbaque dans le silence et je fixais le carrelage de la salle de bain, les larmes sont venues, mais je n'ai fait aucun bruit, il a arrêté de me battre, il me collait généralement quinze ou vingt coups, il s'est arrêté à sept ou huit à peine, il s'est précipité hors de la salle de bain, « Maman, Maman, je crois que notre petit garçon est CINGLE, il pleure pas quand je le dérouille ! ». « Tu penses qu'il est cinglé, Henry ?» — Oui maman ! — Ah ! dommage !

c'était seulement la première apparition IDENTIFIABLE du Garçon Gelé/ je savais qu'il y avait quelque chose qui clochait chez moi et je me considérais pas comme fou. c'était simplement que je ne pouvais pas comprendre comment les autres pouvaient se mettre si facilement en colère et ensuite oublier tout aussi facilement leur colère et devenir joyeux, et comment faisaient-ils pour ne s'intéresser qu'à TOUT ce qui était si chiant ?

je n'étais pas très bon en sport ou à jouer avec mes camarades parce que j'avais très peu d'entraînement. j'étais pas la vraie lopette — je n'avais pas peur, j'étais pas délicat physiquement, et, par moments, je faisais n'importe quoi et tout mieux qu'aucun d'eux — mais juste par crise — en un sens, je m'en foutais. quand je me bagarrais avec un de mes copains, je pouvais jamais me mettre en colère. je me battais seulement machinalement. pas d'autre moyen, j'étais figé. j'arrivais pas à comprendre la COLERE et la FURIE de mon adversaire. je me surprenais à étudier sa figure et ses manières, qui me rendaient perplexe, plutôt que d'essayer de le battre. De temps à autre je lui en collais une bonne pour voir si je pouvais le faire,

puis je retombais dans une léthargie.

ensuite, comme toujours, mon père sortait de la maison comme un dératé :

— ça suffit, le combat est terminé. Fini. Kaput ! Terminé ! les mômes avaient peur de mon père. ils se sauvaient tous.

— t'as rien d'un homme, Henry, tu t'es fait battre ! je ne répondais pas.

— Maman, notre gars s'est laissé battre par ce Chuck Sloan !

— notre gars ?

— oui, notre gars !

— honte !

je suppose que mon père a finalement reconnu l'Homme Gelé en moi mais il tournait la situation tout à son avantage.

— les enfants doivent être vus mais pas entendus, qu'il s'exclamait. ça m'arrangeait plutôt. j'avais rien à dire, ça ne m'intéressait pas. j'étais Figé. tôt, tard et à jamais.

j'ai commencé à boire vers l'âge de 17 ans avec des garçons plus âgés qui rôdaient dans les rues et dévalisaient des stations service et des marchands de gnôle. ils prenaient mon dégoût de tout pour du courage, et le fait que je ne me plaignais jamais pour de la bravade et du cran. j'étais populaire et ça m'était égal d'être populaire ou pas. j'étais Gelé. ils posaient de grandes quantités de whisky, de bière et de vin devant moi. je descendais tout ça. rien ne pouvait me saouler, me laisser pour compte. les autres tombaient par terre, se chamaillaient, chantaient, titubaient, et je restais tranquillement assis à la table, éclusant un autre verre, me sentant de moins en moins avec eux, me sentant perdu, mais sans douleur. juste la lumière et le son électrique et des corps et pas grand-chose d'autre.

mais j'habitais toujours chez mes parents et c'était la dépression, 1937, impossible de trouver du travail pour un gars de 17 ans. après la rue, je revenais, plus par habitude qu'autre chose, et je frappais à la porte. une nuit, ma mère a ouvert le petit judas et a crié : « il est saoul, il est encore saoul ! »

et j'ai entendu la grosse voix derrière elle : « ENCORE saoul ? ». mon père est venu au judas : « tu ne rentreras pas. tu es une disgrâce pour ta mère et ton pays ».

— il fait froid dehors. ouvre la porte ou je l'enfonce. j'ai marché tout ce chemin pour rentrer, c'est comme ça et pas autrement.

— non mon fils, tu mérites pas mon toit. tu es une disgrâce pour ta mère et pour...

je me suis reculé sous le porche, j'ai baissé mon épaule et j'ai chargé. il n'y avait aucune colère dans mon acte ou mes mouvements, seulement une sorte de mathématique. quand on était arrivé à un certain nombre, on continuait le reste avec. je me suis rué contre cette porte. elle ne s'est pas ouverte, mais une large fente est apparue en plein milieu et la serrure avait l'air à moitié cassée. je me suis de nouveau reculé sous le porche, baissant encore l'épaule.

— c'est bon, a dit mon père, entre.

je suis entré, mais rien que de voir ces gueules, ces gueules en carton stériles, vides de toute expression, hideuses et cauchemardesques, ça a fait remonter toute la gnôle que j'avais dans l'estomac, j'ai vomi, j'ai tout lâché sur leur beau tapis qui représentait L’Arbre de Vie. j'ai vomi, plein partout.

— tu sais ce qu'on fait aux chiens qui ont chié sur le tapis, a demandé mon père.

— non, j'ai dit.

— on leur met le NEZ DEDANS ! pour qu'ils ne RECOMMENCENT PLUS !

j'ai pas répondu. mon père s'est amené et a mis la main à ma nuque. — t'es un chien, il a dit.

j'ai pas répondu.

— tu sais ce qu'on fait aux chiens, pas vrai ;

il continuait à appuyer sur ma tête, vers le bas, vers mon lac de vomi sur l'Arbre de vie.

— on leur met leur nez dans leur merde, comme ça, ils ne chient plus jamais. plus jamais.

ma mère, bonne Allemande, restait plantée là en chemise de nuit, regardant en silence. j'ai toujours eu cette idée qu'elle voulait être de mon côté mais c'était une idée complètement fausse que j'avais péchée seulement parce qu'à une époque je lui suçais les tétons. et puis d'abord je n'avais pas de côté.

— écoute père, j'ai dit, ARRETE.

— non, non, tu sais ce qu'on fait à un CHIEN !

— je te demande d'arrêter.

il continuait à me presser la tête vers le bas, vers le bas, vers le bas, vers le bas. j'avais presque le nez dans le vomi, j'avais beau être l'Homme Gelé. l'Homme Gelé ça veut dire Gelé, et pas Fondu. je voyais aucune raison pour qu'on m'enfonce le nez dans mon propre vomi. s'il y avait eu un motif, je l'aurais enfoncé là-dedans moi-même. c'était pas une question d'HONNEUR ou de COLERE, ça m'était même égal, c'était une question d'être poussé hors de ma MATHEMATIQUE personnelle. j'étais, selon mon terme favori, dégoûté !

   arrête, j'ai dit, pour la dernière fois je te demande d'arrêter !

il m'a enfoncé le nez presque à en toucher le vomi.

j'ai pivoté sur mes talons, et je me suis relevé, je l'ai choppé en plein vol avec un majestueux uppercut sans bavure et il est tombé lourdement et maladroitement à la renverse, tout un brutal empire descendu en flammes, finalement, et il est tombé sur son sofa, BANG, les bras en croix, les yeux comme les yeux d'un animal dopé. animal ? c'était lui, le chien, j'ai marché vers le sofa, à attendre qu'il se relève. il ne s'est pas relevé, il se contentait de me regarder, les yeux ronds. il ne se relèverait pas. malgré toute sa furie, mon père était un lâche. je n'étais pas surpris, puis j'ai pensé, si mon père est un lâche, je suis probablement un lâche. mais comme j'étais un Homme Gelé, j'en souffrais pas pour autant. ça ne faisait rien, même quand ma mère s'est mise à me griffer le visage avec ses ongles, criant et répétant « t'as frappé ton PERE ! t'as frappé ton PERE ! t'as frappé ton PERE ! ».

je m'en foutais. et finalement, j'ai tourné mon visage en plein vers elle et l'ai laissée lacérer et crier, déchirer avec ses ongles, arracher la chair de ma figure, avec cette saloperie de sang qui dégoulinait et jutait et coulait le long de mon cou et ma chemise, tachant cette saloperie d'Arbre de Vie avec des lambeaux, des flaques et des morceaux de bidoche. j'attendais que ça se passe, j'étais plus concerné. « T'AS FRAPPE TON PERE ! » et puis les griffures sont descendues plus bas. j'attendais. ensuite elles ont cessé. puis de nouveau une ou deux, « t'as... frappé... ton... père... ton père... »

— t'as fini ? j'ai demandé. je crois bien que c'était les premiers mots que je lui adressais en dix ans, en dehors de « oui » et « non ».

— oui, elle a fait.

— va dans ta chambre, a dit mon père du divan. — je te verrai demain matin. et je te CAUSERAI demain matin !

pourtant le lendemain matin, l'Homme Gelé, c'était lui, mais pas par choix, j'imagine.

 

Charles Bukowski

Mémoires d’un vieux dégueulasse (extrait)

Traduction de Philippe Garnier

Editions Les Humanoïdes associés, collection Speed 17, juin 1977



[1] n.d.t.: Titre de chanson

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mercredi 10 novembre 2021

En picard : L'Appel du 18 juin

 Ch’l’appel de ch’18 jouin 1940

Chés chefs qui, d’pis gramint d’années, sont à l’tiête de-z-armées françaisses, i z-ont formé in gouvern’mint. Ch’gouvern’mint, treuvant qu’nou z-armées i z’avottent perdu, i s’a mis in rapport aveuc ch’l’ennemi pour arrêter ch’combat.

Ch’est vrai, on z-avons été, on est ‘cor’ armuchés par chelle forche mécanique, terreste et pis aérienne de ch’l’ennemi.

Mais gramint plus éque leur nompe, ch’est chés tanks, chés z-avions et pis chelle tactique ed chés boches qui nous ont fait arculer, ch’est chés tanks, chés z-avions et pis chelle tactique ed chés boches qui z-ont surprind nous chefs et qui z-ont ménés lau d’ù qui sont à c’t’heure.

Mais ch’dernier mot i a-ti été dit ? Faut-i qu’ch’l’espérinche alle disparaîche ? Elle défaite alle-est-ti définitiffe ?

Non !

Cro-yez me, mi, j’vous parle in connaichince ed cosse et j’vous l’dis, i a rin qui est perdu pour elle France. Chés mêmes mo-yens qui nous z-ont battus peuv-té faire vénir in jour chelle victoire. Pasque, el’France alle est pon toute seule ! Alle est pon toute seule ! Alle est pon toute seule ! Alle a in mahousse Impire aveuc elle. Alle peut faire bloc aveuc ch’l’Impire britannique qui tient chés mers et qui continue à s’batte. Alle peut, comme l’Ingleterre, s’servir à fond de ch’l’imminse industrie d’chés z-Etats-Unis. Chelle guerre-chi, alle est pon limitée à ch’territoire ed’nous malheureux pays. Chelle guerre-chi, alle s’a pon fini aveuc chelle batall’ ed France. Ch’est enne guerre mondiale. Tout’ chés fautes, tout’ chés z-artards, tout’ chés misères, tout chau n’impêch’te mi qu’i a dins ch’monte, tous chés mo-yens qui faut pour épautrer nou-z-enn’mis. Foudro-yés à c’t’heure par chelle forche mécanique, on pourrons pus tard nous arvinger par enne forche mécanique pus grante. L’destin de ch’monte i est lau.

Mi, Général De Gaulle, in ch’momint à Londes, j’invite chés officiers et chés soldats français qui s’treuvent su’ch’territoire britannique ou qui viendrottent à s’y artreuver, aveuc leu’ z-armes ou bien sans leu’z-armes, j’invite chés ingénieurs et ches ouverriers espécialisés d’chés industries d’armemint qui s’treuvent su’ch’territoire britannique ou qui viendrottent à s’y artreuver, à s’mette in rapport aveuc mi.

Quoi qui arrivera, chelle flamme de l’résistance française, a’ne dou pon s’éteinne et alle s’éteinn’ra pon.

Edmain, comme à c’t’heure, j’arparl’rai dins ch’poste ed radio ichi à Londes.

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mercredi 3 novembre 2021

En picard : La Légende d'Ulenspiegel

 La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au pays de Flandres et ailleurs par Charles De Coster

Traduction en picard du chapitre XXIX

In d’chés jours-lau, clair et frèque, au printemps, quand que l’terre alle est in amour, Soetkin alle étot in route à coeute à l’farnête ouverte, Claes i fredonnot quique canchon pindant qu’Ulenspiegel i avot mis in capiau d’juche su’l’tiête ed Titus Bibulus Schnouffus. Ch’tchien i tricotot d’ses pattes comme si qu’i airot voulu rinte el justice mais ch’étot pour li faire querre ch’capiau.

Tot d’in co, Ulenspiegel i freume chelle farnête, i queurt dins l’campe, i saute su chés cayelles et pis chés tapes in tindint ses mains à ch’plafond. Soetkin & Claes i l’ravisent qui s’démène si fort. Ch’est pour attraper in biau pitit ogeau qui criot d’troulle, ses ailes trannantes, muché conte enne batinse dins l’coin de ch’plafond.

Ulenspiegel i allot l’attraper, mais Claes i l’a surprind in dijant :

-          Pourquoi qu’té sautes comme chau ?

-          Pour l’printe, qu’i répond Ulenspiegel, ch’va l’mette dins enne gayolle, li donner du grain & pis l’faire canter pour mi.

Pindint ch’temps-lau, ch’l’ogeau, i criot d’saisiss’mint, in volant tout partout dins chelle campe, in buquant s’tiête à chés carreaux de l’farnête. Ulenspiegel i continuot à sauter, adon Claes i li a posé s’grosse main su’s’n’épaule in dijant :

-          Prins-le, mets-le dins enne gayolle, fais-le canter pour ti, mais mi aussi, ch’vas t’mette dins enne gayolle fremée aveuc des gros barreaux in féralle & ch’te f’ras aussi canter. T’as quère ed’courir, té n’pourras pus ; quand qu’t’auras frou, té s’ras à l’ompe et au solel quand qu’t’auras caud. Et pis, in diminche, in sortira in oubliant de t’donner à minger. On n’arviendra que l’jeudi. Et in rintrant, on artreuv’ra Thyl mort ed’faim et pis tout raite. 

Traduction en picard : L Suel

 

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mercredi 27 octobre 2021

En picard : Le Rosaire

 Estrait dessacqué de 

Ch’Rosaire

par Francis Jammes

 

Par ch’tiot guerchon qui va mourir tout près de s’mère

Pindant qu’tous chés z-ot’s jon-nes i jutt’ ed’dins ch’parterre

Et par ch’l’ogeau blessé qui n’comprind pon commint

Qu’cha s’fait que s’n’aile alle saigne et pis qu’li i déchind

Par chell’ soif et chell’ faim et par ch’délire ardint

Mi, ch’vous salue Marie

 

Par tous chés goss’s chonglés par chés soulauds qui rintent

Par ch’baudet qui archut des cos d’pied dins sin vinte

Et par ch’l’humiliation d’in inochint chôlé

Par chell’ jonn’ vierch’ vindue qu’in a déshabillée

Et par ch’fi-u que s’mère alle a été traitée

Mi, ch’vous salue Marie

 

Par chell’ viell’ qui s’a inch’pée in portant du lourd

Et qu’all’ crie « Oh mon Dju ! » et par ch’pauf malheureux

Qui a jamais pu s’aqu’ter su ch’l’amour de s’z-otes

Comme el’Crox dé ch’Fi-u sur Simon ed’Cyrène

Par ch’bidet qui a queu ind’zou dech’cariot qu-i sacque

Mi, ch’vous salue Marie

 

Par chés quat’ horizons qui cruchifit’nt ch’monte

Par tous cheu-lau qu’leu chair al s’déquire ou s’in vau

Par cheux qui z’ont pu’d’pieds, par cheu qui z’ont pu d’mains

Par ch’malat’ qu’in opère et pis qui s’déclaminte

Et par ch’jusst’ ringé aveuc s-z assassineux

Mi, ch’vous salue Marie

 

Par chell’ mèr’ qu’alle apprind qu’sin guerchon i est guéri

Par ch’l’ogeau qui récap’ ch’l’ogeau qué-iu d’sin nid

Et par ch’l’herp’ qu’alle a soif et qu’chell’ pleuff’ alle arrosse

Par toutt chés baiss’s perdues, par l’amour ardonné

Et par ch’mindiant artrouvant ses pièches ed’monnaie

Mi, ch’vous salue Marie

 

Canté in français par Georges Brassens  

 traduction de Lucien Suel

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mercredi 20 octobre 2021

En picard : Complainte du petit cheval blanc

 Complainte de ch’tiot bidet blanc

Paul Fort

 

Ch’tiot bidet dins ch’sale temps, mais qu’i avot du courache !

Ch’étot in tiot bidet blanc, tertous derrière et li, ed’vant.

I’n’féjot jamais biau dins ch’pauf’ paysache.

I’n’y avot mi jamais d’printemps, ni derrière ni ed’vant.

Mais toudis i étot contint, conduijant chés guerchons de ch’villache,

A travers el’pleuffe noirte dins chés camps, tertous derrière et li, ed’vant.

Es’carriole alle allot in poursuivant es’ bellotte tiotte queue sauvache.

Ch’est lau qui étot contint, eux-zotes derrière et li, ed’vant.

Mais in jour, dins ch’sal’ temps, in jour qui étot si sache,

I est mort par in éclair blanc, mais qui avot du courache !

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mardi 19 octobre 2021

Charles Bukowski - Quel homme j'étais

quel homme j'étais

J'ai descendu son oreille gauche

puis celle de droite,

et puis j'ai arraché la boucle de sa ceinture

avec du plomb incandescent,

et puis

j'ai descendu tout ce qui compte

et quand il se pencha

pour relever son caleçon

et ses billes

(pauvre créature)

j'ai fait de sorte qu'il n'ait

plus jamais à se redresser.

 

Ho. Hum.

J'ai piqué un p'tit somme rapide

et ce type semblait

me regarder de travers,

et c'est comme ça qu'il est mort --

de travers,

me regardant

et agrippant

ses billes.

 

Tout ce sang me donna

faim.

J'me suis tapé un sandwich au jambon.

J'ai écouté quelques chansons sentimentales…

J'ai descendu toutes les lumières

et je me suis baladé dehors.

Il semblait y avoir personne

alors j'ai abattu mon cheval

(pauvre créature)-

 

Puis j'ai vu l'shériff

qui se tenait tout au bout de la rue

et il tremblait

comme s'il avait la danse de St.Guy ;

c'était un spectacle vraiment pitoyable

alors j'ai ralenti ses tremblements

de ma première balle

et miséricordieusement j'l'ai figé

de ma seconde.

 

Puis j'me suis couché sur le dos

et j'ai tiré les étoiles une à une

et puis

j'ai descendu la lune

et puis je me suis baladé

et j'ai tiré chaque lumière

dans la ville,

et bientôt il commença à faire noir,

vraiment noir,

comme je l'aime ;

J'peux simplement pas dormir

avec une lumière

sur mon visage.

 

Me suis couché et ai rêvé

que j'étais de nouveau gosse

jouant avec mon six-coups en bois

et gagnant toutes les parties de billes,

et quand je me suis réveillé

mes revolvers n'y étaient plus

et on m'avait attaché les mains et les pieds

comme si quelqu'un

avait peur de moi

et  ils passaient un nœud

coulant autour de mon sale cou

comme s'ils avaient l'intention

de me pendre,

et un type

attacha un signe

vraiment joli

à ma chemise :

il y a une loi pour toi

et une loi pour moi

et une loi qui pend

du pied d'un arbre.

Charles Bukowski

traduction de Pierre Joris

Ce poème fut le deuxième poème de Charles Bukowski à paraître en France. C'était en 1973 dans le n° triple 4,5,6 de STARSCREWER édité par Bernard Froidefond.

Ci-dessous la page originale. 



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posted by Lucien Suel at 07:26 0 comments