mercredi 20 décembre 2017

L Suel à l'aveuglette en 2001 avec William Burroughs et Julien Blaine (2/5)

3.
William S. Burroughs "K-9 was in combat with the Alien Mind-Screens"
William Burroughs, je connais tellement bien sa voix. J'avais vu une photo de lui dans un dossier du Magazine Littéraire, le n° 2 en 1967, je pense. C'est seulement trois ans plus tard que j'ai pu lire ses livres. Et depuis, je crois bien que je les ai tous lus, jusqu'au dernier, Ultimes paroles, lu cette année avec beaucoup d'émotion.
J'ai tout de suite essayé et adopté le cut-up. C'est beaucoup plus satisfaisant que l'écriture automatique des surréalistes. L'idée de couper dans des textes existants, de les manipuler, d'utiliser le "hasard" pour produire des images et stimuler l'imagination, détruire les discours imposés, briser les lignes d'association, comme le dit Burroughs, recycler de la littérature morte, écrire avec une paire de ciseaux ou un cutter, tout ça me convient parfaitement, dans ce monde, à cette époque. C'est une évidence de dire que nous vivons sur ce mode cut-up, du collage, du mixage des productions, des sensations ; le tout est de s'en rendre compte, d'être en éveil, toujours, à chaque instant et de s'en servir...

Comment as-tu découvert le cut-up et qu'a t-il représenté pour toi ?

Je viens d'écrire un opuscule intitulé Coupe-Carotte, dans lequel je présente ma pratique du cut-up et comment celui-ci a influencé mon écriture entre 1972 et 1997. Ce petit volume doit paraître prochainement aux Éditions Derrière La salle De Bains. Voici en gros les divers aspects qu'a pris cette forme de travail du texte au cours des années et des expérimentations successives. J'avais déjà utilisé la méthode dada des mots placés dans un chapeau et transcrits dans l’ordre de leur apparition. Ensuite, je suis passé au cut-up classique réalisé à partir de pages de mes carnets de notes dans les années 70 (pages coupées en 4 et scrupuleusement ré-assemblées selon les principes mis au point par William Burroughs et Brion Gysin). Allant plus loin, j'ai testé le cut-up de cut-up avec effets sonores ajoutés (tout ce travail était mené parallèlement à l'usage du magnétophone à bande, découpes, manipulations, épissures, toutes choses qu'on fait aujourd'hui d'un mouvement de souris). J'ai aussi pratiqué le cut-up mental. Par exemple, en prenant des notes, dans un train, dans une réunion,... La prise de notes se fait automatiquement, donc, en sautant des mots et des phrases. Le sens n’a aucune importance (on écrit ce que l’on entend au moment où l’on écrit) d’autant que s’ajoutent aux bribes du discours initial, des considérations personnelles sur le cadre de l’action (lieu, bruits, odeurs...) et sur les particularités des protagonistes.
Je suis arrivé au poème express lorsqu'au lieu de couper, j'ai commencé à raturer les textes, à caviarder les pages, depuis les tracts politiques ou syndicaux, jusqu'aux prospectus publicitaires en passant par les romans à succès... Le poème express est, comme le cut-up (!), une réponse à l’angoissante (hum !) question de la page blanche, puisqu’il commence à partir d’une page déjà écrite, imprimée, le plus souvent, page arrachée d’un roman d’amour ou d’un roman policier. Il suffit de biffer le maximum de mots, de lignes jusqu’à arriver à une combinaison satisfaisante pour l’esprit ; une autre façon de briser les lignes d’association...
Le mixage dérive du cutup, lorsqu'on mélange des bribes de journal avec par exemple, des paragraphes découpés dans un roman pornographique. Le même procédé permet aussi la création de situations pseudo-romanesques. Ainsi, j'ai rédigé un court roman expérimental intitulé Le Lapin mystique dont les deux premiers chapitres ont été composés en mixant quelques pages d’un roman policier de Mickey Spillane avec des lettres de la carmélite Xavérine de Maistre. Le reste du roman a pour fonction de justifier les "bizarreries" initiales. Le résultat donne une intrique cyclique puisque le livre achevé, on peut le relire dans une optique "logique".

Qu'est-ce que l'écriture justifiée (comment t'est venue l'idée, etc ) ?

L'écriture en vers justifiés que je préfère maintenant appeler vers arithmogrammatiques (l'expression est de Jean-Pierre Bobillot) est presque une forme de cut-up inversé. Le nombre de caractères dans chaque ligne (vers) est déterminé à l'avance en fonction du sujet. On ne compte pas les syllabes ou les mots, on compte les signes typographiques. L'idée m'en est venue alors que je réalisais à la machine à écrire les maquettes de mon magazine Starscrewer. Pour un texte de Claude Pélieu, je voulais obtenir cet effet de justification, alignement du texte des deux côtés comme dans les magazines. On fait cela maintenant d'un mouvement de souris (bis). Mais pour y parvenir avec une vieille Underwood, il fallait ajouter un espace ici, en enlever un là... J'ai alors imaginé d'écrire des textes dont les lignes seraient exactement de la même longueur. Lorsque les mots sont trop longs, ils ne sont pas coupés mais transformés. Ils peuvent être remplacés par un synonyme, ou changés de place, ou supprimés (cette contrainte est aussi un bon moyen de chasser les clichés !). Dans tous les cas, le texte original est modifié, non plus par le coup de ciseaux, mais par la justification imposée. Pour que cette particularité apparaisse dans la page, il est nécessaire d’imprimer le texte en utilisant comme sur les machines à écrire une police à espacement fixe.
A partir de là, j'ai aussi écrit des textes d'allure géométrique, triangles avec des vers à nombre croissant ou décroissant de signes, blocs carrés... Ainsi, les textes de la série ÉTOILE POINT ÉTOILE (*.*) proviennent tous du magazine Moue de veau. Ce magazine (voir plus loin) est composé de débris de textes, dessins, publicités,... d’origines diverses. Les textes sont intégralement recopiés dans l’ordre de leur apparition et forcés à travers le moule d’une justification (37 caractères par ligne). Les différentes techniques peuvent se combiner entre elles. Ainsi, on peut à partir d'un roman, produire une série de poèmes express que l'on retranscrira avec une contrainte typographique de 23 signes par ligne... La poésie est infinie...

Il y a chez toi un vrai souci de mise en forme graphique de la matière textuelle. Tu pratiques le collage et le poème express...

C'est probablement mon expérience de "revuiste" qui est à l'origine de cet aspect visuel de mes textes, que ce soit les poèmes express avec leurs gros traits de feutre noir, les collages instantanés dans lesquels je recycle ce qui passe sur ma table de travail, brouillons, courriers reçus, enveloppes, débris d'images, de dessins, ou cette nouvelle série que j'appelle "poèmes à compléter", où à partir d'un petit morceau déchiré de texte existant, on essaie de réintroduire un sens en ajoutant à droite et à gauche, au-dessus et en dessous, encore un effort de reconstruction, la lutte quotidienne contre l'entropie...

Comment se déroule une journée de Lucien Suel ?

Depuis que j'ai cessé toute activité salariée régulière, mes journées se déroulent en gros de la même façon. Je me lève tôt, je fais le tour du jardin. Je lis (magazines, revues). Suivant le temps qu'il fait, je travaille à mon bureau (courrier, écriture...) ou je travaille dehors (jardinage, bricolage, actuellement chantier de construction...). Même chose l'après-midi. Le soir, je lis plutôt des livres... Depuis plusieurs années, je n'ai plus la télévision, ce qui représente un gain de temps considérable, et je ne suis pas non plus relié à Internet (bien qu'on puisse m'y retrouver, notamment sur WWW. KITUSAI.COM & WWW.MULTIMANIA.COM/TAPIN (fermés aujourd'hui)). Voilà le déroulement d'une journée ordinaire, c'est à dire quand je ne suis pas en voyage pour une lecture publique, un concert de Potchük, un atelier de poésie, une résidence d'auteur...

Le jardinage est important pour toi ? (Quel rapport avec l'écriture ?)

Le jardinage est indispensable. Je peux encore faire des gestes qui furent ceux de mes plus lointains ancêtres. Leur étant relié de cette façon, je le suis aussi dans la contemplation du ciel et de ce qui reste de nature. La production de sa propre nourriture est un élément important d'autonomie. Je considère cela comme une forme de résistance. L'aspect quasi-mécanique de certains mouvements répétitifs libère l'esprit et favorise la naissance d'idées qui se traduiront plus tard dans l'écriture. D'ailleurs, le travail sur la terre, dans la terre, est analogue à celui de l'écriture. Tracer des lignes, laisser tomber les graines de gauche à droite... J'avais même imaginé que le geste de percer des trous dans la ligne avec un plantoir d'acier pour repiquer des poireaux était analogue au mouvement du rayon laser qui grave le glass-master d'un cd !

Tu habites où ?
Tu ne déménagerais pour rien au monde ?

J'habite depuis un mois une maison que ma femme et moi avons entrepris de retaper et d'agrandir de nos mains dans un hameau des Collines d'Artois. J'ai en effet dû quitter la maison de mon enfance que j'occupais depuis 23 ans, à la suite de l'installation d'une station de lavage de voitures sur le terrain mitoyen. C'était insupportable (le bruit des aspirateurs, des tuyaux d'arrosage sous pression, la vulgarité des amateurs de tuning...). Nous avons pris la décision de partir.

4.
Julien Blaine "Gorge humide"
J'ai pensé à Jaap Blonk avec qui j'ai participé cette année au Polypoetry festival à Maastricht. Il produit des sons étonnants uniquement avec la voix. Bien sûr, c'est du côté de la poésie sonore. Je ne connais pas cette pièce de Julien Blaine. Lui, par contre, je le connais bien. Depuis 1978, on s'échange du courrier, des revues. Je l'ai rencontré pour la première fois en 1997 à Lyon pour un festival de poésie-action. Il est impressionnant sur scène, et aussi dans la vie. C'est un vrai poète. Il est vivant. C'est grâce à lui et à sa revue DOC(K)S, que je suis entré dans le réseau planétaire de l'art postal (le Mail art). Depuis, j'ai participé à plusieurs centaines d'expositions d'art postal dans le monde entier sur les thèmes les plus divers. Les principes des expos mail art sont : pas de jury, pas de choix (on expose tout), pas de cotisation et un catalogue aux participants. Aujourd'hui, je participe moins à ces expositions collectives et je privilégie plutôt les contacts directs d'artiste postal à artiste postal. Quand on a choisi comme moi d'habiter un endroit isolé, l'art postal, base de la poésie élémentaire, est un excellent moyen de communiquer et de créer.
J'ai entretenu une correspondance avec des centaines d'autres mail artists de partout. J'ai fait la connaissance de gens charmants et intéressants. Ainsi, cet artiste postal de Belgique, Peter Moreels, m'envoyait ses dessins, ses cassettes (Il diffusait, par la poste bien sûr, des cassettes de groupes de rock de Tchécoslovaquie). J'étais intrigué, l'adresse de Peter était à Tournai et son courrier arrivait de Dunkerque, de Béthune, de Hasselt, de Rotterdam. J'ai su qu'il était batelier. Il répondait au courrier chaque fois que sa péniche attendait un nouveau chargement. Comme le Canal d'Aire à La Bassée passe à 2 km de chez moi, la rencontre a eu lieu. Il livrait un chargement de sable pour la cristallerie d'Arques. Au retour, il a amarré sa péniche près du pont de Guarbecque. Nous avons passé plusieurs journées délicieuses. J'ai vu son petit bureau de mail-artist à l'avant de la péniche, je lui ai montré mes archives postales... Quand il a obtenu un chargement de blé à Béthune, nous avons fait le voyage ensemble. Maintenant, Peter a vendu sa péniche et il habite Bruxelles mais j'ai toujours son adresse.
Dès qu'il fait beau, (je l'ai dit déjà), je travaille à l'extérieur, au jardin. C'est la pluie et le froid qui provoquent mon activité d'artiste postal. Installé au chaud avec mes tampons, ma colle, mes découpages, je fabrique des envois, je recycle des enveloppes, je réponds au courrier... Alexandre et Katherine Hirka, mail-artists du Vermont (Nord-est des USA) m'ont un jour envoyé, parmi d'autres choses, un fond de paquet de graines de tomates (3 graines). J'ai réussi à multiplier sur deux ans le nombre de graines. Un jour, dans le Vermont, ils ont reçu la photo en couleurs de mon jardin avec la trentaine de plants de tomates hauts d'un mètre cinquante et couverts de fruits. L'art postal est aussi du jardinage. Eric Adam m'a envoyé de Bruxelles un paquet de graines de choux de Bruxelles, l'adresse écrite sur le paquet. C'est une belle enveloppe qui fait un petit bruit de maracas. Je ne l'ai pas encore ouverte...

A un moment donné, tu découvres le mail-art via la revue DOC(K)S, et tu entreprends la publication des Moue de veau...

Le n° 0001 du magazine culturel Moue de veau porte la date du 2 janvier 1989. Il s'agissait de créer un organe de presse portant le titre contrepétant de Moue de veau, titre induisant les 3 orientations suivantes : un contenu à base de déchets, un regard dubitatif sur le monde et une mise à l'honneur du veau sous toutes ses formes. A partir de 1996 (n° 619), les numéros ordinaires ont chaque fois été fabriqués par une personne différente. Cette personne était choisie parmi les correspondants de la revue. Un modèle unique de maquette était proposé à la créativité des personnes choisies. La maquette reçue à la rédaction se voyait attribuer un numéro et une couverture. Le numéro terminé était tiré à 23 exemplaires. La personne qui l'avait réalisé recevait en retour trois exemplaires de la revue, un exemplaire de son numéro ainsi que l'exemplaire précédant et celui suivant le sien. Par ailleurs, la collection de l'anthologie permanente du veau (numéros spéciaux de la Moue) rassemblait des phrases prises dans la littérature mondiale. Ce sont toutes les phrases qui comportent le mot VEAU. 23 veaulumes de l'anthologie sont parus contenant 223 citations.
Le flot de littérature commerciale (prospectus de supermarché, catalogues de livres rares, courriers en faveur de l'électrothérapie, propositions d'abonnements aux journaux de Paris, propagande publicitaire ou politique, etc...) continue de couler dans les boîtes aux lettres, fournissant la matière première nécessaire à la fabrication de la Moue, mais le dernier numéro, n° 1111, a été publié le 11-11 1998. La Moue est morte. Vive la Moue !
Précision : La Moue n'est pas vraiment morte puisque tout un chacun peut commander à son aise des copies des numéros édités entre 1989 et 1998 en choisissant dans le catalogue des Moues qu'on peut consulter sur le site internet WWW.KITUSAI.COM (fermé aujourd'hui).


Pourquoi t'es-tu arrêté, et comment vois-tu la somme de travail accompli ?
Parmi le millier de références que représente ce "work in progress", quelles sont celles, qu'avec le recul, tu retiens plus particulièrement et pourquoi ?

Je me suis arrêté parce que tout simplement, dix ans, ça suffit. C'était un travail, si l'on veut, mais je me suis surtout bien amusé. Ce qui m'a plu dans Moue de veau, c'est le côté dérisoire de la chose, la gratuité de tout ça, l'exact contraire d'une activité efficace et rentable.
Bien sûr, des artistes "célèbres" ont participé à la Moue. Mais les numéros que je retiens sont ceux des simples amateurs qui ont consciencieusement rempli leur maquette et me l'ont retournée. Je suis heureux qu'ils aient exercé leur liberté en produisant ce petit ouvrage.

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mardi 22 décembre 2015

Liens resserrés en 2015


Poèmes express
En avril 2015, Piero Cohen-Hadria déambule dans Paris et rencontre le poème express n° 363.
Le blog Main Tenant propose à ses lecteurs de réaliser des haïkus à partir de poèmes express.

Sur Youtube, une nouvelle mise en ligne du morceau « Les champs de la nuit », musique d'Arnaud Mirland (texte extrait de Canal mémoire) sur fond de poème express.

Je suis debout
A Saint Naz, dans les Couleurs d'Aencre, Les Chroniques de l'estuaire publient des versets de « Devenir le poème », extrait de Je suis debout, paru à La Table Ronde.

Sur le site de Ciclic, d'autres extraits de Je suis debout et surtout un entretien vidéo avec l'auteur.

Jacques Bonnaffé sur France-Culture lit « Grand pingouin », extrait de Je suis debout. (en fin d'émission)
Françoise Chambefort a créé un jeu video à partir du sonnet « Soupes », extrait de Je suis debout.

Mort d'un jardinier
Chuck M parle de façon lapidaire de sa lecture de Mort d'un jardinier.

Éditions QazaQ : Trois livres numériques parus en 2015
Réédition en livre numérique de mon premier recueil, paru en 1988.

Un recueil de trois nouvelles : Mer du Nord, Un aller simple pour Roubaix, La mort en duplicata de Rupert Sorley.
Brigetoun donne à lire un passage de Aller simple pour Roubaix, extrait de Dérives dans l'espace-temps.

Un roman expérimental composé de 50 poèmes express aux éditions Qazaq.

D'azur et d'acier
On écoute Isabelle Roussel-Gillet parler de D'azur et d'acier durant son intervention sur « Les récits brefs en mouvement » au Centre Culturel International de Cerisy. (août 2015)
D'azur et d'acier, lu par l'auteur paraît en version audio chez Book d'Oreille (éditions La Contre allée). Disponible au téléchargement à partir du 29 décembre 2015.

Autres liens
Brigetoun publie un extrait du roman Le lapin mystique paru à La Contre allée.
« Le langage dément » a lu avec attention et empathie Le Bréviaire de Jules-Alexis Muenier paru chez Invenit.

La Bibliothèque des Vosges présente des photos de "Poema" à la campagne.
Christiane Loubier publie « Les haricots », un extrait de Visions d'un jardin ordinaire.(ouvrage épuisé)

Dans la revue de poésie Frappa, des extraits de Sur la route (photos Josiane Suel, textes Lucien Suel)

La Fanzinothèque de Poitiers offre en téléchargement pdf les numéros 599 et 613 de la revue Moue de Veau (1995-96).
Sur le site de « Recours au poème », parution du poème Les Tombes, 10 pages inédites en vers justifiés.

Présentation de mon premier « livre jeunesse » Poèmes à dessiner et à colorier dans la collection Petit Va.

Parution de La Contrepartie, roman de Daniel Fano aux éditions Pierre-Guillaume De Roux. Ce roman est dédicacé à Didier Lesaffre et LucienSuel qui y apparaissent en caméo. Un chapitre entier se déroule à La Tiremande (Pas-de- Calais).

Troisième édition de Cadavre Grand m'a raconté, une anthologie de la poésie des fous et des crétins dans le Nord de la France, un livre mythique composé par Ivar Ch'Vavar et camarades, coédition Lurlure et Le Corridor bleu.
Sur le blog « Les poésies du Poly », réédition de Table rase, poème écrit lors de la fermeture de l'aciérie d'Isbergues en 2004.

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lundi 12 mai 2014

Gros bouquet de liens


En janvier, dans le cadre des Vases communicants, Christine Jeanney et moi avons tous deux écrit à notre amie Mauricette Beaussart. Voici la lettre de Christine au Silo et la mienne sur le site Tentatives avec les commentaires chaleureux de ses ami(e)s  et notamment celui de Marc V. sur le blog Main Tenant.

Encore des Vases communicants avec Gnoir sur l’idée d’un poème de la taille d’un timbre-poste. Les miens ici  et le sien au Silo

Autre collaboration, un poème écrit à partir d’une image grattée de Thomas Dejeammes, pour son projet Dream Drum sur le site Libr-critique.

Participation au projet de la revue Archimou, n° 1 sur le thème « Limaces et coulis » avec pour support des ballons de baudruche. Voici le sommaire du n°1 et mon projet « Lost Slugs » qui se présente comme un spin-off (série dérivée) de LOST (Les Disparus).

L’intégralité de mon texte sur Bernanos, « L’enfant de Fressin », paru dans l’ouvrage Balades en Pas-de Calais sur les pas des écrivains (éditions Alexandrines, 2006 ) est à lire sur Stalker, le site de Juan Asensio

Mon livre « D’azur et d’acier », écrit en résidence à Fives, trouve une nouvelle actualité en étant le point de départ du projet « Les murs ont des voix » , une application sonore pour téléphone mobile mise en place par Book d’oreille  et  les éditions La Contre allée  avec ma participation et celle du musicien improvisateur David Beausseron. Des échos après l’emploi de l’application sur le blog Même les sorcières lisent  et sur le blog de l’association lilloise Lille aux livres ici  et Ce travail a été présenté dans le cadre d’Urbanités numériques par le laboratoire universitaire Geriico à la Maison folie de Lille Moulins. Voici  ma lecture performance extraite de la vidéo du colloque et présentée sur le site de Tapin2.
 
Des nouvelles critiques à propos de mes deux dernières parutions Je suis debout et Le lapin mystique :
1. Sur Remue net par Jacques Josse  
2. Sur le blog Barbotages, « Hauts ciels de Lucien Suel » l’article de Monsieuye Am Lepiq avec « Ambulant Panthéon » (extrait de Je suis debout). 
3. Sur le blog Poebzine « Lucien Suel au meilleur de sa forme », l’article de François-Xavier Farine.
A quoi s’ajoutent pour Je suis debout : La note de lecture de Jean-Pascal Dubost sur Poezibao,  et pour Le lapin mystique, l’article de Rémy Leboissetier sur le blog du Lièvre lunaire.

Concernant d’autres ouvrages : « L’auteur prend de la bouteille », dans Eulalie, un article de Marie-Laure Fréchet sur Flacons, flasques, fioles…,  un article de Pierre-Marie Thiévenaud sur Mort d’un jardinier (avec des recettes de cuisine) sur le blog Le Wagges.

Diaporama-souvenir de mon intervention à la Médiathèque de Saint Jean de Monts en compagnie de Guénaël Boutouillet (en fond sonore un extrait de ma lecture de Patismit).
 
Après le festival POEMA, lire le compte-rendu de Jean-René Lassalle sur Poézibao  et « La poésie, c’est dehors », un hommage d’Ana NB au Jardin sauvage

Pour terminer, ne manquez pas de visiter avec la langue, les yeux et les oreilles « Poétiquement incorrect », le site officiel de Jean-Pierre Bobillot

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jeudi 27 mars 2014

Je suis debout et le lapin est mystique

Ce 6 mars 2014 paraissaient deux nouveaux livres : Je suis debout, une anthologie de mes poèmes (1986-2013) aux éditions de La Table Ronde et, aux éditions de La Contre allée, Le lapin mystique, mon premier roman publié en feuilleton dans le poézine Le Dépli amoureux de 1988 à 1993.
Voici les premières réactions sur Internet après cette parution.

Articles concernant les deux ouvrages
L'annonce sur L'Alamblog : Lucien Suel en action.
L'intégralité de la rencontre du 11 mars à Lille, au Bateau-Livre (en compagnie de Pascal Dessaint) disponible pour l'écoute sur le site de Libfly.
La chronique de Jacques Barbaut sur Barbotages : Hauts ciels de Lucien Suel.
La chronique de FX Farine sur Poebzine : Lucien Suel au meilleur de sa forme.
L'article de Jacques Josse sur le site Remue.net : Je suis debout / Le lapin mystique.

Articles et extraits concernant Je suis debout
La présentation du livre sur le site de l'éditeur La Table Ronde.
Ici-même; la liste des poèmes publiés dans Je suis debout.
L'article de Cathulu sur le blog Des bouquins, des bestioles, du bric à brac.
Deux extraits choisis par Florence Trocmé pour l'anthologie permanente de Poezibao : Devenir le poème (extr.), Drap de peau.
Un extrait (calligramme) choisi par Angèle Paoli sur le site Terres de femmes : Le terril bruisse...
Le même extrait a été repris sous le titre Travail de fond sur le blog Interférences.
Brigetoun a choisi de reproduire sur son blog avec une illustration appropriée des fragments du poème Mon stylo quatre couleurs du Pas-de-Calais.
Claude Vercey publie Mélanges et merveilles, un compte-rendu de sa lecture, ID n°498, sur le site de la revue Décharge.

Articles et extraits concernant Le lapin mystique
La présentation du livre sur le site de l'éditeur La Contre allée.
La chronique d'Eric Dussert sur L'Alamblog : Mangez-le mangez-le mangez-le
Sur Libfly, deux critiques par afbf et Zakuro, ainsi que des citations.
Sur le blog LN a LU (Petites pépites à partager), la chronique rédigée par Ln Bliss.

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lundi 1 octobre 2012

Quelques nouveaux liens vers les livres publiés

1. Mort d'un jardinier (Éditions de La Table Ronde, puis Folio)
On trouve le point de vue d'Isabelle S., de la librairie Dialogues à Brest sur Libfly et on peut entendre celui de Gérard Collard, de la librairie La Griffe Noire à Saint-Maur dans l'émission de France-Info à Livre ouvert (avec aussi une mise en avant du deuxième roman de Thomas Vinau « Ici ça va »)

2. La patience de Mauricette (Éditions de La Table Ronde, puis Folio)
Ce roman est une découverte et un coup de cœur pour le.cas.ss. qui reprend une phrase de l'héroïne pour titrer son article : Je m'en fiche de la réalité, complètement
Louise Langlois, du Québec, dresse sur son blog Envapements, un véritable monument multimédia à Mauricette, avec des extraits, des photos, des vidéos, des chansons. La patience de Mauricette : un gros tas de vie dans le jardin d'un géant.

3. La justification de l'abbé Lemire
Pendant l'été, ce poème de 42 épisodes en vers justifiés a été publié en feuilleton sur Poézibao. On peut maintenant le télécharger dans son intégralité.
Les éditions Mihàly ont mis à ma disposition un petit nombre d'exemplaires retrouvés de l'édition originale de 1998. Si vous êtes intéressé, merci de m'en faire part (contact lucien point suel arobase gmail point com)


4. Le lapin mystique
Ce roman en vers justifiés suscite l'intérêt de Guillaume Vissac. Il le cite et en parle dans son journal publié sur le site « Fuir est une pulsion »

5. Les Versets de la bière, journal 1986-2006 (Éditions du Dernier Télégramme)

6. La retraite de l'aumônier, une lecture du tableau de Muenier par Lucien Suel (Editions Invenit)
Au Musée de Cambrai, devant le tableau original, en compagnie de l'éditeur, nous avons présenté ce livre devant une classe de seconde du Lycée Saint-Luc. Compte-rendu de la rencontre avec les réactions des lycéens sur le blog des élèves « mélis-mélos ? mais lis mes mots ! »

7. Voix Vives, festival de poésie à Sète
Lors de ce festival, j'ai lu en public Patismit, Prose du ver, Rose devant rose derrière, des extraits de Mort d'un jardinier, D'azur et d'acier, Nous ne sommes pas morts, Canal Mémoire, Petite Ourse de la Pauvreté, Un trou dans le monde, L'envers du confort, Livre des esquisses (Kerouac)...

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jeudi 12 mai 2011

Le lapin mystique (Fin)



Le lapin mystique


par Lucien Suel

19





Un puissant remugle de viande putréfiée
m'accueillit à mon entrée sous la voûte
néogothique. Depuis mon départ nocturne
de la chapelle vers la discothèque, mon
séjour à l'hôpital et ma fuite dans les
champs, le lapin avait eu tout le temps
de pourrir. Le garde-manger n'était pas
fermé. Un morceau du torchon à carreaux
violets et blancs dont nous avions vêtu
le cadavre du lapin pendait vers le sol
dallé. En retenant mon souffle, je pris
le coin de serviette et tirai lentement
à moi la charogne odorante. Un nuage de
grosses mouches noires tourbillonnantes
m'entoura en bourdonnant avec fureur et
le paquet tomba par terre avec un bruit
écoeurant. Un agglomérat de vers blancs
ondulait dans les plis ouverts du drap.

Je suis seul devant la chapelle vide. À
côté de moi, les fragments faisandés du
lapin exhalent une odeur fétide sous le
soleil hivernal. Je ne sais où Laure se
terre. Des chimères obscènes traversent
mon cerveau. Je me souviens de la nonne
impudique, de l'infirmière dévergondée.

Les orbites vides du Géant des Flandres
m'hypnotisent. Je fouille les restes en
décomposition. J'en détache la mâchoire
inférieure, une sorte de V majuscule au
bout des doigts. Je fixe l'os double au
chambranle de la porte. La prophétie se
matérialise enfin. La mâchoire du lapin
est clouée. L'huile a été répandue. Les
dents m'appartiennent. Les griffes sont
à elle. Autrefois, elle les glissa dans
son corsage. Moi aussi, je deviens réel
comme une graine de poussière sucée par
le vent. D'un coup de pied, je projette
les os, les larves et la viande putride
dans le passage et l'anus de caoutchouc
rose roule dans la lumière. Je m'empare
du suaire crasseux dont je m'entoure le
crâne. Je sais ce que je dois faire. Je
tourne en courant autour de la chapelle
cherchant un signe à interpréter. Seul,
un vieux cageot démantibulé m'évoque le
futur passé. C'est dans le bâtiment que
je vais trouver mon bonheur. Le clou de
l'action, rouillé, légèrement tordu, au
milieu de la nappe mitée, sur l'autel !

Allongé sur l'estrade de bois vermoulu,
je frappe du marteau. Le tintamarre des
coups se mixe avec les gémissements qui
sortent de ma poitrine. Main gauche sur
le bois, en supination, de l'autre main
percutant, enfonçant le clou jusqu'à ce
que la tête s'incruste dans la peau. Le
gémissement devient hurlement. Je clame
dans le désert. Je fais vibrer le Vide.

Ainsi s'achève formellement Le lapin mystique, roman circulaire en vers justifiés. Rien n'empêche le lecteur d'en continuer la lecture en considérant qu'une suite se trouve ici...

NB : Il est possible de lire ou relire la totalité de l'ouvrage dans l'ordre normal en cliquant à la fin de chaque épisode, sur les mots "à suivre..."

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vendredi 6 mai 2011

Le lapin mystique (18)



Le lapin mystique


par Lucien Suel

18





"In tribulatione dilatasti mihi." Cette
pensée que je destinais à Laure demeura
dans le fond de ma gorge. J'oserai vous
parler de moi longuement. C'est fictif.

J'avais tenté de diminuer autour de moi
l'entropie, mais je savais bien que les
principes de la thermodynamique et dans
ce cas particulier, le second principe,
impliquaient une escalade de l'entropie
en un autre lieu de l'univers, voire un
autre instant dans ma vie. Laure m'aida
à regagner ma litière. Sur mon matelas,
était épinglé le dernier message du bon
toubib généraliste :
"Corps beau, corps
vidé, là peint, les peaux ridées, quand
gourou maquereau pot d'idées."
Mon état
m'interdisait de savourer l'humour sain
de ce défilé de calembours. Derrière la
vitre translucide, un modeste soleil de
vingt-cinq watts s'étouffait au sein du
brouillard matinal. Le plafond laqué de
la chambre me renvoyait le reflet blanc
de ma couchette. Je me sentais enseveli
au coeur de ténèbres plus affreuses que
la mort. L'ombre de l'infirmière glissa
vers moi. Une main chaude et caressante
releva mon sarrau de toile et en replia
le pan sur mon front. Les vêtements des
femmes de ma vie se balançaient dans la
garde-robe de mon crâne. Celle dont les
lèvres s'approchaient de mon estafilade
rose portait-elle une robe de bure, une
blouse blanche ou un bikini noir ? Dans
un délire fiévreux, cette haleine tiède
picota ma déchirure. Ce fut un songe de
langue s'insinuant entre les catguts du
chirurgien. Le sang battait à mon flanc
autour des points de suture. Le chagrin
et la joie se tressaient le long de mes
vertèbres. C'est parce que le cosmos se
dilate sans arrêt que mon existence est
possible. Je suis uni, de mes molécules
à mes amas d'amas d'amas d'étoiles. Mon
coeur n'a pas trouvé depuis, une langue
ou une plume pour dire sa douleur. Puis
le jour se leva, les arbres et légumes,
les pierres et graviers se chauffèrent.

Ma disparition suscitera indéniablement
quelque agitation. Qui aurait l'idée de
me chercher au milieu des champs ? Pour
me préserver du froid, je suis camouflé
par la couverture de drap gris effrangé
que j'ai barbotée dans le placard de ma
cellule. Après une assez longue marche,
je retrouve la berge du canal. L'ancien
chemin de halage ne sera sans doute pas
trop difficile à suivre. Je traverserai
à l'endroit du pont de fer. Il y a bien
des années que péniches et trains n'ont
plus circulé par ici. Le ciel est vide.

Je me retourne encore vers la clinique.
Nos corps et nos âmes étaient raides de
sang séché. Il nous faudrait aussi lire
dans les magazines, les tribulations de
Laure dont les lèvres avaient sucé sans
frémir la plaie oblique et bleuâtre qui
accentuait l'aspect viril du héros. Nos
actes sont signés.
La clinique était un
autre cube de béton s'estompant dans le
lointain. Je rentre à la chapelle. Dans
l'air vigoureux du matin, j'avance d'un
bon pas sur les mottes de terre durcies
par le gel. Ma respiration est projetée
devant moi comme un nuage d'encens. Les
étoiles meurent sur le fumier du cosmos
et l'espace s'enrichit. Les deux mondes
ne font plus qu'un. Je suis le créateur
et la créature. Je suis la terre et les
cieux. Je suis la roue et l'essieu. Mon
royaume est sur la terre comme au ciel.

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posted by Lucien Suel at 17:22 0 comments

jeudi 28 avril 2011

Le lapin mystique (17)



Le lapin mystique


par Lucien Suel

17





Au centre d'une icône de lumière cernée
par le plâtre gris du plafond, mes yeux
me regardaient. J'étais allongé, aplati
sur la table d'opération. Mon biceps se
gonflait sous la pression d'un bracelet
de caoutchouc rose. La douce haleine et
les blancheurs arrondies d'une nurse se
penchèrent vers moi, me masquant la vue
du scialytique cyclopéen. L'odeur de ma
Laure filtra jusqu'à mon cerveau. Je me
rappelai la main de la Soeur, le couple
salvateur de l'ambulance. Je ne pouvais
que clore les yeux, inquiet des arômes,
des effleurements et des bruits. Quelle
douceur dans la voix ! Mon poignet pris
entre pouce et index se leva mollement.

L'aiguille se glissa dans mon sang. Mon
oeil cligna lentement, pivotant vers le
visage de la forme blanche qui ondulait
devant moi. J'avais une grande soif. Je
perdis connaissance lorsque s'ouvrit sa
bouche large, chaude et caressante. Oh,
quelle discrétion dans l'ouïe ! L'écume
des vagues se roule dans le sable froid
et collant. Je galope le long de la mer
en poussant des clameurs enthousiastes.

Mes membres encerclés par le caoutchouc
s'engourdissent assez vite et je capote
sur un espars de bois noir et gluant de
goudron. Ma main glisse dans le mazout.

Gigotant sur le dos comme un coléoptère
débonnaire, je m'emploie à faire rouler
les élastiques qui enserrent mes jambes
et mes bras. Je suis balafré de cercles
rouges et de virgules noirâtres. A plat
ventre maintenant, le menton fiché dans
le sable, la ligne de mon regard heurte
une conque à moitié immergée dans l'eau
verte. J'allonge le bras. Avec un bruit
de succion, le coquillage ventriloque a
quitté son abri sablonneux. Je le colle
à mon oreille. Une voix emperlée d'iode
dit que c'est avec des paroles de feu à
volonté qu'elle défend le privilège des
conceptions ennemies. Je lâche la valve
et me redresse en secouant la tête. Sur
l'océan, l'ouest s'enveloppe de vapeurs
pourpres. Quelle douceur dans la voix !

Quelle discrétion dans l'ouïe ! C'était
aussi la modération dans la démarche du
corps animé, attentif à l'équilibre des
osselets internes, ineffablement réunis
dans le pavillon rose et poilu du lapin
immaculé. Des points noirs virevoltent,
laissant des traînées fugaces dans l'or
de mes yeux fatigués. Au bout d'un long
moment d'absence, je distingue un autre
point noir qui s'approche. J'enfonce la
conque prophétique dans l'épaisseur des
sables. Le point noir enfle dans la mer
houleuse. C'est une nageuse qui sort de
l'eau dans de grands éclaboussements de
blancheur rosée. Sa chair si velouteuse
tremblote dans un bikini noir, mouillé,
qui lui colle à la peau. Je m'approche.

Un avion noir survole soudain la plage.

Le croassement horrible des réacteurs a
brisé l'équilibre de mon jeu d'osselets
internes. La nageuse me saisit le bras.

Nous courons poussés par le vent et par
la peur. Le sang bat dans nos oreilles.

J'ai réellement vu les soupirs, les tas
de corps attendant au bord des chemins,
le passage des chenilles. Celle qui fut
naïade, Vénus en maillot foncé, s'était
agenouillée et baisait la terre, râpant
la croûte siliceuse de sa langue tendue
et vibrante. Ses ongles écarlates limés
par la surface inexorable se courbaient
un à un, puis finissaient par casser et
à l'endroit de la fissure, un liseré de
blancheur apparaissait, déchiqueté fort
inégalement, parfois jusqu'à la racine.

Une main vigoureuse guidait mon chariot
dans les couloirs de la clinique. Étalé
sur la civière, je suivais des yeux les
tuyaux blancs qui longeaient l'angle du
mur et du plafond. De temps à autre, un
néon livide se jetait sur mon visage et
sur mon drap. Je renversai la tête pour
identifier mon brancardier. Au sein des
odeurs gériatriques, le parfum de Laure
frayait sa route à travers mes narines,
jusqu'à mon cerveau qui émergeait de la
somnolence éthérée. Le patron de Laure,
chirurgien du dimanche, m'avait réséqué
la côte. Mon sarrau de coton piqueté de
pétales de sang fut soulevé par un fort
courant d'air lorsqu'après une violente
accélération, Laure arrêta fermement le
chariot. Chambre n° 23. J'étais arrivé.

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posted by Lucien Suel at 08:47 0 comments

jeudi 21 avril 2011

Le lapin mystique (16)



Le lapin mystique


par Lucien Suel

16





Déséquilibré par la masse et le gabarit
de sa guitare, le grave corvidé bascula
par-dessus le garde-fou au milieu de la
foule frénétique agitée d'un pogotement
furieux. Je n'avais pas laissé sa jambe
et je me jetai sur lui pour arracher le
masque de carton bouilli, du moins pour
tenter d'arracher le masque. Les appels
des spectateurs ajoutaient au charivari
ambiant. Mon nez se frottait aux cordes
en acier. Puis le mi grave se grava sur
la peau de mon front. Le conflit devint
général. Les corps s'aggloméraient vers
nous. Je reçus un virulent coup de pied
dans la hanche. Mes lèvres écrasées sur
le torse du bassiste ne pouvaient jeter
aucun cri. J'encaissai une multitude de
chocs de
docs dans les côtes mais je ne
sentais rien. Les parfums, les couleurs
et les sons, se répondant aux alentours
m'anesthésiaient à la lettre. L'ange en
noir parvint à s'arracher de la bagarre
et je restai allongé sur le béton froid
et gris, incapable de gigoter. Mes yeux
grands ouverts contemplaient le plafond
tourbillonnant du Mystic Rabbit où l'on
avait dessiné une multitude de fresques
retraçant la vie du monde animal. Celle
qui me surplombait matérialisait en une
mandorle dorée, éclairée par le halo du
projecteur, la tête coupée d'un corbeau
dont l'oeil noir me fixait. J'entendais
une voix qui susurrait dans mon oreille
droite : "La grâce est répandue sur vos
lèvres". Le bassiste rageur raclait mon
visage avec les cordes détendues de son
instrument. Une congrégation passionnée
tapait furieusement des pieds autour de
notre duo. Du coin de l'oeil, je voyais
Soeur Marianne qui s'était approchée du
micro et murmurait et gémissait dans la
chambre d'échos. C'était complet. Il ne
me manquait que de m'évanouir. Quelques
punkettes s'abattirent sur moi, l'ongle
levé, et commencèrent à déchiqueter mes
vêtements pour me punir d'avoir agressé
le corbeau. Le lapin déchira l'air d'un
riff sanglant. Le bec de carton recula.

La nonnette s'était encore approchée du
bord de la scène. Couché sur le sol, je
jouissais d'un point de vue inégalable.

La révélation était trop proche de moi.

Le spectacle devait continuer. Le sbire
du service de discipline s'approcha. Le
peloton de furies recula nonchalamment.

Le gorille m'aida à me lever et jeta un
plaid sur mes épaules. Il m'entraîna du
côté de la sortie. Dehors, la sirène de
l'ambulance plongea dans mes pavillons.

Je remarquai enfin l'état de mes habits
de cérémonie. Les boutons de mon veston
pendaient en déséquilibre à l'extrémité
des fils tels des yeux désorbités, liés
à des restes de fibres optiques. Lacéré
de déchirures, mon pantalon flottait de
tous côtés, ainsi qu'un habit de scène,
pour danseuse de tamouré. Le désir d'un
soudain départ loin de la vie terrestre
envahit mon esprit. J'avais des bleus à
la cuisse. L'une de mes côtes saillait,
comme un long arc violacé.
On me jetait
sur la civière. La porte arrière claque
sur ma douleur et mes questions. Qui se
cache sous la bure de la nonnette ? Que
signifie l'épandage de la grâce ? Quels
sont les liens de parenté parmi le trio
de musiciens ? Je me souviens de l'iris
du lapin dans la rondelle de caoutchouc
qui clôt la bouteille. L'ai-je bien vue
tomber de la poche du batteur lorsqu'il
pirouettait au-dessus des fûts de cette
installation ? L'impression de déjà-vu,
de réminiscence devient obsédante. Dans
la caverne de mon crâne, c'est le monde
qui se tapit. Imprégné du naturel divin
de ma personne, je reste placide tandis
que l'auto circule à travers un pays de
saules étêtés bordant des champs d'orge
et de betteraves. Le jour s'est levé et
il bruine. La caresse de l'essuie-glace
me pacifie doucement. Dans l'ambulance,
j'ai reçu une autre couverture. Je sens
que je vais dormir longtemps. Je trouve
Laure et Marianne de chaque côté de mon
brancard. Je m'enfonce en serrant d'une
main, le scapulaire en soie de Ma Soeur
Marianne et de l'autre l'une des pattes
de lapin de Laure. La sirène s'est tue.


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posted by Lucien Suel at 07:50 0 comments

jeudi 14 avril 2011

Le lapin mystique (15)



Le lapin mystique


par Lucien Suel

15





Au centre d'une icône de lumière cernée
par l'essaim tendu de la foule amassée,
Sister Marianne se déhanchait au rythme
du concassage assourdissant produit par
un ensemble de "mugissiens" masqués. Le
bas de son corps se tordait par à coups
et les soubresauts saccadés de son chef
faisaient tourbillonner le tissu de son
voile empêchant les spectateurs de bien
démêler l'ordonnance de sa physionomie.

Une centaine de surexcités, bras tendus
et bouche écumante, s'essoraient contre
les barrières de métal qui protégeaient
la scène de leurs débordements. Je sens
vibrer mon ventre, tandis que palpitent
les cordes de la basse, tordues par les
longs doigts velus d'un escogriffe vêtu
de noir et visage couvert par un masque
de corbeau dont le bec de carton lustré
clapote spasmodiquement chaque fois que
l'instrumentiste secoue le manche de sa
guitare. Le batteur fagoté en kangourou
percute à coups de poings et à coups de
pieds les divers tambours entassés près
de lui. Par intervalles, il cogne de la
tête sur les cymbales et saute en l'air
vers un câble tendu à travers le podium
et auquel on a suspendu, à la verticale
de son kit, une prolifération de divers
objets sonores de bois et de métal : un
pied de biche, des sachets de plastique
contenant des clous de toutes longueurs
et de toutes grosseurs, petits bouts de
bois, plantoir de jardinier, marteau de
menuisier, aimants aux branches garnies
de menues ferrailles agglomérées. Quand
il bondit, on aperçoit, dépassant de sa
poche abdominale, une bouteille dont la
mousse, en raison de l'agitation qui la
traverse, remplit le goulot et affleure
à l'ouverture. Je suis fasciné. Je sais
que la bouteille tombera de la poche du
kangourou. Dans son déhanchement, Soeur
Marianne, tournant le dos au public, se
planta en face du percussionniste. Elle
avait levé les bras, et, pieds écartés,
roulait modestement des hanches. Alors,
le public montant le volume, ajouta des
décibels. A droite, le guitar leader se
mit à cravacher son instrument avec des
grands moulinets du bras tandis que son
pied gauche écrasait la pédale d'effet.

L'accélération était à son plafond mais
le batteur boxait maintenant une rangée
de clés à pipes suspendues par des fils
élastiques à un portique de métal noir.
Les outils entrechoqués vibraient entre
les enceintes. C'était un aller simple,
le voyage était sans retour (jamais une
paire de baffles ne ravivera la couleur
sonore de ce que captaient mes tympans,
de ce qu'ingurgitaient mes neurones). A
travers le plateau, une clé de vingt et
un rebondit vers le visage empourpré du
guitariste dont un rictus découvrit les
dents de lapin. Seuls, ses yeux étaient
masqués par un loup de velours blanc et
il avait enfoncé deux oreilles de lapin
dans le serre-tête en éponge orange qui
fixait ses cheveux autour de son crâne.

Corbeau, kangourou et lapin étaient une
fois de plus réunis alors qu'étaient si
nombreux les témoins de ce concert. Une
vision transfigurée parmi la cacophonie
électrique qui pilonnait les murs de ce
bunker autoroutier, voilà ce que Sister
bénissait d'un acquiescement postérieur
et sensuel. Quelqu'un me passa un godet
en matière plastique empli d'un liquide
brun. C'était du café. Je le bus. On me
tendit à nouveau un gobelet et j'avalai
six tasses de café à la suite. (J'étais
devenu un clochard du monde spirituel.)

L'image de Laure qui dort traverse l'un
de mes hémisphères cérébraux. Le tapage
et la caféine conjugués m'excitaient de
façon absurde. Je pris conscience aussi
de la fragrance sudoripare et tabagique
qui bouffissait l'atmosphère. La viande
empêchait ainsi toute transformation de
l'espace en temps et réciproquement. Ce
café était vraiment fort. Au bord de la
rampe, le bassiste à tête de corbeau se
pencha. J'agrippai violemment sa jambe.

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posted by Lucien Suel at 08:26 0 comments