vendredi 2 septembre 2022

Permaculteur - Rockeur du Langage Poétique

 Un entretien avec Lucien Suel mené par "Poésie is not dead" le 27 août 2022 au hameau de La Tiremande. 

 Un panorama de l'activité du poète interrogé dans divers lieux : le jardin, le bureau, la bibliothèque, la salle d'archives, le bois, la terrasse... 

 Le montage est encadré par deux lectures de poèmes en vers arithmogrammatiques "Ossuaire" (1994) et "Les Tas" (extrait du poème "Les Terrils" composé en 2005)



 

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mercredi 26 janvier 2022

L'Opium

2

 

Avec des pieds de silence, elles couraient vers le placard à balais sans souci des lois de la pesanteur.

Il y eut quelques pertes dans les parages, à l’endroit où, les unes sur les autres, elles essayaient leurs philtres de flicardes maléfiques,

Éperdues dans les escaliers glauques derrière les barreaux de la centrale de Leavenworth,

Accroupies au sous-sol du poste, outres silencieuses face à de muets rats d’eau,

Pendues en effigie jour et nuit.

Il paraît que ce fut fait avec une échelle dont le haut s’aplanissait en grinçant.

 

Une foule sans nombre, une foule d’élites avec assez d’aiguilles dans le corps.

Les glaçons sauvages pleuraient des larmes vertes.

Je redescendis ennuyé, effectivement pendu dans le Connecticut, embrassant les degrés de verre brisé.

Des poulets étaient tombés dans l’escalier à mes pieds au bas des marches,

Leurs cils collés et leurs lèvres bavant.

La drogue s’entoure de magie et de tabou à l’horizon éloigné.

Avec mon corps terrestre de rites, j’étais capable de dénicher un bras sans le pouvoir réchauffer.

Dans cette rue-ci, la prochaine à droite aux marches de lentille m’aveugla.

Elles étaient encore là avec leurs masques de vieilles femmes, casques sur les oreilles.

« C’est pas tout ça », écrivis-je en un mail aux veines bleu de Sèvres.

« Qu’elles se reposent », comme disait le juge de paix dans la coupe aux flots d’huile fauve.

Il faut savoir être arbitraire aux vapeurs de soufre sur l’enfant.

Derechef, je me retrouvai au self service où mon paletot volé me faisait ressembler à un corps de limace.

Lucien Suel

(cut-up réalisé à partir d'extraits
du Festin mémorial de William Jarry
et de Minutes de sable nu d'Alfred Burroughs)

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mercredi 19 janvier 2022

L’Opium

1

 

Suçant de leurs lèvres brûlantes de fièvre la maquerelle de Peoria

Des barmen en fauteuil lavaient mes mains de cadavre béant.

 

Bart allait de l’un à l’autre.

 

Des augures volèrent au ciel blanc où les patients se laissaient couler en spirales sonores

Dans les battements d’ailes des engoulevents exsangues.

 

Et mon corps astral frappait du talon.

En mes nerfs un frémissement de guitariste ajoutait à l’envie de vomir rien qu’à les voir.

J’entrai dans une morgue immense.

Tous les vieux pareils à ma seule vue, tête repliée et les bras croisés.

Le beau thanatopracteur tendait le mollet droit.

On entendait gargouiller le liquide pendant qu’il mitonnait les poitrines.

Un travailleur du menton.

Tu connais les vieux : « Ils ont le ventre clapoteux et le peu de peau intacte qui leur reste sur les os se dissout. Tu t’attends à voir de grosses éponges là où ce sont des cervelles. »

Le contenu de la seringue retombait en pluie sur les morts glacés.

Comme du gras, pensai-je avec philosophie, l’eau des étangs se fige sur les dalles.

Je reprends le métro vers le centre.

On gazait des vitrines vers Sheridan Square.

Lucien Suel

(cut-up réalisé à partir d'extraits
du Festin mémorial de William Jarry
et de Minutes de sable nu d'Alfred Burroughs)

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posted by Lucien Suel at 10:20 3 comments

mercredi 3 janvier 2018

L Suel à l'aveuglette en 2001 avec Isidore Isou et Frédéric Acquaviva (3/5)

En août 2001, Philippe Robert m’a interviewé longuement sous la forme d’un blind test. Il m’a donc envoyé par la poste (hé oui!) une cassette d’une dizaine de morceaux, à charge pour moi de les reconnaître et de répondre aux questions ayant un lien avec ce que j’avais entendu. Cet entretien a été publié en septembre 2001 à Grenoble dans le n° 49 de « Revue et corrigée ».
Nous le publions en cinq parties au Silo. Voici le troisième épisode (bande-son : Isidore Isou et Frédéric Acquaviva.)


5.
Isidore Isou "Poème pour broyer le cafard"
J'ai d'abord pensé à Henri Chopin, puis à Schwitters, Hugo Ball... J'ai énormément de sympathie, au sens propre, pour ces deux derniers artistes, je connais presque par cœur la Ursonate de Schwitters, et aussi Karawane de Hugo Ball. Des innovateurs sensibles et modestes.

Tu crées une maison d'édition indépendante dans les années 80, la Station Underground d'Emerveillement Littéraire... (quels titres, aussi, outre tes bouquins, pourquoi ces choix, etc)

En 1985, j'ai créé avec ma femme une association 1901, la Station Underground d'Emerveillement Littéraire (pour l’acrostiche) ayant pour but déclaré, la promotion de la lecture et des arts, ce qui permet une activité éditoriale. Fidèle aux idées d’autonomie et de liberté, et ayant écrit suffisamment de choses pour publier un premier recueil, j’ai profité de la vulgarisation des ordinateurs et des photocopieurs pour fabriquer et éditer en 1988, mon premier livre, Sombre ducasse. La maison d’édition était née. J'utilisais les outils et les compétences que j’avais développés en amateur dans des activités de reliure et de sérigraphie, pour l’impression des couvertures et l’assemblage des feuilles, et j'approfondissais l’expérience acquise dans la mise en page de Starscrewer.
Cela faisait une douzaine d’années que j’avais abandonné Starscrewer et je savais que les textes que j’avais publiés et traduits allaient trouver une nouvelle vie et des nouveaux lecteurs. Ainsi est née la Collection du Starscrewer plus particulièrement destinée à des textes liés à la Beat Generation. J’ai fabriqué des petits volumes avec les textes de Burroughs, de Bukowski, d’Orlovsky. Un lecteur, musicien, Arnaud Mirland, découvrant la force et l’actualité du Poème sur la Mort d’un Monastère de Banlieue par d. a. levy (poète américain de Cleveland mort en 1968) travaille en ce moment à la composition d’un environnement sonore, musical et visuel de ce texte, travail qui devrait déboucher sur une nouvelle édition (plaquette + CD). Autre projet pour cette collection, l'édition de River of Red Wine, de Jack Micheline (mort en 1998), street-poet, ami de Bukowski.
Les circonstances et les rencontres amicales autour de la Station Underground d'Emerveillement Littéraire m’ont également incité à y accueillir des textes inédits de poètes contemporains (Michel Champendal, polygraphe ami de longue date, Christophe Tarkos, poète novateur et tout dernièrement, C. Edziré Déquesnes, bluesman picard, tous les trois ayant participé à la collection de la Moue ).
Etant donnés mes contacts aux États-Unis, L’U.F.R. d’anglais de l’université de Lille III m’avait demandé de préparer une anthologie de la poésie visuelle en Amérique du Nord. L’université ayant abandonné sa motivation en cours de route, cette anthologie a été publiée par la Station Underground d'Emerveillement Littéraire.
Il y a à la Station Underground d'Emerveillement Littéraire, trois types de livres : ceux de la Collection du Starscrewer, mes propres ouvrages et les coups de cœur de l’éditeur.
Ainsi, petit à petit, la Station Underground d'Emerveillement Littéraire est devenue une modeste mais vraie maison d’édition. Depuis 1988, 33 livres y ont été publiés. Le nombre d’exemplaires vendus varie, selon les ouvrages, entre 100 et 350. Le procédé d’impression (photocopie en libre service) permet une gestion souple du stock. Le prix de revient reste raisonnable, puisque mon temps de travail n’est pas facturé. Mon rythme de production est lent ; chaque livre est fabriqué entièrement de mes mains à toutes les étapes : saisie du texte (et parfois traduction), mise en page, fabrication de la maquette, tirage en photocopie, pliage, façonnage, assemblage, collage, couture, massicotage, emballage et distribution. La diffusion se fait en majeure partie par correspondance, grâce à l’envoi du catalogue suivant un fichier qui s’est constitué au cours des années par ma pratique des revues, du mail art, des lectures publiques...

Tu participes à des lectures performances de poésie en action...

Outre la performance textuelle (lecture proche de la poésie sonore), je pratique la poésie-action dont je donne ici trois exemples. J'ai osé ma première performance "POESIE CONCRETE" en 1988. J'avais un trac énorme, les mains qui tremblaient. Mais la réception chaleureuse des amis qui assistaient au spectacle a été un tel encouragement que depuis, j'ai répété la chose des dizaines de fois ; trac & tremblements ont quasiment disparu !

"POESIE CONCRETE" :
Debout face à une table, devant le public, je déclenche le magnétophone pour l’enregistrement et je lis des extraits d'un recueil de poèmes. Quand la lecture est terminée, j’arrête la bande, je rembobine et j’enclenche le magnétophone qui rediffuse le texte lu. Pendant la rediffusion, je sors d'un carton un rectangle de grillage et un aquarium en plastique transparent. Je plie le grillage autour du livre et dresse l'ensemble (livre enveloppé dans le grillage) au fond de l'aquarium. Sur le bord supérieur de celui-ci, face au public, j'appose un adhésif sur lequel on peut lire : POESIE.
J'extrais ensuite du carton deux sachets (un de ciment & un de gravier), une auge de maçon et ma truelle. Je verse les deux sachets de gravier et de ciment dans l’auge (nuage de poussière). Je prends la bouteille d’eau, verse et gâche le mortier. Je coule le béton dans l'aquarium, sur le livre et le grillage qui seront recouverts à mi-hauteur. Je prends un second adhésif et le colle sous le premier au bas de l'aquarium. Sur celui-ci, on lit le mot : CONCRETE. J’arrête le magnétophone, sors la cassette et la plonge debout dans le béton. Je nettoie et remballe mes outils.
J'aimerais réaliser cette performance en grand format avec des lettres en néon, une palette de livres de poésie et une toupie de béton amenée par un camion...

"FAIRE SON TROU DANS LA LITTÉRATURE" : Je travaille debout devant une table solide, face au public. Je déclenche le magnétophone. Ma voix enregistrée répète en boucle : « Percer dans la littérature, faire son trou dans le monde des lettres... ».
Avec un serre-joint, je fixe une planche à la table. Je sors mon marteau, des clous et des tenailles. Je prends un livre dans le carton, le pose sur la planche et le cloue aux quatre coins. Je déballe ma perceuse, monte une mèche. Avec la perceuse, en plein centre du livre, je perce un énorme trou. Avec les tenailles, j'arrache les clous qui maintenaient le livre sur la planche. Je tends au public le livre enfilé sur mon majeur. Je prends dans le carton un autre livre à qui je fais subir le même sort. J'invite ensuite le public à choisir dans le carton l'ouvrage qu'il souhaite me voir trouer. Je fais cadeau des livres troués au public. Quand tous les livres sont troués, je démonte ma perceuse et je range mes outils.

"L’ÉCRITURE DES VERS" : J'installe sur la table des coupelles dans lesquelles je dépose de la gouache. J'étale des feuilles vierges. Je prends dans une boîte un par un des lombrics de mon jardin. Je les trempe dans la gouache étendue d’eau. Je les dépose sur les papiers. Je présente ensuite au public un écriteau sur lequel j'ai écrit en grandes lettres "L’ÉCRITURE DES VERS". Lorsque les vers ont terminé d'écrire, je montre au public le résultat.
Après leur travail, les vers regagnent le jardin.
J'aimerais bien pour cette pièce utiliser un système de rétro-projection sur transparent, ou une caméra vidéo qui permettrait au public de pleinement apprécier le travail poétique du ver...

6.
Frédéric Acquaviva "Coma, pour seize guitares électriques et voix"
Je reconnais la voix de Pierre Guyotat ; j'ai vu cette séquence chez des amis, une émission télé, Océaniques, je pense, il y a quelques années. C'était fascinant de voir Guyotat dicter à son assistant, fabriquer l'écriture, faire naître le texte, et je me souviens bien du cliquetis des touches. C'était la première fois que je voyais utiliser un ordinateur. Mais la musique qui se glisse dedans, je ne ne sais pas. Frédéric Acquaviva, j'avoue ne pas connaître son travail. J'ai eu récemment un contact avec lui. Il souhaitait se procurer les Moues de veau que Christophe Tarkos a publiées ici.

De quel matériel disposes-tu pour écrire ? (Comment écris-tu tes textes ? à la machine ? je pense au cliquetis de la machine à écrire que l'on entend derrière Guyotat...) ...

J’ai appris à écrire à l’encre avec un porte-plume en bois et une plume sergent-major en acier. Plus tard, dans les années 60, j’ai eu un stylo-bille 4 couleurs. Ensuite, années 70, les crayons feutres et la première machine à écrire, une Underwood Standard d’origine achetée 30F chez un brocanteur. Elle fonctionne toujours. C'est avec elle que je maquettais Starscrewer, avec elle que j'ai tapé les premiers poèmes justifiés. J’ai imprimé mon premier livre, Sombre ducasse, à 30 exemplaires, en utilisant une imprimante à aiguilles et 5 rubans. Le traitement de texte s’appelait Wordstar et c’était sur un PC 286. Je suis rapidement passé à Works 3.0 sur un 386. J’ai écrasé Wordstar comme si c’était un vieux crayon usé. J’écris actuellement ce texte directement en corps 12 Times New roman en utilisant Word 6 sur un 486 muni d’une imprimante laser. Cet été, j’ai aussi écrit un poème sur le sable à marée basse, avec un morceau de bois ramassé sur la plage.
D'une manière générale, j'écris à la main tout ce qui est courrier personnel. Pour le reste, l'ordinateur est tellement pratique, couper-coller (tiens donc !), dictionnaire intégré, synonymes (d'une grande aide pour l'écriture des poèmes arithmogrammatiques !).
Mais j'aime encore me salir les mains, travailler les poèmes express à l'encre de chine, utiliser les ciseaux et la colle, les timbres en caoutchouc et les tampons encreurs.

Le jour où tout s’arrêtera, où même les disques durs se ramolliront, je pourrai toujours graver mes mots sur le mur de ma cave avec un morceau de charbon, ou, de façon plus optimiste, sur le sable des plages de la Mer du Nord en me servant peut-être d’un vieux bout de CD-ROM. 

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mercredi 20 décembre 2017

L Suel à l'aveuglette en 2001 avec William Burroughs et Julien Blaine (2/5)

3.
William S. Burroughs "K-9 was in combat with the Alien Mind-Screens"
William Burroughs, je connais tellement bien sa voix. J'avais vu une photo de lui dans un dossier du Magazine Littéraire, le n° 2 en 1967, je pense. C'est seulement trois ans plus tard que j'ai pu lire ses livres. Et depuis, je crois bien que je les ai tous lus, jusqu'au dernier, Ultimes paroles, lu cette année avec beaucoup d'émotion.
J'ai tout de suite essayé et adopté le cut-up. C'est beaucoup plus satisfaisant que l'écriture automatique des surréalistes. L'idée de couper dans des textes existants, de les manipuler, d'utiliser le "hasard" pour produire des images et stimuler l'imagination, détruire les discours imposés, briser les lignes d'association, comme le dit Burroughs, recycler de la littérature morte, écrire avec une paire de ciseaux ou un cutter, tout ça me convient parfaitement, dans ce monde, à cette époque. C'est une évidence de dire que nous vivons sur ce mode cut-up, du collage, du mixage des productions, des sensations ; le tout est de s'en rendre compte, d'être en éveil, toujours, à chaque instant et de s'en servir...

Comment as-tu découvert le cut-up et qu'a t-il représenté pour toi ?

Je viens d'écrire un opuscule intitulé Coupe-Carotte, dans lequel je présente ma pratique du cut-up et comment celui-ci a influencé mon écriture entre 1972 et 1997. Ce petit volume doit paraître prochainement aux Éditions Derrière La salle De Bains. Voici en gros les divers aspects qu'a pris cette forme de travail du texte au cours des années et des expérimentations successives. J'avais déjà utilisé la méthode dada des mots placés dans un chapeau et transcrits dans l’ordre de leur apparition. Ensuite, je suis passé au cut-up classique réalisé à partir de pages de mes carnets de notes dans les années 70 (pages coupées en 4 et scrupuleusement ré-assemblées selon les principes mis au point par William Burroughs et Brion Gysin). Allant plus loin, j'ai testé le cut-up de cut-up avec effets sonores ajoutés (tout ce travail était mené parallèlement à l'usage du magnétophone à bande, découpes, manipulations, épissures, toutes choses qu'on fait aujourd'hui d'un mouvement de souris). J'ai aussi pratiqué le cut-up mental. Par exemple, en prenant des notes, dans un train, dans une réunion,... La prise de notes se fait automatiquement, donc, en sautant des mots et des phrases. Le sens n’a aucune importance (on écrit ce que l’on entend au moment où l’on écrit) d’autant que s’ajoutent aux bribes du discours initial, des considérations personnelles sur le cadre de l’action (lieu, bruits, odeurs...) et sur les particularités des protagonistes.
Je suis arrivé au poème express lorsqu'au lieu de couper, j'ai commencé à raturer les textes, à caviarder les pages, depuis les tracts politiques ou syndicaux, jusqu'aux prospectus publicitaires en passant par les romans à succès... Le poème express est, comme le cut-up (!), une réponse à l’angoissante (hum !) question de la page blanche, puisqu’il commence à partir d’une page déjà écrite, imprimée, le plus souvent, page arrachée d’un roman d’amour ou d’un roman policier. Il suffit de biffer le maximum de mots, de lignes jusqu’à arriver à une combinaison satisfaisante pour l’esprit ; une autre façon de briser les lignes d’association...
Le mixage dérive du cutup, lorsqu'on mélange des bribes de journal avec par exemple, des paragraphes découpés dans un roman pornographique. Le même procédé permet aussi la création de situations pseudo-romanesques. Ainsi, j'ai rédigé un court roman expérimental intitulé Le Lapin mystique dont les deux premiers chapitres ont été composés en mixant quelques pages d’un roman policier de Mickey Spillane avec des lettres de la carmélite Xavérine de Maistre. Le reste du roman a pour fonction de justifier les "bizarreries" initiales. Le résultat donne une intrique cyclique puisque le livre achevé, on peut le relire dans une optique "logique".

Qu'est-ce que l'écriture justifiée (comment t'est venue l'idée, etc ) ?

L'écriture en vers justifiés que je préfère maintenant appeler vers arithmogrammatiques (l'expression est de Jean-Pierre Bobillot) est presque une forme de cut-up inversé. Le nombre de caractères dans chaque ligne (vers) est déterminé à l'avance en fonction du sujet. On ne compte pas les syllabes ou les mots, on compte les signes typographiques. L'idée m'en est venue alors que je réalisais à la machine à écrire les maquettes de mon magazine Starscrewer. Pour un texte de Claude Pélieu, je voulais obtenir cet effet de justification, alignement du texte des deux côtés comme dans les magazines. On fait cela maintenant d'un mouvement de souris (bis). Mais pour y parvenir avec une vieille Underwood, il fallait ajouter un espace ici, en enlever un là... J'ai alors imaginé d'écrire des textes dont les lignes seraient exactement de la même longueur. Lorsque les mots sont trop longs, ils ne sont pas coupés mais transformés. Ils peuvent être remplacés par un synonyme, ou changés de place, ou supprimés (cette contrainte est aussi un bon moyen de chasser les clichés !). Dans tous les cas, le texte original est modifié, non plus par le coup de ciseaux, mais par la justification imposée. Pour que cette particularité apparaisse dans la page, il est nécessaire d’imprimer le texte en utilisant comme sur les machines à écrire une police à espacement fixe.
A partir de là, j'ai aussi écrit des textes d'allure géométrique, triangles avec des vers à nombre croissant ou décroissant de signes, blocs carrés... Ainsi, les textes de la série ÉTOILE POINT ÉTOILE (*.*) proviennent tous du magazine Moue de veau. Ce magazine (voir plus loin) est composé de débris de textes, dessins, publicités,... d’origines diverses. Les textes sont intégralement recopiés dans l’ordre de leur apparition et forcés à travers le moule d’une justification (37 caractères par ligne). Les différentes techniques peuvent se combiner entre elles. Ainsi, on peut à partir d'un roman, produire une série de poèmes express que l'on retranscrira avec une contrainte typographique de 23 signes par ligne... La poésie est infinie...

Il y a chez toi un vrai souci de mise en forme graphique de la matière textuelle. Tu pratiques le collage et le poème express...

C'est probablement mon expérience de "revuiste" qui est à l'origine de cet aspect visuel de mes textes, que ce soit les poèmes express avec leurs gros traits de feutre noir, les collages instantanés dans lesquels je recycle ce qui passe sur ma table de travail, brouillons, courriers reçus, enveloppes, débris d'images, de dessins, ou cette nouvelle série que j'appelle "poèmes à compléter", où à partir d'un petit morceau déchiré de texte existant, on essaie de réintroduire un sens en ajoutant à droite et à gauche, au-dessus et en dessous, encore un effort de reconstruction, la lutte quotidienne contre l'entropie...

Comment se déroule une journée de Lucien Suel ?

Depuis que j'ai cessé toute activité salariée régulière, mes journées se déroulent en gros de la même façon. Je me lève tôt, je fais le tour du jardin. Je lis (magazines, revues). Suivant le temps qu'il fait, je travaille à mon bureau (courrier, écriture...) ou je travaille dehors (jardinage, bricolage, actuellement chantier de construction...). Même chose l'après-midi. Le soir, je lis plutôt des livres... Depuis plusieurs années, je n'ai plus la télévision, ce qui représente un gain de temps considérable, et je ne suis pas non plus relié à Internet (bien qu'on puisse m'y retrouver, notamment sur WWW. KITUSAI.COM & WWW.MULTIMANIA.COM/TAPIN (fermés aujourd'hui)). Voilà le déroulement d'une journée ordinaire, c'est à dire quand je ne suis pas en voyage pour une lecture publique, un concert de Potchük, un atelier de poésie, une résidence d'auteur...

Le jardinage est important pour toi ? (Quel rapport avec l'écriture ?)

Le jardinage est indispensable. Je peux encore faire des gestes qui furent ceux de mes plus lointains ancêtres. Leur étant relié de cette façon, je le suis aussi dans la contemplation du ciel et de ce qui reste de nature. La production de sa propre nourriture est un élément important d'autonomie. Je considère cela comme une forme de résistance. L'aspect quasi-mécanique de certains mouvements répétitifs libère l'esprit et favorise la naissance d'idées qui se traduiront plus tard dans l'écriture. D'ailleurs, le travail sur la terre, dans la terre, est analogue à celui de l'écriture. Tracer des lignes, laisser tomber les graines de gauche à droite... J'avais même imaginé que le geste de percer des trous dans la ligne avec un plantoir d'acier pour repiquer des poireaux était analogue au mouvement du rayon laser qui grave le glass-master d'un cd !

Tu habites où ?
Tu ne déménagerais pour rien au monde ?

J'habite depuis un mois une maison que ma femme et moi avons entrepris de retaper et d'agrandir de nos mains dans un hameau des Collines d'Artois. J'ai en effet dû quitter la maison de mon enfance que j'occupais depuis 23 ans, à la suite de l'installation d'une station de lavage de voitures sur le terrain mitoyen. C'était insupportable (le bruit des aspirateurs, des tuyaux d'arrosage sous pression, la vulgarité des amateurs de tuning...). Nous avons pris la décision de partir.

4.
Julien Blaine "Gorge humide"
J'ai pensé à Jaap Blonk avec qui j'ai participé cette année au Polypoetry festival à Maastricht. Il produit des sons étonnants uniquement avec la voix. Bien sûr, c'est du côté de la poésie sonore. Je ne connais pas cette pièce de Julien Blaine. Lui, par contre, je le connais bien. Depuis 1978, on s'échange du courrier, des revues. Je l'ai rencontré pour la première fois en 1997 à Lyon pour un festival de poésie-action. Il est impressionnant sur scène, et aussi dans la vie. C'est un vrai poète. Il est vivant. C'est grâce à lui et à sa revue DOC(K)S, que je suis entré dans le réseau planétaire de l'art postal (le Mail art). Depuis, j'ai participé à plusieurs centaines d'expositions d'art postal dans le monde entier sur les thèmes les plus divers. Les principes des expos mail art sont : pas de jury, pas de choix (on expose tout), pas de cotisation et un catalogue aux participants. Aujourd'hui, je participe moins à ces expositions collectives et je privilégie plutôt les contacts directs d'artiste postal à artiste postal. Quand on a choisi comme moi d'habiter un endroit isolé, l'art postal, base de la poésie élémentaire, est un excellent moyen de communiquer et de créer.
J'ai entretenu une correspondance avec des centaines d'autres mail artists de partout. J'ai fait la connaissance de gens charmants et intéressants. Ainsi, cet artiste postal de Belgique, Peter Moreels, m'envoyait ses dessins, ses cassettes (Il diffusait, par la poste bien sûr, des cassettes de groupes de rock de Tchécoslovaquie). J'étais intrigué, l'adresse de Peter était à Tournai et son courrier arrivait de Dunkerque, de Béthune, de Hasselt, de Rotterdam. J'ai su qu'il était batelier. Il répondait au courrier chaque fois que sa péniche attendait un nouveau chargement. Comme le Canal d'Aire à La Bassée passe à 2 km de chez moi, la rencontre a eu lieu. Il livrait un chargement de sable pour la cristallerie d'Arques. Au retour, il a amarré sa péniche près du pont de Guarbecque. Nous avons passé plusieurs journées délicieuses. J'ai vu son petit bureau de mail-artist à l'avant de la péniche, je lui ai montré mes archives postales... Quand il a obtenu un chargement de blé à Béthune, nous avons fait le voyage ensemble. Maintenant, Peter a vendu sa péniche et il habite Bruxelles mais j'ai toujours son adresse.
Dès qu'il fait beau, (je l'ai dit déjà), je travaille à l'extérieur, au jardin. C'est la pluie et le froid qui provoquent mon activité d'artiste postal. Installé au chaud avec mes tampons, ma colle, mes découpages, je fabrique des envois, je recycle des enveloppes, je réponds au courrier... Alexandre et Katherine Hirka, mail-artists du Vermont (Nord-est des USA) m'ont un jour envoyé, parmi d'autres choses, un fond de paquet de graines de tomates (3 graines). J'ai réussi à multiplier sur deux ans le nombre de graines. Un jour, dans le Vermont, ils ont reçu la photo en couleurs de mon jardin avec la trentaine de plants de tomates hauts d'un mètre cinquante et couverts de fruits. L'art postal est aussi du jardinage. Eric Adam m'a envoyé de Bruxelles un paquet de graines de choux de Bruxelles, l'adresse écrite sur le paquet. C'est une belle enveloppe qui fait un petit bruit de maracas. Je ne l'ai pas encore ouverte...

A un moment donné, tu découvres le mail-art via la revue DOC(K)S, et tu entreprends la publication des Moue de veau...

Le n° 0001 du magazine culturel Moue de veau porte la date du 2 janvier 1989. Il s'agissait de créer un organe de presse portant le titre contrepétant de Moue de veau, titre induisant les 3 orientations suivantes : un contenu à base de déchets, un regard dubitatif sur le monde et une mise à l'honneur du veau sous toutes ses formes. A partir de 1996 (n° 619), les numéros ordinaires ont chaque fois été fabriqués par une personne différente. Cette personne était choisie parmi les correspondants de la revue. Un modèle unique de maquette était proposé à la créativité des personnes choisies. La maquette reçue à la rédaction se voyait attribuer un numéro et une couverture. Le numéro terminé était tiré à 23 exemplaires. La personne qui l'avait réalisé recevait en retour trois exemplaires de la revue, un exemplaire de son numéro ainsi que l'exemplaire précédant et celui suivant le sien. Par ailleurs, la collection de l'anthologie permanente du veau (numéros spéciaux de la Moue) rassemblait des phrases prises dans la littérature mondiale. Ce sont toutes les phrases qui comportent le mot VEAU. 23 veaulumes de l'anthologie sont parus contenant 223 citations.
Le flot de littérature commerciale (prospectus de supermarché, catalogues de livres rares, courriers en faveur de l'électrothérapie, propositions d'abonnements aux journaux de Paris, propagande publicitaire ou politique, etc...) continue de couler dans les boîtes aux lettres, fournissant la matière première nécessaire à la fabrication de la Moue, mais le dernier numéro, n° 1111, a été publié le 11-11 1998. La Moue est morte. Vive la Moue !
Précision : La Moue n'est pas vraiment morte puisque tout un chacun peut commander à son aise des copies des numéros édités entre 1989 et 1998 en choisissant dans le catalogue des Moues qu'on peut consulter sur le site internet WWW.KITUSAI.COM (fermé aujourd'hui).


Pourquoi t'es-tu arrêté, et comment vois-tu la somme de travail accompli ?
Parmi le millier de références que représente ce "work in progress", quelles sont celles, qu'avec le recul, tu retiens plus particulièrement et pourquoi ?

Je me suis arrêté parce que tout simplement, dix ans, ça suffit. C'était un travail, si l'on veut, mais je me suis surtout bien amusé. Ce qui m'a plu dans Moue de veau, c'est le côté dérisoire de la chose, la gratuité de tout ça, l'exact contraire d'une activité efficace et rentable.
Bien sûr, des artistes "célèbres" ont participé à la Moue. Mais les numéros que je retiens sont ceux des simples amateurs qui ont consciencieusement rempli leur maquette et me l'ont retournée. Je suis heureux qu'ils aient exercé leur liberté en produisant ce petit ouvrage.

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lundi 26 juin 2017

Collaboration Suel-Bennett - NAP

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mardi 7 octobre 2014

CURM n°50

CURM (Cut-Up Ready-Made) est composé de 23 tweets consécutifs apparus dans ma Tweet List à un moment donné, copiés collés en éliminant les avatars et noms des abonnés, les liens et hashtags. Une expérience de twittérature mécanique.
CURM n° 50
(06/10/2014)

Véritable décoction. Mélange alchimique. Val sirote son Long Island Iced Tea, en imaginant ce qu'elle lui ferait plus tard. "Sed omnia præclara tam difficilia quam rara sunt". Par exemple le travail de Baptiste Mélès sur Spinoza : ⠀ ⠀lignes⠀⠀ronde⠀avec⠀l'action ⠀⠀⠀face⠀⠀pour⠀sur ⠀ ⠀⠀à⠀devons⠀⠀assez ⠀⠀⠀vraiment ⠀ ⠀pas⠀doit ⠀ ⠀⠀petites⠀trop⠀sujet⠀qu'est ventes de livres : Les grands formats très privilégiés sur les ebooks : Au cours des six premiers mois de l'ann... Brassaï - Woman dressing in costume in front of mirror, ca. 1936 Corto Maltese, le retour du marin légendaire : Un nouvel album est confié au duo espagnol Canales/Pellejero... Quel auteur êtes-vous ? | À propos d’écriture Quand on a aimé L. Ferré, Grand Corps malade, c’est consternant - Ah ah enfin une parole sur notre époque - Toujours France Culture Je devrais arrêter de croire que les gens écoutent et changent 200 dessins, 80 maquettes, des documents audiovisuels sont réunis pour restituer l'écriture architecturale de À la médiathèque de Suresnes vous pourrez jouer à Sonic MEGA Drive entre 2 palmiers !! J'avoue je…‘Twin Peaks’ To Return As Showtime Limited Series | Deadline Tuer ses collègues de travail, c'est du Heaulme office ? L'asile de nuit et les contrôles de police sont les piliers de la société actuelle... Rosa Luxemburg en 1912. Plus qu'Ebola, pour les journalistes, bientôt: Le passage à l'heure d'hiver. Les rédactions sont déjà sur le coup. Christophe Lucquin nous raconte la dure vie d'éditeur indépendant The first rule of the Fight Club is : you do not talk about the Fight Club. Bienvenue Tous mes abonnés ont droit à des cocktails de mots, fraîchement frelatés. On vous sert quoi? Blake Lively est enceinte et je ne suis pas le père, voilà le premier échec cuisant dans ma vie. "On The Road" with Jack Kerouac, 1947-1950 Sur un rhum, j'ai divagué des miles durant. Sur mon pouce, j'ai posé la coupure et j'ai souri aux aurores. Moi, dans la vie, je voudrais être blogueuse en résidence Croisement Eluard Rimbaud. L'élève + en difficulté orth mais fin / frisson on appelle ça une "chute" Ce qu'il ne dit pas c'est l'atroce morosité dont souffrent ceux qui, précisément, ne font pas parler d'eux puisqu'ils ne créent pas.

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posted by Lucien Suel at 07:35 2 comments