mercredi 7 juillet 2021

Correspondant Tarkos (2)

 Lettre 2, Paris, 01/12/1994

 


Lucien Suel

Reprenant mes esprits après un tel tas de beautés je t’envoie donc quelques RR et quelques affichettes et félicitations à mon humble avis pour la moue de Veau et je puise dans le tas pour le prochain RR et je pose ton nom sous la coupure de presse insérée à moins que tu préfères la traditionnelle légèreté nudité des numéros RR

Il faudrait vraiment quand on voit ça qu’il existât une réelle revue pour y mettre tout ça

Dans le genre hétéroclite et grand format

Un immense fait divers

 

(n’empêche que tu as un beau catalogue dans tes archives)

Et je me permets de vous tutoyer.

Et je relirai le tout attentivement

Et il ne faudrait pas oublier que l’écrit et l’art plastique se touchent. On y baigne en ce moment à Paris.

     Ciao A Bientôt

     Cordialement  à vous

         Tarkos

 

 ouha

 

merci le lot

je le lis et le traite

à suivre

 

et fais connaître

C. Tarkos

_________________

Note du destinataire

Moue de veau : revue éditée par L. Suel de 1989 à 1998

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mardi 6 juillet 2021

Correspondant Tarkos (1)

 Publication au Silo des courriers envoyés par Christophe Tarkos à mon adresse entre novembre 1993 et mai 1999. Presque toutes les lettres sont manuscrites et, pour le confort du lecteur, feront l'objet d'une transcription.

Lettre 1, Paris, 10/11/1994

Christophe Tarkos

13 rue de l'Espérance 75013

45 81 44 05

Lucien Suel,

Merci pour votre envoi et pour ce texte trouvé collé sur l'enveloppe.

La situation générale :

*Pour R.R.: dont je vous envoie quelques numéros, feuillets légers, si vous voulez participer je serai content d'accueillir vos trouvailles et vos humeurs, et prendre le collage sur l'enveloppe.

*Pour L'évidence : un papier affichette sur "Les mots n'existent pas", thème spécial de ce numéro si ça vous dit / si ça peut rentrer

*Pour la revue qui n'existe pas encore les textes ne conviendraient pas (trop vivants pas assez choses, cela étant par rapport à ce qu'elle pourrait être)

par contre je voudrais y mettre de la pub des textes bien comme vous faites alors pour cela, il me faudrait des: titres + nom de l'édition - de votre association par exemple - de bons textes de votre connaissance ou d'amis à conseiller ou peu connus.

Voilà le boulot que je vous propose.

J'espère qu'il est bon vivre à Berguette (joli nom). Bonjour à Didier Moulinier.

Bon complotage

Cordialement

C.Tarkos.

_________________

Notes du destinataire

R.R. Revue éditée par Christophe Tarkos, 4 pages, format  A4, sur papier couleur, au contenu majoritairement rédigé ou dessiné par l'éditeur.

L'évidence Revue grand format éditée par Pierre Tilman et Marie-Hélène Dumas de1993 à  1998

Berguette : Village du Pas-de-Calais où j'habitais à l'époque. Est maintenant fusionné avec la ville d'Isbergues

Didier Moulinier, éditeur de La Poire d'angoisse (Revue de bondage linguistique et graphique paraissant tous les lundis à midi entre Août 1984 - Juillet 1987 m'a donné l'adresse de Christophe Tarkos et m'a conseillé de lui envoyer des textes "abrutis".

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jeudi 4 février 2016

Sans espoir de retour du courrier 5/5

« Sans espoir de retour du courrier », cette correspondance entre Alban Michel et Lucien Suel a été publiée en 1986 (30 ans déjà!) dans le n° 4 de la revue Après la plage.
Nous le faisons paraître ici en 5 épisodes. Il est question de plage, de jazz, de roman noir et d'Audrey Hepburn.

Biscarosse, le 4 août
Mon vieux Lucien,
Figure-toi que "Lulu" un opéra d'Alban Berg fut interdit en France en 1958. J'ai bien peur que cette lettre ne t'arrive jamais. Pourvu qu'il ne te soit rien arrivé. Ils connaissent les filles qui nous unissent. Je te tape vite fait ce que je sais. Ils m'ont retrouvé. J'espère que la dernière levée n'aura jamais lieu. Surtout ne te réfugie pas dans une salle obscure. Ils sont tous dans le coup. Le projectionniste, les spectateurs, la caissière, les ouvreuses. Ils contrôlent tout. Tu es entouré de dingues. Je sais ce que je tape, j'ai vécu dans un blockhaus de vingt-deux étages. Je ne te raconte pas ce qu'ils incinéraient dans le vide-ordures.
La fille aveugle bosse à la poste. Jusqu'à présent elle s'est contentée de transmettre les doubles de nos lettres à Dan Parker. Surtout ne t'enfuis pas dans un cinéma. Ça se termine presque toujours en incendie. Je m'en veux de t'avoir entraîné dans ce snuff-movie. J'avais besoin de blé et je ne salope jamais mes contrats. Tu me connais, je m'enflamme facilement lorsqu'on me promet l'éternité sur pellicule. J'ai signé. Pour éloigner le mal, pour pouvoir taper comme un dératé dans un clandé pour écrivains. Au mieux et en comptant les ratures j'ai réussi à leur taper dix pages.
Je dois un scénario de film porno à Robert Baker, et un article tout ce qu'il y a de plus élogieux sur les bonnes œuvres du Clan Murphy. Les sbires de Thomas F. Little campent en bas de l'hôtel sur la plage. Ils vont me tanner, sûr qu'ils font partie de la famille des cuivres. J'ai promis à leur monsignore un poème d'amour par jour qu'il signe et expédie à sa petite amie. Chiappe est de tous le plus coriace. Il m'a commandé une monumentale histoire de sa vie. Il confond nombril et sexe.
J'ignorais qu'ils travaillaient tous pour Dan Parker. C'est fichu pour ta ballade. Je suis sec. J'ai le bourbon. C'est pas le moment de laisser nos empreintes sur le sable. Maquillage de guerre. Mercredi des Cendres de mai à décembre. Tire-toi au plus vite de Stella-Plage. Parker tient tous les cinémas, les hôtels, les clandés, les écrivains et les garages de la côte. C'est grâce à lui que la fille de la réception porte des lunettes. Elle est heureuse de s'en tirer à si bon compte. Adieu. Je ne t'écrirai plus. Je t'enverrai des cartes postales.
Alban

Sans espoir de retour du courrier : Lettre 1
Sans espoir de retour du courrier : Lettre 2
Sans espoir de retour du courrier : Lettre 3
Sans espoir de retour du courrier : Lettre 4

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jeudi 28 janvier 2016

Sans espoir de retour du courrier 4/5


« Sans espoir de retour du courrier », cette correspondance entre Alban Michel et Lucien Suel a été publiée en 1986 (30 ans déjà!) dans le n° 4 de la revue Après la plage.
Nous le faisons paraître ici en 5 épisodes. Il est question de plage, de jazz, de roman noir et d'Audrey Hepburn.

Stella-Plage, le 23 juillet
Cher Alban,
J’ai bien pensé un moment écrire à Elmore James. Cela aurait été l'occasion rêvée de vérifier la bonne marche du "Return to Sender". Le grain de sable retourne à la plage. Après le pèlerinage, ce sera le Mercredi des Cendres. J’ai vu des photos de ces filles arrivées par la poste et qui se tordaient dans les flammes de l'incinérateur de jardin. Un spectacle pour solitaire ; on ne peut pas tenir bien longtemps dans les blockhaus désaffectés. L'odeur te prend à la gorge et tu dois vite rechausser tes "semelles de vent". Il souffle dans les saxophones désinfectés. Oui, écris-moi donc les paroles d'une ballade qui respire à travers le nylon rosé. Plusieurs fois, j'ai serré des poupées sur mon cœur, des poupées enduites de poudre de riz et leurs joues de celluloïd se collaient à ma peau brûlée. Entre la pourriture et le dessèchement, il faut choisir ou naviguer. Les écrivains ont des ratés. Il y des métaphores qui filent comme les bas. Je répands ma semence sur la plage blanche devant une fille aveugle en shetland rosé. J'ai mis mon maquillage de guerre : cendre, sable et semence. Il ne me reste plus qu'à m'enfermer dans une salle obscure. J'attends le début de la projection. Envoie une nouvelle bobine pour crucifier le vieux jazzman.
Lucien
P.S. Pas question que je brûle tes lettres. Il fait trop chaud
Sans espoir de retour du courrier : Lettre 1
Sans espoir de retour du courrier : Lettre 2
Sans espoir de retour du courrier : Lettre 3
 

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jeudi 21 janvier 2016

Sans espoir de retour du courrier 3/5


« Sans espoir de retour du courrier », cette correspondance entre Alban Michel et Lucien Suel a été publiée en 1986 (30 ans déjà!) dans le n° 4 de la revue Après la plage.

Nous le faisons paraître ici en 5 épisodes. Il est question de plage, de jazz, de roman noir et d'Audrey Hepburn.

Biscarosse, le 20 juillet
Mon vieux Lucien,
Tu te plantes avec ton jazz. Je n'y connais rien. J'ai longtemps rangé le saxophone dans la famille des cuivres. Du moment que c'est triste je suis content ; je titube sur la plage.
Mes gueules de bois ont déjà entendu meugler un sax mais elles ne savent plus dans quel bar. C'est ça, moque-toi de mes mortifications, tu me fais marrer avec tes balades solitaires sur la plage. Ne me dis pas que tu trouves ça beau une plage. West Coast mon cul.
Je vois d'ici le tableau. Il manque juste un sax, un piano, et pour me faire plaisir, une caisse claire balayée par Al Seamless. Tu veux que je t'écrive les paroles ?
Je peux juste te taper une ou deux ballades. Je suis plutôt pilleur d'épaves que marin. Dénicher une fille dans un pull en shetland rosé ça je ne sais pas faire. Trouve-toi quelqu'un d'autre à qui écrire. Tout ce que je connais du jazz c'est Elmore James.
Trouve-toi une fortification abandonnée pour y brûler à l'abri du
vent tout ce que je t'ai pillé. Fais ça devant la fille si ça peut te soulager. De l'hôtel je vois le chemin de croix des marchands de sable. Les habitués du blockhaus. « Ça serait pas merveilleux si on pouvait rester ici ? ».
Pieds nus en Rosy rosé sur le béton dur et humide. Ce film est le voyeur rêvé des pourritures.
Alban
Sans espoir de retour du courrier : Lettre 1
Sans espoir de retour du courrier : Lettre2

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jeudi 14 janvier 2016

Sans espoir de retour du courrier 2/5


« Sans espoir de retour du courrier », cette correspondance entre Alban Michel et Lucien Suel a été publiée en 1986 (30 ans déjà!) dans le n° 4 de la revue Après la plage.

Nous le faisons paraître ici en 5 épisodes. Il est question de plage, de jazz, de roman noir et d'Audrey Hepburn.

Stella-Plage, le 16 juillet
Cher Alban,
Je me sens comme un scoptophile aux yeux bandés. Et ce n'est pas du nylon rosé que j'ai sur les yeux. J'en suis bien sûr. Il y a bien des années, j'avais marché du Touquet à Merlimont, une sacrée balade, pieds nus sur le sable dur et humide - un vrai chemin de croix dans le soleil contre le vent et ses gifles de gravier - Si je le faisais maintenant encore, ça s'apparenterait sûrement à un pèlerinage avec toutes ces filles les seins à l'air. 
Al, sans doute astique le cuivre de son bois. Il ne pourra jouer que West Coast, comme moi. De toute façon, l'anathème est levé, France-Culture l'a dit, et puis, un livre a été écrit et même édité sur le sujet (West Coast Jazz de A. Tercinet). Pour revenir, c'était mieux, j'avais le vent dans le dos. Je n'étais plus dans la peau de Germain Nouveau. Du reste, je n'ai jamais aimé la mortification. Je n'ai jamais titubé sur une scène ; mes gueules de bois sont intimes. N'empêche que, parfois, j'ai les yeux qui piquent. Et ça n'est pas le genre de lettres que tu m'écris qui pourra tuer le marchand de sable. 
Ah ! A.H. : c'est incroyable, cette histoire ! Je n'ai jamais pu avoir un réfrigérateur dont la lampe intérieure tienne le coup plus d'une semaine. La nuit, quand je descends dans la cuisine pour relire les originaux de tes lettres, il me faut faire ronronner le tube au néon. Si tu vois (sic !) ce que je veux dire ! Dans ce film, d'ailleurs, elle porte un pull de shetland rose
De temps en temps, je me retournais pour regarder l'empreinte de mes pieds (égyptiens) dans le sable - prétexte pour soulager mon visage du pilonnage sableux, vent parallèle au sol. Anyway, ce n'est pas encore aujourd'hui que j'arroserai d'essence mes archives "littéraires", parce qu'il y a toujours un bidon de sable plein de mégots à côté des pompes. Funèbre, moi ? Allons donc !
Lucien.
Sans espoir de retour du courrier : Lettre 1


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jeudi 7 janvier 2016

Sans espoir de retour du courrier 1/5


« Sans espoir de retour du courrier », cette correspondance entre Alban Michel et Lucien Suel a été publiée en 1986 (30 ans déjà!) dans le n° 4 de la revue Après la plage.

Nous le faisons paraître ici 5 épisodes. Il est question de plage, de jazz, de roman noir et d'Audrey Hepburn.


Biscarosse, le 4 juillet
Mon vieux Lucien
L'hôtel domine la plage. Tu penses bien que je ne me suis pas installé à l'Hôtel de la Plage. C'est bon pour les vrais écrivains qui ont les moyens d'écluser les habituées du bar. Je suis juste à côté, dans un hôtel à vendre. Une grande maison biscornue bâtie sur une falaise de sable que les vents et les grandes marées éboulent de décembre à mai.
Je me suis bien planté dans le décor et tu te prêtes volontiers à cette comédie. Il te faut de grosses lettres endormies dans le nylon rosé. Gestes brusques. Taper, timbrer, poster. Voilà où nous en sommes. J'ai honte, j'ai trouvé quelqu'un à qui parler. Du vent. Des cheveux collés sur du papier. Al astique son cuivre. Je ne veux plus t'écrire.
Il faut que je te dise. Ici il vente par tous les temps. L'hôtel est désert. Je voulais me taper de la solitude c'est gagné. Je n'ose même pas taper la nuit à cause du bruit. J'ai eu l'air malin à la réception devant la fille aux lunettes. Elle se doute bien que les vrais écrivains ne montent jamais chez elle. Je te tape. Ne te laisse pas faire. Si tu savais. Je ne suis même pas fichu de me rembobiner le ruban tout seul. Devant la postière pourtant j'ai l'air honnête. Eté comme hiver je me poste devant ses jupes plissées. Bas les bottes ! C'est encore raté. Elle se tape mon courrier et j'ai honte.
Je n'ai jamais rien écrit. Une ou deux âneries en dix ans. La poésie est le judas rêvé des pourritures. Je n'ai jamais quitté mes paperasses. Il n'y a même pas une vieille dame à séduire dans cet hôtel. Chambre seize l'olivetti dort sous sa housse en nylon gris. Même un rat ne supporterait pas ma présence. Tu sais que je ne plais qu'aux dames d'un autre temps. C'est bien la seule poésie, la seule histoire vraie de ma vie.
Je t'ai tapé tellement d'âneries du temps où je carbonais les doubles de mes lettres. Quand je pense que tu as tout conservé. Du vent Je ne descends jamais sur la plage. Eté comme hiver les femmes sont belles. Faut que je te raconte. Je te tape « Mon Vieux Lucien » et mon ruban ne fait qu'un tour. Tu t'es fait avoir. J'ai acheté la machine seulement pour t'écrire. Il n'y a pas de poésies complètes cachées sous la housse de l'olivetti. Demande, ou mieux écris, à la fille aux lunettes. Elle te dira que je ne quitte jamais la chambre et que le vent a bon dos de m'empêcher d'écrire à cause du bruit. Brûle tout. Ne me réponds plus. Fais quelque chose de ta vie. Trouve-toi une fille qui t'embobine. Roule. Rôde. Fais toutes les bibliothèques. Fais des fiches sur elle. Couche ses photos dans de grands cahiers amoureusement reliés. Va voir tous les films d'Audrey H. Touche les spectres.
Alban

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mercredi 16 juillet 2014

Colonnes dénudées (post-scriptum)

La mise en ligne de "Colonnes dénudées" au Silo est maintenant terminée.
Le manuscrit de « Colonnes dénudées » rassemblait des poèmes écrits de 1987 à 1989. Dès 1990, il a été proposé à de nombreux éditeurs. Certains l’ont apprécié, mais tous l’ont refusé. Il a finalement été édité en 1994 par la Station Underground Underground d’Emerveillement Littéraire.
23 ans après, alors que vient de paraître dans La Quinzaine Littéraire (n° 1109), un magnifique article à propos de « Je suis debout », voici les quelques mots que Maurice Nadeau m’avait adressés en 1991 après avoir lu mon manuscrit.


11 mars [1991]
Cher Lucien Suel
J’ai beaucoup goûté ( ?) vos « colonnes dénudées ». Il y a une véritable invention, et non seulement géométrique. C’est drôle et quenellien en diable.
Le moyen de faire passer dans l’imprimé ? Il faudrait essayer dans quelques revues.
Bien cordialement
Maurice Nadeau

J’ai marché sur un nuage pendant quelques jours après avoir reçu ces encouragements de Maurice Nadeau. Et ensuite, je me suis remis au travail…
« Colonnes dénudées » est un ouvrage aujourd’hui indisponible. Mais la plupart des poèmes qui y figuraient ont été repris dans d’autres recueils ; pour la plupart, dans Canal mémoire, quelques-uns dans Un trou dans le monde et Petite Ourse de la Pauvreté.

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jeudi 2 juillet 2009

Lettre à une lectrice

Le 23 septembre 2007


Chère M.,


C'était le printemps lorsque vous m’avez écrit et ensuite l'été... Non, cette année, l'été n'est pas venu. Maintenant nous avons comme un avatar d'été, un été de minuit. J’utilise (enfin) un peu de ce temps qui me reste, pour cette lettre tapotée avec deux index sur la bakélite. Est-ce que c'est ça l'esprit de l'escalier ? C'est la même chose que de manger d'abord les pêches très avancées et de garder les meilleures pour la fin. A force de toujours garder la meilleure pour la fin, elle finit par venir. Je finis par écrire.

J'ai vu que vous aviez cessé de téter le lait noir de l'aube, et donc remplacé Paul Celan par Witold Gombrowicz. C'est toujours l'Orient, c'est de là que vient la résurrection. L'Occident s'enfonce dans la mer, dans le ressentiment, dans la déconvenue de soi. Vous écrivant, j'ai sous les yeux le sous-verre avec la photo de Dylan, notre admiration commune. Ses cheveux frisottent en boule autour de son crâne avec un léger accroche-cœur sur la droite devant l'oreille (blowin' in the wind) ; dans l'entrebâillement du blouson en suédine, j'aperçois un bout de col de chemise décoré d'étoiles et de petits cœurs, la photo est noire et blanche mais les cœurs sont sûrement rouges et, sur les genoux, il a une espèce de poupée qu'on ne pourrait pas vendre sur e-Bay. (En fait, si, maintenant, on pourrait !)

A mon âge on a encore de la mémoire en quantité, un peu moins de vision (le long terme est inaccessible), et toujours beaucoup de résistance au souillé, crevard et triste aujourd'hui. Vous avez mille et une fois raison : le contraire de Mallarmé, c'est bien désarmé ! Et à tout ça, nous ajouterons l'humour. Je suis Antée, l'umour, l'umour, l'umour ! D'ailleurs Alfred Jarry (centenaire en vue) appréciait Bloy. C'est comme Bernanos, j'en parle parce que je sais l'importance de l'enfance (l'innocence) dans votre esprit. Lui disait que le monde moderne a pour seuls ennemis, l'enfant et le pauvre.

Ici dans mon poêle thébaïde, beaucoup de travail en cours et notamment terminer ce livre qui devrait vous intéresser (encore faudra-t-il trouver un éditeur qui accepte de le publier). C’est une biographie romancée, autant dire une fausse biographie, celle d’une femme amateur de littérature ; elle correspond avec des auteurs, elle tient un journal dans lequel s’entremêlent des notations de ses activités les plus ordinaires avec des citations des ouvrages qu’elle lit... C’est un travail passionnant à cause des formes diverses que j’utilise (récit, journal, correspondance, voire même entretiens). J’aimerais bien vous en proposer la lecture car vous faites maintenant partie du premier cercle de mes lecteurs, ces personnes à qui l’on pense quand on se relit à la fin d’une journée de travail.

J'ai moi aussi des bons souvenirs de lectures d’enfance sous le tube au néon grésillant, avec de temps en temps, ce soupir de fumée qui remonte dans la cuisinière à charbon. Je ne connais pas le son de votre voix mais j'ai l’impression de l’entendre lorsque je relis votre première lettre, celle qui concernait mes « Visions d’un jardin ordinaire ». Mes facultés d’émerveillement se font plus discrètes. Il devient difficile de naître à chaque instant quand l'addition des ans approche le bas de la page.

Vous me parlez de votre église interhumaine gombrowiczienne mais je ne suis pas sûr que ce cher Gombrowicz ait voulu créer une église ! J'ai lu l'été dernier, déniché dans la bibliothèque de la Villa Yourcenar, les entretiens qu'il a rédigés pour Dominique de Roux, un moment délectable. Et puisque je parle de la Villa, cela me ramène à « Mort d’un jardinier », le récit que j’ai écrit durant ma résidence là-bas. Eh bien, je n’ai toujours pas eu la réponse de X. Il mûrit très longuement sa décision. Ah, si c’était vous mon éditeur ! (Oh, peut-être un mot à féminiser ? Vous savez ce que j’en pense.) En tous les cas, soyez sûre, chère M., que vous serez parmi les premières personnes averties lorsque j’aurai une réponse définitive. (Il faudrait pour cela que vous vous décidiez à prendre une connexion et une adresse internet !)

Pour l'empathie, vous avez vu juste et j’apprécie votre réaction à la lecture de « Un trou dans le monde ». Citation : « Je vous vois comme un oiseau qui va aux bateaux (le fameux albatros ? la colombe et son rameau ?) ». Merci beaucoup, oui, sans doute, au début de ma « carrière », j'étais plutôt albatros, ensuite poulet au petit crâne presque vide, et maintenant je suis devenu un corbeau de 450 ans. Je croasse en cercles autour de moi. Et vous m'entendez. Vous levez la tête. Je suis là. Non ! Là !
Croyez-moi ! Je rêve que je m'éveille.
Je vous salue, M..

Lucien


PS : Pour les « Annales de la Villa Yourcenar », on m’a demandé « Une lettre au lecteur ». Je vous serais très reconnaissant si vous acceptiez que ma lettre d’aujourd’hui y soit publiée.


Cette "Lettre à une lectrice" est restée inédite car le projet initié par la "Villa Yourcenar" a été abandonné en cours de route. Le roman "Mort d'un jardinier" a lui été édité presqu'un an après en novembre 2008, et la biographie romancée dont je parle est finalement devenue "La patience de Mauricette", roman édité par La Table Ronde et qui sera en librairie le 3 septembre 2009, juste deux ans après l'écriture de cette lettre à M..

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