Venir au vent (VIII) par Laurent Margantin
Au port de santa teresa
II
Rome
voix fortes montant de la cour
chocs de la vaisselle qu'on entasse,
après minuit les derniers clients finissent leur repas
et c'est la joie alourdie par la fatigue
qui anime le moindre geste,
laver, essuyer, ranger
les ordres du chef se mêlant
aux rires brefs des serveurs
une force plus forte que nous
nous entraînait sur ces eaux noires
que nous ne cherchions même pas à sonder
plongés dans le sommeil anxieux de toute traversée
et à Santa Teresa j'attendrai aussi un bateau
pour aller d'une île à l'autre
connaissant enfin la destination
c'est une nuit, une seule nuit visitée
par la plus petite voix d'enfant
qui demande je ne sais quoi à sa mère
si les eaux par exemple n'allaient pas nous engloutir
et nous faire voyager dans le ventre de la baleine
je ne suis plus tout à fait sûr des noms
il faudra que je consulte une carte
mais c'est à Olbia je crois que très tôt le matin
le navire nous débarqua
tous assagis ou plutôt abrutis
par le bourdonnement monotone des moteurs
qui toute la nuit avait rythmé
notre mauvais sommeil
une foule lente
et précautionneuse descendit le pont
dans la chambre de la pension à Rome
je me souviens que je lisais L'esprit du Tao
de Jean Grenier, où est racontée la célèbre parabole
de Tchouang-tseu rêvant qu'il était un papillon
le soleil se levait à l'horizon
moi aussi je préfère les levers de soleil
sur la mer aux couchers,
au même moment la côte sarde émergeait
nous étions tous sur le pont
comme toujours lorsqu'on aborde une terre
sans pouvoir croire à ce que nous voyions
et comment est-il possible
qu'il y ait encore des îles ?
et qu'elles soient encore habitées ?
peut-on y vivre vraiment?
sont les questions que se posent en secret
les voyageurs venus des continents
et obsédés par le confort moderne
immense et curieuse fatigue
avant une énième traversée
qui semblait l'aboutissement de celles
que j'avais faites au nord de la Norvège
aux îles Lofoten
là-haut
je suis allé de fjord en fjord
parfois on restait seulement
quelques minutes sur le ferry,
embarquant et débarquant
une fois par jour au moins,
jusqu'à ce bout du monde
que j'atteignais un jour d'août
un village de pêcheurs qui portait un nom
d'une seule lettre que je ne savais pas prononcer
Laurent Margantin est un auteur et traducteur vivant à la Réunion. Il a publié plusieurs récits (Aux îles Kerguelen, Le Chenil, Roman national) aux éditions Œuvres ouvertes et des poèmes dans plusieurs revues. Il travaille depuis plusieurs années à une édition critique du Journal de Kafka accessible en ligne (www.journalkafka.com). Dernière publication : Les Carnets du nouveau jour /3 (éditions Œuvres ouvertes)
Libellés : Invité du Silo, Laurent Margantin, Poésie, Venir au vent
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