vendredi 3 septembre 2021

Venir au vent (IV) par Laurent Margantin

 AU CONFLUENT

 II

c'est un fleuve de terre      qui coule aujourd'hui à Pontoise      fleuve de terre et d'herbes arrachées aux berges      lavées par les coups de bêche du courant la Seine a monté,      et l'Oise

 

et par ce mauvais temps je vois

les images de musée reprendre vie et souffle,

un cheval sur un chemin de halage,

un homme à ses côtés,

le fleuve et ses rives sont labourés

par ces fantômes venus peut-être des affluents

où ils s'étaient réfugiés pendant de longues années,

 

car Oise

qui connaît toutes tes boucles

et tes origines sinueuses, qui connaît

tes centaines de kilomètres de sentiers fluides

sous les saules penchés

et ce qui s'y cache comme monde d'épaves

et de revenants,

affluent secret, Oise,

qui te connaît,

 

vous voilà de nouveau,

vieilles bêtes du fleuve,

toujours labourant les eaux

à contre-courant du temps,

remontant tirés par de solides carnes

les eaux du passé,

le fleuve, le fleuve de terre et d'herbes arrachées,

n'a jamais cessé d'être parcouru

par ses fantômes,

 

et je me souviens en effet mon père     nous emmenait pas loin d'ici      au musée de la marine      et nous racontait ces histoires de halage      qu'avait bien connues son propre père et son grand-père     tu peux trouver des images de cela      dans les livres

 

ici, sur les berges,

passe et repasse la lumière du matin et du soir,

allant d'une rive à l'autre,

 

et toi-même,

va, reviens,

marche ici et vole avec l'oiseau

égaré loin des côtes

et qui pourtant connaît le chemin,

reviens à ces pistes que tu connais bien

et tâche d'en ouvrir de nouvelles

aussi fraîches et claires que cette lumière

qui danse entre hier et aujourd'hui,

 

visages, je vous vois,

un coup d'aile vous emporte au-dessus des eaux

et vous restez quelques instants

connus, inconnus,

la bouche ouverte et sans parler,

regardant le jour qui s'en va

et la lumière qui revient toujours

passant d'une rive à l'autre,

 

la mouette laisse échapper quelques cris,

et le courant voudrait mugir comme la mer,

marins en aval, vous êtes aussi de ce monde

du grand flux,

et de vos rives océaniques

elles-mêmes portées vers ailleurs

vous avez laissé venir cet oiseau

pour qu'il éclaire les lieux d'un horizon plus large

vers lequel nous descendons,

 

c'est Jean      dit « Jean-la-péniche »      salut Jeannot

 

face rouge,

voix brisée par la vinasse et le clope,

connu de tous,

toujours matinal,

et le coude se lève déjà,

 

mon carnet de bord je l'ai gardé bien précieusement je le relis les 27 octobre      parcourant de mémoire tes fleuves      la péniche      je l'ai aménagée mes enfants sont grands à présent      moi et ma femme vivons dessus      on partirait bien encore    d'écluse en écluse

 

 

Laurent Margantin est un auteur et traducteur vivant à la Réunion. Il a publié plusieurs récits (Aux îles Kerguelen, Le Chenil, Roman national) aux éditions Œuvres ouvertes et des poèmes dans plusieurs revues. Il travaille depuis plusieurs années à une édition critique du Journal de Kafka accessible en ligne (www.journalkafka.com). Dernière publication : Les Carnets du nouveau jour /3 (éditions Œuvres ouvertes 

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posted by Lucien Suel at 07:30

2 Comments:

Blogger Brigetoun said...

merci de nous le donner à lire

07:45  
Blogger Lucien Suel said...

Chère Brigitte, c'est aussi un plaisir de lecture pour moi !

13:17  

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