Venir au vent (IV) par Laurent Margantin
AU CONFLUENT
II
c'est un fleuve de terre qui coule aujourd'hui à Pontoise fleuve de terre et d'herbes arrachées aux berges lavées par les coups de bêche du courant la Seine a monté, et l'Oise
et par ce mauvais temps je vois
les images de musée reprendre vie et souffle,
un cheval sur un chemin de halage,
un homme à ses côtés,
le fleuve et ses rives sont labourés
par ces fantômes venus peut-être des affluents
où ils s'étaient réfugiés pendant de longues années,
car Oise
qui connaît toutes tes boucles
et tes origines sinueuses, qui connaît
tes centaines de kilomètres de sentiers fluides
sous les saules penchés
et ce qui s'y cache comme monde d'épaves
et de revenants,
affluent secret, Oise,
qui te connaît,
vous voilà de nouveau,
vieilles bêtes du fleuve,
toujours labourant les eaux
à contre-courant du temps,
remontant tirés par de solides carnes
les eaux du passé,
le fleuve, le fleuve de terre et d'herbes arrachées,
n'a jamais cessé d'être parcouru
par ses fantômes,
et je me souviens en effet mon père nous emmenait pas loin d'ici au musée de la marine et nous racontait ces histoires de halage qu'avait bien connues son propre père et son grand-père tu peux trouver des images de cela dans les livres
ici, sur les berges,
passe et repasse la lumière du matin et du soir,
allant d'une rive à l'autre,
et toi-même,
va, reviens,
marche ici et vole avec l'oiseau
égaré loin des côtes
et qui pourtant connaît le chemin,
reviens à ces pistes que tu connais bien
et tâche d'en ouvrir de nouvelles
aussi fraîches et claires que cette lumière
qui danse entre hier et aujourd'hui,
visages, je vous vois,
un coup d'aile vous emporte au-dessus des eaux
et vous restez quelques instants
connus, inconnus,
la bouche ouverte et sans parler,
regardant le jour qui s'en va
et la lumière qui revient toujours
passant d'une rive à l'autre,
la mouette laisse échapper quelques cris,
et le courant voudrait mugir comme la mer,
marins en aval, vous êtes aussi de ce monde
du grand flux,
et de vos rives océaniques
elles-mêmes portées vers ailleurs
vous avez laissé venir cet oiseau
pour qu'il éclaire les lieux d'un horizon plus large
vers lequel nous descendons,
c'est Jean dit « Jean-la-péniche » salut Jeannot
face rouge,
voix brisée par la vinasse et le clope,
connu de tous,
toujours matinal,
et le coude se lève déjà,
mon carnet de bord je l'ai gardé bien précieusement je le relis les 27 octobre parcourant de mémoire tes fleuves la péniche je l'ai aménagée mes enfants sont grands à présent moi et ma femme vivons dessus on partirait bien encore d'écluse en écluse
Laurent Margantin est un
auteur et traducteur vivant à la Réunion. Il a publié plusieurs récits (Aux
îles Kerguelen, Le Chenil, Roman national) aux éditions
Œuvres ouvertes et des poèmes dans plusieurs revues. Il travaille depuis
plusieurs années à une édition critique du Journal de Kafka accessible en ligne
(www.journalkafka.com). Dernière publication : Les Carnets du nouveau jour /3
(éditions Œuvres ouvertes
Libellés : Invité du Silo, Laurent Margantin, Poésie, Venir au vent
2 Comments:
merci de nous le donner à lire
Chère Brigitte, c'est aussi un plaisir de lecture pour moi !
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