Venir au vent (I) par Laurent Margantin
Rester le moins possible assis: ne prêter foi à
aucune pensée qui ne soit pas née au grand air,
pendant que l'on prend librement du mouvement
— à aucune pensée dans laquelle les muscles
ne soient eux aussi à la fête.
Nietzsche
Monte au dessus de toute hauteur;
descends au-delà de toute profondeur ;
recueille en toi toutes les sensations des choses créées
- de l'Eau, du Feu, du Sec, de l'Humide.
Pense être partout en même temps,
dans la mer et la terre et le ciel,
pense que tu n'es jamais né, que tu es encore embryon:
jeune et vieux, mort et au-delà de la mort.
Comprends tout à la fois
- les temps, les lieux, les choses: les qualités et les quantités.
Corpus hermeticum
***
à Rosario & Marianna
reconnaissance
Premiers arpents
(Morvan)
Pas après pas
en ce jour d'automne,
faible clarté des pierres
humides, l'eau, l'œil
la vertigineuse avancée
sur les marches couvertes de mousse,
pas après pas, au cœur
du silence, faible clarté
des pierres humides
au cœur de la forêt, montant
le long du maigre ruisseau,
marches, blocs de pierre brute
posées là, un seul geste ferme
le pied reproduisant le geste
lourd, muscles tendus,
ciel ouvert au-delà des branches,
lâche, dit la voix, puis se tait,
la pierre, le pied posés là
au cœur du silence, au cœur
de la forêt, glissant sur la terre,
puis redressé, rétabli, et pour
toujours là, ciel ouvert
branches étendues, vol
d'un oiseau jailli du faîte
d'un arbre, le corps tout entier
tendu, l'œil suivant vers le bas
le cours de l'eau
le pied sur la pierre close
couverte de mousse, faible clarté
mais plus vive en avançant,
l'œil, l'eau, la vertigineuse avancée
l'effort pour placer le pied
là, avec l'eau, avec la pierre,
avec le ciel, avec l'oiseau, l'œil
tendu vers la terre, vers le ciel,
vers les branches fluides
écoute soutenue, posée,
lente et souple, patiente,
avec l'air, avec le léger souffle
à peine souffle, parlant
à peine, silencieux, trait
plus profond qu'une parole,
plus lointain qu'un mot, écoute,
sable entre les pierres dressées
au cœur du silence, l'œil
tendu, ouvert, fermé,
sable entre les pierres closes,
dressées, fin ou commencement,
lent commencement, patience
prenant dans la main, entre
les doigts, ce sable, branches
et ailes fluides, domaine aérien
et terrestre, écoute soutenue
sur la ligne de faîte
noir, blanc un peu rosé,
rosé pâle, grisâtre, aile et
sable, sable, pierre, eau
emportant l'œil vers le bas
une figure simple, étoile,
arc ou cercle, effacée, saisie,
effacée, spirale au fond de l'œil,
tombant avec l'eau, flux lent,
spirale, arc, cercle ou étoile
sable, pierres dressées, humides,
dans la faible clarté, plus vive
en avançant, gestes plus lents,
lent commencement,
ciel ouvert, claquement d'ailes,
sable, pas après pas, découverte,
avancée sur la ligne de faîte,
montant, descendant, sans autres
repères que l'eau, le sable, les pierres
l'oiseau venu de loin
comme d'un pays plus intérieur
formes évanouies, lac, ciel,
lieu évident et enfoui
fin du chemin, commencement,
au seuil de ces pierres, l'eau
frappant autrefois ces murs effondrés,
long fracas dont il reste des vestiges
dans la chute de l'eau du ruisseau
c'était un moulin dit la voix,
sable, œil, l'écho proche
guide dans les galeries du jour,
non pas lac mais cercle
cercle d'eau, roue tournant
au rythme endiablé d'une seule
saison, ivresse blanche du ruisseau,
eau frappant la pierre, éclats
d'une parole vive, je
tombe dans ce mouvement
circulaire, emportant ruines et
pierres effondrées, plongeon,
méandres de la rivière plus loin
sable serpentant avec l'eau,
cercle emporté avec le ruisseau,
sinuant dans ses courbes, œil
rapide et vivant, branches fluides
des arbres plus haut, tendues.
Laurent Margantin est un auteur et traducteur vivant à la Réunion. Il a publié plusieurs récits (Aux îles Kerguelen, Le Chenil, Roman national) aux éditions Œuvres ouvertes et des poèmes dans plusieurs revues. Il travaille depuis plusieurs années à une édition critique du Journal de Kafka accessible en ligne (www.journalkafka.com). Dernière publication : Les Carnets du nouveau jour /3 (éditions Œuvres ouvertes)
Libellés : Invité du Silo, Laurent Margantin, Poésie, Venir au vent
0 Comments:
Enregistrer un commentaire
<< Home