vendredi 28 avril 2006

d.a. levy (1942-1968) : Poème sur la mort d'un monastère de banlieue

Suburban Monastery Death Poem (Poème sur la mort d’un monastère de banlieue) a été écrit par d.a. levy quelques mois avant son suicide en 1968. J’ai découvert ce texte en 1969 à Amsterdam dans la revue underground Fox (#4) qui en avait publié les deux premières parties. Je les ai traduites et publiées dans Starscrewer n°8 en 1978. En 1979, Claude Pélieu m’a offert un exemplaire de l’édition originale (Zero edition, Cleveland, 1968). Avec Henry Meyer qui avait, comme moi, publié sa propre traduction dans L’œuf à Lausanne, nous avons traduit la totalité du poème. Je l’ai publié en 1981 dans un numéro spécial du Starscrewer, couplé avec la traduction de la lettre de Peter Orlovsky. Poème sur la Mort d’un Monastère de Banlieue était disponible dans la collection du Starscrewer. Le poème comprend sept parties :
Partie Zéro :
Célébration avec tambours Rada
Première partie :
L’histoire
Deuxième partie :
Le Puits
Troisième partie :
Je crois que c’était sa sœur
Quatrième partie :
Le parc de Forest Hills
Cinquième partie :
Paroles en l’air
Sixième partie :
Les petites funérailles
Le texte original en anglais est lisible sur ce site.
Site consacré à d. a. levy :
d. a. levy home page
Pour les lecteurs de Silo, nous publions ici le début (partie zéro) et la fin du poème (partie sixième).

PARTIE ZERO - Célébration Avec Tambours Rada

à seulement dix blocs d'ici
des bâtiments ont brûlé - brûlent encore peut-être
la nuit d'août déchirée par les balles des snipers
policiers saignant dans les rues
un tireur isolé se rend (peut-être à court de munitions)
Arme Enrayée ?
on a dit qu'ils l'ont encadré sous un porche
comme un tableau - les mains en l'air
quand ils l'ont abattu

à seulement dix blocs
de mon appartement silencieux
avec ses bouddhas de céramique verte
& ses livres de science-fiction
ses magazines de cul pas lus à découper
pour faire des collages

à seulement dix blocs
de mon impuissance totale
de mon ennui réglementaire et étatisé
ils sont en train de piller les magasins
& essaient de rafler des postes de télévision
pour pouvoir suivre les émeutes
aux informations de 23h

les jeeps de la garde nationale patrouillent
de nouveau dans les rues
les camions vert-militaire avec la
grande étoile blanche sur le flanc
roulent sous les éclairs de la canicule

je pourrais vous dire partiellement
pourquoi c'est arrivé
mais vous ne me croiriez pas
comme à milwaukee
pendant une lecture publique
juste après que j'aie dit
« c'est un poème paranoïaque - écrit alors que je faisais des expériences
avec des états de conscience paranoïaques
mais je n'en suis plus là maintenant »
& une jeune fille écrivit
« montre des symptômes de paranoïa »
probablement pour son cours de psychologie
m'écoutait même pas

Je pourrais essayer de vous parler
du désespoir sans issue
enraciné dans les murs du ghetto
& la brutalité policière ou la stupidité policière
ou la réalité policière sont plus que des mots
permettant à des étudiants à la recherche d'une cause
de définir la situation.
la situation existe & continue
tranquillement dans le noir alors que la
protestation se déroule au grand jour -
on n'entend ni l'une ni l'autre.

En réalité
la police essaie de protéger
les banques - et tout le reste
est secondaire

pendant les émeutes
j'ai regardé les informations
& je n'ai pas pris parti, pour changer

j'étais juste assis à m'interroger sur tous
ces révolutionnaires de salon
planqués dans les beaux quartiers
et qui applaudissaient chaque fois que quelqu'un
se faisait descendre ou qu'un immeuble partait
en fumée

à dix blocs d'ici
c'était pour de vrai
des milliers de touristes
sont arrivés
.../...





SIXIEME PARTIE - les petites funérailles
« la seule différence
entre les matadors & les poètes
c'est que les uns flirtent avec la mort
et les autres avec la folie »
rik davis

ils vous ont presque tous menti
moi y compris je suppose
« le poète joue avec la folie »
c'est ridicule - nous sommes tous fous
c'est à vous de réveiller les poètes
perdus dans leurs passés mystérieux
le poète mange & dort & pisse
& pète & chie & écrit
des poèmes - c'est ça, la folie ?
c'est un maître zen sous barbituriques

c'est l'homme d'affaires, le commerçant
qui joue avec la folie - le
docteur qui joue avec la médecine - l'imprimeur
le fabricant de bombes & le type
qui fait des baguettes & des croissants de 9h à 5h
se réveille à 6h
conduit son camion
à travers la ville
vivant jour après jour
la même routine
insensée
sans même le temps
de se demander pourquoi
poètes paumés dans le luxe de pouvoir
poser des questions de pouvoir
se cogner la tête contre les murs
& dire « hé c'est mon boulot »
& ils savent déjà - qu'ils ne veulent pas de réponses

ah mais ce matador en transit rapide
embroché chaque jour par des cornes
invisibles - intérieurement
& les transactions commerciales qui ne se font pas
& le cow-boy de la CTS assis sans un mot
cherchant à décrocher du boulot - n'importe quel boulot
& qui sait qu'il crèvera tubard
ou du cancer à 65 ans- incapable de trouver un poil de
signification dans tout ce jeu
ah la douce folie que de pouvoir
balancer toutes ces journées désespérément identiques
alors que le matador reçoit une rose
d'un petit boudin cradoque
dans la foule
il lui donne les oreilles du taureau
plus tard au lit

& un poète qui bande avec une pauvre vision
nettoie pour vous le tableau
mais maintenant vous avez la télévision
& vous rêvez trop

l’éboueur le matin
connaît sa propre réalité
les éboueurs ne se font jamais descendre pendant les émeutes
peut-être sont-ils les vrais saints
avec une aura protectrice
leur réalité - la merde de
la corbeille à papier de votre chambre à coucher

il faut être un maître zen
pour être éboueur
& les poètes mentent quand ils essaient de trouver
quelque beauté dans les tas d'ordures

les ordures sont les ordures
la poésie est une ordure sentimentale -
les détritus
& la beauté ne sont que des rêves
mais maintenant vous avez la télévision
pour vous aider à rêver

hommes sans âme
toreros de magasins sans importance
fantômes décervelés qui jamais ne possèderont d'esprit
avec lequel jouer
hommes aux rêves télévisés de lycéens
qui se signent en des rites de mort
qui murmurent « doux jésus » avant d'affronter
leurs concurrents chaque jour
qui jouent à la guerre - & deviennent des policiers
jouant avec la folie
ils conduisent leurs autos
se moquent des hippies boivent le vendredi
jouent aux quilles chient sur Dieu chaque jour & meurent
& meurent & meurent tout seuls
enveloppés dans des drapeaux
fiers de leur folie
& les poètes académiques
écrivent pour vous leurs rêves proprets
& prétendent que tout est beau
assis dans un bar
le confessionnal alcoolique

& chaque jour je m'assieds ici
& j'essaie de devenir chacun d'entre vous
l'un après l'autre
essayant ces rêves de lycée
pour voir la taille
ça marche pas
vous n'êtes pas à ma pointure

poète j'essaie d'apprendre
à rester humain
malgré la technologie
& il n'y a personne pour m'enseigner
je suis encore trop jeune pour
être tranquille & contemplatif

je ne veux pas devenir une carte vermeille
tremblant de terreur devant la télé

des hommes d'affaires dans leurs ego-trips amphétaminés
me racontent leur dernier coup

je visite des églises & des temples & je pose des questions
& on me donne une brochure
ou un livre idiot
on dirait qu'il n'y a personne
d'autre que moi pour répondre à mes questions

une hideuse responsabilité
avec des conséquences encore pires

adieu télévision
je rentre dans ma tête

ma femme & moi
faisons notre promenade du soir
autour du bloc
(sommes-nous si vieux)
il y a quelque chose de beau
en elle quelque chose
une sorte de rêve dans le ciel sans nuage

je sais que mes rêves sont irréels
mais ce sont mes rêves

parfois
par les chaudes nuits d'été
nous nous haïssons
& c'est merveilleux...

d.a. levy
août 1968
e. cleveland ohio

note :
paix & lucidité sont
deux petits oiseaux
qui cherchent à quitter la planète
parce qu'ils sont las de mourir

je n'ai pas de conseils à donner
(traduction : Lucien Suel & Henry Meyer)
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du nouveau sur le blog A NOIR E BLANC : boîtes
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posted by Lucien Suel at 07:12