vendredi 3 décembre 2021

Venir au vent (XVII) par Laurent Margantin

 sites & horizons

 

L'estive

(Tubingen)

 

Au bout du champ de blé,

l'immense flamme souple des arbres,

leurs feuillages, verts sombres et clairs mêlés,

masse de clarté vivante frappée par le vent,

la lumière du soleil

qui éclaire soudain l'espace et le fait respirer :

aujourd'hui, les derniers nuages quittent le pays.

 

Souffle devenu paisible de cet été qui accorde l'esprit

au moindre bruissement des plantes arborescentes,

au léger balancement des rideaux de bambous

qui se frôlent sur ce balcon comme les mots

des diverses langues quotidiennes :

d'ici, j'aperçois certains jours

le ciel d'outre-Atlantique.

 

En pays silencieux

les feuilles du lierre ne tremblent plus,

la parole obstinée et secrète des grillons s'est éteinte,

la chaleur du soleil

pénètre doucement le sol encore mouillé,

les hommes sont réfugiés sur les balcons ombragés :

oubliant les palabres, retrouvant leur sagesse animale.

 

 

C'est une odeur vive et ferme

qui monte de la terre,

odeur de foin sec et de profondeurs humides,

odeur qui me rappelle cette page du De natura rerum

où Lucrèce évoque une semence venue de l'éther :

« pluie fécondante ayant enfanté

les brillantes moissons ».

 

Invisible dans l'air du soir, un oiseau passe

en poussant quelques cris puissants comme des échos,

seules clartés d'un monde

qui s'éteint et se réfugie dans la nuit.

Des voix anonymes en bas.

D'autres instants contenus dans cet instant.

J'ai murmuré un nom: c'était celui de ce pays.

 

Laurent Margantin est un auteur et traducteur vivant à la Réunion. Il a publié plusieurs récits (Aux îles Kerguelen, Le Chenil, Roman national) aux éditions Œuvres ouvertes et des poèmes dans plusieurs revues. Il travaille depuis plusieurs années à une édition critique du Journal de Kafka accessible en ligne (www.journalkafka.com). Dernière publication : Les Carnets du nouveau jour /3 (éditions Œuvres ouvertes)

 

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posted by Lucien Suel at 07:00

2 Comments:

Blogger K said...

Que dire ? C'est une pure félicité.
Une intensité de l'évocation légère, émotion et délicatesse.
Je m'en voudrais de ne pas le dire ici !
Merci de ces "venues au vent" !

10:37  
Blogger Lucien Suel said...

Il est agréable de recevoir une telle appréciation.
Merci double merci du poète et de l'éditeur

14:03  

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