vendredi 15 octobre 2021

Venir au vent (X) par Laurent Margantin

  Au port de santa teresa

IV

 

À l'aube

plus de champs verts tissés de barbelés

mais un espace dégagé

peuplé seulement de pierres

et de pins

 

à l'aube

mais quelle aube

en cette grande ville

où accablé par la nuit bruyante et chaude

je me levais tard

 

pourtant dans cet hôtel de Bastia

je m'étais levé bien tôt

quelques jours auparavant,

saisi par l'air du large

qui devait me conduire en Italie

vieil hôtel à quelques pas du port

d'où j'apercevais déjà Livourne

 

le voyage d'Ulysse forme une boucle

à l'intérieur de la Méditerranée

et d'un certain esprit grec

préoccupé par l'idée de retour

mais celui de Pythéas de Marseille

ayant navigué par l'Atlantique

jusqu'en Islande raconte-t-on

est une singulière aventure pour son temps

savait-il où il allait

avait-il quelque Ithaque en tête

pensait-il à un retour

en sa bonne ville de Marseille

 

il était seulement parti un jour dans l'espace

pour réaliser un vaste voyage de l'esprit

plus qu'une boucle en vérité

 

parti du sud pour interroger le nord

puis revenant tout de même

avec de nouveaux yeux

pour ce qu'il croyait connaître

riche au-delà de son ancien domaine

d'une aire immense de lumière arctique

qui devait éclairer ses marches de vieil homme

dans la cité phocéenne

 

nouveaux tracés,

latitudes et longitudes

reconnaissance inédite d'un territoire immense

carte du ciel, des côtes et des mers parcourues

je ne parlerai pas de Pythéas de Marseille

à mon ami norvégien

il est déjà couché

et se lève au milieu de la nuit

bien claire ce dix août

c'est à cette heure-là qu'il faut aller

tremper sa ligne dans les eaux

m'a-t-il dit

ensuite il retourne se coucher

alors que je me lève

après quelques heures d'un sommeil peu profond

et blanc comme le ciel

vingt-quatre heures sur vingt-quatre

 

nous nous croisons dans le couloir

de cette ancienne baraque de pêcheurs

baragouinons quelques mots d'anglais

ses pas résonnent

sur le plancher de bois

il est étonnamment vivant

l'esprit toujours animé par les vagues

qui viennent se briser sur les rochers

 

où aller

quand tous les chemins mènent vers le dedans

inconnu à soi-même

un point de l'esprit

les lignes de ma main

composent une étrange carte géographique

psycho - géographique

avec ses tracés, mes errances

je vous corrèlerai, lignes de vie

pour éclairer le présent

qui manque quelquefois de clarté

où demeurer

 

Laurent Margantin est un auteur et traducteur vivant à la Réunion. Il a publié plusieurs récits (Aux îles Kerguelen, Le Chenil, Roman national) aux éditions Œuvres ouvertes et des poèmes dans plusieurs revues. Il travaille depuis plusieurs années à une édition critique du Journal de Kafka accessible en ligne (www.journalkafka.com). Dernière publication : Les Carnets du nouveau jour /3 (éditions Œuvres ouvertes)

 

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posted by Lucien Suel at 07:30