Venir au vent (X) par Laurent Margantin
Au port de santa teresa
IV
À l'aube
plus de champs verts tissés de barbelés
mais un espace dégagé
peuplé seulement de pierres
et de pins
à l'aube
mais quelle aube
en cette grande ville
où accablé par la nuit bruyante et chaude
je me levais tard
pourtant dans cet hôtel de Bastia
je m'étais levé bien tôt
quelques jours auparavant,
saisi par l'air du large
qui devait me conduire en Italie
vieil hôtel à quelques pas du port
d'où j'apercevais déjà Livourne
le voyage d'Ulysse forme une boucle
à l'intérieur de la Méditerranée
et d'un certain esprit grec
préoccupé par l'idée de retour
mais celui de Pythéas de Marseille
ayant navigué par l'Atlantique
jusqu'en Islande raconte-t-on
est une singulière aventure pour son temps
savait-il où il allait
avait-il quelque Ithaque en tête
pensait-il à un retour
en sa bonne ville de Marseille
il était seulement parti un jour dans l'espace
pour réaliser un vaste voyage de l'esprit
plus qu'une boucle en vérité
parti du sud pour interroger le nord
puis revenant tout de même
avec de nouveaux yeux
pour ce qu'il croyait connaître
riche au-delà de son ancien domaine
d'une aire immense de lumière arctique
qui devait éclairer ses marches de vieil homme
dans la cité phocéenne
nouveaux tracés,
latitudes et longitudes
reconnaissance inédite d'un territoire immense
carte du ciel, des côtes et des mers parcourues
je ne parlerai pas de Pythéas de Marseille
à mon ami norvégien
il est déjà couché
et se lève au milieu de la nuit
bien claire ce dix août
c'est à cette heure-là qu'il faut aller
tremper sa ligne dans les eaux
m'a-t-il dit
ensuite il retourne se coucher
alors que je me lève
après quelques heures d'un sommeil peu profond
et blanc comme le ciel
vingt-quatre heures sur vingt-quatre
nous nous croisons dans le couloir
de cette ancienne baraque de pêcheurs
baragouinons quelques mots d'anglais
ses pas résonnent
sur le plancher de bois
il est étonnamment vivant
l'esprit toujours animé par les vagues
qui viennent se briser sur les rochers
où aller
quand tous les chemins mènent vers le dedans
inconnu à soi-même
un point de l'esprit
les lignes de ma main
composent une étrange carte géographique
psycho - géographique
avec ses tracés, mes errances
je vous corrèlerai, lignes de vie
pour éclairer le présent
qui manque quelquefois de clarté
où demeurer
Laurent Margantin est un auteur et traducteur vivant à la Réunion. Il a publié plusieurs récits (Aux îles Kerguelen, Le Chenil, Roman national) aux éditions Œuvres ouvertes et des poèmes dans plusieurs revues. Il travaille depuis plusieurs années à une édition critique du Journal de Kafka accessible en ligne (www.journalkafka.com). Dernière publication : Les Carnets du nouveau jour /3 (éditions Œuvres ouvertes)
Libellés : Invité du Silo, Laurent Margantin, Poésie, Venir au vent
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