Venir au vent (IX) par Laurent Margantin
Au port de santa teresa
III
J'errais sur le rivage rocheux
sans savoir exactement où regarder
même les mouettes n'étaient pas arrivées jusqu'ici
et dans l'auberge de jeunesse où je logeais
il n'y avait avec moi qu'un colosse norvégien
venu pêcher et se vider la tête une semaine
comme j'avais cru comprendre
lors de nos conversations très approximatives
en anglais
et vous connaissez l'histoire :
Tchouang-tseu se réveille
et ne sait plus s'il est un papillon qui rêve
qu'il est Tchouang-tseu
ou bien Tchouang-tseu qui rêve
qu'il est un papillon
parabole que tournant dans les rues de Rome
souvent en plein midi
la ville désertée par les touristes
je méditais, allant de fontaine en fontaine
profitant du seul moment de silence de la journée
les vendeurs de pastèque
avaient fui eux aussi la canicule
je marchais sur le trottoir brûlant
l'ombre ne rafraîchissait qu'à peine,
réfléchir donnait soif !
tout cela était bien étrange finalement,
partir au nord, au sud, à l'ouest, à l'est
sans toujours savoir pourquoi
parfois simplement attiré par un nom
tel celui de cette forêt à l'est de Troyes
la forêt d'Orient
située dans l'Aube...
je cherchais la meilleure direction
en France ou ailleurs
qui un jour me parut être le nord
après un crochet vers l'est
et dans le train pour Hambourg un soir de juillet
des jeunes de mon âge et de toutes nationalités
munis de leur ticket interrail
partaient à l'aventure pour un mois
pour ce qui me concerne l'aventure
allait durer un petit peu plus longtemps
et elle avait commencé un jour d'août
ce jour-là, que les routes sont nombreuses !
quelques années plus tard
elles brouillent même la vue
où aller bon Dieu
mais taisons ce mot grandiloquent
qui vraiment ne nous indique aucun bon chemin
c'est un mot qui empoisonne l'esprit
encore plus que beaucoup d'autres
un seul coup de gong
pour mille malentendus !
crochet vers l'est qui après Hambourg
m'emmena au nord du Danemark
tout au nord, à Frederikshaven,
puis premier ferry vers Göteborg en Suède
où un ivrogne qui venait de se séparer
d'avec sa femme me guida jusqu'à la gare
moi qui l'avais écouté
il m'avait trouvé bien sympathique
et il voulait me payer le coup avec ses amis
mais arrivé à la gare je lui disais adieu
et là dans le train de nuit
cap vers la Laponie
Laurent Margantin est un auteur et traducteur vivant à la Réunion. Il a publié plusieurs récits (Aux îles Kerguelen, Le Chenil, Roman national) aux éditions Œuvres ouvertes et des poèmes dans plusieurs revues. Il travaille depuis plusieurs années à une édition critique du Journal de Kafka accessible en ligne (www.journalkafka.com). Dernière publication : Les Carnets du nouveau jour /3 (éditions Œuvres ouvertes)
Libellés : Invité du Silo, Laurent Margantin, Poésie, Venir au vent
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