Ivar Ch'Vavar : Hypnos mal au centre (3)
Souvent
il y a un pâlissement
au bord
de
ce pays. Sur le bord ; séparé de l’horizon juste par la lon
gueur
de quelques cils ; le bas du pâlissement tenait sur quelques
pointes de cils, qui pliaient plus ou moins dans l’eau lacrymale
(ce n’est qu’une image). Le haut du pâlis
sement
se perdait insensiblement là où il se mêlait plus ou moins au
bleuté. La bleuité... On peut chanter ces mots si on y tient, mais
se rappeler qu’on est dans la « prose du
monde »
là.
Ce
pâlissement les vieilles gens en parlaient en
allongeant
la mâchoire. — C’était assez sérieux pour que
les
hommes, les hommes « faits », on va dire : retirent
leur pipe de leur bouche, sans pour autant dire rien de parti
culier.
Je me demande encor si j’avais bien compris, et si
ça
n’était pas talisman,
le mot ? mais non. « Pâlissement »,
sans
aucun doute possible. Du reste, on le voit...
aussi faiblement que ce soit et toujours dans une sorte de dé
sarroi.
Mais depuis si longtemps qu’on l’observe on le
sait,
quand il est là. On le sent derrière son épaule, c’est
quelque
chose de subreptice assez, jusque dans ses reprises ; on éprouve
une sorte de gêne il y a comme u
ne
glaire dans l’air. On ne le
voit jamais que de ce coin
et
tout le temps j’y reviens, une fois que j’ai oublié le
phénomène. Ou le souvenir m’en est revenu sublimina
lement ?
Toujours je reviens à ce coin. Deux ou trois au
tres
garçons aussi, des cloches,
comme moi. — Mais par
exemple
on n’y ! croise jamais le moindre commis !
de
boucherie ! Cette engeance... ça a l’air d’une plaisan
terie,
mais c’est — une image qui reflète une vérité :
dans
cet angle (j’ai dit coin,
oui... précisons que cet angle
nous
n’en connaissons que le côté convexe, c’est un pas
sage
à vaches et un endroit de rebut une haie le serre bien
un
peu mais maigre et toute trouée : il n’y a pas de
place
où se dissimuler) ; dans cet angle, cette engean
ce
des garçons-bouchers brillait
par son absence
(c’est,
j’y
insiste, dans ce texte-ci cette image qui reflète le
plus
de
réalité). Eh bien ce jour-là la terre était d’un bel oc
re
violet, l’herbe des prés luisait comme le poil ras
des
taupes, des chasseurs passaient au loin avec de
gros
culs et parfois un peu de détonations groupées :
fusils
pointés vers les nuages —. Quelque chose se
passait,
les couleurs avaient toute leur force en cet in
stant
les sons toute leur acuité, je me redressais… Inu
tile
de relever plus haut mes manches, c’était tout à coup
évident…
Le baquet de lait rouge ne contenait qu’un li
quide
crémeux et rouillé ; la poupée aux seins précoces
était
derrière la touffe d’ortie où je l’avais poussée,
je
distinguais (me repenchant un peu vers le mur)
la
plante rose-jaune d’un de ses petits pieds. Eh bien,
un
événement d’importance était en train.
à suivre...
Pages écrites courant 2003.
Revues en mai 2016 et en avril 2019
Libellés : Ivar Ch'Vavar, Poésie
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