L Suel à l'aveuglette en 2001 avec Dragibus et Merzbow (4/5)
En
août 2001, Philippe Robert m’a interviewé longuement sous la
forme d’un blind test.
Il m’a donc envoyé par la poste (hé oui!) une cassette d’une
dizaine de morceaux, à charge pour moi de les reconnaître et de
répondre aux questions ayant un lien avec ce que j’avais entendu.
Cet entretien a été publié en septembre 2001 à Grenoble dans le
n° 49 de « Revue et corrigée ».
Nous
le publions en cinq parties au Silo. Voici le quatrième épisode
(bande-son : Dragibus et Merzbow.)
7.
Dragibus
"Un roi si capable"
Là,
je suis désolé mais je ne connais pas du tout. C'est un collage,
une parodie, je pense à Spike Jones...
Tu
as aussi une passion pour l'art brut et tous les artistes
singuliers...
Je
suis touché par ces gens qui, sans souci du qu'en dira-t-on
poursuivent une vision, créent dans tous les sens, sans référence
à une école, à un enseignement. Ici, près de chez moi, ont vécu
des artistes singuliers comme Augustin Lesage, Joseph Crépin, des
personnages étonnants comme Benoît-Joseph Labre au XVIIIème
siècle, un moine vagabond et pouilleux, un ancêtre des beatniks (le
patron des inadaptés sociaux !). Lorsque j'ai écrit le Mastaba
d'Augustin Lesage, je n'ai eu qu'à me replonger dans mes propres
souvenirs d'enfance, et j'avais l'ambiance, la simplicité et le
fantastique quotidien.
Comment
définirais-tu ton travail par rapport à ce que l'on appelle
traditionnellement poésie ?
D'une
manière générale, j'ai justement tendance à identifier poésie et
travail. Et quand je dis que je suis un poète ordinaire, c'est à la
fois parce que je travaille de manière ordinaire avec des objets
ordinaires, mais c'est aussi parce que je mets de l'ordre ou tout au
moins, j'essaie d'ordonner les choses, de lutter contre l'entropie.
La poésie, c'est aussi un état d'esprit, une façon d'observer le
monde. Le poème est de l'ordre de la prophétie, souvent,
indépendamment du poète.
Mon
écriture est précise, ordonnée, justifiée. Mes collages, ma
poésie élémentaire ont au contraire un aspect chaotique et
désordonné, mais c'est aussi une façon de réarranger (réenchanter
?) le monde.
Je
me souviens que j'avais, en 1989, répondu aux deux questions : "Qui
êtes-vous ? " et "A quoi pensez-vous ? ". Mes
réponses avaient encadré mes Morceaux Choisis parus en 1990,
dans la collection des Contemporains Favoris (Didier Moulinier
éd.), y servant à la fois d'exergue et de conclusion. J'écrivais à
l'époque :
"Quand
je ne pense ni à la mort, ni à la stupidité du monde, ni aux
pluies acides, je passe un doigt mouillé sur les filles de papier.
Je suis un humaniste...
Maintenant,
je suis devenu un peu trop gros pour faire du strip-tease. Et ça
n'intéresserait plus grand monde. Je préfère manger des frites de
ducasse et avaler de la bière en canettes de 25 cl. Les filles de
papier sont plus fidèles que les filles électroniques. Je suis un
passéiste."
Douze
ans plus tard, l'état du monde ne s'est guère amélioré. De ce
point de vue, il est bien évident que je peux continuer à affirmer
que je suis un passéiste (Les progressistes sont un peu rances !).
Je ne passe plus de doigt mouillé sur les filles de papier. Je
n'achète plus ni magazines, ni journaux. Je n'ai même plus de
récepteur de télévision. Je jette un regard mouillé sur les
silhouettes dénudées des arbres, bouleaux, saules, peupliers, se
détachant sur l'horizon gris, bleu ou rose. Je regarde le ciel, la
ligne des Collines d'Artois ou celle des Monts de Flandre. Je préfère
ça à n'importe quelle visite d'exposition artistique.
Comme
disait d.a. levy, j'essaie simplement de rester un être humain
malgré la technologie. Il m'est difficile de préciser à quoi je
pense, je peux seulement dire que ma pensée est un flux. J'essaie de
garder le contrôle au présent, entre passé et futur, entre espace
et temps, entre forme et contenu, entre poire et fromage. Pour ce qui
est de la bière, j'ai considérablement agrandi mon champ gustatif
et je lève mon verre de Westmalle à la santé des amies et amis,
lectrices et lecteurs.
Mémoire,
résistance, vision, humour, voilà mes quatre vérités.
8.
Merzbow
"#1, 21.42
Masami
Akita, j'ai reçu ses premières cassettes en 1981, Lowest Music &
Arts. Il était très engagé dans le mail art network. Il fait
preuve d'une belle constance puisque 20 ans après il continue de
fabriquer ces musiques concrètes. Un fan de Schwitters comme moi ne
peut qu'apprécier et le nom (Merzbau, c'était le nom de la
maison qu'il avait bâtie à Hanovre) et la démarche.
Tu
récupères beaucoup de déchets...
T'intéresses-tu
aux musiques qui se servent de la récupération pour créer de
nouveaux environnements sonores ? (noise, techno, musiques
électroniques actuelles ?)
C'est
notre société qui produit beaucoup de déchets. J'ose dire qu'elle
ne produit pratiquement que des déchets. Il y a peu de choses
vraiment utiles dans les supermarchés ou les pages des catalogues
(et internet, quel fantastique réservoir de déchets !). A la
limite, beaucoup de nouveaux produits sont fabriqués directement
pour la poubelle. C'est tout naturellement que je recycle ce que je
trouve. C'est un principe naturel, lié au jardinage (l'idée de
compost culture). Les déchets de toutes sortes et notamment
pour ce qui me concerne, dans le domaine du papier imprimé, textes
ou images ont tellement proliféré ces dernières années qu'ils
deviennent eux-mêmes source de matière première (même dans
l'industrie). Pour paraphraser Genesis P. Orridge, on ne dira plus
Industrial Music for Industrial People mais "poésie de
déchets pour un monde de déchets". Ce qui est vrai pour
l'écrit et le visuel l'est aussi pour la matière sonore. Je n'ai
pas trop le temps de m'y mettre ou d'en écouter, mais le sampling
est pour moi analogue au poème express, au cut-up. Ce n'est pas un
hasard si Burroughs a été souvent sollicité par des musiciens
travaillant dans ce domaine.
Libellés : Art brut, Augustin Lesage, Benoît Labre, Crépin, d.a.levy, Didier Moulinier, interview, Mail art, Masami Akita, Throbbing Gristle
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