L Suel à l'aveuglette en 2001 avec Isidore Isou et Frédéric Acquaviva (3/5)
En
août 2001, Philippe Robert m’a interviewé longuement sous la
forme d’un blind test.
Il m’a donc envoyé par la poste (hé oui!) une cassette d’une
dizaine de morceaux, à charge pour moi de les reconnaître et de
répondre aux questions ayant un lien avec ce que j’avais entendu.
Cet entretien a été publié en septembre 2001 à Grenoble dans le
n° 49 de « Revue et corrigée ».
Nous
le publions en cinq parties au Silo. Voici le troisième épisode
(bande-son : Isidore Isou et Frédéric Acquaviva.)
5.
Isidore
Isou "Poème pour broyer le cafard"
J'ai
d'abord pensé à Henri Chopin, puis à Schwitters, Hugo Ball... J'ai
énormément de sympathie, au sens propre, pour ces deux derniers
artistes, je connais presque par cœur la Ursonate de
Schwitters, et aussi Karawane de Hugo Ball. Des innovateurs
sensibles et modestes.
Tu
crées une maison d'édition indépendante dans les années 80, la
Station Underground d'Emerveillement Littéraire... (quels titres,
aussi, outre tes bouquins, pourquoi ces choix, etc)
En
1985, j'ai créé avec ma femme une association 1901, la Station
Underground d'Emerveillement Littéraire (pour l’acrostiche) ayant
pour but déclaré, la promotion de la lecture et des arts, ce
qui permet une activité éditoriale. Fidèle aux idées d’autonomie
et de liberté, et ayant écrit suffisamment de choses pour publier
un premier recueil, j’ai profité de la vulgarisation des
ordinateurs et des photocopieurs pour fabriquer et éditer en 1988,
mon premier livre, Sombre ducasse. La maison d’édition
était née. J'utilisais les outils et les compétences que j’avais
développés en amateur dans des activités de reliure et de
sérigraphie, pour l’impression des couvertures et l’assemblage
des feuilles, et j'approfondissais l’expérience acquise dans la
mise en page de Starscrewer.
Cela
faisait une douzaine d’années que j’avais abandonné Starscrewer
et je savais que les textes que j’avais publiés et traduits
allaient trouver une nouvelle vie et des nouveaux lecteurs. Ainsi est
née la Collection du Starscrewer plus particulièrement
destinée à des textes liés à la Beat Generation. J’ai
fabriqué des petits volumes avec les textes de Burroughs, de
Bukowski, d’Orlovsky. Un lecteur, musicien, Arnaud Mirland,
découvrant la force et l’actualité du Poème sur la Mort d’un
Monastère de Banlieue par d. a. levy (poète américain de
Cleveland mort en 1968) travaille en ce moment à la composition d’un
environnement sonore, musical et visuel de ce texte, travail qui
devrait déboucher sur une nouvelle édition (plaquette + CD). Autre
projet pour cette collection, l'édition de River of Red Wine,
de Jack Micheline (mort en 1998), street-poet, ami de
Bukowski.
Les
circonstances et les rencontres amicales autour de la Station
Underground d'Emerveillement Littéraire m’ont également incité à
y accueillir des textes inédits de poètes contemporains (Michel
Champendal, polygraphe ami de longue date, Christophe Tarkos, poète
novateur et tout dernièrement, C. Edziré Déquesnes, bluesman
picard, tous les trois ayant participé à la collection de la Moue
).
Etant
donnés mes contacts aux États-Unis, L’U.F.R. d’anglais de
l’université de Lille III m’avait demandé de préparer une
anthologie de la poésie visuelle en Amérique du Nord. L’université
ayant abandonné sa motivation en cours de route, cette anthologie a
été publiée par la Station Underground d'Emerveillement
Littéraire.
Il
y a à la Station Underground d'Emerveillement Littéraire, trois
types de livres : ceux de la Collection du Starscrewer, mes
propres ouvrages et les coups de cœur de l’éditeur.
Ainsi,
petit à petit, la Station Underground d'Emerveillement Littéraire
est devenue une modeste mais vraie maison d’édition. Depuis 1988,
33 livres y ont été publiés. Le nombre d’exemplaires vendus
varie, selon les ouvrages, entre 100 et 350. Le procédé
d’impression (photocopie en libre service) permet une gestion
souple du stock. Le prix de revient reste raisonnable, puisque mon
temps de travail n’est pas facturé. Mon rythme de production est
lent ; chaque livre est fabriqué entièrement de mes mains à toutes
les étapes : saisie du texte (et parfois traduction), mise en page,
fabrication de la maquette, tirage en photocopie, pliage, façonnage,
assemblage, collage, couture, massicotage, emballage et distribution.
La diffusion se fait en majeure partie par correspondance, grâce à
l’envoi du catalogue suivant un fichier qui s’est constitué au
cours des années par ma pratique des revues, du mail art, des
lectures publiques...
Tu
participes à des lectures performances de poésie en action...
Outre
la performance textuelle (lecture proche de la poésie sonore), je
pratique la poésie-action dont je donne ici trois exemples. J'ai osé
ma première performance "POESIE CONCRETE" en 1988. J'avais
un trac énorme, les mains qui tremblaient. Mais la réception
chaleureuse des amis qui assistaient au spectacle a été un tel
encouragement que depuis, j'ai répété la chose des dizaines de
fois ; trac & tremblements ont quasiment disparu !
"POESIE
CONCRETE" :
Debout
face à une table, devant le public, je déclenche le magnétophone
pour l’enregistrement et je lis des extraits d'un recueil de
poèmes. Quand la lecture est terminée, j’arrête la bande, je
rembobine et j’enclenche le magnétophone qui rediffuse le texte
lu. Pendant la rediffusion, je sors d'un carton un rectangle de
grillage et un aquarium en plastique transparent. Je plie le grillage
autour du livre et dresse l'ensemble (livre enveloppé dans le
grillage) au fond de l'aquarium. Sur le bord supérieur de celui-ci,
face au public, j'appose un adhésif sur lequel on peut lire :
POESIE.
J'extrais
ensuite du carton deux sachets (un de ciment & un de gravier),
une auge de maçon et ma truelle. Je verse les deux sachets de
gravier et de ciment dans l’auge (nuage de poussière). Je prends
la bouteille d’eau, verse et gâche le mortier. Je coule le béton
dans l'aquarium, sur le livre et le grillage qui seront recouverts à
mi-hauteur. Je prends un second adhésif et le colle sous le premier
au bas de l'aquarium. Sur celui-ci, on lit le mot : CONCRETE.
J’arrête le magnétophone, sors la cassette et la plonge debout
dans le béton. Je nettoie et remballe mes outils.
J'aimerais
réaliser cette performance en grand format avec des lettres en néon,
une palette de livres de poésie et une toupie de béton amenée par
un camion...
"FAIRE
SON TROU DANS LA LITTÉRATURE" : Je travaille debout devant une
table solide, face au public. Je déclenche le magnétophone. Ma voix
enregistrée répète en boucle : « Percer dans la littérature,
faire son trou dans le monde des lettres... ».
Avec
un serre-joint, je fixe une planche à la table. Je sors mon marteau,
des clous et des tenailles. Je prends un livre dans le carton, le
pose sur la planche et le cloue aux quatre coins. Je déballe ma
perceuse, monte une mèche. Avec la perceuse, en plein centre du
livre, je perce un énorme trou. Avec les tenailles, j'arrache les
clous qui maintenaient le livre sur la planche. Je tends au public le
livre enfilé sur mon majeur. Je prends dans le carton un autre livre
à qui je fais subir le même sort. J'invite ensuite le public à
choisir dans le carton l'ouvrage qu'il souhaite me voir trouer. Je
fais cadeau des livres troués au public. Quand tous les livres sont
troués, je démonte ma perceuse et je range mes outils.
"L’ÉCRITURE
DES VERS" : J'installe sur la table des coupelles dans
lesquelles je dépose de la gouache. J'étale des feuilles vierges.
Je prends dans une boîte un par un des lombrics de mon jardin. Je
les trempe dans la gouache étendue d’eau. Je les dépose sur les
papiers. Je présente ensuite au public un écriteau sur lequel j'ai
écrit en grandes lettres "L’ÉCRITURE DES VERS". Lorsque
les vers ont terminé d'écrire, je montre au public le résultat.
Après
leur travail, les vers regagnent le jardin.
J'aimerais
bien pour cette pièce utiliser un système de rétro-projection sur
transparent, ou une caméra vidéo qui permettrait au public de
pleinement apprécier le travail poétique du ver...
6.
Frédéric
Acquaviva "Coma, pour seize guitares électriques et voix"
Je
reconnais la voix de Pierre Guyotat ; j'ai vu cette séquence chez
des amis, une émission télé, Océaniques, je pense, il y a
quelques années. C'était fascinant de voir Guyotat dicter à son
assistant, fabriquer l'écriture, faire naître le texte, et je me
souviens bien du cliquetis des touches. C'était la première fois
que je voyais utiliser un ordinateur. Mais la musique qui se glisse
dedans, je ne ne sais pas. Frédéric Acquaviva, j'avoue ne pas
connaître son travail. J'ai eu récemment un contact avec lui. Il
souhaitait se procurer les Moues de veau que Christophe Tarkos
a publiées ici.
De
quel matériel disposes-tu pour écrire ? (Comment écris-tu tes
textes ? à la machine ? je pense au cliquetis de la machine à
écrire que l'on entend derrière Guyotat...) ...
J’ai appris à écrire à
l’encre avec un porte-plume en bois et une plume sergent-major
en acier. Plus tard, dans les années 60, j’ai eu un stylo-bille 4
couleurs. Ensuite, années 70, les crayons feutres et la première
machine à écrire, une Underwood Standard d’origine achetée
30F chez un brocanteur. Elle fonctionne toujours. C'est avec elle que
je maquettais Starscrewer, avec elle que j'ai tapé les
premiers poèmes justifiés. J’ai imprimé mon premier livre,
Sombre ducasse, à 30 exemplaires, en utilisant une imprimante
à aiguilles et 5 rubans. Le traitement de texte s’appelait
Wordstar et c’était sur un PC 286. Je suis rapidement passé
à Works 3.0 sur un 386. J’ai écrasé Wordstar comme
si c’était un vieux crayon usé. J’écris actuellement ce texte
directement en corps 12 Times New roman en utilisant Word 6
sur un 486 muni d’une imprimante laser. Cet été, j’ai aussi
écrit un poème sur le sable à marée basse, avec un morceau de
bois ramassé sur la plage.
D'une
manière générale, j'écris à la main tout ce qui est courrier
personnel. Pour le reste, l'ordinateur est tellement pratique,
couper-coller (tiens donc !), dictionnaire intégré, synonymes
(d'une grande aide pour l'écriture des poèmes arithmogrammatiques
!).
Mais
j'aime encore me salir les mains, travailler les poèmes express à
l'encre de chine, utiliser les ciseaux et la colle, les timbres en
caoutchouc et les tampons encreurs.
Le
jour où tout s’arrêtera, où même les disques durs se
ramolliront, je pourrai toujours graver mes mots sur le mur de ma
cave avec un morceau de charbon, ou, de façon plus optimiste, sur le
sable des plages de la Mer du Nord en me servant peut-être d’un
vieux bout de CD-ROM.
Libellés : Cut-up, d.a.levy, interview, Moue de veau, Performance, Tarkos
2 Comments:
Le Nord restera toujours un axe d'orientation, quels que soient les supports (ou suppôts) survivants !
Il suffis de se fier à la boussole des rêves. :-)
Merci. Oui, difficile de perdre le Nord !
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