mardi 7 décembre 2021

Terrils tout partout, un livre de Fanny Chiarello

La lecture de ce livre m'a fait un bien fou pour plusieurs raisons. Autrefois, c’est-à-dire avant le covidisme, j'ai écrit un long texte sur ce sujet, "Les Terrils, ombre et clarté" et aussi un poème intitulé "Tout partout" à la glorification du Pas-de-Calais. Mais l’écriture de Fanny Chiarello et celle de Laïka Spoutnik, son alter ego dans l’ouvrage -je me souviens d'elle, j'avais 9 ans quand elle est morte dans le ciel- m'ont touché au cœur. Tout ce que contient ce livre est bon à lire et à méditer, tous les sujets abordés, débordés : les saletés et la beauté, les dérives dans la nature polluée, les rappels historiques et humanistes, présent et passé, ciel et terre, l'arrière-monde des terrils.

Voici une belle idée, l'arrière-monde, elle m'a fait penser à l'expression de Bernanos, poilu de 14, quand il nomme "Ceux du derrière", les politiciens qui envoient les jeunes au casse-pipe tandis qu'ils se goinfrent loin du front, loin de la boue et du sang, comme dans « La Chanson de Craonne » de mon grand-père... Les terrils ne sont pas des monuments funéraires à la gloire des mineurs. Ce « patrimoine de l’humanité » n’a jamais été entretenu comme le sont les cimetières militaires. Les mineurs morts au service de la « révolution » industrielle et de la modernisation de la société seraient bien étonnés d’entendre les nouveaux mots d’ordre : transition énergétique, révolution numérique, objets connectés, et par-dessus tout : dé-car-bo-na-tion !

Fanny Chiarello décrit l’effarement qui l’a saisie, écrivant son texte et le vivant au cœur du pandémonium mondialisé, de l’hystérie hygiéniste et de la corruption accélérée du langage à coups de gestes-barrières, de comorbidités, de distanciation sociale ou de cours en présentiel ou en visio…On pense au 1984 de Georges Orwell ou à L’Obsolescence de l’homme de Gunther Anders. 

« Terrils tout partout » culmine dans la description de ces phénomènes tandis que Laïka court haletante autour des monticules abandonnés, un décor décrit avec une sorte de tendresse rageuse. Sous nos yeux, défile un mélange de nature et d’ordure. C'est à la fois dense et danse car les mots se bousculent en rythme. Laïka danse sur les terrils et sur la fin de l'humanité asphyxiée, silicosée par les tromperies de la « com » ; c’est une mise à jour, une dissection conduite sur un tas de poussière grise avec ici et là des lianes vertes, des tendres bouleaux, des lièvres et des chevreuils. La vie rêvée des terrils continue. Les feuilles tombent sous la pluie. Le soleil réchauffe les graines que les merles ont laissées dans le compost et dans ce monde cyclique, dans le cœur régénéré de Laïka, on ne sait pour combien de temps, mais c'est le paradis qui a le dernier mot, le paradis tout partout.

 Lucien Suel,
La Tiremande, décembre 2021

« Terrils tout partout » par Fanny Chiarello,
collection La Vie rêvée des choses
aux éditions Cours toujours

Format : 13 x 18 cm
96 pages
avec un carnet de photos de l’autrice
14 €

 

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posted by Lucien Suel at 07:37

1 Comments:

Blogger Defrancoisjose said...

Avant de retourner à son premier amour, l'ébénisterie, mon père a été un temps mineur. Au fond.
Alors peut-être est-ce pour ça que ce billet me donne envie de lire le livre de Fanny Chiarello. Ou peut-être aussi parce que j'ai cet amour pour nos terres si noires mais si belles.
Peut-être aussi parce qu'elles me manquent maintenant que je suis en Flandre. Vas savoir.

22:19  

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