mardi 25 septembre 2007

Silo (44) Jack Kerouac



Voilà, on n'en a pas parlé ici mais les habitué(e)s du Silo sont au courant. C'était dimanche, le 23 septembre 2007, le cinquantième anniversaire de la publication de "On The Road" .


Nous profitons de ce rapprochement dans le temps pour publier deux "silos" dénichés par notre ami "De Spookrijder" dans l'anthologie "The Beats" établie par Seymour Krim, "Gold Medal Books", Fawcett Publications Inc., Greenwich, Conn. (1963, 2nd printing").


Ces deux "silos" sont de Jack Kerouac dans "Visions of Cody" dont trois extraits apparaissent dans "The Beats". Nous donnons ci-dessous ces passages tels qu'ils figurent dans l"édition française "Visions de Cody", traduite par Brice Matthieussent et publiée par Christian Bourgois en 1990. A noter que le premier passage a été considérablement amplifié par Kerouac et diffère profondément de la version publiée par Seymour Krim.




"NOW GIRLS. The house was located on the Union Pacific railroad track under a watertank at the corner of a bunch of desolate looking buildings including one spare (the Anglo North and its fool Norwegians have captured Moby Dick! captured him a hundred years after!) vertical board church and a huge heavengoing creamy white silo with the name of the junction on it, a desolate place not even fit for a brakeman's piss when the train's stopped and watering, re-coaling, tanks, coal chutes." pages 35-36




“IN PUEBLO COLORADO in the middle of the winter Cody sat in a lunchcart at three o'clock in the morning in the middle of the poor unhappy thing it is to be wanted by the police in America or at last in the night (slapping dime down on counter like killing a fly with hand) - America, the word, the sound is the sound of my unhappiness, the pronunciation of my beat and stupid grief - my happiness has no such name as America, it has a more personal smaller more tittering secret name - America is being wanted by the police, pursued across Kentucky and Ohio, sleeping with the stockyard rats and howling tin shingles of gloomy hideaway silos, is the picture of an axe in True Detective Magazine, is the impersonal nighttime at crossings and junctions where everybody looks both ways, four ways, nobody cares - America is where you're not even allowed to cry for yourself - It's where Greeks try hard to be accepted and sometimes they're Maltese or from Cyprus - America is what laid on Cody Pomeray's soul the onus and the stigma - that in the form of a big plainclothesman beat the shit out of him in backroom till he talked about something which isn't even important any more - America (TEENAGE DOPE SEX CAR RING!!) is also the red neon and the thighs in the cheap hotel - It's where at night the staggering drunks began to to appear like coakroaches when the bars close - It's where people, people, people are weeping and chewing their lips in bars as well as lone beds and masturbating in a million ways in every hiding hole you can find in the dark - It has evil roads behind gastanks where murderous dogs snarl from behind wire fences and cruisers suddenly leap out like getaway cars but from a crime more secret, more baneful than words can tell - It is where Cody Pomeray learned that people aren't good, they want to be bad - where he learned they want to cringe and beat, and snarl is the name of their lovemaking - America made bones of a young boy's face and took dark paints and made hollow around his eyes, and made his cheeks sink in pallid paste and grew furrows on a marble front and transformed the eager wishfulness into the thicklipped silent wisdom of saying nothing, not even to yourself in the middle of the goddam night - the click of coffee saucers in the poor poor night - someone's gurgling work at a lunchcart dishpan (in bleakhowl Colorado voids for nothing) Ah and nobody cares but the heart in the middle of US that will reappear when the salesmen all die... (The Beats, p. 40-41)


Photo: Cody Pomeray (Neal Cassady)


« ILS APPROCHÈRENT DE LA MAISON où les filles les attendaient à neuf heures pile. Cette bâtisse se trouvait presque sous le réservoir d'eau de la voie de la U.P. qui passait juste devant avant de s'éloigner de cette bouillasse qui évoque la décoction d'une palette d'artiste-peintre après une brève averse, ces coloris sombres utilisés par les peintres pour figurer la nuit, les forces lugubres et peut-être maléfiques - il venait de pleu­voir quand les garçons arrivèrent et que Cody coupa le contact dans une espèce d'allée recouverte de la morve sombre des che­mins de fer. Une lune capricieuse, voilà tout ce qui restait de la glorieuse lueur du jour (les éclats de lumière dans la salle de billard, les couleurs pourpres du fœtus, le ciel gris acier) et maintenant personne n'y voyait goutte, hormis la silhouette de la maison, quelques lumières brunes aux fenêtres, et le globe suspendu d'un lampadaire, de l'autre côté non pas de la rue, mais d'une vaste place en terre battue qui était peut-être un croisement, un terrain de football, une esplanade, car à son extrémité opposée se dressait une vieille église en bois à peine visible, aux planches verticales et aux avant-toits prétentieux et dans ce paysage lunaire on devinait au-delà un immense et délirant silo à blé recouvert d'une peinture aluminium qui scintillait comme un ver luisant de juin dans les ténèbres des plaines qui s'étendaient apparemment derrière lui, mais en réalité entouraient tout ce dont je viens de parler - la maison, l'esplanade, le réservoir d'eau, les voies ferrées, le lampadaire ainsi que le vague pressentiment d'un hameau au-delà du lam­padaire de la route - en un carrousel espacé et brumeux de che­vaux sauvages issus de la nuit noire, si proches les uns des autres qu'on apercevait seulement entre eux le paysage qu'ils masquaient lorsqu'une lumière brillait au loin, la lueur d'un aiguillage, un réverbère, une tour de contrôle d'aéroport dans le comté voisin, ou encore le scintillement du sommet d'une antenne dans une station de radio de Cheyenne ou d'ailleurs. » pp 119 & 120




« A PUEBLO, COLORADO, en plein hiver, Cody était assis dans une gargote à trois heures du matin, en proie à tous les tracas misérables du gars qui est recherché par la police en Amérique ou en tout cas dans la nuit (claquant une pièce sur le zinc comme on tue une mouche avec la main) - Amérique, ce nom, ce son est celui de mon malheur, l'expression de ma pauvre douleur stupide - mon bonheur ne s'appelle pas Amérique il porte un nom secret plus intime, plus court et plus espiègle - l'Amérique, c'est d'être traqué par la police, poursuivi à travers le Kentucky et l'Ohio, c'est dormir avec les rats des parcs à bestiaux, caché sous les silos lugubres aux toits de tôle hurlante, c'est la photo d'une hache dans True Detective Magazine, c'est la nuit impersonnelle aux croisements et aux embranchements où chacun regarde des deux côtés, des quatre côtés même, tout le monde s'en fout - l'Amérique, c'est l'endroit où l'on n'a même pas le droit de pleurer sur son sort - L'endroit où les Grecs font l'impossible pour se faire accepter, même que par­fois ce sont des Maltais ou des Chypriotes - l'Amérique, c'est ce qui a marqué l'âme de Cody Pomeray de soucis et de stigmates - le gros flic en civil qui l'a tabassé à mort dans une arrière-salle jusqu'à ce qu'il avoue quelque chose qui n'a même plus d'importance aujourd'hui - l'Amérique (BANDE JEUNES CAME SEXE AUTO ! !) c'est aussi le néon rouge et les cuisses dans le motel minable - C'est là où le soir, à la fermeture des bars, les ivrognes titubants sortent comme des cafards - Le pays où des foules de gens pleurent et se mordent les lèvres dans les bars ou les lits solitaires et se masturbent de mille façons dans toutes les tanières qu'on peut trouver dans la nuit - Elle possède des routes diaboliques derrière des réservoirs à essence où des chiens meurtriers montrent les crocs à travers les grillages, où des voitures de patrouille bondissent brusquement comme pour fuir un forfait plus secret et fatal que les mots ne sauraient dire - C'est là que Cody Pomeray a appris que les hommes ne sont pas bons, qu'ils désirent le mal - où il a appris qu'ils veulent ramper et se battre, et que leur amour se résume à des grognements - l'Amérique a transformé un visage de jeune homme en masque osseux, lui creusant les orbites à grands coups de pinceau noir, lui enfonçant les joues sous un fard blême, burinant son front de marbre et troquant l'enthousiasme et l'espoir contre la sagesse silencieuse de l'homme aux lèvres épaisses qui ne disent rien, pas même à toi au milieu de cette fichue nuit - cliquettement de soucoupes à café dans la pauvre pauvre nuit - Quelqu'un fait la vaisselle parmi un gargouillis de boui-boui (dans le hurlement vain et le vide lugubre du Colorado) - Ah tout le monde s'en fout sauf le cœur dissimulé au beau milieu des Etats-Unis, qui réapparaîtra après la mort du dernier représentant de commerce. » pp 144 & 145



Jack Kerouac, Visions de Cody, 10/18 n° 2804, 1997.

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posted by Lucien Suel at 09:02

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

«"C'était dimanche, le 23 septembre 2008"»
-Déjà 2008 !

15:45  

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