Interview Lucien Suel (5)
Lucien Suel interviewé par Nicolas Tardy , avril 2003 (5/7)
Ton rapport à la lecture publique ? C'est venu assez tard en fait, la première fois que j'ai présenté quelque chose en public - de moi je veux dire - c'était pas une lecture, la première chose que j'ai faite en public c'était une performance, je l'ai faite devant une vingtaine d'amis et je sais que quand j'ai eu terminé j'avais les mains qui tremblaient tellement j'avais eu peur. Ça c'est le premier souvenir que j'ai, c'était en 1988. Après j'ai commencé à lire mes poèmes en public. Ça a commencé à l'époque des premiers poèmes en colonnes justifiées. J'avais été invité par Pierre Ivart à la Maison de la Culture d'Amiens pour présenter ce genre de textes avec Jean-Pierre Bobillot, Sylvie Nève, Pierre Garnier, Ivar Ch'Vavar, Martial Lengellé. C'est fin 88 que j'ai lu mes premiers textes, enfin c'était pas comme je fais maintenant. On était tous assis à une table, il y avait le public en face de nous, on lisait chacun notre tour. Après, j'ai fait pas mal de lectures en public, en solo... La première fois c'était dans un bar à Liévin j'ai assuré pendant 3/4 d'heure. Je peux lire des textes variés dans la mesure où j'écris des textes variés, je peux passer d'un texte dramatique sur la vie de mon grand-père à un texte rigolo, l'histoire de Prose du ver par exemple. Pour ce qu'on appelle maintenant la lecture/poésie-sonore/performance, je pense que la première fois où pour moi c'était vraiment important où j'avais vraiment composé, écrit, fait une sélection de textes, coupé dans les textes, pour que ce soit très sonore, c'était à L'Écrit Parade à Lyon en 1999. J'avais été invité en même temps qu'Ivar Ch'Vavar. La même année j'ai eu une carte blanche au Centre International de Poésie Marseille et depuis ça s'est enchaîné continuellement.
Punk ? J'étais déjà trop vieux au moment du punk [Rires]. Il s'est passé une période entre 73 et 76 c'était le gros ronron, plus rien ne m'intéressait et d'un seul coup en 77, je me suis mis à racheter des 45 T. Il y avait à nouveau une floraison de groupes intéressants qui prenaient les choses en mains eux-mêmes. « On va monter sur scène, on va faire un truc ». J'ai attendu longtemps avant de faire pareil... J'aimais bien cet esprit-là, j'aimais bien le côté cheap, Dada et tout ça. Au plan musical, j'appréciais les punks anglais - anglais surtout -, et américains. En France ce qui m'a intéressé, au moment du mouvement punk, c'est les gens de Bazooka production. J'étais abonné à leur revue Bulletin Périodique. Au point de vue graphique c'était vraiment intéressant. Je les ai d'ailleurs copiés.
Dirais-tu que tu es un poète rock ? Je peux pas dire que je suis un poète rock, non. Je suis un "poète ordinaire de proximité" mais, poète rock, non. Je suis un poète qui fait du rock, ouais, et ça, ça correspond à mes premiers chocs esthétiques. Mais j'ai mis longtemps avant de monter sur la scène et de faire du rock, de faire la rock star avec sa guitare. J'ai commencé j'avais plus de 40 ans, ça m'amusait de commencer une carrière de chanteur de rock à l'âge... Où les autres arrêtent ? Ouais, en gros c'est ça. Ça m'a toujours plu cette idée-là, et j'ai l'intention de continuer tant que je serai capable de monter sur scène. (voir l'article de Sylvain Courtoux dans le n° de Doc(k)s, spécial théorie)
Quand tu fais des concerts, quel rapport tu as avec ce milieu du rock qui est plus jeune que toi ? Vraiment ça se passe très bien. Je me suis rendu compte que j'avais - je voudrais pas être prétentieux - mais comme une petite "aura" dans la scène rock Nord - Pas-de-Calais... parce que [Rires], ils me respectent à cause de mon âge. J'ai des bons rapports avec le milieu. Il y a des groupes, des jeunes groupes qui s'intéressent à ce que je fais, au point de reprendre certains de mes textes, de les interpréter à leur façon. Je continue de fréquenter les milieux rock et rock alternatif à Lille, les lieux et les gens sont intéressants, et je me sens peut-être plus à l'aise pour faire des lectures de poésie dans le cadre des salles de rock que dans les médiathèques. Une des plus grandes émotions que j'ai eue c'est quand j'ai participé à un festival à Villeneuve d'Ascq. Ça s'appelait La nuit à tiroirs. J'étais invité en tant que poète. J'étais en solo et je passais vers 11h du soir après un groupe de rock-fusion. Il y avait 300 jeunes qui étaient là, qui remuaient, qui étaient tout en sueur et on annonce «Ça va être Lucien Suel, poète». Les portes s'ouvrent, presque tout le monde sort, évidemment [Rires]. Ça allait être de la poésie ! Je monte sur scène, je commence ma prestation, j'avais la sono du groupe de rock, le gros truc, jamais j'avais eu ça et alors là en quelques minutes tout le monde est rentré et puis j'entendais les gens qui me criaient «Allez vas-y ! Ouais ! Ouais ! Ouais ! Vas-y ! » et puis ça rythmait en même temps. Je suis descendu, j'ai eu des super-applaudissements et il y avait deux jeunes au pied de la scène « Ouais, c'était bien, viens, viens on te paye un coup. ». Ils m'ont emmené et vraiment j'ai passé un excellent moment. C'était inattendu. C'était inattendu pour eux aussi.
Qu'est-ce que tu avais lu ? Un ensemble, un montage que j'ai utilisé, lu, dans pas mal d'endroits, à partir d'extraits de mes poèmes qui se prêtent bien à la voix. Il y a des extraits du Mastaba d'Augustin Lesage, des extraits d'Orage approchant, qui est un truc qui monte et qui se termine de façon apocalyptique où je hurle à la fin. Tout un montage vraiment construit avec une montée comme dans un concert et à la fin je termine sur le poème Ossuaire et sur Patti Smith que je dis en picard et là à Lille, à Villeneuve d'Ascq c'était super bien reçu. Ça m'est arrivé souvent de faire des rencontres en lecture publique, c'est pourquoi je continue. Maintenant je suis à l'aise je sais que ça marche. Je lis très souvent devant des publics qui sont pas du tout habitués - pour eux la poésie ça reste quelque chose de très scolaire et de très chiant, alors la plupart du temps j'entends cette réaction « Ah bon, on pensait pas que c'était comme ça la poésie ».
T'écris avec en tête cette idée-là ? Jamais. Quand j'écris je ne pense jamais à une lecture publique. La lecture publique ça vient après. Parce que je choisis après dans ce qui est écrit ce qui peut être lu en public. Par contre chaque fois que j'écris je me fais ma lecture à moi, je me lis quasiment chaque texte que j'écris. Il faut que je me le lise à voix haute. C'est comme le truc de Flaubert, "l'épreuve du gueuloir". Je le fais pour une histoire de rythme et puis que ça passe par la bouche, par le corps. Le corps c'est important et j'ai bien retenu ce que Julien Blaine disait, qu'il lisait ses poèmes à voix haute parce qu'il était vivant, parce qu'après il pourrait plus les lire. Donc, je ne pense pas obligatoirement à la lecture publique. Mais si on m'invite à faire une lecture en public, je vais choisir dans les textes. Par exemple, je prends Visions d'un jardin ordinaire, les textes n'ont jamais été écrits pour en faire une lecture publique, mais certains s'y prêtent merveilleusement si on peut dire. Il y en a que j'ai vraiment du plaisir à lire en public, parce qu'ils ont un rythme, ils fonctionnent bien, y a une émotion qui monte. J'ai rencontré un comédien qui avait choisi dans mes textes ceux qu'il désirait lire en public et il a lu des choses que moi je n'aurais jamais imaginé lire en public, alors je les ai repris aussi, et finalement il avait raison, ça marche bien [Rires].
Qu'est ce qui pour toi fait la différence entre une lecture publique et une performance ? Je pense qu'une performance, d'une manière générale, a un côté plus spectaculaire. En soi l'activité de lire en public est quasiment naturelle. Il faut reconnaître que la lecture publique quelquefois on se demande à quoi ça sert, parce que les gens peuvent prendre le bouquin et lire eux-mêmes. C'est par exemple la position d'une personne que je connais. Puis elle a assisté à ma lecture et a compris que ça pouvait apporter quelque chose en plus d'entendre l'auteur lire ses textes. La différence entre lecture publique et performance, pour moi, c'est que la lecture publique est quelque chose d'assez naturel, que je peux faire sur le ton de la conversation, un côté intime. Alors que la performance, c'est plus choquant. Pas forcément dans le sens où on va étriper des poulets ou arroser le public avec du sang ou de la peinture.
Your relation to public reading? It came late. Actually, the first time I presented my work in front of an audience, it was not a reading, it was a performance. I did it in front of 20 friends and I remember finishing it with shivering hands, I was so afraid... This is my first memory of it. It was in 1988. After that, I started to practise public readings of my poems. I was writing and performing my first justified poems. I'd been invited by Pierre Ivart to Amiens (Maison de la Culture) to present this kind of poem with Jean-Pierre Bobillot, Sylvie Nève, Pierre Garnier, Ivar Ch'Vavar and Martial Lengellé. It was at the end of 1988. I read my first poems. Not as I'm doing now. We sat at a long table with people in front of us, everyone reading in turn. After that, I did a lot of public readings, solo... The first time, it was in a bar in Liévin, for 3 quarters of an hour. I can read varied texts, going from a rather dramatic poem based on my grandfather's life, to a funny piece, Prose du Ver, for example. Concerning what you now call sound poetry - performance reading, an important beginning for me was my reading in Lyon at L'écrit-parade in 1999. I was invited with Ivar Ch'Vavar. For this occasion, I'd made a selection of my poems, I made them as "sound" as possible. That same year, I had a free hand at the International Poetry Center in Marseille and since then it has gone on and on.
Punk? I was already too old when it happened. Musically, from 1973 to 1976, it was not an exciting time at all. Nothing really interesting. And suddenly in 1977, I started to buy records again . There was a whole bench of new groups doing their own stuff. "We're gonna get on stage, and do it..." I waited for a long time before I dared to do the same... I agreed with this way of doing, cheap, dada and free. On a musical level, I appreciated the English punks, and the US bands too. In France, I was more interested in graphic productions, especially people like Bazooka Production. I'd subscribed to their Periodic Bulletin. I stole some of their ideas.
Would you say you're a rock poet? I can't say I'm a rock poet. No. I'm just an "ordinary neighbourhood poet". One could say, I'm a poet involved in rock'n roll, yeah, it came from my first aesthetic thrills. But it took me a long time before I jumped on a stage with an electric guitar. I started when I was 40. I liked this idea, starting to become a rocker when most of them... were finishing their career? Yes roughly, it's true. And I intend to go on as long as I'm able to climb on to the stage.
When you're playing gigs, what is your relationship with the youngsters in the rock scene? Really, it's going well. I became aware that I've got - without being a poseur - a bit of an "aura" in the North of France rock scene... May be they respect me because of my age. I've got many friends there. Young people, young bands interested in what I'm doing, some making personal covers of my poems. I still visit alternative places in Lille, they’re interesting people and places. I feel better reading my poetry on a rock stage rather than in a public library. One of my biggest thrills these last years was when I participated in a festival in Villeneuve d'Ascq. It was called A Night of Drawers. I was invited as a poet. I was alone and was scheduled at eleven at night just after a fusion rock band. 300 young people were attending the show. They were dancing, moving, sweating and they heard the annoucement: "And now, it's gonna be Lucien Suel, poet!". The doors opened, almost everybody went out, normal, isn't it?... Poetry! I climbed on to the stage, I began my reading, I had the sound system of the rock band, big sound, never had such a sound, so after a couple of minutes everybody was in and I could hear people shouting at me "Yeah! Go on! Yeah! Go on!" and the beat went on. When I finished I got a lot of big applause and shouting. I came down and two young boys congratulated me: "Yeah, that was super, great, come on, come on, have a drink!" They took me to the bar and I had a wonderful time. It was quite a surprise, quite a surprise for them too. What did you read? A collection of poetry, a set I used to read, in many places, composed of excerpts that work pretty well for the voice. Some excerpts from Le Mastaba d'Augustin Lesage, from Storm Approaching, which is a piece that goes higher and higher and ends in an apocalyptic way with the poet screaming and roaring... It's a real construction with an ongoing crescendo like in a concert. I finished the set with Ossuary and the Patty Smith Poem which I read in Picard. And there in Lille, in Villeneuve d'Ascq, it was very well received. Very often after public readings, I meet interesting people, it's one of the reasons I continue. I'm no longer afraid. I know it works. I often read before people who are not accustomed to it - in their mind poetry is something very schoolish and boring, and mostly, I hear this reaction "Huh yeah, we didn’t think poetry could be like this!"
Do you write with this idea in your mind? Never. When I write, I never think of a public reading. Public reading comes after. Because I choose among my written stuff what can be read on stage. However every time I write, I need to make my own reading for me, I read in a loud voice everything I write. Just like Flaubert used to do... I practice like this for a question of rhythm, it has to pass through the mouth, through my body. The body is very important. I learned that from Julien Blaine who said he reads his poems aloud because he is alive, because a day will come when he can no longer do it. So I don't think of a public reading each time I write. But if I'm invited for a reading, I take the time to choose. For example, in my book "Visions of an Ordinary Garden", the poems were never written with the idea of a public reading but some of them work wonderfully for that purpose. I take a great pleasure in reading them to an audience. There's a rhythm in it, a feeling... I met an actor who chose some of my poems for a reading and finally he read some poems I'd never thought of reading in public myself. I tried after him and he was right... It works.
For you what makes the difference between performance and public reading? In a general manner I think that performance is more of a show. In itself, the fact of reading in front of an audience is something natural. I must say that often you may wonder what is the point of public reading. After all people can pick up the book and read it at home. I know a person who used to think this way but after having heard my reading she admitted that hearing the author reading could add something important. The main difference between performance and public reading of poetry is that public readings can be done in a conversational tone, on a rather intimate level whereas performance is often more shocking. Not necessarily in the sense that you're gonna draw chicken or pour blood or paint on the audience...
la suite Interview 6
Ton rapport à la lecture publique ? C'est venu assez tard en fait, la première fois que j'ai présenté quelque chose en public - de moi je veux dire - c'était pas une lecture, la première chose que j'ai faite en public c'était une performance, je l'ai faite devant une vingtaine d'amis et je sais que quand j'ai eu terminé j'avais les mains qui tremblaient tellement j'avais eu peur. Ça c'est le premier souvenir que j'ai, c'était en 1988. Après j'ai commencé à lire mes poèmes en public. Ça a commencé à l'époque des premiers poèmes en colonnes justifiées. J'avais été invité par Pierre Ivart à la Maison de la Culture d'Amiens pour présenter ce genre de textes avec Jean-Pierre Bobillot, Sylvie Nève, Pierre Garnier, Ivar Ch'Vavar, Martial Lengellé. C'est fin 88 que j'ai lu mes premiers textes, enfin c'était pas comme je fais maintenant. On était tous assis à une table, il y avait le public en face de nous, on lisait chacun notre tour. Après, j'ai fait pas mal de lectures en public, en solo... La première fois c'était dans un bar à Liévin j'ai assuré pendant 3/4 d'heure. Je peux lire des textes variés dans la mesure où j'écris des textes variés, je peux passer d'un texte dramatique sur la vie de mon grand-père à un texte rigolo, l'histoire de Prose du ver par exemple. Pour ce qu'on appelle maintenant la lecture/poésie-sonore/performance, je pense que la première fois où pour moi c'était vraiment important où j'avais vraiment composé, écrit, fait une sélection de textes, coupé dans les textes, pour que ce soit très sonore, c'était à L'Écrit Parade à Lyon en 1999. J'avais été invité en même temps qu'Ivar Ch'Vavar. La même année j'ai eu une carte blanche au Centre International de Poésie Marseille et depuis ça s'est enchaîné continuellement.
Punk ? J'étais déjà trop vieux au moment du punk [Rires]. Il s'est passé une période entre 73 et 76 c'était le gros ronron, plus rien ne m'intéressait et d'un seul coup en 77, je me suis mis à racheter des 45 T. Il y avait à nouveau une floraison de groupes intéressants qui prenaient les choses en mains eux-mêmes. « On va monter sur scène, on va faire un truc ». J'ai attendu longtemps avant de faire pareil... J'aimais bien cet esprit-là, j'aimais bien le côté cheap, Dada et tout ça. Au plan musical, j'appréciais les punks anglais - anglais surtout -, et américains. En France ce qui m'a intéressé, au moment du mouvement punk, c'est les gens de Bazooka production. J'étais abonné à leur revue Bulletin Périodique. Au point de vue graphique c'était vraiment intéressant. Je les ai d'ailleurs copiés.
Dirais-tu que tu es un poète rock ? Je peux pas dire que je suis un poète rock, non. Je suis un "poète ordinaire de proximité" mais, poète rock, non. Je suis un poète qui fait du rock, ouais, et ça, ça correspond à mes premiers chocs esthétiques. Mais j'ai mis longtemps avant de monter sur la scène et de faire du rock, de faire la rock star avec sa guitare. J'ai commencé j'avais plus de 40 ans, ça m'amusait de commencer une carrière de chanteur de rock à l'âge... Où les autres arrêtent ? Ouais, en gros c'est ça. Ça m'a toujours plu cette idée-là, et j'ai l'intention de continuer tant que je serai capable de monter sur scène. (voir l'article de Sylvain Courtoux dans le n° de Doc(k)s, spécial théorie)
Quand tu fais des concerts, quel rapport tu as avec ce milieu du rock qui est plus jeune que toi ? Vraiment ça se passe très bien. Je me suis rendu compte que j'avais - je voudrais pas être prétentieux - mais comme une petite "aura" dans la scène rock Nord - Pas-de-Calais... parce que [Rires], ils me respectent à cause de mon âge. J'ai des bons rapports avec le milieu. Il y a des groupes, des jeunes groupes qui s'intéressent à ce que je fais, au point de reprendre certains de mes textes, de les interpréter à leur façon. Je continue de fréquenter les milieux rock et rock alternatif à Lille, les lieux et les gens sont intéressants, et je me sens peut-être plus à l'aise pour faire des lectures de poésie dans le cadre des salles de rock que dans les médiathèques. Une des plus grandes émotions que j'ai eue c'est quand j'ai participé à un festival à Villeneuve d'Ascq. Ça s'appelait La nuit à tiroirs. J'étais invité en tant que poète. J'étais en solo et je passais vers 11h du soir après un groupe de rock-fusion. Il y avait 300 jeunes qui étaient là, qui remuaient, qui étaient tout en sueur et on annonce «Ça va être Lucien Suel, poète». Les portes s'ouvrent, presque tout le monde sort, évidemment [Rires]. Ça allait être de la poésie ! Je monte sur scène, je commence ma prestation, j'avais la sono du groupe de rock, le gros truc, jamais j'avais eu ça et alors là en quelques minutes tout le monde est rentré et puis j'entendais les gens qui me criaient «Allez vas-y ! Ouais ! Ouais ! Ouais ! Vas-y ! » et puis ça rythmait en même temps. Je suis descendu, j'ai eu des super-applaudissements et il y avait deux jeunes au pied de la scène « Ouais, c'était bien, viens, viens on te paye un coup. ». Ils m'ont emmené et vraiment j'ai passé un excellent moment. C'était inattendu. C'était inattendu pour eux aussi.
Qu'est-ce que tu avais lu ? Un ensemble, un montage que j'ai utilisé, lu, dans pas mal d'endroits, à partir d'extraits de mes poèmes qui se prêtent bien à la voix. Il y a des extraits du Mastaba d'Augustin Lesage, des extraits d'Orage approchant, qui est un truc qui monte et qui se termine de façon apocalyptique où je hurle à la fin. Tout un montage vraiment construit avec une montée comme dans un concert et à la fin je termine sur le poème Ossuaire et sur Patti Smith que je dis en picard et là à Lille, à Villeneuve d'Ascq c'était super bien reçu. Ça m'est arrivé souvent de faire des rencontres en lecture publique, c'est pourquoi je continue. Maintenant je suis à l'aise je sais que ça marche. Je lis très souvent devant des publics qui sont pas du tout habitués - pour eux la poésie ça reste quelque chose de très scolaire et de très chiant, alors la plupart du temps j'entends cette réaction « Ah bon, on pensait pas que c'était comme ça la poésie ».
T'écris avec en tête cette idée-là ? Jamais. Quand j'écris je ne pense jamais à une lecture publique. La lecture publique ça vient après. Parce que je choisis après dans ce qui est écrit ce qui peut être lu en public. Par contre chaque fois que j'écris je me fais ma lecture à moi, je me lis quasiment chaque texte que j'écris. Il faut que je me le lise à voix haute. C'est comme le truc de Flaubert, "l'épreuve du gueuloir". Je le fais pour une histoire de rythme et puis que ça passe par la bouche, par le corps. Le corps c'est important et j'ai bien retenu ce que Julien Blaine disait, qu'il lisait ses poèmes à voix haute parce qu'il était vivant, parce qu'après il pourrait plus les lire. Donc, je ne pense pas obligatoirement à la lecture publique. Mais si on m'invite à faire une lecture en public, je vais choisir dans les textes. Par exemple, je prends Visions d'un jardin ordinaire, les textes n'ont jamais été écrits pour en faire une lecture publique, mais certains s'y prêtent merveilleusement si on peut dire. Il y en a que j'ai vraiment du plaisir à lire en public, parce qu'ils ont un rythme, ils fonctionnent bien, y a une émotion qui monte. J'ai rencontré un comédien qui avait choisi dans mes textes ceux qu'il désirait lire en public et il a lu des choses que moi je n'aurais jamais imaginé lire en public, alors je les ai repris aussi, et finalement il avait raison, ça marche bien [Rires].
Qu'est ce qui pour toi fait la différence entre une lecture publique et une performance ? Je pense qu'une performance, d'une manière générale, a un côté plus spectaculaire. En soi l'activité de lire en public est quasiment naturelle. Il faut reconnaître que la lecture publique quelquefois on se demande à quoi ça sert, parce que les gens peuvent prendre le bouquin et lire eux-mêmes. C'est par exemple la position d'une personne que je connais. Puis elle a assisté à ma lecture et a compris que ça pouvait apporter quelque chose en plus d'entendre l'auteur lire ses textes. La différence entre lecture publique et performance, pour moi, c'est que la lecture publique est quelque chose d'assez naturel, que je peux faire sur le ton de la conversation, un côté intime. Alors que la performance, c'est plus choquant. Pas forcément dans le sens où on va étriper des poulets ou arroser le public avec du sang ou de la peinture.
Your relation to public reading? It came late. Actually, the first time I presented my work in front of an audience, it was not a reading, it was a performance. I did it in front of 20 friends and I remember finishing it with shivering hands, I was so afraid... This is my first memory of it. It was in 1988. After that, I started to practise public readings of my poems. I was writing and performing my first justified poems. I'd been invited by Pierre Ivart to Amiens (Maison de la Culture) to present this kind of poem with Jean-Pierre Bobillot, Sylvie Nève, Pierre Garnier, Ivar Ch'Vavar and Martial Lengellé. It was at the end of 1988. I read my first poems. Not as I'm doing now. We sat at a long table with people in front of us, everyone reading in turn. After that, I did a lot of public readings, solo... The first time, it was in a bar in Liévin, for 3 quarters of an hour. I can read varied texts, going from a rather dramatic poem based on my grandfather's life, to a funny piece, Prose du Ver, for example. Concerning what you now call sound poetry - performance reading, an important beginning for me was my reading in Lyon at L'écrit-parade in 1999. I was invited with Ivar Ch'Vavar. For this occasion, I'd made a selection of my poems, I made them as "sound" as possible. That same year, I had a free hand at the International Poetry Center in Marseille and since then it has gone on and on.
Punk? I was already too old when it happened. Musically, from 1973 to 1976, it was not an exciting time at all. Nothing really interesting. And suddenly in 1977, I started to buy records again . There was a whole bench of new groups doing their own stuff. "We're gonna get on stage, and do it..." I waited for a long time before I dared to do the same... I agreed with this way of doing, cheap, dada and free. On a musical level, I appreciated the English punks, and the US bands too. In France, I was more interested in graphic productions, especially people like Bazooka Production. I'd subscribed to their Periodic Bulletin. I stole some of their ideas.
Would you say you're a rock poet? I can't say I'm a rock poet. No. I'm just an "ordinary neighbourhood poet". One could say, I'm a poet involved in rock'n roll, yeah, it came from my first aesthetic thrills. But it took me a long time before I jumped on a stage with an electric guitar. I started when I was 40. I liked this idea, starting to become a rocker when most of them... were finishing their career? Yes roughly, it's true. And I intend to go on as long as I'm able to climb on to the stage.
When you're playing gigs, what is your relationship with the youngsters in the rock scene? Really, it's going well. I became aware that I've got - without being a poseur - a bit of an "aura" in the North of France rock scene... May be they respect me because of my age. I've got many friends there. Young people, young bands interested in what I'm doing, some making personal covers of my poems. I still visit alternative places in Lille, they’re interesting people and places. I feel better reading my poetry on a rock stage rather than in a public library. One of my biggest thrills these last years was when I participated in a festival in Villeneuve d'Ascq. It was called A Night of Drawers. I was invited as a poet. I was alone and was scheduled at eleven at night just after a fusion rock band. 300 young people were attending the show. They were dancing, moving, sweating and they heard the annoucement: "And now, it's gonna be Lucien Suel, poet!". The doors opened, almost everybody went out, normal, isn't it?... Poetry! I climbed on to the stage, I began my reading, I had the sound system of the rock band, big sound, never had such a sound, so after a couple of minutes everybody was in and I could hear people shouting at me "Yeah! Go on! Yeah! Go on!" and the beat went on. When I finished I got a lot of big applause and shouting. I came down and two young boys congratulated me: "Yeah, that was super, great, come on, come on, have a drink!" They took me to the bar and I had a wonderful time. It was quite a surprise, quite a surprise for them too. What did you read? A collection of poetry, a set I used to read, in many places, composed of excerpts that work pretty well for the voice. Some excerpts from Le Mastaba d'Augustin Lesage, from Storm Approaching, which is a piece that goes higher and higher and ends in an apocalyptic way with the poet screaming and roaring... It's a real construction with an ongoing crescendo like in a concert. I finished the set with Ossuary and the Patty Smith Poem which I read in Picard. And there in Lille, in Villeneuve d'Ascq, it was very well received. Very often after public readings, I meet interesting people, it's one of the reasons I continue. I'm no longer afraid. I know it works. I often read before people who are not accustomed to it - in their mind poetry is something very schoolish and boring, and mostly, I hear this reaction "Huh yeah, we didn’t think poetry could be like this!"
Do you write with this idea in your mind? Never. When I write, I never think of a public reading. Public reading comes after. Because I choose among my written stuff what can be read on stage. However every time I write, I need to make my own reading for me, I read in a loud voice everything I write. Just like Flaubert used to do... I practice like this for a question of rhythm, it has to pass through the mouth, through my body. The body is very important. I learned that from Julien Blaine who said he reads his poems aloud because he is alive, because a day will come when he can no longer do it. So I don't think of a public reading each time I write. But if I'm invited for a reading, I take the time to choose. For example, in my book "Visions of an Ordinary Garden", the poems were never written with the idea of a public reading but some of them work wonderfully for that purpose. I take a great pleasure in reading them to an audience. There's a rhythm in it, a feeling... I met an actor who chose some of my poems for a reading and finally he read some poems I'd never thought of reading in public myself. I tried after him and he was right... It works.
For you what makes the difference between performance and public reading? In a general manner I think that performance is more of a show. In itself, the fact of reading in front of an audience is something natural. I must say that often you may wonder what is the point of public reading. After all people can pick up the book and read it at home. I know a person who used to think this way but after having heard my reading she admitted that hearing the author reading could add something important. The main difference between performance and public reading of poetry is that public readings can be done in a conversational tone, on a rather intimate level whereas performance is often more shocking. Not necessarily in the sense that you're gonna draw chicken or pour blood or paint on the audience...
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Libellés : Interview français-anglais, Lucien Suel, Performance, Punk, Rock, Traduction
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