jeudi 19 avril 2007

Interview Lucien Suel (3)

Lucien Suel interviewé par Nicolas Tardy , avril 2003 (3/7)

Quels sont les rapports et proportions entre textes écrits et textes trouvés dans ton travail ? Les textes que j'écris, c’est-à-dire les créations qui sortent de mon cerveau [Rires] ou les textes trouvés que je publie sous mon nom, c'est cela que tu veux dire ? Oui. J'écris beaucoup plus de textes "d'imagination", "de création". Je suis comme la plupart des gens qui écrivent, je publie des choses que j'écris, qui viennent de mon travail, mais j'ai toujours voulu garder ce côté de détournement, de moquerie. C'est de la moquerie d'utiliser, de détourner, des prospectus par exemple. Mais c'est aussi le côté poésie, vraiment poésie dans le sens : «Je peux trouver de la poésie, c'est une question d'exercice, d'exercer son œil». Il y a les textes qu'on écrit et il y a les textes trouvés mais finalement ce sont tous ceux qu'on lit, c'est la lecture et l'écriture et tous les textes qu'on lit sont finalement des textes trouvés. Maintenant on n'est pas obligé de se les approprier et tout gosse, j'ai toujours pensé que les textes - ce qui était écrit - c'était obligatoirement important. Donc même tout gosse, je lisais tout - je continue d'ailleurs -, si mes parents me disaient «On n'a pas le droit de lire à table», je continuais, je lisais les étiquettes des bouteilles de bière, je lisais les étiquettes des boîtes, parce que pour moi si c'était écrit c'est que c'était important, donc je continue ça et en même temps là je m'amuse avec, je peux détourner, je peux mixer, ça fait partie du jeu de collage et c'est une façon de m'approprier les textes.
Ce qui à mon sens caractérise ton travail c'est la transformation permanente. Il y a des changements de format dans les poèmes visuels, des changements d'état aussi : des originaux en couleurs qui vont devenir des photocopies noir et blanc, qui vont être réduites pour rentrer dans une Moue de Veau, une phrase découpée qui va rentrer dans un texte plus long, changer de contexte. Je pense notamment à L'envers du confort où tu as intégré - entre autres - des caviardages. Ça si tu veux c'est mon côté "sens de l'économie", en fait je ne me résous pas à jeter les choses et à les faire disparaître. Je me balade en ville et je vois quelque chose, une vis ou un boulon par terre, je le ramasse parce que je me dis ça peut servir, ça a un côté un peu bête et c'est la même chose avec mes propres textes. Si je vois l'occasion de les réutiliser dans un autre cadre, je n'hésite pas et en même temps ça produit des effets intéressants, en changeant de support, en changeant de format. C'est surtout cette idée de ne pas gaspiller. Bon, c'est un peu ridicule dans la mesure où la plupart du temps il s'agit de textes qui de toutes façons auraient fini à la poubelle, mais je les sauve, je leur redonne une nouvelle vie.
Protection de l'environnement textuel ? Oui je fais attention même aux déchets de textes. Je crois que c'est parce que j'accorde énormément d'importance à ce qu'on nomme le verbe, la parole. Il y a un côté magique là-dedans et même un mot, un mot seul, découpé dans un bouquin complètement débile, peut prendre de la valeur. Il a de la valeur pour moi.
Pas de cloisonnement entre littérature et paralittératures ? C'est cela, en fait j'aime pas trop l'idée de faire des hiérarchies. Entre toutes mes activités, je ne fais pas de hiérarchies. Il y a des choses que je préfère, bien sûr. Mais tout cela c'est dans le courant de la vie, c'est ce que j'écris, ce que je colle, ce que je récupère, ce que je cultive si je veux parler de mon jardin, ou ce que je bâtis en parlant de ma maison. Tout cela c'est de la création et c'est exprimer la vie qui est en moi. Donc je ne hiérarchise pas ces choses-là et puis maintenant à l'intérieur de "l'œuvre" j'ai plusieurs registres. Je peux être dans le registre de la dérision, de l'ironie à la rigueur, mais je peux aussi être dans le registre de l'émotion, de la beauté, et tout ça cohabite en moi et je m'en arrange parfaitement, ça me convient. En fait je ne veux me priver de rien et je ne veux pas renier même des choses de mon enfance ou de mon adolescence ou bien les choses que j'ai faites il y a 10 ans ou il y a 5 ans. Je garde tout, je ne rejette rien de ce que j'ai fait. Je sais qu'il y a des choses que j'ai faites qui sont complètement nulles, mais j'assume tout, enfin j'essaye. Je ne sais pas si j'ai raison mais je le sens comme cela. Je ne veux rien détruire. En fait ça fait partie de moi, c'est en rapport avec ma conception du temps. J'ai pas trop la notion du temps, je peux parler de mes premiers chocs artistiques parce que j'ai bien conscience qu'il y a eu ça ou ça mais en même temps tout cela est toujours présent, c'est toujours là. Je peux essayer de m'éloigner un peu et d'avoir une vue sur ma vie. J'essaye de voir tout comme un tableau, tout est en même temps sur le tableau. C'est un peu ça ma conception du temps.
Il n'y a pas de périodes creuses ? Non pas vraiment, parce que je peux me remettre à faire des choses que je faisais il y a une vingtaine d'années. Je refais des Dessins idiots, mais ils ne sont pas très éloignés de ce que je faisais il y a 20 ans, je refais des cut-ups de temps en temps. Tout ce que je découvre de nouveau, parce que je continue aussi à découvrir de nouvelles choses, soit par mes rencontres, soit par mes lectures eh bien j'intègre tout cela au fur et à mesure et ça se rajoute.

In your work, what is the proportion between your written (composed) texts and the found ones? My written texts, you mean the ones that come out of my brain and the found texts that I sign with my name?
Yes. I write a lot more texts in a fictional or a creative way. I'm like most writers, I publish the things I write, coming from my work, but I’ve always wanted to keep that part of mockery, perverting different material. I can call it mockery to use, to pervert prospectuses for example. But it's also poetry, real poetry in that sense: "I can find some poetry, it's just a matter of practice, having a trained eye". There are the written texts and the found texts but finally they are all for reading, it's all reading and writing, so every text you shall read is a found one. But of course you're not obliged to take possession of them. When I was a kid, I thought at once that everything that was written was very important. So, even as a kid, I read everything -I still go on - if my parents told me: "You're not allowed to read while eating. ", I would still go on, reading the labels on the beer bottles, the labels on the tin cans, because for me, if it is written or printed, it's important. So I go on in this way and at the same time, I play with it, I pervert it, I can mix it, it's all part of the collage game and it's a way to appropriate the texts for myself.
For me, what characterizes your work is this permanent transformation. You can change the dimensions in your visual poems, you can change the condition too: an original in colour becomes a black and white copy, which is gonna be reduced in a Moue de Veau, a cut sentence integrates a longer text, changing context. I’m thinking especially about L'envers du confort in which you integrated - among other items - your blocked-out pages. Yes, that is, if you want, my "thriftiness". In fact, I am unable to throw things away and get rid of them. I go for a walk and I see something on the ground, a screw or a bolt, I pick it up,I think it might come in handy, it may sound stupid but I do the same thing with my texts. If I get the opportunity to re-use them in another context, I don't hesitate and very often this attitude leads to interestings effects, changing the frame, the support. The main reason is not to waste. OK it's a bit ridiculous, given fact that most of these texts would have finished in the dustbin, but I save them, I give them a new birth, a new life.
Textual environmental protection? Yes I take care even of the scraps. I think it's because I pay a lot of attention to the word. There is some magic in it and a single word, picked up from a stupid novel, can be valuable.
No wall between literature and paraliterature? Yes that's it. Actually, I don't like that idea of creating hierarchy. Between all my activities, no hierachy. Of course there are things I do like better. But it's in the stream of life, it's what I write, what I glue, what I recycle, what I crop in my garden or what I build, talking about my house. I don't put things on a scale and inside my "work", I've got different styles. It can be derision, irony, harshness, it can be emotion, beauty... All that lives together in me and fits me perfectly. Actually, I don't want to be deprived of anything and I don't want to deny anything even childish or teenage things or what I did 10 or 15 years ago. I keep it all, I don't reject anything of what I did. I am aware of the fact that some of my productions are worthless, but I take that upon myself, at least, I try. I don't know if I'm right but I feel it that way. I don't want to destroy anything. It's all part of me, it has to deal with my conception of time. I'm not very conscious of time, I can talk about my first artistic thrills because I know I've experienced this or that but at the same time everything is always present, it's there forever. I can try to stand a little further away and get an open view of my life. I try to catch it in a frame. Everything is in the frame at the same time. This is in a way my conception of time.
No slack periods? No, not really, because I can start again and again, doing things I used to do years ago. I started again making stupid drawings, not far from how they used to be 20 years ago. From time to time, I re-use the cut-up thing. And every new idea, for I can go on finding new things, through my encounters, my readings, yes all this new stuff is integrated in my way of doing.


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posted by Lucien Suel at 09:19