lundi 16 avril 2007

Interview Lucien Suel (2)

Lucien Suel interviewé par Nicolas Tardy , avril 2003 (2/7)

À quel moment sont arrivés les premiers travaux visuels ? En fait les travaux visuels sont arrivés à peu près à la même époque, c'est lié au collage. Curieusement, je crois que j'ai commencé à faire des collages sonores avant de passer aux collages visuels, mais les premiers collages visuels, je m'en souviens, c'est 1975.
Tu écrivais déjà ? J'écris depuis très très longtemps mais en faire une activité importante ça a commencé à peu près à la même époque. Tout cela vient d'un ensemble d'influences. En même temps qu'il y a eu le choc Lautréamont, puis le choc Burroughs, Kerouac, Beat Generation, Céline - Voyage au bout de la nuit, c'est quelque chose que j'ai découvert en même temps -, j'ai commencé à écrire et d'une certaine façon c'est les gens comme Kerouac avec ce qu'il appelait "la prose bop spontanée" qui m'ont incité à me lancer davantage dans l'écriture. Mais quand j'ai commencé, j'ai jamais pensé que ça pourrait être publié. Tout cela est arrivé quasiment en même temps et assez rapidement j'ai mêlé les différentes formes d'expressions, en particulier l'écriture dans laquelle j'expérimentais le cut-up.
Là c'étaient des cut-ups de tes textes ? De mes textes.
Pas des cut-ups de prélèvements ? Non, non, j'écrivais et après je faisais des cut-ups avec mes textes. Après j'ai fait des détournements. Il y avait aussi la découverte des Situationnistes et de là, l'idée de détournement. Tout cela pour moi est apparu en même temps. Dans mon esprit tout s'est télescopé, aussi bien Lautréamont que Dada que Burroughs, c'est cela qui était très excitant. C'est à l'époque où l'inflation publicitaire, le médiatique, a démarré et je réagissais par rapport à ça. Je lutte contre ces trucs-là en les détournant, en me foutant d'eux et en les détruisant. À l'époque je me faisais davantage d'illusions. Ça me faisait toujours plaisir d'utiliser ma liberté et mon autonomie pour montrer que moi au moins, je résistais au discours, je le détruisais et le ridiculisais. Avec Josiane - ma femme - on a fait des montages sonores où on s'amusait à massacrer les discours du Président de la République.
Mode(s) d'emploi(s) ? Un mode d'emploi est souvent un très beau poème ready-made, ils font aussi de très beaux poèmes à détourner.
Ton arrivée dans le monde du Mail Art tout de suite dans la foulée ? Un peu après en fait. Le Mail Art pour moi c'est arrivé pile, parce que j'avais fait ces expérimentations en solo sans savoir ce qui se passait. Mes influences étaient vraiment extérieures dans le temps et dans l'espace, surtout dans le temps. Et puis d'un seul coup, je me suis rendu compte que sur la planète il y avait plein de gens qui faisaient ce genre de choses, qui fabriquaient leurs cassettes chez eux, de l'art sans prétention, et qui se l'échangeaient comme ceci. Ça tombait bien parce que j'avais plein d'idées et j'expérimentais des choses. Je pouvais les envoyer à droite à gauche et ça tournait plus en rond dans mon petit circuit. Ça c'était important d'autant que je vivais - encore maintenant - dans un endroit assez isolé et la poste m'ouvrait le monde. J'avais édité une revue littéraire (The Starscrewer) et par échange avec la revue Doc(k)s, j'ai découvert le Mail Art, en 78. Après, l'influence elle vient des gens, des compagnons.
Comment vois-tu l'évolution du Mail Art ?
Je ne sais pas si je peux parler du Mail Art dans un sens général mais je peux en parler pour moi. Il y a eu une période de découverte, d'adolescence, un peu "chien fou". On participe à tout et puis après on sélectionne, on fait des rencontres et on approfondit des correspondances avec des individus et puis après, petit à petit, ça change de forme, ça devient davantage des relations d'amitié. Il y a encore un côté création, mais c'est tout à fait différent. Pour moi ça en est arrivé là. Je ne fais plus beaucoup de Mail Art au sens où je le faisais dans les années 80. Maintenant, si je veux avoir un regard extérieur sur le Mail Art, si j'observe ce qui se passe, je crois que c'est moins intéressant qu'avant parce que ceux qui font du Mail Art ne respectent plus - ça paraît idiot de dire ça - les règles, des règles non écrites liées à l'échange. Quand tu participais à une expo de Mail Art, tu savais que tu aurais un catalogue ou au moins tu serais averti des dates de l'exposition. Il y a beaucoup de choses qui se font actuellement dans le Mail Art, mais tu ne sais même pas ce que devient ce que tu envoies, y a plus de retour, y a quasiment plus de catalogues. Quelquefois tu reçois une vague liste où il y a même plus les adresses. Avant, le fait de publier les adresses ça faisait boule-de-neige. En plus je constate qu'il y a maintenant beaucoup d'institutions officielles qui lancent des projets Mail Art, donc le Mail Art en tant que phénomène de contre-culture... Maintenant j'écris d'avantage et je me suis mis à éditer, ce qui fait que j'ai beaucoup moins de temps pour le Mail Art.

When did you begin to work on visuals? Oh visual poetry arrrived at the same time. Everything had to do with collage. I really started to make sound collages before making visual collages. But as far as I can remember my first visual collages were in 1975.
Were you already writing poetry? I'd been writing for a long long time, but it became really important at this very moment. All this came from many directions: Lautréamont, then Burroughs, Kerouac, the Beats, Céline - Voyage au Bout de la Nuit, I discovered all this at the same time - I started to write a lot and for exemple, someone like Kerouac, with what he called "spontaneous bop writing" that's what encouraged me to go deeper and deeper into the writing thing. But I never thought of having it published. Yes it all happened suddenly, and soon I was mixing different means of expression, particularly in writing, experimenting with cut-ups...
So, you cut up your own texts? Yes my own texts.

No samplers? No no I wrote and after that I cut up my own paragraphs. Then I began to bend texts different ways like the Situationists did. All this came to me at the same time. Everything crumpled up in my mind, Lautréamont and Dada and Burroughs, it was very exciting. It was the time when advertising inflation and media hype started, and I was reacting against it. I struggled against it by twisting it, fooling with it or destroying it. I was still living in a fool's paradise. But I was at least very pleased to use my freedom and my autonomy to show that I was able to resist to the overriding discourse, to destroy and to deceive it. With my wife Josiane, we made sound collages using the speeches of the President, and really enjoyed slaughtering his sentences.
Direction(s) for use? Yes, directions for use, they’re very often a good ready-made poem. Or beautiful poems to twist.
Your arrival in the Mail Art Network happened at the same time? Shortly afterwards. For me, Mail Art arrived at the right time, because I had done all these experiments in a solo way, not knowing exactly what was happening outside. My influences were mostly external in time and space, especially in time. And all of a sudden, I became aware of the fact, that on this planet, many people were doing these sorts of things, making home-made cassettes, art without pretention, and swapping them. It was perfect for me because I had many ideas and I was experimenting a lot. I was able to send my products here or there, and I was no longer turning around in my own small circle. It was very important because I was living - as I still do now - in a very isolated place and Mail Art was opening the world to me. I'd published a small mag (The Starscrewer) and by exchanging it with Doc(k)s, I met Mail Art, in 1978. After that, influences went on, coming from people, from friends...
How do you see Mail Art evolving to-day? I don't know if I can talk about Mait Art in a general way, but I can give my point of view. First I had a period of discovery, like a teenager, a little bit "crazy". I participated in all the exhibitions, all the projects. After that, you choose, you meet people, you can go deeper with some individuals and gradually, forms change and friendly relationships develop. There is still a creative side, but it's very different. For me it's like this now. I am no longer doing Mail Art in the same way I used to do it in the eighties. If I say something general about Mail Art now, I should say it's not so interesting as before because many people doing Mail Art have no respect for the rules - yes I know it's silly talking about rules - the unwritten rules linked to the exchange. When you participated to a Mail Art Exhibit, you knew that you'd get a catalog or at least that you'd get the information about dates and the place of the exhibition. Many things are still organised in the Mail Art domain, but you don't even know what happens to what you‘ve sent. No receipt, no catalogs. Sometimes you're happy enough to get a vague list of names without addresses. Formerly, when publishing the addresses of the participants you could get a snowball effect. I now see official institutions organizing mail art projects, what about the countercultural aspect!
So now I write more and more and I’ve started desktop publishing, so I have got less time for Mail Art.


la suite : Interview 3

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posted by Lucien Suel at 10:54