Exhumation 1 : (Maurice Magre 1877-1941)
La bouchère nue
Le village est cassé, atteint de lèpre, hagard.
Les toits sont par endroits troués par le désastre.
La place boursouflée et le clocher camard
Ont l’air de grimacer au silence des astres.
On dirait que le désespoir et le remords
Sont les hôtes geignants de ces portes de briques.
Mais comme un pou géant enfanté sur les morts
L’orgie au ventre épais bave dans les boutiques.
Des hommes un par un glissent le long des murs.
Là-bas dans une odeur de bête et d’écurie,
Sous le rougeâtre feu du bec de gaz obscur,
Comme une gueule en sang bâille la boucherie.
Ils entrent et parmi les bœufs morts de l’étal
S’accroupissent, luxurieux et pleins de joie.
Les visages ont quelque chose d’animal.
Au loin la lune monte... un chien errant aboie...
Et l’énorme bouchère aux grands seins descendant
Paraît et le public éclate quand elle entre.
Elle rit de plaisir et fait claquer ses dents,
Nue et flasque, elle danse une danse du ventre.
La viande et la sueur sentent également.
Un vieux en ricanant tient la lampe à pétrole
Et la hausse et la baisse à chaque mouvement,
Comme un prêtre bouffon d’une grotesque idole.
C’est pour les spectateurs un plus rare régal
Qu’un festin qu’on ferait dans le décor d’un bouge.
Et la danse ressemble à un cérémonial
Du vieux culte de l’homme à la chair de la gouge...
Puis l’on part. L’air est lourd de fièvre et de tabac.
la bouchère tord ses cheveux brillants de graisse...
La lampe fume et meurt... Un peu de sang fait : flac !
C’est la tête de veau pleurant dans l’ombre épaisse...
Maurice Magre
Extrait de « La montée aux enfers, Poésies. » Paris, Eugène Fasquelle, Bibliothèque-Charpentier, 1918
5 Comments:
Si exhumation, l'enterrement était prématuré. Je regrette de n'avoir pas gardé un livre de Maurice Magre que j'avais entre les mains - même s'il ne s'agissait pas de poèmes.
P.S.:(Ça grouille - de vie!)
La chute est admirable et d'une rare mélancolie...
@ spookrijder (je suis très content de connaître la signification de ce nom...) : Les romans ont plus mal vieilli, je pense.
@ c.c. (rider ?) : La chute est une chute !
les éditions kailash ont re édité un roman "le poison de goa" dont je leur avais indiqué l'existence.
yves maraux delépic
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