jeudi 9 juin 2011

Le téléphone mobile

le téléphone mobile

c'est qui l'porteur

qui est le porté et
qui est le portable

parfois souvent une
excroissance mobile
à forme humaine est
accouplée à l'engin

elle accompagne son
téléphone comme une
illusion ectoplasme
sorti de l'écran un
hologramme animé un
batracien décérébré

allô gardez contact
restez allô avec le
troupeau marchez en
parlant allô parlez
en roulant neurones
externes peuple des
portables lié soudé

c'est aussi l'écran
qui regarde lui qui
observe une machine
qui commande dirige
une séquelle de vie

allô elle se frotte
contre l'oreille la
température monte à
mesure allô que cet
ustensile masse une
tempe offerte c'est
allô un lavage allô
de cerveau allô mhz

les ondes modifient
la forme des acides
aminés et la tumeur
enfle les parasites
se miniaturisent le
silence est détruit

le chant tonitruant
du portable résonne
partout voix de son
maître allô l'hymne
triomphant et niais
des technologies un
refrain puéril allô

voici le nouveau je
le nouveau jeu vidé
jeu vidéo d'adultes

icône contemplée ou
bréviaire scruté ou
chapelet égrené les
consoles à consoler

seuls les lointains
sont encore vivants
les proches ne sont
plus là inexistants

allô allô allô allô
allô c'est moi allô
oui je suis dans le
train allô allô oui
je suis dans le oui
train dans le train
Lucien Suel

Ce poème est extrait de "Une simple formalité", ouvrage écrit en collaboration avec Sylvie Granotier, publié au Marais du Livre, Hazebrouck, 2001.
Sylvie Granotier est l'auteur de la nouvelle "policière" dans laquelle dix objets du quotidien font l'objet d'un traitement "poétique" par L Suel. Celui-ci est le premier de la série.

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posted by Lucien Suel at 09:02

2 Comments:

Blogger Les Vanités d'Anne Hecdoth said...

"Lettre à son téléphone"

Allô !

Vous ne pouvez plus ignorer, Monsieur, que vous êtes un objet sot et laid, pour ne pas dire carrément obsolète. D’ailleurs sincèrement je vous hais.

D’abord vous sonnez chez les honnêtes gens quand ça vous chante, dans les moments les plus délicats et de manière fort mal élevée, en plein milieu d’une conversation ou d’un dîner, durant le film à suspens et après on ne comprend plus rien, pendant la confection d’une crème anglaise ou la réalisation d’une tâche qui ne souffre d’être interrompue... Vous exigez avec insistance qu’on laisse en plan toute occupation en cours pour bondir vous décrocher illico. Quelle arrogance, Monsieur ! Sachez que ce sont les bonnes qu’on sonne !

Mais votre cynisme présomptueux est tenace : vous me faites sursauter avec vos hurlements impromptus qui s’éternisent en rires sarcastiques, avec vos trémolos feints qui me laissent coite. Quoi ? Il y a le feu ?

On eut pu jadis avoir pour vous quelque tendresse car vous étiez un moyen de communication instantané et moderne pour l’époque. On vous convoitait. Vous étiez rare et saviez vous faire attendre. Le 22 à Asnières, vous vous souvenez ? Tout un poème ! Vous étiez discret, poli et n’abusiez nullement de votre pouvoir. Et puis vos heures de gloire sont arrivées. Ce fut « le printemps du téléphone », la vie devenait alors « simple comme un coup de fil ». On rendait notre plume pour vous sonner et ça faisait chic.

Mais aujourd’hui vous êtes usé et ne savez plus que radoter : « Toutes les lignes de votre correspondant sont occupées – veuillez rappeler ultérieurement merci »… Je dois donc m’armer de patience, siéger confortablement avec un bon bouquin et une tablette de chocolat fin près de l’infernal engin que vous êtes devenu et tenter d’être plus malin que vous : appeler en mains libres et appuyer par intermittence sur la touche bis. Au bout de quelques heures une voix virtuelle qui se voudrait charmante m’extrait de ma torpeur par un métallique : « Société H.E.T., bonjour ! Si vous désirez le service clients, tapez 1 ; si vous désirez le service vente, tapez 2 ; si vous désirez le service achat, tapez 3, sinon veuillez patienter ». C’est désobligeant ! Mais puisqu’on me prend pour une idiote, je décide de patienter et la voix mécanique enchaîne : « Société H.E.T., bonjour, ne quittez pas nous recherchons votre correspondant » et paf ! vous me balancez la Lambada ou la Cinquième Symphonie tout de go, sans outre vous inquiéter de mes goûts musicaux. Vraiment vous n’êtes qu’un goujat ! Et quand enfin vous daignez me répondre pour de vrai, après quelques secondes pour me rappeler qui j’appelle et pourquoi, vous m’apprenez alors pince-sans-rire que, pas de chance, la personne qui s’occupe de mon dossier vient tout juste de partir… Devant ma déconfiture vous tentez de me mettre en relation avec sa doublure et… « biiiiiiiiiip ! », vous me coupez. C’est pervers, avouez !

Aussi je vous serais reconnaissante de bien vouloir noter qu’à partir de ce jour je ne me soumettrai plus jamais à vos injonctions tonitruantes de barbon gougnafier. Mon répondeur se fera un plaisir d’enregistrer votre message et je vous rappellerai si je veux.

En formulant ainsi l’espoir de ne plus jamais être importunée, je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes salutations distinguées.

22:16  
Blogger Lucien Suel said...

Merci pour ce commentaire sans appel ! J'en reste coi. Quoi ? Coi !

15:36  

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