mardi 31 mai 2011

Retour au jardin

Après une semaine en Val-de-Marne (Bipval) et une autre en Dordogne (Expoésie), je reprends les activités horticoles et blogosphériques.
Pour conjurer à la fois le manque d'humidité et l'agressivité des virus cucurbitacéens, voici une description de "Mort d'un jardinier", article de Pierre Pupier paru en février 2009 dans le n° 678 du Bulletin des Lettres, revue de critique littéraire depuis 1930.

Poète influencé par la Beat Generation, L. Suel, donne ici un roman, ou plutôt un récit au fil narratif ténu: une mort en ce jardin, et qui tend au texte poétique.
La narration à la 2ème personne est à la fois parole du personnage à lui-même et forme d’un dédoublement de l’auteur.
Pour entrer dans la conscience de ce “ tu ” il faut se laisser prendre au vertige d’une syntaxe sans point, sauf en fin de chapitre, où virgules, points-virgules parfois, seuls rythment le flot verbal qui traduit un flux mental incontrôlé. Mais avant la douleur soudaine, dans les sept premiers chapitres (sur 23) le verbe est encore lucide pour dire, au plus près du réel comme dans un manuel de jardinage, les jours et les soins du jardin, les travaux et les gestes, et, qui traverse tout le livre, cette gloire du jardinier qui aime ses salades, connaît le vent, les graines, et goûte au sentiment de la vie dans « la générosité de la terre et la douceur de la pluie ».
Après l’accident cardiaque, le personnage glisse dans un autre monde de la conscience et de la mémoire, submergé par un défilé ou un jaillissement d’images, de souvenirs et de sensations. Sans chronologie ni logique, affluent des fragments d’existence, des éclats de voix, des bruits et des musiques, des odeurs, le grain des jours en gros plans et détails, l’enfance, l’amour de toujours ; tout cela, noté avec une extrême justesse, que l’on ne peut résumer, crée un kaléidoscope de “ je me souviens ” qui restitue, émietté, l’inventaire d’une vie qui est celle de l’auteur. « Tu penses que tout ce que tu as vécu est conservé magiquement dans ton âme ». Avec les mots qui murmurent dans la tête et s’effacent, reviennent aussi des citations de tant de livres lus. Et par touches se dessine donc, entre ses légumes et les livres, l’autoportrait de l’écrivain, homme d’écriture et de travail manuel, maniant la bêche comme l’ordinateur, libertaire qui maintient tous les liens, bref « passéiste moderne et moderne archaïque ». Si elle veut peut-être exorciser la mort, la fiction s’achève quand plus rien ne peut être changé et qu’il ne reste « que la terre et toi à réunir » ; elle traduit alors le temps des adieux dans l’hallucination du long cortège funèbre des visages qui se pressent, tous les intercesseurs accompagnés de l’enfant qu’ils furent, comme le jardinier lui-même. Un consummatum est sans idée religieuse, mais où reste la métaphore de « l’autre jardin derrière les portes d’Éden » où retrouver « ce que tu as perdu dans le jardin ».

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posted by Lucien Suel at 16:55