samedi 17 juin 2006

Un récit de Rod Summers

Elle tisse
Pendant tout l’été 2005, une magnifique araignée a vécu dans notre cuisine. Elle avait tissé sa toile dans l’encadrement de la fenêtre au-dessus de la porte. C’était une Araneus diadematus.
Je ne suis pas sujet à l’arachnophobie ; tout être qui dévore les moustiques, les mouches et autres bestioles nuisibles fait partie de mes amis.
Aux approches de ce rude hiver, l’araignée déménagea de la fenêtre pour s’installer au plafond au-dessus de la porte qui sépare la cuisine du salon ; elle semblait en état d’hibernation.
Un soir de janvier, Liesbet et moi étions assis à regarder la télévision lorsque l’araignée dégringola subitement sur ma main, celle qui tenait ma pipe de hash. Surpris par cette rencontre inopinée, je réagis en la précipitant sur le parquet. Je fus instantanément submergé par un vif sentiment de culpabilité ; je ramassai l’araignée avec un morceau de papier et la posai délicatement sur la table basse près de moi. Elle avait l’air pitoyable et, va savoir pourquoi, je me dis qu’elle devait être déshydratée. Je plongeai mon doigt dans le reste refroidi au fond de mon mug et fis tomber une goutte de thé sur la table juste en face de l’araignée. Elle se déplaça et commença à boire. Très rapidement, la goutte fut absorbée et je recommençai. Elle se dirigea vers la nouvelle goutte pour la boire également.
A ce moment-là, je la photographiai. La photo n’est pas très bonne parce que mon petit appareil numérique n’a pas de position macro.

Pensant que du thé sucré n’était peut-être pas la meilleure boisson pour une araignée, je lui versai quelques petites flaques d’eau pure et quand je montai me coucher, elle était en train de se désaltérer.
A ce point de l’histoire, il est nécessaire de préciser qu’avec mon épouse, nous habitons dans une partie des Pays-Bas où la religion catholique romaine est encore prépondérante, ou, pour le dire autrement, ici dans le Limbourg, les cloches de la cathédrale résonnent plus fort que l’appel du muezzin.
En néerlandais, on appelle cette araignée Kruisspin (araignée à la croix) parce qu’elle a une croix blanche sur le dos.
Dans le Limbourg, la tradition veut qu’on accroche un crucifix au-dessus de chaque porte. Pour ma part, je m’incline devant un autre Dieu et au-dessus de la porte de mon salon, il y a une horloge faite à partir d’une vieille disquette d’ordinateur. C’est l’une des sept horloges technologiques de l’appartement. Malgré le sentiment convaincu de sa toute puissance, l’humanité n’a pas encore réussi à maîtriser l’écoulement du temps.
Lorsque je suis descendu le matin suivant, l’araignée se portait beaucoup mieux. Elle s’était installée au-dessus de la porte qui mène au couloir, ayant tissé une toile entre le plafond et l’horloge. On voyait bien qu’elle avait utilisé la petite aiguille comme point d’ancrage. Cela avait eu pour effet d’arrêter l’horloge à 1:33:47 (1+3+3+4+7=18 1+8=9)
Je change la pile de l’horloge une fois par an au mois de janvier. Je pensai que l’horloge s’était arrêtée parce que la pile était usée et que ce n’était pas dû à l’araignée.

De toutes les horloges de l’appartement, celle-ci est mon horloge de référence, aussi, quelques jours plus tard, je me résolus à changer la pile.
L’araignée ne réagit pas lorsque je décrochai l’horloge pour y placer la nouvelle pile. Cependant, une semaine après, je notai qu’elle s’était de nouveau activée et cette fois, sans doute possible, l’horloge s’était arrêtée à 06:19:11 (6+1+9+1+1=18 1+8=9).


Je n’arrive pas à comprendre ce que cette araignée essaie de me dire ou ce que tout ça signifie, mais le fait est que 9 est mon chiffre porte-bonheur ; aussi, j’ai décidé de ne rien faire, de laisser la situation en l’état, jusqu’à ce que l’araignée déménage.
Je vais continuer à lui déposer quelques gouttes de thé sur la table basse tous les soirs avant d’aller me coucher et je regarderai l’heure sur une autre horloge.
Le crucifix au-dessus de ma porte est cloué sur le dos d’une magnifique araignée.

Rod Summers
Maastricht, 3 février 2006
Traduit de l’anglais par Lucien Suel

J'ai rencontré Rod Summers en 2001 à Maastricht à l'occasion du Polypoetry Festival qu'il avait organisé. On peut écouter Rod Summers sur UBUWEB.

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posted by Lucien Suel at 16:10

2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Avec ma fille nous avons eu la joie cette année de garder une araignée dans la cuisine. Elle a pendant l'hiver accepté avec plaisir des petits dons sur sa toile qu'elle avait tissé à hauteur de ma hanche et de la tête de ma fille. Bien souvent elle donnait l'impression de nous saluer avant de se retirer derrière le papier peint. Un matin des premiers beaux jours, elle n'était plus là et comme pour un déménagement elle avait tout rangé et tout nettoyé. Depuis nous la cherchons dans le jardin.

22:18  
Blogger hors landau said...

L'araignée est précieuse! Chez Cantillon, temple de la gueuze bruxellois, il est interdit d tuer les araignées: Elels bouffes les mooucheroins qui gâteraient la gueuze et la kriex dans leurs grands brassins à l'air libre.Arachné est une bonne déesse tutélaire, et c'st aussi Pénélope, la fidèle, et surtout fidèle à elle-même:

J4aime l'araignée et j'aime l'ortie
Parce qu'on les hait
Et que rien n'exauce et rien ne châtie
LEurs mornes souhaits Victor hugo (cité de mémoire)

14:19  

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