vendredi 14 janvier 2022

Venir au vent (XXIII) par Laurent Margantin

IV

 

Je vais dans les rues d'Aix

il est un peu plus de six heures

à l'horloge de la place de l'hôtel de ville

 

on charge le kiosque à journaux

des nouvelles de la veille

et de mots dont le seul chaos formel attriste

au milieu de la claire beauté

 

je me souviens que je traversais des lieux et des lieux

possédant une langue que je ne savais

ni écrire ni parler

mais entendre

 

oui, je l'entendais cette langue,

et je l'entends encore,

incroyablement basse,

mais qui à certaines heures s'élève un peu

au-dessus du bruit général

 

et flotte en l'air quelques instants,

suspendue

 

à peine plus perceptible

que le bruissement des feuilles de peupliers

à cinq heures du matin

 

elle m'emplit à chaque instant,

sourde

elle s'accorde aux choses

et vit au rythme des cinq sens

et s'écrit seule

au plus profond de moi-même

illisible,

presque inaudible pour moi-même

 

la déchiffrer

c'est l'écrire une seconde fois

dans le ciel blanc du papier

 

           ou plutôt quelques bribes

                              essayant de vivre

                et de sentir à son rythme

 

              selon les jeux de lumière

 

joie

allégresse

qui consiste à naître à chaque instant

 

dans l'oubli qui est présence

brûlant tout ce qui alourdit

ce Schwergeist dont se moque Nietzsche

 

(tous ces livres qu'on lit

pour déchiffrer sa propre langue,

celle d'un corps dans l'espace,

et qui nous rendent parfois muets)

 

 Laurent Margantin est un auteur et traducteur vivant à la Réunion. Ces poèmes paraissent sous le titre Erres aux éditions Tarmac https://www.tarmaceditions.com/erres 

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posted by Lucien Suel at 07:14