Venir au vent (XXIII) par Laurent Margantin
IV
Je vais dans les rues d'Aix
il est un peu plus de six heures
à l'horloge de la place de l'hôtel de ville
on charge le kiosque à journaux
des nouvelles de la veille
et de mots dont le seul chaos formel attriste
au milieu de la claire beauté
je me souviens que je traversais des lieux et des lieux
possédant une langue que je ne savais
ni écrire ni parler
mais entendre
oui, je l'entendais cette langue,
et je l'entends encore,
incroyablement basse,
mais qui à certaines heures s'élève un peu
au-dessus du bruit général
et flotte en l'air quelques instants,
suspendue
à peine plus perceptible
que le bruissement des feuilles de peupliers
à cinq heures du matin
elle m'emplit à chaque instant,
sourde
elle s'accorde aux choses
et vit au rythme des cinq sens
et s'écrit seule
au plus profond de moi-même
illisible,
presque inaudible pour moi-même
la déchiffrer
c'est l'écrire une seconde fois
dans le ciel blanc du papier
ou plutôt quelques bribes
essayant de vivre
et de sentir à son rythme
selon les jeux de lumière
joie
allégresse
qui consiste à naître à chaque instant
dans l'oubli qui est présence
brûlant tout ce qui alourdit
ce Schwergeist dont se moque Nietzsche
(tous ces livres qu'on lit
pour déchiffrer sa propre langue,
celle d'un corps dans l'espace,
et qui nous rendent parfois muets)
Laurent Margantin est un auteur et traducteur vivant à la Réunion. Ces poèmes paraissent sous le titre Erres aux éditions Tarmac https://www.tarmaceditions.com/erres
Libellés : Invité du Silo, Laurent Margantin, Poésie, Venir au vent
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