jeudi 18 décembre 2008

Le Mastaba d'Augustin Lesage (6)

TE REGARDER SURPASSAIT TOUT AU MONDE.

Pour ta tombe, Reine-Roi Hatchepsout,
mineur muni de mon pic, j'ai taillé à
travers la montagne veineuse au Nord,
pour rétablir l'harmonie de ton royal
repos. J'ai couru sur la terrasse. Je
posais ma gamelle et mon briquet sous
l'ombre des portiques à l'ouest rose.

Mon oncle et mon parrain, leurs noms,
gravés sur la colonne du Monument aux
Morts, en lettres dorées ainsi que le
filet bordant ma tasse à café. Reine.
Te regarder surpassait tout au monde.

Envisager la symétrie des colonnes me
permettait de répartir les noms bénis
de tous les Morts au fond et sur leur
champ d'honneur. À droite, je martèle
le temps. À gauche, le palindrome des
oiseaux de proie me regarde à travers
les pattes du faucon. SERRES. SERRES.

Hagard Au Trou Creusé Humain Enchaîné
Par Son Ordre Universelle Théogonie à
l'acrostiche d'Hatchepsout, je peinai
et peignis. Je peignais et peinais au
fond des nécropoles de poussière. Mes
doigts laissaient tomber le pic aboli
pour gratter le natron des murs, pour
lécher la sueur des minéraux morts...

Ouvrier de l'éternité au fond profond
de mon boyau, de mes boyaux, je troue
l'obscurité et la noirceur. Mon éclat
vacille dans un bol rempli d'huile où
trempe une mèche tressée. Je porte au
devant de mon front la lampe céleste,
oeil troisième de la Révélation. Dans
la vapeur noire, le rayon dessine les
duvets angéliques d'une petite Morte.

La regarder surpassait tout au monde.


À la tombée du jour, à la remontée au
jour, j'inversais le passage. Le ciel
devenu souterrain, le monde spirituel
flottait autour de moi comme une aile
de brouillard. Sur les pavés luisants
d'humidité, je claquais les dâches de
mes talons pour conjurer le maléfice.

Dans l'Ancien Empire, mon Roi Mort se
dirigeait vers le ciel, vers les lacs
d'étoiles circumpolaires. J'avais usé
des burins pour découper la pierre de
la voûte funéraire. J'avais étançonné
l'étroit et long corridor rectiligne.

Pour rejoindre ma demeure, je suivais
maintenant une voyette zigzaguant sur
le bord des fossés où vibrait une eau
puante. Le vrai Royaume des Morts est
dans la Lumière, est dans la Couleur.

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posted by Lucien Suel at 10:56