Vouloir mourir, témoignage de Ianthe Brautigan (3/8)
Aujourd'hui la maison a été transformée, les murs sombres de séquoia ont été peints. Les grands arbres morts ont été enlevés et quantité de fleurs ont été plantées. Un bébé est né là. De la terrasse on peut voir l'océan. Un jour j'ai même décidé d'entrer dans la maison et d'y rester une minute. Je me suis forcée à regarder le coin du séjour où mon père s'était tué et découvris à mon grand soulagement qu'il n'était pas là.
Après le coup de téléphone, après la découverte du corps, après la police, il y eut du mouvement. Mon Norvégien de beau-père emballa tout dans la maison et me l'amena. Beaucoup de choses allèrent au garage mais les boîtes et les boîtes de papiers furent soigneusement empilées dans la chambre d'amis. Il ramena même l'épicerie du placard. Et les mouches...
Je ne me sentais pas menacée du fait de n'être pas entrée dans la maison tout le temps qu'il y était resté sans vie. Mon mari découvrit une cassette avec de la musique de piano que mon père avait écoutée avant de mourir. Je reconnus cette musique. Elle avait été écrite spécialement pour lui à une époque où les gens étaient soucieux de faire des choses comme ça pour lui.
Finalement, rentrée chez moi dans le noir, je décidai d'aller me coucher.
Lumière, obscurité, jour, nuit, vie, mort. Mon mari avait dû s'absenter quelques heures. « C'est bon ça va aller. » lui avais-je dit. Aussi ce fut ma mère qui m'accompagna par le chemin pavé, à travers les arbres, de la grande maison où mes beaux-parents résidaient jusqu'à la maisonnette où mon mari et moi habitions. Depuis son arrivée de Hawaii, elle me quittait très rarement. Quand j'ouvris la porte de devant, je vis une faible lumière qui provenait de la salle de bains. Je m'avançai en traversant dans l'obscurité la salle de séjour meublée. Je savais que j'allais me brosser les dents puis revenir avec ma mère à la grande maison parce que je ne pourrais pas rester seule. Entourée par les murs vert pomme et les carrelages qui étaient à la mode trente ans auparavant, je mis un peu de dentifrice sur ma brosse. Comme je commençais à me brosser les dents, j'évitai de regarder le miroir préférant regarder en l'air. D'abord je crus que c'était une nouvelle bordure de la tapisserie mais je savais que ce n'était pas possible. J'y regardai de plus près et compris que c'étaient des mouches, des centaines et des centaines de mouches. Elles s'étaient réveillées et avaient rampé hors des boîtes de papiers que nous avions ramenées de la maison de Bolinas. Elles s'étaient rassemblées dans la salle de bains attirées par la lumière. La brosse à dents encore serrée dans ma main, je passai en courant devant ma mère pour m'enfuir par la porte encore ouverte. Ma mère me rattrapa en courant. Elle me saisit le bras. Je jetai la brosse à dents dans l'obscurité et me mis à cracher. Elle me tordit le bras dans le dos pour m'immobiliser et me maintint fermement contre sa poitrine. « Je vais mourir, je vais mourir ! » sanglotai-je en essayant de cracher toute cette vie en moi qui me semblait contaminée. Et tandis que je me débattais, ses doigts puissants s'enfoncèrent dans mon bras. « Ça ne s'attrape pas, la mort. » me murmura t-elle à l'oreille, « La mort, ça ne s'attrape pas. »
Après le coup de téléphone, après la découverte du corps, après la police, il y eut du mouvement. Mon Norvégien de beau-père emballa tout dans la maison et me l'amena. Beaucoup de choses allèrent au garage mais les boîtes et les boîtes de papiers furent soigneusement empilées dans la chambre d'amis. Il ramena même l'épicerie du placard. Et les mouches...
Je ne me sentais pas menacée du fait de n'être pas entrée dans la maison tout le temps qu'il y était resté sans vie. Mon mari découvrit une cassette avec de la musique de piano que mon père avait écoutée avant de mourir. Je reconnus cette musique. Elle avait été écrite spécialement pour lui à une époque où les gens étaient soucieux de faire des choses comme ça pour lui.
Finalement, rentrée chez moi dans le noir, je décidai d'aller me coucher.
Lumière, obscurité, jour, nuit, vie, mort. Mon mari avait dû s'absenter quelques heures. « C'est bon ça va aller. » lui avais-je dit. Aussi ce fut ma mère qui m'accompagna par le chemin pavé, à travers les arbres, de la grande maison où mes beaux-parents résidaient jusqu'à la maisonnette où mon mari et moi habitions. Depuis son arrivée de Hawaii, elle me quittait très rarement. Quand j'ouvris la porte de devant, je vis une faible lumière qui provenait de la salle de bains. Je m'avançai en traversant dans l'obscurité la salle de séjour meublée. Je savais que j'allais me brosser les dents puis revenir avec ma mère à la grande maison parce que je ne pourrais pas rester seule. Entourée par les murs vert pomme et les carrelages qui étaient à la mode trente ans auparavant, je mis un peu de dentifrice sur ma brosse. Comme je commençais à me brosser les dents, j'évitai de regarder le miroir préférant regarder en l'air. D'abord je crus que c'était une nouvelle bordure de la tapisserie mais je savais que ce n'était pas possible. J'y regardai de plus près et compris que c'étaient des mouches, des centaines et des centaines de mouches. Elles s'étaient réveillées et avaient rampé hors des boîtes de papiers que nous avions ramenées de la maison de Bolinas. Elles s'étaient rassemblées dans la salle de bains attirées par la lumière. La brosse à dents encore serrée dans ma main, je passai en courant devant ma mère pour m'enfuir par la porte encore ouverte. Ma mère me rattrapa en courant. Elle me saisit le bras. Je jetai la brosse à dents dans l'obscurité et me mis à cracher. Elle me tordit le bras dans le dos pour m'immobiliser et me maintint fermement contre sa poitrine. « Je vais mourir, je vais mourir ! » sanglotai-je en essayant de cracher toute cette vie en moi qui me semblait contaminée. Et tandis que je me débattais, ses doigts puissants s'enfoncèrent dans mon bras. « Ça ne s'attrape pas, la mort. » me murmura t-elle à l'oreille, « La mort, ça ne s'attrape pas. »
Libellés : Beat, Ianthe Brautigan, Traduction
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